L’Islam peut-il renoncer au jihad mineur, à la lutte armée ? Est-il encore licite ? Dieu seul sait qui est croyant et qui ne l’est pas…
L’apparition de Daech a en effet provoqué cette question : quel Islam opposer au terrorisme ?
Quand on voit que dans la coalition supposée lutter contre Daesh, il y a bien des États qui n’ont rien de démocratique ni ne communient dans les valeurs humanistes, on ne peut pas ne pas soutenir que, combattre le terrorisme, c’est d’abord contrer le terrorisme mental qui demeure sa source première.
En effet, on ne saurait faire efficacement face au terrorisme physique sans admettre et déclarer au préalable que seul est désormais licite le « jihad akbar » (le « grand jihad »), l’effort maximal sur soi ; le jihad mineur (ou lutte armée) étant forclos depuis l’érection de l’État islamique, le vrai. Ce qui, s’il n’était pas de nature à tarir les sources, ôterait pour le moins l’habillage religieux du grand-banditisme que pratique Daech.
On l’a déjà bien dit, c’est de la fausse conception d’une telle notion que se nourrit Daesh qui se renouvelle en comptant sur de fraîches recrues croyant, car on le leur fait croire, servir une foi ou, au pis, s’en servir moins trivialement que ne le font des ennemis tout autant commerçants de la religion.
Car la responsabilité des États islamiques est immense en la matière qui ne prennent pas le taureau par les cornes en se refusant à déclarer illicite la lutte armée, ce qui est déjà une aberration légale majeure, la caractéristique essentielle de l’État étant déjà l’exclusivité de l’usage de la force.
Ainsi, se nourrissant de la licéité du jihad mineur, le terrorisme ne saurait être sérieusement combattu si l’on ne fait pas acte de sincérité, ce qui revient déjà à la nécessité de la solennelle déclaration du caractère illicite du jihad mineur qui a bien pris fin en Islam.
On comprend la gêne de l’Islam officiel pour sauter le pas d’un tel acte de haute valeur symbolique et pratique de nature à ôter aux jeunes trompés sur leur foi toute caution religieuse. Si cela semble aujourd’hui encore hors de portée de l’Islam officiel, qu’il soit sunnite ou chiite, c’est que l’abolition du jihad mineur contribuerait du coup à relativiser leur prétention à parler au nom d’un Islam où le rapport entre le fidèle et son créateur est direct, sans le moindre intermédiaire.
Ce qui reviendrait à faire de l’islam soufi la seule plus sûre lecture de la foi de Mohamed.
On n’y est nullement prêt, même au risque de faire de l’Islam une religion qui ne soit plus de paix selon sa prétention initiale.
Le soufisme, horizon de l’Islam de paix
Une telle lecture soufie, la plus authentique de l’islam des origines, est de fait le seul horizon de paix et du futur pour une foi revenue à son esprit et à ses visées : humaniste et œcuménique, bien plus culture que culte, ainsi que tiennent à la réduire aussi bien le sunnisme, même non intégriste à la façon wahhabite, que le chiisme.
De fait, la fracture confessionnelle actuelle en Islam est artificiellement entretenue par les pouvoirs en place, aidés par leurs soutiens étrangers.
Elle ne cache pas moins une autre ligne de fracture autrement plus grave, moins pour la religion que pour les intérêts politiques et idéologiques qui se sont accaparés l’idéologie islamique. Il s’agit de ce fonds soufi qui est bien plus prégnant dans les populations que les déclinaisons chiites ou sunnites. De fait, il n’est qu’un seul Islam populaire, et c’est bien le soufisme.
L’Arabie saoudite le sait bien, qui ne rate pas une seule occasion pour créer des risques d’embrasement au Moyen-Orient afin de détourner l’attention de l’hérésie que constitue son idéologie. Déjà avec la guerre au Yémen, puis l’exécution de cheikh Nimr Al-Nimr, éminent chef chiite, en compagnie d’une quarantaine d’autres personnalités présentées, elle a récemment pratiqué la fuite en avant, sentant les menaces s’amonceler sur la pérennité même du régime wahhabite dont on a dit qu’il n’était qu’un « Daech qui a réussi ».
