DEBATE / SYRIE – « US go home » ? P’têt ben qu’oui ; p’têt ben qu’non

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« Get ISIS and go home ! » En février 2018, le président américain Donald Trump annonçait le retrait des troupes US déployées en Syrie, et ce dès la fin de la guerre contre l’État islamique.

Qu’en est-il un mois plus tard ?

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Cette déclaration surprenante de Donald Trump selon laquelle les troupes américaines présentes en Syrie devraient bientôt « rentrer à la maison » correspond  ironiquement au  slogan brandi par les  manifestants  hostiles aux  États-Unis dans le monde arabe.

Qu’elle soit conforme à la promesse de campagne du candidat Trump de placer « l’Amérique d’abord » ou serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage de moyens destinés à financer le maintien des forces américaines sur le territoire de Bashar al-Assad (allié de l’Iran, le pire ennemi des Saoudiens), la formule ne diminue  en rien  les effets négatifs et l’impression de confusion du signal qu’elle envoie.

Prenant en quelque sorte acte de la défaite américaine et occidentale en Syrie, la déclaration trumpienne ne peut que réjouir les adversaires russes, iraniens et syriens de Washington, dont elle fait le jeu,  et  inquiéter ses alliés : les monarchies arabes du Golfe, qui redoutent la montée en puissance de l’Iran pour laquelle un éventuel retrait américain se révélerait comme un cadeau inespéré ; et surtout les  Kurdes, qui risquent d’être abandonnés à la merci de la Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre  l’Etat islamique. Un appui aux Kurdes qui -autre effet pervers de la politique américaine- avait d’ailleurs jeté la Turquie, membre de l’OTAN, dans les bras de Moscou. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que les États-Unis lâchent leurs alliés, ni la première volte-face américaine concernant la guerre en Syrie. Barack Obama avait donné le ton en s’abstenant de mettre à exécution sa menace de bombarder le régime syrien après l’utilisation d’armes chimiques par ce dernier.

Survenue quelques jours après que l’ex-secrétaire d’État Rex Tillerson et le général commandant du théâtre régional des opérations militaires (CENTCOM) ont affirmé la détermination des États-Unis à maintenir une présence militaire en Syrie, la déclaration du locataire de la Maison Blanche illustrait son inconstance et les contradictions de la politique étrangère de l’administration Trump. La déplorable cacophonie qu’elle donne en spectacle souligne l’absence actuelle  de doctrine américaine concernant la région qui  fait presque regretter la grande époque d’un Kissinger, malgré le mauvais souvenir qu’il a laissé, au Liban notamment.

Elle contraste cruellement avec la vision claire et la maîtrise du jeu d’un Vladimir Poutine ou d’un Xi Jin Ping sur l’échiquier géopolitique mondial. Donald Trump aurait pu faire le poids face à eux s’il avait écouté les conseils ; mais il n’en fait qu’à sa tête, et selon son humeur du moment, ce qui est devenu évident à l’usage, et comme en témoignent la valse de ses conseillers et ses nombreux revirements.

Celui, par exemple, où, après avoir qualifié l’OTAN « d’organisation obsolète », Donald Trump est revenu sur ses propos. Ou bien sa proposition de rencontrer le dictateur coréen Kim Jong-Un,  après l’avoir traité de tous les noms d’oiseaux et avoir menacé d’atomiser son pays. Cette proposition de rencontre a donné un important avantage à ce dictateur, comparable à celui que Trump donnerait à l’Iran en cas de retrait des troupes américaines de Syrie, alors même qu’il  menace Téhéran de dénoncer l’accord sur le nucléaire : « le pire qui soit », dixit le président américain. S’il a raison d’affirmer que cet accord n’a en rien diminué les visées expansionnistes de l’Iran, l’hostilité viscérale de Trump envers Téhéran vise à la fois à complaire à Israël et à monnayer sa protection des pétromonarchies du Golfe ce qui, pour cet habile businessman, constitue une priorité.

« Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge. » Ce dicton pourrait s’appliquer aux alliés des États-Unis ; ce n’est pas le cas des partenaires de la Russie, qui s’est montrée autrement plus fiable à  leur égard.

Un peu plus d’un mois après avoir annoncé le retrait des troupes américaines basées en Syrie, Donald Trump, par un énième revirement, menace Damas et Moscou de frappes militaires et déclare vouloir s’immiscer davantage dans le conflit syrien qui, pourtant, touchait à sa fin : « Des missiles tout beaux, tout neufs arrivent ! »

Faut-il le croire, cette fois ?

Ou bien, déjà, l’homme fait-il marche arrière ? En déclarant, ce 12 avril 2018, « les missiles arrivent, mais je n’ai pas dit quand »…

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Profitant des errements de la politique américaine, la Russie a effectué un retour fracassant au Moyen-Orient. Depuis son intervention militaire en Syrie, elle s’est imposée comme un acteur incontournable dans la région et a réaffirmé son statut de grande puissance de premier plan.

Avec le  retour de la Russie et surtout la montée en puissance de la Chine, c’est l’ordre du monde nouveau qui s’ébauche.

Ce qui, selon d’aucuns un peu partout dans le Monde arabe, ne serait pas une mauvaise chose, au vu du chaos que les États-Unis ont provoqué, notamment en envahissant l’Irak en 2003, depuis que la chute de l’URSS les avait propulsés au rang d’unique superpuissance. « US go home ! »

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Ibrahim TABET

Historien et Écrivain - Beyrouth (LIBAN)

2 Comments

  1. Cela fait déjà un certain temps que le Qatar a viré en direction de l’Iran et de la Russie, la Turquie suit par la force des choses, même le papa de MBS se ballade à Pékin, et la Syrie peut donc espérer qu’elle liquidera une à une les poches terroristes sur son territoire, tout en entretenant une rébellion sur les territoires aux mains des mercenaires kurdo-arabes protégés par les bases et les subsides de l’US Army. Quand des cercueils à la bannière étoilée rentreront au pays de Raqqa saccagée par les bombes US, Trump aura réussi à faire accepter à ses compatriotes la constat que leur pays n’est plus la grande puissance qu’elle a été et qu’il lui faut donc baisser sa voilure comme l’Autriche l’a fait après Sadowa. Trump prépare sans doute la Sadowa américaine dont il a besoin pour justifier le repli vers “l’Amérique d’abord”. Le reste du monde s’achemine lui vers le siècle asiatique et eurasiatique. Et les Arabes en prennent conscience aussi, de l’Algérie à la Syrie, du Maroc au Qatar…

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