LIBAN – Pas de président pour le Liban

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Après son auto-prorogation anticonstitutionnelle de l’an dernier, sous le fallacieux prétexte du « cas de force majeure » et de « la nécessité de maintenir la stabilité », la Chambre des députés, apte à s’être fait réélire de facto, se retrouve inapte à élire un président pour ce qu’il reste de république au Liban…

Comment s’en étonner lorsque les deux parties, 8 et 14 mars, se partagent presque ex aequo le gâteau de cette Chambre et qu’aucune n’est par conséquent en mesure d’imposer «son» président à l’autre ? Même les quelques centristes et indépendants ne peuvent peser dans la balance car la majorité absolue se trouve tributaire du quorum des deux tiers pour procéder à l’élection, lequel est une carte maîtresse aux mains de chacune des parties si le président qui se profile à la majorité simple n’est pas de leur bord.

Il est remarquable de noter, à ce propos, les lacunes constitutionnelles qui favorisent les blocages, les législateurs n’ayant pas tenu compte de ces scénarios extrêmes, et à tort, étant donné la mauvaise foi qui dicte l’exercice politique au Liban. D’aucuns considèrent même que ces lacunes étaient préméditées par les législateurs pour aménager une porte de sortie aux perdants potentiels et forcer un consensus. Beaucoup de lois libanaises, d’ailleurs, ont été façonnées de manière à assurer l’impunité aux contrevenants, telle que celle relative à l’enrichissement illicite, et bien d’autres qu’il serait fastidieux de répertorier.

D’où, l’inquiétude qui sévit dans le pays avec l’entrée en vigueur de la vacance présidentielle, à durée indéterminée, consécutive à l’incapacité de la Chambre à élire un président par le processus sain, démocratique, celle-ci étant elle-même sous le coup du chantage d’une coalition parlementaire qui use du quorum comme moyen de pression et d’extorsion.

Parmi les rumeurs qui se relayent dans la presse locale et les médias sociaux, celle d’une entente contre-nature entre le chef du Courant Patriotique Libre (8 mars), le chrétien Michel Aoun, et le Chef du Courant du Futur (14 mars), Saad Hariri, portant sur le donnant-donnant Présidence de République au premier et Présidence du Conseil au second, va bon train et ne trouve, après plusieurs semaines de circulation, aucun démenti formel de la part de Hariri, qui laisse planer le doute sur ce scénario propre à révulser, voire écœurer, les partisans du 14 mars. Le package deal portant sur un retour sécuritaire du chef du Courant du Futur au Liban, après des années d’exil forcé, avec la garantie de ne pas attenter à sa personne en échange de son ralliement à la candidature de Michel Aoun, n’est certes pas pour plaire, s’il s’avère fondé, à l’Alliance du 14 mars et ses partisans, ni pour embellir son image déjà ternie par des compromissions précédentes, telles que sa visite à Damas dans un but de normalisation au temps où il était premier ministre (avant d’être évincé) et son acceptation toute récente de former un gouvernement avec les « assassins de son père », et ce au moment de l’ouverture du procès à La Haye contre des membres du Hezbollah.

À cette flétrissure vient s’ajouter son absence prolongée du pays, pour des raisons de sécurité, comme si la sienne était plus précieuse que celle des autres ténors du 14 mars, et notamment du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, tout autant menacé et tout aussi précieux, qui échappa récemment par miracle au tir d’un franc-tireur embusqué dans la colline surplombant sa résidence à Maarab au moment où il se promenait dans l’enceinte. Or Samir Geagea, qui n’a pas pris la fuite par le passé pour se laisser injustement et courageusement emprisonner durant 11 ans, n’a, une fois de plus, pas plié bagage, et ne s’est pas laissé intimider. Après être resté (détenu) au Liban, il est demeuré à Maarab qui est devenu le symbole d’un Liban réfractaire aux compromis, demi-teintes et demi-mesures. Il n’hésite même pas à se déplacer, à l’intérieur et vers l’extérieur, comme son voyage tout récent à Paris pour rencontrer Hariri, celui-ci étant toujours sous l’emprise du « conseil » lui enjoignant de rester hors de son pays.

La candidature, de principe et par principe, de Geagea à la présidence de la république libanaise, malgré son caractère provocateur pour ses adversaires, est venue donner le ton et l’exemple à ce processus jusque-là vicié par des tours de passe-passe, des compromissions, des marchandages et des pactes avec le diable extérieur dans les coulisses du parlement, et qui ont conduit le pays, depuis son indépendance, de marasme en marasme, de gouffre en gouffre, de guerre en guerre… jusqu’à la chienlit où il se trouve aujourd’hui, avec ce mini-État pro-iranien dans ce pseudo État libanais.

Soucieux de dépersonnaliser le processus, de le rationaliser, Geagea a été le premier à accompagner sa candidature par un programme électoral bien ficelé, qui tient lieu de charte présidentielle et d’engagement national. Mais bien entendu, les ennemis de la nation n’ont vu dans ce candidat coriace que l’ancien seigneur de guerre, comme s’ils avaient été eux-mêmes jusqu’à ce jour des saintes nitouches. De tous ces chefs de guerre, aujourd’hui costumés, il a été le seul à en avoir payé le prix par des années de détention souterraine dans une cellule de 2 mètres carrés, ceci sans compter la persécution de ses proches et ses partisans durant toute la période de détention.