De plus en plus de voix se lèvent d’ailleurs dans le monde musulman -chose inimaginable il y a peu- pour contester la mainmise sur les lieux saints par ce que d’aucuns présentent désormais comme étant une secte quasiment antéislamique ; d’aucuns appellent même à boycotter le pèlerinage faute d’avoir décidé de confier la gestion du pèlerinage à une administration indépendante et apolitique. Or, cela n’est plus nécessairement le fait de milieux chiites et se fait de moins en moins discret. On suppute qu’il sera encore mieux entendu à l’avenir.
On s’attend donc à de gros bouleversements à venir pour un Islam qui n’a jamais été dévergondé à être ainsi asservi au service des idéologies au pouvoir après la rupture des relations diplomatiques entre les deux puissances régionales, appliquées à la lettre par les États tournant dans l’orbite de l’une ou l’autre, venant s’ajouter aux événements de Syrie et du Yémen aggravant les menées de Daech en Irak et en Libye.
Pourtant, l’essence même de cette foi est d’être foncièrement paisible en sa lecture soufie !
Cela viole aussi et l’âme musulmane et le caractère arabe que nous qualifierons de mentalité de « fil-de-fériste », auxquelles seul le soufisme s’adapterait en tant que foi spiritualiste. Et c’est d’autant plus vrai que notre époque est marquée par un regain de religiosité.
Le caractère arabe, une mentalité de « fil-de-fériste »
Les observations sociologiques de terrain le confirment : il est bien une faim de l’altérité chez l’Arabe, un besoin d’œcuménisme au-delà du raidissement communautaire auquel on assiste.
De fait, la contrariété de la tendance première évolue en glissant vers un souci plus grand du sort singulier des siens, privilégiant de se pencher sur leur devenir à part, n’hésitant même plus à stigmatiser l’autre, pour ne pas dire vilipender carrément ses travers conçus comme ayant leur part de responsabilité dans le sort actuel peu reluisant de la communauté arabe volontiers présentée comme victime de conspiration de nombreux ennemis.
Si cela ne manque d’étonner de prime abord, la sociologie populaire démontre bien qu’on a, chez le populo pris en son milieu naturel, à l’abri des contraintes officielles, la tolérance chevillée au cœur et en profession de foi l’ouverture aux autres confessions.
Toutefois, avec la confusion actuelle des valeurs, il est bien difficile de comprendre les ressorts d’une telle apparente transformation, en mesurer la portée, en déterminer tenants et aboutissants. Ainsi on parle plus volontiers aujourd’hui, chez les élites comme le premier venu, d’une communauté à laquelle on s’identifiait si peu, ne serait-ce que par esprit poétique, rebelle à la pesanteur de l’appartenance et des sujétions dont on prend conscience de la persistance en soi après avoir pensé sincèrement s’en être émancipé. On a de la sorte affaire à une mentalité arabe qui relèverait d’un constant exercice de « fil-de-fériste ».
L’Arabe, selon l’observation de terrain la plus pertinente, pratiquerait un tel art sans discontinuer, car il en vivrait en équilibriste qui est autant un acrobate dans les gestes que dans les paroles ; son numéro est aussi sa vie.
Dans cet art de vivre, à la fois prouesse technique et routine quotidienne, on balance de l’irrésistible mouvement d’anticipation au terrible temps de retard dans un cadre de non-dit ou de choses sensées dites ou connues.
C’est d’ailleurs l’air du temps qui veut cela aussi ; mais c’est surtout une certaine poésie propre à cette âme, jamais éteinte, en filigrane derrière l’air du temps présent comme une rougeoyante étincelle couvant sous la morne réalité couleur de cendre.
Déjà rien qu’à observer l’emblème religieux choisi, le croissant, cette échancrure de la lune traduisant sa croissance et sa décroissance, on décèle bien une métaphore de cette nature toujours en mouvement, n’ayant jamais une forme définitive qui dure, mais connaissant des phases comme les quartiers de la lune.
Plus que la liberté et ses excès donnant sur l’anarchie, c’est la libération qui définirait le caractère arabe ; c’est pourquoi il se complaît dans la soumission qui ne fait que mettre sous tension l’élan libératoire, justifier ses excès. Ainsi l’anarchie se fait-elle révolution et la soumission justifie-t-elle la révolte.
C’est ce trait de caractère, jadis qualifié par Bourguiba de démon berbère (n’osant parler de démon arabe, ce qui était certainement dans son esprit) qui explique le génie du Prophète de l’Islam ayant compris le mécanisme psychologique de ses compatriotes et fondant sur cette base sa religion.
