ÉGYPTE – Deuxième anniversaire de la présidence du général

0

À l’approche du deuxième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du général Abdel Fattah al-Sissi, qui avait renversé par un coup d’État, le 3 juillet 2013, le président sorti des urnes, Mohamed Morsi (premier président civil démocratiquement élu en Égypte suite à la révolution de 25 janvier 2011), puis s’était fait « élire » président en juin 2014, le nouveau « raïs » a multiplié les visites, à droite et à gauche, dans tout le pays.

Trois années déjà, depuis le coup d’État, deux années de présidence, et le moment d’un premier bilan… Aussi, le général-président a multiplié, également, les occasions de faire (re)parler dans la presse de ses projets pharaoniques et réalisations prétendues (inabouties ou imaginaires), tout en faisant mine d’ignorer que le pays est en proie à une crise économique croissante et de ne pas entendre les grondements d’une classe populaire écrasée par l’augmentation des prix des produits de première nécessité, et ce en plein mois de Ramadan.

Le dictateur (car, qu’on accepte de la savoir ou non, c’est désormais une féroce dictature qui gouverne l’Égypte) s’est ainsi, singulièrement, glissé dans les pas du président Morsi… Son agenda semble en effet avoir été calqué sur celui de son prédécesseur. Il a visité les mêmes lieux symboliques, tel le gouvernorat d’Assiout, dans le sud, où son prédécesseur avait relancé la production d’électricité, prévue de puis 2008, par la réhabilitation de plusieurs centrales hydrauliques, et avait mis en œuvre l’achèvement d’un réseau d’aqueduc destinés à l’irrigation de cinq provinces, des projets dorénavant attribués au général.

Une différence sensible, toutefois : les déplacements d’al-Sissi ont systématiquement lieu dans des espaces ultra-sécurisés ; pas de bain de foule pour le dictateur, qui est filmé par les médias aux ordres dans des cadres artificiels soigneusement mis en scène, où les « citoyens » venus écouter leur président sont toujours… des militaires.

Le but : démontrer au peuple subjugué que l’ère nouvelle de la prospérité économique est arrivée, grâce au général-président-dictateur. D’où certaines curiosités, comme « l’inauguration » de projets déjà anciens et réalisés depuis plusieurs années, et présentés comme autant de réussites du général… À titre d’exemple, « l’inauguration » d’un complexe de logements, habité depuis cinq ans déjà.

C’est que l’échec du dictateur est patent ; et il peine aujourd’hui à convaincre encore, même ses partisans, de la viabilité de sa stratégie, et ce malgré des campagnes médiatiques permanentes, assurées par la presse égyptienne, complètement asservie par le régime.

Au début du mois de mai le général-président avait décidé de célébrer la Fête de Moisson, la récolte des blés, choisissant pour ce faire l’oasis de Farafra. Le site fait partie des réussites fictives d’al-Sissi ; en l’occurrence, la bonification de 600.000 hectares dans le désert occidental, dont les travaux ont commencé fin décembre 2015. Le projet dépendait des réserves d’eau souterraines. Or, il s’avère aujourd’hui que l’exploitation de la nappe phréatique, dans cette région, présente deux inconvénients majeurs : d’une part, les réserves ne se régénéreront pas ; et, d’autre part, cette eau est chargée en minéraux, en fer notamment, ce qui rend son usage très coûteux. Mais, surtout, ce projet de Titans se révèle irréalisable et le dictateur doit revoir ses promesses à la baisse : il a donc annoncé aux Égyptiens que 10.000 hectares étaient à présent disponibles… après six mois de travaux. Il nous faudra donc encore soixante ans d’efforts pour couvrir la superficie initialement promise.

Ce n’était bien sûr pas le message qu’avait voulu faire passer le dictateur… Mais les Égyptiens (re)commencent à réfléchir.

Très significatif du comportement médiatique d’al-Sissi, son obsession d’annuler toutes traces du président légitime, actuellement toujours emprisonné. Perpétuation de la tradition pharaonique antique, lorsque les usurpateurs martelaient sur les monuments les noms des rois assassinés.

