OPINION COLUMN (Islam) – Et « l’Islam politique », dans tout ça ?

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L’expression « Islam politique » a commencé d’être fréquemment employée depuis l’arrivée au pouvoir en Égypte et aux États-Unis, respectivement, d’Anouar El-Sadate (1970-1980) et de Ronald Reagan (1981-1988).

Leurs politiques ont conduit à la montée des courants politico-religieux terroristes, dont Al-Qaïda, les Talibans, Boko Haram, les Frères musulmans, le Hamas et d’autres…

Étudier l’histoire d’un courant politico-religieux, qu’il soit islamique, juif, chrétien ou autre, est une étape fondamentale pour comprendre comment il est apparu, ainsi que pour identifier les forces locales et internationales qui l’ont aidé militairement et financièrement. Par exemple, les Français avaient élaboré un plan dans le but de mettre la main sur l’Égypte, sous Louis XIV ; un plan connu sous le nom de « Mémoire sur la Conquête de l’Égypte »,  et écrit par le philosophe allemand Leibniz qui voyait dans la religion une arme aussi importante que la force militaire pour frapper les peuples. C’est ce qu’il avait appris des guerres chrétiennes du Moyen-Âge en Europe. Idem pour Napoléon, en 1798, qui a envahi l’Égypte militairement et économiquement, tout en  annonçant au peuple égyptien que « les Français étaient des musulmans fidèles » ; il a même envisagé de se convertir lui-même à l’Islam, rien que pour manipuler les Égyptiens.

Les Anglais maîtrisaient plus que n’importe qui d’autre l’instrumentalisation de la religion pour régner sur les peuples ; il me vient à l’esprit à ce propos la phrase attribuée à une paysanne africaine : « Les Anglais sont venus chez nous ; ils nous ont donné la Bible contre nos terres. »

L’occupant britannique a coopéré avec la monarchie en égyptienne et a consolidé la position de la confrérie des Frères musulmans, à partir de la fondation de cette dernière au courent des années 1920, et ce dans le but de combattre les forces populaires socialistes et communistes anticapitalistes, ainsi que de diviser le pays en accentuant les clivages sectaires à travers la fomentation d’un conflit politique et religieux entre les Musulmans et le Coptes.

Israël s’est bien inspiré de l’expérience anglaise, lorsqu’il a encouragé le Hamas à frapper les mouvements de la résistance populaire palestinienne, dont l’Organisation de Libération de la Palestine de Yasser Arafat (OLP).

Quant au néo-colonialisme américain, il hérite de l’expérience du colonialisme britannique son utilisation de l’Islam comme instrument dans les conflits politiques et militaires, et il s’en sert pour attiser le sectarisme dans le Monde arabe.

Depuis l’apparition de la religion, son exploitation à des fins politiques est un phénomène qui accompagne l’histoire humaine. Si nous étudions l’histoire du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam, nous comprendrons qu’ils sont initialement des mouvements politico-économiques : le pouvoir temporel a dominé le peuple en s’étant déguisé des habits du dieu du ciel, alors que les clercs ne faisaient que maintenir dans l’ignorance depuis l’âge de l’enfance tout un peuple par le biais d’une éducation religieuse et d’une croyance aveugle.

Une réflexion sur les trois livres de la parole révélée que sont la Torah, Bible et le Coran nous oblige à découvrir également qu’ils sont avant tout des livres politiques se camouflant en paroles divines, tandis que l’intelligence des peuples est incapable de déceler cette duperie, bridée par les systèmes éducatifs et d’enseignements. Et même si l’intelligence, mature, réussissait à se rendre compte de cette manipulation, il ne demeure pas moins que la croyance religieuse resterait bien ancrée, à la fois dans la conscience et dans l’esprit.