Omar, le second successeur de Mohamed, l’avait bien spécifié lors de son accession au pouvoir, mettant l’accent, dans son discours d’investiture, sur la nécessité pour le pouvoir d’être fort, autocratique même, incarnant à merveille le rôle de l’homme à poigne.
Réputé entre autres choses pour sa perspicacité, Omar avait vu juste dans sa définition de la nature du régime politique approprié pour les Arabes, de son époque pour le moins : l’autoritarisme. La preuve en est qu’il a suffi que son successeur ait été bien plus débonnaire qu’autocrate pour se retrouver avec un régime en crise finissant par emporter sa vie.
Depuis, cette définition a été validée pour tous les régimes connus dans le monde arabe. En fait, il est vain de réclamer la démocratie tant que l’on s’accroche à la conception actuelle de la religion qui a toujours servi de justification aux régimes arabes. Il importe de commencer par avoir une conception pluraliste de la religion, admettant toutes les interprétations sans anathème y ayant cours en un pluralisme populaire à défaut d’être politique.
Il ne reste pas moins que ce que Bourguiba appelait le démon berbère pour fustiger les ferments de division dans un pays marqué par une tradition ancestrale centralisatrice n’est en fait qu’un génie qui peut être celui des libertés pour peu que l’on sache et l’on s’attache à bien l’employer, guidé par une foi revenue à son essence soufie, relevant de l’équilibrisme « fil-de-fériste ».
Il est alors le génie bien connu des mille et une nuits qui, libéré de son bocal, est capable de satisfaire toutes les envies.
En finir avec la lecture judéo-chrétienne de l’Islam
Il n’est plus à démontrer que l’Islam populaire n’a rien à voir avec l’Islam officiel, qu’il soit sunnite ou chiite ; et que ce dernier est à des années-lumière de la révélation de Mohamed dont les meilleurs dépositaires furent des Soufis. Rappelons que même si l’on n’est pas totalement d’accord sur l’origine exacte de leur dénomination, la plus probable et la plus crédible est celle qui la fait dériver des gens de la « soffa » (préau de la mosquée du prophète) qui abritait les premiers musulmans pauvres, dont nombre de Soufis, ascètes de l’Islam naissant.
Certes, sans être allés aux extrémités de nombre de Chrétiens, les Musulmans ont dénaturé et dénaturent leur religion ; cela commença en tentant de se conformer à une lecture judaïque, puis en singeant le culte du Christ avec une sorte de divinisation du prophète, en faisant un être infaillible, alors que les exemples ne manquent pas dans le Coran et la Sunna qu’il fut d’abord homme, condition humble que lui-même a maintes fois rappelée et revendiquée.
En cela, les Sunnites, orthodoxie musulmane, ne font que reproduire l’hérésie chiite divinisant Ali dans ses manifestations extrêmes.
Ils l’aggravent même en n’osant pas dépasser la lecture figée de la Loi religieuse léguée par l’exégèse qui en a été faite par des savants dont la mentalité était influencée par la tradition judéo-chrétienne qui dominait en leur époque ainsi que rappelé par Ibn Khaldoun.
Revenir à un Islam populaire, soufi donc, serait de reconnaître, par exemple, la condition humaine de Mohamed dont le génie a été de révolutionner son monde avec une œuvre de l’esprit, sans miracles prétendus ou naissance divine. Cela serait aussi — ce que le soufisme permet parfaitement — de rappeler nombre d’occurrences religieuses où le prophète apparaît faillible, comme avec l’aveugle, ou encore les versets sataniques, ainsi que d’autres revendiquant pour lui sa nature identique à celle de ses semblables, essentiellement imparfaite d’homme périssable en dehors du message divin.
Et bien évidemment, cela le serait surtout en dépassant la lettre du texte coranique et sunnite à ses visées adaptées à l’époque présente. En somme, il faut à l’Islam moins une révolution mentale nouvelle qu’une revitalisation de ce qui fut déjà révolutionnaire en cette foi, quasiment du type copernico-galiléenne. Car ainsi fut le Soufisme ; et c’est cette lecture qu’il faut refaire afin de sortir de l’impasse actuelle tout de stérilité, continuant à situer la religion comme le centre de l’univers arabe quand le Soufisme en avait fait le centre d’une spiritualité universelle.