Ainsi, le président Mohamed Morsi avait célébré, en mai 2013, la réussite de la première étape de son projet d’amener l’Égypte, en quatre ans, à l’autosuffisance en blé. L’Égypte, en 2013, avait en effet produit 9,5 millions de tonnes de céréales, contre 6,5 en 2012. En 2016, la production s’est effondrée à 5,5 millions de tonnes… C’est qu’une des premières décisions du putschiste de 2013 avait été d’interrompre aussitôt le programme du développement agricole.

Simple vanité de la part du général-président, prêt à « tout casser » pour faire oublier son prédécesseur ? Haine viscérale pour un président démocratiquement élu qui avait commencé à enlever ses monopoles à l’armée ?

L’Égypte, dont les besoins annuels en blé dépassent les 10 millions de tonnes, est le premier importateur mondial de céréales. Le plan d’autosuffisance lancé sous la présidence de Mohamed Morsi, un plan qui ne concernait pas seulement le blé, mais aussi les industries pharmaceutique et d’armement, avait beaucoup alarmé les grands exportateurs internationaux, comme les États-Unis, la France (le premier exportateur de blé en Europe) et la Russie.

Le 16 mai 2013, le lendemain de l’annonce par le gouvernement égyptien des résultats de la récolte qui approchait déjà les 10 millions de tonnes, le site Terre-Net avait titré : « Marché mondial du blé : l’Égypte, 1er importateur au monde, inquiète ses fournisseurs ».

Qui s’étonnera que Washington, Paris et Moscou supportent aujourd’hui le régime militaire répressif issu du coup d’État…

Dans les années 1960 déjà, l’Égypte avait déjà subi un semblable chevauchement économico-politique. Le Fonds monétaire international (FMI), influencé par le gouvernement des États-Unis, avait refusé le financement de la construction du barrage d’Assouan. Les archives américaines déclassées ont, récemment, permis d’appréhender la raison de ce jeu d’influence et du refus du FMI, qui avait moins à voir avec la politique états-unienne de soutien à Israël qu’avec… les craintes des grands producteurs de coton qui, aux États-Unis, s’inquiétaient d’un développement économique rapide de l’Égypte, dont l’augmentation de la capacité à produire le coton aurait eu un impact négatif sur les exportateurs internationaux (lesquels ne perdaient probablement pas de vue le potentiel de l’Égypte, qui avait su compenser la carence en coton sur le marché mondial, durant la guerre civile américaine, de 1861 à 1865).

Dans le même esprit de dénégation de son prédécesseur et des réalités économiques, lors de sa visite à Assiout, al-Sissi a interrompu le discours de son ministre de l’Électricité, qui avait révélé pour la première fois la mise en panne du centre électrique d’Assouan, conséquence de la construction du barrage de la Renaissance, en Éthiopie. Une situation de plus en plus problématique pour l’Égypte, qu’al-Sissi ne parvient pas à résoudre. Devant les caméras, le général-président a toutefois estimé, forçant un rictus, qu’il ne s’agissait là que d’un « simple détail qu’il n’était pas utile de mentionner ».

Autre détail qui en a fait tiquer plus d’uns… Pourquoi, à l’occasion de cette visite, al-Sissi a-t-il soudainement appelé à la relance du dialogue israélo-palestinien ? De manière très incongrue, cet appel a détonné dans son discours… On pourrait avancer l’hypothèse d’un étrange hasard, si la décoration de la salle où avait lieu le discours n’avait pas été repeinte pour l’occasion en bleu et blanc, les couleurs du drapeau israélien…