On peut lire dans la Torah (l’Ancien Testament) un verset sacré, clair et formel, et une promesse faite par Dieu aux fils d’Israël, de leur octroyer la terre de Palestine contre l’ablation du prépuce (l’opération dite de « la circoncision »), dont certaines études médicales soulignent les risques de complications et les multiples problèmes liés à la santé, et d’autres soucis d’ordre social…

L’occupation de la Palestine par la force des armes n’est qu’un acte politique, économique et militaire, qui est justifié religieusement en tant que promesse divine formulée dans la Torah ; et il en va de même de l’imposition du voile ou du niqab aux femmes, et de la transmission à l’enfant du nom de famille du père, uniquement… Ce sont là des pratiques politiques, économiques et sociales, et sexistes, commises au nom de la religion.

Mon père a passé sa vie à étudier les religions, dans différents établissements dont Al-Azhar, la faculté des sciences, le tribunal islamique et l’École supérieure des instituteurs, en plus de ses lectures en dehors des programmes prescrits… Ses études comprenaient en plus de l’Islam les deux autres religions monothéistes et leur histoire, ainsi que d’autres religions encore, dont le Bouddhisme, l’Hindouisme. Il a lu, en outre, des philosophes et des poètes, dont Avicenne, Al-Jahiz, Averroès, Al-Mutanabbi, Abou Nouwâs, Bashâr Ibn Burd, Abu-l-Ala Al-Ma’arri, Tagore, Gibran Khalil Gibran, Taha Hussein, et d’autres… Je l’écoutais avec joie et satisfaction, car ses mots, qui m’ont rendu fière et digne en tant qu’être humain, étaient différents de ceux prononcés par les enseignants religieux et les cheiks des émissions radiophoniques et des mosquées ; de ce fait, mon cœur s’est contracté et la honte m’a submergée à chaque fois je les ai entendus parler de la femme.

Mon père disait : « L’essence des religions est identique, elle se conforme à la raison, à la justice, à la santé, à la liberté, au bonheur, à la créativité, à la beauté, à l’amour et à la dignité de l’homme et de la femme. » Toutefois, les enseignants et les fonctionnaires, dans les administrations et dans les établissements religieux de bien des pays, principalement les prêtres, les rabbins, et les imams, s’emploient à servir les forces politiques dominantes, en ignorant le cœur de l’éthique (ou l’essence de la moralité) : la justice, l’égalité, la dignité et la liberté. Ils s’intéressent aux rituels  religieux, à la barbe, au voile, au sacerdoce, au temple et à la théologie. C’est la raison pour laquelle le monde plonge dans des guerres à la fois religieuses et politiques ; de plus en plus, les conflits d’intérêts, de croyances, de doctrines, de politiques, basés sur les textes sacrés appris par cœur, deviennent interminables. Ces derniers font de la discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, l’ethnie, la classe sociale et la confession.

J’ai hérité de mes parents l’amour de la lecture et du voyage, et la curiosité, l’envie d’apprendre, depuis mon enfance, ainsi que l’intérêt pour la recherche dans les domaines de l’histoire, de la science et de l’art. J’ai séjourné en Inde durant les années 1970, et j’y ai rencontré des écrivains et des écrivaines, dont Kamala Das et Amrita Pritam. J’ai rencontré Andira Gandhi et j’ai débattu avec elle de ses idées. Je me suis couchée avec des Hindous sur des clous, j’ai passé quelques nuit de pleine Lune à Ashram Gandhi, où j’ai rencontré une philosophe indienne qui m’a dit : « Gandhi ne faisait pas de différence entre la politique et la religion. » Puis elle m’a cité une de ses paroles : « Si Dieu devait apparaitre aux affamés, il n’oserait leur apparaitre que sous forme de nourriture. »

Je me suis penchée pendant quelques jours sur le livre de Bhagaved Gita, dont les textes sont des écrits fondamentaux de l’Hindouisme ; il est par ailleurs considéré comme une source importante par les psychologues et les politologues dans nos sociétés contemporaines.

Mais de toute cette expérience, je constate que la philosophie religieuse, même si elle a évolué, demeure incapable de suivre le progrès rapide des sciences exactes.

Et la religion… Elle continue à servir comme arme, dans les luttes de classes, et dans les guerres patriarcales et racistes, jusqu’à aujourd’hui encore…

         Traduit de l’arabe par Mamduh NAYOUF

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Nawal al-Saadawi

Writer (Cairo - EGYPT)

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