ÉGYPTE – Elle n’est pas une femme exemplaire!

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Je vais écrire à propos de cette femme, et non de Donald Trump, d’Angela Merkel, de Sadate, de Moubarak, d’Obama, de Clinton, de Daesh, des Frères musulmans ou d’autres… Ceux qui possèdent des armes puissantes, le pouvoir et la fortune, dans l’orbite desquels les écrivains, les journalistes et les chroniqueurs tournent exactement comme un moustique autour d’une lueur dans la nuit.

Je vais écrire sur cette femme dont on ne connait pas le nom, ni l’apparence.

Elle est arrivée il y a quelques années ; elle a voulu travailler chez moi en tant qu’employée de maison, pour faire vivre ses deux enfants. Elle m’a dit : « Je suis Samira, j’étais avec toi en première année du primaire, te souviens-tu de moi ? »

J’ai immédiatement reconnu les traits de son enfance, lumineux sur son visage pâle et ridé… Elle était la fille la plus intelligente de notre classe ; elle arrêta ses études soudainement, son père l’enferma chez lui pour la forcer à se marier, et son mari divorça oralement d’avec elle pour une autre.

Elle essaya de prouver leur séparation devant le tribunal afin de faire valoir leur divorce, qu’elle était seule avec deux enfants, et d’obtenir une pension alimentaire. Le père de ses enfants refusa de reconnaître sa fille, dans le but de la priver de son héritage ! Comme elle n’avait pas les moyens de se payer un avocat, il ne lui restait que Dieu ; mais la providence n’est par reconnue par le tribunal…

Ensuite, Samira et sa fille devinrent employées de maison et son fils, ouvrier. Lui, il se maria avec une autre domestique, et ils eurent deux garçons ; l’un allait être tué en Irak, et l’autre partirait en Lybie, où il aurait deux garçons, lui aussi : le premier émigra en Italie, l’autre trouva la mort dans la guerre contre Daesh…

Hier, j’ai revu Samira, en compagnie de sa fille. Ou bien était-ce sa petite-fille ? Elle avait le visage dur et éteint. Elle boitait, enfermée dans son voile noir, en avançant dans le rang des mères exemplaires. Son esprit était absent, son corps étranger à son apparence et à son prénom, comme s’il appartenait à une inconnue de lui-même !

Le gouverneur lui a décerné un certificat commémoratif dont les lettres étaient tracées en or ; mais elle est illettrée, elle n’a pas pu le lire…

Lorsque j’ai commencé à écrire à propos de la cause féminine dans les années cinquante, ils ont dit : « Cette cause est importée de l’Occident dans le but de combattre l’islam et les musulmans. »

Depuis soixante ans et peut-être plus, précisément depuis l’obtention de mon diplôme en médecine, j’ai commencé à réfléchir sur mes études ; j’ai fait le lien entre mon domaine et les études de l’histoire, la philosophie et la cosmologie, afin de répondre à quelques simples questions…

Pourquoi est-ce que l’on coupe une partie du corps d’une enfant saine et l’appelle-t-on ensuite une « pureté » ?

Pourquoi le professeur Ali raye-t-il le prénom de ma mère lorsque je l’écris à côté de celui de mon père dans mon cahier ?

Pourquoi ma mère a-t-elle été privée de suivre des études de musique, alors que le rêve de sa vie était d’écrire et de composer des chansons, et non d’avoir neuf garçons et filles ?

Pourquoi le sort d’une femme est-il toujours soumis à la volonté de son mari et de ses enfants, et non pas à son propre jugement, à ce qu’elle peut réaliser par sa propre faculté mentale ?

Pourquoi le rôle d’une femme en tant que mère et épouse est-il le rôle fondamental qui est lui imposé par l’État et la famille ?

Pourquoi la femme exemplaire est-elle considérée comme étant celle qui possède un utérus et non pas un cerveau ? Avons-nous hérité de Sigmund Freud sa fausse idée selon laquelle une femme doit accoucher d’enfants et non pas d’idées ?

Pourquoi exaltent-ils l’homme qui pense et détestent-ils la femme qui réfléchit ? Est-elle vue comme un réel handicap, exactement comme une malformation de la colonne vertébrale ?

Répondre à ces questions exige de suivre un long chemin à travers l’histoire, les sciences et les religions, dans le but de déstructurer les fondements du pouvoir patriarcal, intrus à l’histoire humaine. Le pouvoir parental ne s’est jamais dissocié du pouvoir du souverain ou de celui de la classe dirigeante ; c’est la raison pour laquelle l’asservissement et l’oppression des femmes, comme celle des pauvres, se perpétuent, tout comme les guerres nationales et mondiales, et le développement des armes d’assassinat et de destruction massifs, l’espionnage, la machination, la spoliation et l’occupation.

Un père qui ment sur sa femme, à l’échelle de sa petite famille, n’est rien que le premier maillon de la chaîne qui mène aux grands mensonges entre États. Aucune différence entre les mensonges politique, économique, religieux, moral et sexuel… Entre les trahisons nationales et familiales.

Le fait qu’un mari espionne sa femme est semblable à l’espionnage organisé par de grands chefs d’États dans le monde, non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de leur pays.

Les armées les plus fortes ne cessent d’écraser les plus faibles, tout comme les pères ne cessent de réprimer  leurs femmes et leurs enfants…

Cependant, on exige de la femme, la femme pauvre en particulier, qu’elle se sacrifie, qu’elle donne tout pour le bien de l’État, alors que ce dernier n’offre que sujétion et que belles paroles aux femmes, comme aux pauvres ! Alors que les riches et les dirigeants crânent en manifestant de leur aisance.

Pourquoi voit-on rarement les hommes et les femmes fortunés parmi les martyres des guerres, comme une goute d’eau dans le désert ?

Pourquoi n’a-t-on vu dans la morgue de Zinhom, lors de la révolution, ou de l’invasion étrangère (ou intérieure), que des mères pauvres et soumises ?

Pourquoi ne voit-on que des mères pauvres, divorcées, oralement ou sur écrit, ou celles qui cherchent à obtenir une pension alimentaire, leur héritage ou la reconnaissance de filiation pour leurs enfants, dans les files d’attente des tribunaux ?

Pourquoi toutes les lois de l’État égyptien sont-elles à présent civiles, sauf le code relatif au droit de la famille, qui demeure une compétence religieuse ?

Traduit de l’arabe par Mamdouh NAYOUF

 

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Nawal al-Saadawi

Writer (Cairo - EGYPT)

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