Aussi, la sortie de la crise actuelle est-elle une question de logique à changer, la nôtre étant à l’envers de nos connaissances avérées et actuelles ; il s’agira de la remettre à l’endroit en situant la religion à sa place réelle puisque la réalité arabe a préexisté à l’Islam et lui succédera. Tout comme la terre, l’Islam n’est pas le centre de cette réalité. Lui même le reconnaît en annonçant par la bouche de son Prophète par un dit avéré redevenir étranger comme il l’a été à ses débuts sauf à faire régulièrement sa réinterprétation à chaque début de siècle.
Remettre la religion à sa place qu’elle ne rejette pas au demeurant, la revendiquant même, c’est redécouvrir et réhabiliter le Soufisme qui a osé le faire assez tôt. Avec un tel trésor caché, les Musulmans pourraient ne plus continuer à accepter de subir ce qui est un véritable affront aux yeux des nouvelles générations : que des faussetés sur leur religion et leur culture continuent à être colportées, étrangères qui plus est à son esprit même.
Certes, cela ne fait que prolonger un état bien établi dans l’histoire, relevé également par Ibn Khaldoun qui a tôt spécifié que la science dans le monde arabe musulman n’était pas le fait de ses enfants d’origine. En l’occurrence, les traditionnistes arabes et musulmans, en s’accrochant au passé proclamé lumineux pour en faire de l’obscurantisme, ne font que perpétuer leur propre état d’infériorité en termes de savoir, négligeant sa part lumineuse qui fut soufie.
Renouer avec une foi humaniste et spiritualiste
Faut-il oublier que ce fut grâce à la large diffusion de la Bible au lendemain de la Réforme protestante, d’une part, et de l’essor de la philosophie rationaliste, d’autre part, que naquit en Occident la « critique biblique » avec l’oratorien Richard Simon à la fin du XVIIème siècle ?
Ainsi, tout comme la Renaissance remettant en honneur les langues anciennes grecque et hébraïque, déclenchant un renouveau des études bibliques, une réinterprétation soufie vulgarisée au Coran pourrait initier le mouvement inverse chez les Arabes, donnant une véritable Renaissance.
Cela permettrait aussi ce retour à la langue de l’Arabe revendiqué par les idéologues à travers le Coran qui fut, bien avant la religion, l’instrument de sa civilisation ne serait-ce que parce qu’il l’avait fondée. Que serait, en effet, le Coran sans la langue arabe, son propre miracle, et l’Islam sans le Coran, sa substantifique moelle ? Toutefois, on fera ainsi un usage scientifique du livre saint et non dogmatique !
C’est ainsi et ainsi seulement que viendrait aux générations futures la capacité à la parole, les langues se déliant peur exercer leur droit à parler et dire tout haut ce que l’on n’ose que penser tout bas et qu’on ne peut penser correctement pour déphasage entre la pensée et le véhicule linguistique adaptée pour le faire.
Car, aujourd’hui, on pense dans une langue, on lit une autre et on continue à s’exprimer dans une troisième ; il n’est nullement étonnant que cela produise des muets ou des excités compensant la parole défaillante, la pensée manquante, par le geste dont la violence est inversement proportionnelle à la sécheresse en idées.
Au Maghreb, surtout en Tunisie, on se rend parfaitement bien compte d’une telle réalité La situation de crise y est parfaitement ressentie, résumant à merveille une mentalité qui plonge loin dans le subconscient des Arabes depuis leur imprégnation du message de la religion de la soumission absolue à Dieu qu’est l’Islam. On y est de plus en plus sensible à ce courant de pensée qui résumait déjà une telle mentalité au temps de l’explosion des sectes et des courants de réflexions religieuses et philosophiques. Ce fut au lendemain des deux premiers siècles de l’affirmation de la nouvelle religion et de la consolidation du pouvoir qui en était issu grâce à l’expansion militaire fulgurante qui lui a assuré les moyens économiques nécessaires à sa domination idéologique et culturelle.
Appelant à ne pas prendre position sur les questions de la foi, de la rétribution et du châtiment, ce courant a couru à travers les âges et symbolise bien le réel soubassement populaire soufi de la foi musulmane chez la majorité des croyants avec son credo : Dieu seul sait qui est croyant et qui ne l’est pas ; seul Dieu en toute liberté, au Jour dernier, décidera du sort de chacun. On les appelait : Al Murji’a, les partisans de l’Irja’a qu’on pourrait traduire par l’ajournement, le report ou le sursis.