S’il maintient sa candidature mordicus, malgré ses chances minimes, voire nulles, ce n’est certes pas pour faire l’impasse sur cette élection, mais pour la libaniser, la soustraire aux polarisations régionales et internationales et paver la voie à un président fort, non pas de compromis, synonyme de «consensuel», mais engagé pour la souveraineté d’un État aujourd’hui otage d’un mini-État qui se permet de faire fi de la Constitution, des lois, des institutions, des forces de l’ordre, de l’opinion publique, de l’ONU, du TSL, de la « déclaration de Baabda » qui stipule la neutralité du Liban vis-à-vis des conflits régionaux, et notamment en Syrie…Un mini-État qui s’arroge le droit de faire la pluie et le beau temps, sous notre ciel et le ciel voisin, qui envoie effrontément et impunément ses miliciens et ses engins meurtriers combattre aux côtés d’un régime tyrannique et sanguinaire, devant les yeux impuissants des autorités et de l’armée libanaise.

Un mini-État qui a planté ses agents, ses sbires, dans toutes les institutions, ses députés au parlement, ses ministres au gouvernement pour miner l’État hôte et faire imploser le pays; un mini-Etat non libanais qui a participé, par son sectarisme chiite, de la radicalisation sunnite au Liban, en Syrie et ailleurs ; qui a tiré profit du mot Résistance, jadis légitime pour combattre l’occupant sioniste, pour envahir des régions libanaises et les placer sous sa tutelle ; qui a utilisé le blanc-seing paramilitaire, accordé par l’Etat et le peuple libanais dans leur lutte contre l’occupant israélien, pour retourner ses armes contre ses propres concitoyens (mai 2008 : invasion de Beyrouth et attaque de la Montagne par le Hezbollah et le mouvement Amal) et soutenir l’occupant syrien d’hier, au Liban, et ce même occupant en Syrie aujourd’hui, car c’est ainsi que le régime syrien est devenu sur sa propre terre et aux yeux de la majorité des Syriens : un occupant.

C’est dans ce cadre disloqué qu’il faut placer la candidature de Geagea et sa volonté de la maintenir…jusqu’à s’assurer du profil de président qui se dessine dans les officines, et prévenir tout arrangement sur le compte du Cèdre et de sa révolution, y compris les risques d’accommodement des proches alliés qui se laisseraient tenter par un partage de pouvoir et un retour sécurisé, au mépris des principes, de la morale et de l’éthique, car tout porte à croire que c’est aussi pour barrer la route à ces velléités que Geagea s’est porté candidat.

C’est en observant la trajectoire du président sortant, Michel Sleiman, élu à l’origine en tant que président consensuel, et qui, à sa dernière ligne droite, n’a pu tenir cette route médiane – en soi intenable – pour finalement virer et emprunter « la bonne route », que l’on se rend compte de la non-viabilité et de la vacuité de ce qui est appelé « président consensuel », et que l’on comprend l’insistance de Samir Geagea, partant celle du 14 mars, pour l’élection d’un président fort, c’est-à-dire souverain dans sa pensée d’abord, son appartenance nationale, ses orientations, ses positions et ses décisions.

Un président vide étant bien pire qu’un vide à la présidence.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

2 Comments

  1. Charles Fayad on

    Comment s’en sortir de cet imbroglio constitutionnel, que seuls les mieux avertis pourront donner quelques alibis à la prorogation du parlement. J’en oublie et j’ai sûrement tort, mais la prorogation arrangeait finalement tout le monde, de crainte d’attentats ciblés visant l’un ou l’autre ténor de la révolution du Cèdre. Mystère.

    “Comment s’en étonner lorsque les deux parties, 8 et 14 mars, se partagent presque ex aequo le gâteau”, presque bien sûr, et que vient faire alors M. Joumblatt dans ce jeu de tractation électorale en proposant la candidature de M. Hélou, gardant ainsi deux fers au feu ; son candidat et celui du 14 mars, (fuite de la confrontation ?) Le 14 mars est-il si bien soudé comme il en a l’air ?

    “Bien sûr les lacunes constitutionnelles favorisent le blocage”, héritage d’une occupation (syrienne) où le législateur de l’époque y était pour quelque chose pour finalement garder la main mise sous forme d’arbitrage…

    (M. Geagea), “S’il maintient sa candidature mordicus, malgré ses chances minimes, voire nulles.” De cette candidature avec un programme (que je n’ai pas eu l’honneur de lire), seuls les esprits chagrins pourront s’offusquer, et ce programme je l’espère ne passera pas sous silence, une nouvelle loi électorale. Qu’on se souvienne du débat pendant presque deux ans sur le mode du scrutin, et le lamentable report aux calendes grecques d’une nouvelle loi électorale.
    Il ne faut pas se bercer d’illusions, tant que notre milice divine fait la loi, tant qu’on vote avec des mitraillettes, il n’y a pas d’espoir d’assurer le quorum et finalement élire un président fort par son “appartenance nationale.” Au Liban, je le répète, la nature politique n’a pas horreur du vide…

    • Ronald Barakat on

      M. Joumblatt raffole d’équilibrisme. Il a besoin de sentir son poids peser dans la balance. Et le 14 mars ne reste soudé que grâce au soudage au chalumeau de Geagea. Gemayel- Père joue au consensuel, à équidistance entre le Bien et le Mal, malgré sa solidarité apparente avec le Bien. Prêt à mordre à l’hameçon si on lui tend la perche. Hariri a déjà mordu et le garde-côte de Meerab s’applique à décrocher l’hameçon et sauver le poisson. Oui, le mode de scrutin est la cause qui a reconduit un parlement après de vaines discussions sur le sexe des anges, sous l’œil amusé des démons. Et le parti divin est bien reparti pour exploiter cette vacance présidentielle, vider davantage les institutions et réfuter l’adage d’Aristote en montrant que sa nature belliqueuse se plaît et croît dans le vide.

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