Dans les années 1970, alors que les conditions économiques, politiques et sociales ressemblaient à celles qui prévalent aujourd’hui, le président Anouar el-Sadat s’était lui aussi tourné vers Israël, pour garantir au pays le soutien des États-Unis et des pays occidentaux, une démarche forcée qui a abouti à la signature des accords de paix de Camp David, en 1979. Al-Sissi et ses conseillers, dont l’ex-premier ministre britannique Anthony Blair et Mohamed Dahlan, ex-ministre palestinien réfugié au Caire, poussent à un rapprochement avec Israël, perçue comme une bouée de sauvetage. Al-Sissi cherche en effet le soutien de Benjamin Netanyahou, en espérant faire taire les critiques américaines qui l’accusent d’aller trop loin dans la violation des Droits de l’Homme… Des reproches auxquels s’ajoute l’affaire de l’assassinat présumé, par les services de la sécurité égyptienne, d’un étudiant italien, Giulio Regeni, dont le corps a été retrouvé en février 2016, dans une banlieue du Caire. Le jeune homme a été torturé à mort, pendant des jours ; son corps présentait d’innombrables coupures, pratiquées au moyen de lames de rasoir, des brûles diverses, notamment de cigarettes, sept côtes cassées, les jambes et les bras brisés, tous les doigts des mains et des pieds également… De nombreuses contusions dues à des coups de bâtons et d’instruments divers. Des pratiques habituelles des services de renseignement égyptiens…

Selon le rapport d’autopsie demandé par la famille de l’étudiant, il aurait été torturé ainsi près de sept jours durant, entre 10 et 14 heures chaque jour. Une mort lente et atroce… Et une affaire qui fait grand bruit en Italie et qui embarrasse les relations entre l’Égypte et la Communauté européenne.

Bavure ? Ou bien un exemple, un message à l’intention de certains journalistes et observateurs étrangers trop critiques ? On se souvient comment le correspond du quotidien espagnol El Paìs, Ricardo Gonzales, avait du s’enfuir précipitamment d’Égypte, en juin 2015, averti d’une arrestation imminente… Giulio Regeni, un « cas européen », qui ne doit pas faire oublier les milliers d’Égyptiens emprisonnés, eux aussi atrocement torturés ou disparus, comme l’étudiant Islam Ateeto, enlevé à l’Université du Caire et exécuté.

Sur le plan des Droits de l’Homme non plus, le bilan de ces trois dernières années n’est pas très bon…

À l’occasion de sa deuxième année de présidence, le 3 juin, le dictateur a préféré s’adresser à ses partisans via un entretien télévisé… enregistré. L’obsession de Mohamed Morsi, encore et toujours présente. Al-Sissi affirmait que Mohamed Morsi n’avait pas réussi de se mettre d’accord avec l’État. C’est-à-dire avec l’armée… Et de revenir une fois encore avec les grands projets mirages, certains achevés bien avant son arrivée au pouvoir, d’autres sur le point de s’achever, d’autres gardés « secrets », par peur des « méchants » qui, selon les propres termes du général-président, guettent l’Égypte dans l’ombre. Tandis que le cours de change de la livre égyptienne ne cesse de dégringoler face au dollar… Et puis de déclarer, pour répondre au fiasco économique désormais avéré que constitue le « nouveau canal de Suez », comme il le nomme, que l’entreprise (qui –rappelons-le- devait rapporter des millions en termes de taxes et services) n’avait pas été réalisée pour être rentable économiquement, mais, plutôt, pour faire remonter le moral des Égyptiens.

C’est ainsi qu’en Égypte, un pays où une large frange de la population ne mange pas à sa faim et où demeurent près de 70% d’analphabètes, on dépense 64 milliards de livres (8 milliards de dollars) simplement pour se remonter le moral !

Et la presse égyptienne, endettée à hauteur de 5 milliards de livres, participe sans se ménager à cette propagande qui tente, en y réussissant de moins en moins, de façonner une image, positive, du chef du coup d’État.

Le magazine Al-Musawar a ainsi publié une édition spéciale de 430 pages, en couleur, consacrée aux deux années de pouvoir d’al-Sissi ; et le journal officiel Al-Ahram a renchéri, publiant à son tour un panégyrique présidentiel.

Mais est-il possible de convertir un tel régime en conte de fée par une campagne médiatique ?

De plus en plus nombreux, les jeunes Égyptiens, dans les rues, même traqués par l’armée, répondent à cette question : « Wala touzal al-thawra ! » [ndlr : « La révolution continue ! »].

Share.

About Author

Mostapha Hussein, Dr.

Historien (Le Caire - ÉGYPTE)

Leave A Reply