Il faut se rappeler à ce propos que le thème principal de la scolastique musulmane ou théologie dogmatique, littéralement science de la parole divine, fut la question de la prédestination et du libre arbitre. Or, telle question était fondamentalement de nature politique du fait que le régime de pouvoir issu de la première guerre civile musulmane qui a clôturé le règne des califes majeurs en la personne d’Ali, épigone du chiisme, soit la dynastie omeyyade, a assis son pouvoir sur la notion religieuse de prédestination, prétendant détenir le pouvoir par la volonté divine.
C’est en se fondant sur cette conception qu’il ont justifié non seulement leur autorité, mais aussi leur abus, y compris ce qui pouvait violenter le texte fondateur de l’Islam et non pas seulement son esprit. On attribue d’ailleurs au fondateur de la dynastie omeyyade, Mouawiya, la paternité de cette conception faisant fi du libre arbitre des hommes. C’est, du moins, ce que soutient le juge Abd Al-Jabbar, une des sommités du courant rationaliste des Mou’atzilites. Aussi, il ne fut pas étonnant que les opposants au régime omeyyade, tout comme les futurs adeptes de ce courant philosophique rationaliste, fassent de la conception opposée du libre arbitre humain la pierre de touche de leur pensée.
Ainsi, encore aujourd’hui, la religion, ou du moins une conception politiquement orientée de sa lettre comme de son esprit, continue à peser sur les consciences balançant entre un irrépressible désir de liberté et une non moins irrésistible envie de fidélité à la morale ancestrale. Aussi, on ne mesure pas assez à quel point, dans la plasticité, verse son interprétation populaire et jusqu’où peut aller son instrumentalisation officielle à des fins bassement terrestres, bien loin de toute vertu purement céleste qu’on retrouve plus souvent dans la rue et à l’état fruste chez le premier venu en une spiritualité profane.
Ouverture sur un meilleur futur
Si aujourd’hui on en est encore aux soucis du « dire » et de « quoi dire », il n’est que temps de passer à l’étape suivante, les soucis de « dire à qui » et du « quoi dire pour quoi ». Au-delà du besoin existentiel d’affirmer son être et une présence, désormais acquis, patents et qu’on n’a plus besoin d’entretenir par un discours autocentré à la fonction essentiellement psychologique sécurisante, il appartient à l’Arabe et au Musulman d’affirmer cette présence par rapport aux autres, dans un environnement qu’il leur faut ne plus ignorer par orgueil ou suffisance ou fuir par vergogne pour une prétendue incapacité à y prendre leur place, et ce en tenant un discours audible et crédible.
Tant qu’ils doutaient de leur propre existence, ils pouvaient s’autoriser à tenir un discours qui sécurise et permet de se stabiliser psychologiquement, mais dès qu’ils ne doutent plus de cette existence, mais de son contenu, de sa portée (et donc de sa valeur), il leur faut déplacer l’effort vers ses relations à autrui où réside en définitive son assomption et sa négation, car on n’existe pas seuls, mais dans un milieu et aux yeux d’autrui qui peut se réduite à n’être qu’un reflet de soi-même.
En fait, on est souvent excentré à soi et on ne fait que se recentrer par rapport à nos axes primordiaux dont la perception diffère selon l’expérience ontologique de chacun, le nombre de vies vécues, ce qu’on appelle communément l’expérience ou la sagesse. Or celles-ci nous apprennent l’efficacité d’une valeur qu’on néglige souvent, le recours au silence.
On aime tellement parler, quitte à ne rien dire lorsqu’on sait que se taire peut être bien plus éloquent. Aussi faut-il apprendre à faire du silence un substitut de la parole comme est bien une couleur le noir ; ce silence est alors plus que d’or, car la valeur de l’éloquence n’a pas de prix ; c’est le prix des choses sans prix selon la belle expression de Jean Duvignaud qui fut un amoureux des pays arabes. On pourrait alors espérer avoir un nouvel apport arabe à la civilisation humaine !
Terminons par ce qu’écrivait le penseur tunisien Hichem Djaït dans un ouvrage sur l’Europe et l’Islam :
« Apporter à leur monde, non pas les conquêtes de la technologie, mais celles de l’intelligence critique historique et philosophique. Pas nécessairement — dans un premier temps — aider à la mise en cause des catégories européennes de la rationalité, mais ouvrir, en profondeur, le champ de l’expérience européenne à d’autres normes, d’autres valeurs et peut-être d’autres catégories. C’est à ce prix que demain se construira un universel qui ne soit ni d’utopie, ni de destruction, mais de synthèse créatrice. »