DEBATE / ISRAËL – Jérusalem… En attendant l’Armageddon

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La décision de Donald Trump de « faire » de Jérusalem la capitale politique d’Israël constitue-t-elle une rupture violente dans l’histoire ?

Il y a quelques semaines, c’était le centenaire de la Déclaration Balfour (2 novembre 1917), par laquelle la puissance britannique promettait à l’Organisation sioniste mondiale un territoire peuplé d’Arabes (et de quelques Juifs), pour l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine. Les malheurs qu’avaient traversés les Juifs, depuis les pogroms en Russie, l’affaire Dreyfus, la montée de l’antisémitisme en Europe, finirent de convaincre plusieurs chancelleries européennes de donner de l’importance au projet de Theodor Herzl, père du sionisme. On parlait à l’époque d’État, de peuple, d’histoire, de nation, de sécurité.

À l’origine, le sionisme était un mouvement politique laïc. Il n’était nullement question, à part la création d’un foyer juif en Palestine, de donner une connotation religieuse à l’État hébreu, voire de faire du nationalisme religieux le fer de lance de la politique de cet État. Herzl séparait bien les deux. D’ailleurs, la priorité sécuritaire était selon lui davantage liée à l’approvisionnement énergétique et alimentaire, qu’à construire un pays qui se rapprocherait de manière utopique de l’Eretz-Israël des saintes écritures. C’est pourtant cet objectif-là qui, depuis près de quarante ans, c’est imposé en Terre sainte, et ce dans un contexte mondial qui lui donne un large écho : les sociétés contemporaines sont envahies par le religieux, tout comme il en va du retour des nationalismes. En Israël, c’est un « nationalisme religieux » qui a pris le dessus : sécuriser le pays, l’agrandir, et se prémunir d’un quelconque État palestinien aux frontières, lequel constituerait un danger potentiel pour l’avenir du pays.

Les choses ont en effet bien changé depuis 1947 et la mise à mort du plan de partage de la Palestine décidé par les Nations-Unies. C’en est fini de cette Jérusalem qui devait devenir une zone internationale aux lieux trois-fois-saints. Non seulement Israël a conquis ce qui devait être l’État palestinien, mais il l’a fait avec le soutien de la Transjordanie arabe (devenue Jordanie, depuis dès 1948).

Petit à petit, Israël, par le fait d’une vision politique sécuritaire, a gagné du terrain, au nom de ce principe sécuritaire, pour finir par « récupérer », en 1967 (Guerre des six Jours), la partie jordanienne de la vieille ville qui devint, jusqu’au Mur occidental, le « quartier juif ». C’est à ce moment-là que les choses changèrent fondamentalement dans la politique israélienne : les soldats de Tsahal ne prêtaient désormais plus serment sur le site de Massada, forteresse dominant la vallée du Jourdain où, au Ier siècle, une poignée de Juifs s’opposèrent jusqu’au bout à la conquête romaine et lieu politique symbolique de la résistance juive contre l’envahisseur, mais bien devant le Mur dit « des Lamentations », le plus haut lieu religieux du judaïsme.

Et l’avènement du Gush-Emounim (le Bloc de la Foi), avec l’arrivée des premiers partis de colons dans la vie politique israélienne, finit de transformer le sionisme areligieux des origines.

Aussi, la Jérusalem réelle ne résista pas longtemps face à la volonté des gouvernements israéliens successifs de conquérir et reconquérir (militairement et spirituellement) la Jérusalem céleste. Et ce, même si le monde entier s’y opposait. Au nom de sa propre sécurité, de son histoire, de son héritage… et du fait qu’il y a 2.000 ans, Jérusalem était une ville juive appartenant aux Juifs.

De par les résolutions des Nations Unies condamnant l’occupation par l’armée israélienne et  la colonisation de territoires palestiniens, dont Jérusalem, la communauté internationale avait fini (pour une fois) par être unanime : si l’on souhaitait vraiment voir à terme l’émergence d’un État palestinien, il ne fallait surtout pas faire de Jérusalem la capitale d’Israël dans l’attente d’une résolution pacifique du conflit. Un État aujourd’hui déjà largement condamné par la colonisation des territoires en Cisjordanie et à Jérusalem-est, bien au-delà de la Ligne verte du 5 juin 1967 (reconnue comme la meilleure frontière entre deux États israélien et palestinien).

La décision de Donald Trump d’offrir pour Noël Jérusalem à l’État hébreux va ainsi dans le sens de l’histoire ; et, mis à part le fait que les États-Unis d’Amérique, en tant que médiateurs de la question israélo-palestinienne, ne parviennent à rien depuis des années, ils ne perdent pas, du fait de cette décision, plus en crédibilité quant à leur objectivité supposée. Ils restent les premiers défenseurs d’Israël, quoi qu’il se passe.

Car, de toute façon, il n’y a plus aujourd’hui de processus de paix, depuis l’échec des accords de Camp David en 2000 (sensés relancer partiellement les accords d’Oslo de 1993, complètement anéantis depuis belle lurette). Le front le plus stable pour Israël, depuis les printemps arabes, est bien le front palestinien.

Ce « coup de folie » de Donald Trump d’annoncer le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem n’en est pas un.

L’événement est même révélateur de plusieurs éléments concrets et mûrement réfléchis, dans un contexte idéal d’isolement de l’Autorité palestinienne (Cisjordanie) plus ou moins réconciliée avec le Hamas (Bande de Gaza).

Premièrement, Donal Trump est dans la défiance permanente à l’égard du vieux système des relations internationales et des Nations Unies. Se présenter seul contre tous à décider de faire de Jérusalem la capitale une et indivisible d’Israël n’est pour lui absolument pas un problème. Certains petits pays lui emboîtent déjà le pas. Les provocations à l’égard des Arabes, Musulmans et Occidentaux ne sont pas nouvelles concernant Jérusalem. L’Institut israélien du Troisième Temple se tient prêt dans la vieille ville, une fois que le gouvernement aura donné son accord (s’il le donnait un jour), à raser l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam (après La Mecque et Médine), pour reconstruire le Temple bâti à l’origine par le roi Salomon (Xème siècle a.C.). États-Unis et Israël s’accrochent aux mythes religieux. Pourtant, l’ensemble des pays qui reconnaissent Israël ont leur ambassade… à Tel-Aviv.

Deuxièmement, la majorité des institutions politiques israélienne sont déjà installées à Jérusalem. Ainsi, ce déplacement américain ne fait donc que valider un état de fait. Ensuite, aucun gouvernement ne s’est concrètement opposé aux lois d’annexion votées par Israël en 1980, un vote de la Knesset (le parlement israélien) qui définissait de Jérusalem et les colonies construites à Jérusalem-est comme la capitale de l’État hébreux. Pas plus d’opposition, d’ailleurs, à l’encontre de la politique de judaïsation à vitesse grand V d’Al-Qods (« la Sainte », selon l’appellation arabe de Jérusalem), qui, mise en œuvre depuis des années, a rendu impossible la déclaration d’une capitale palestinienne dans la partie arabe de la ville. Ni non plus aux lois mises en débat en 2017 à propos du « Grand Jérusalem », pour finir d’annexer au territoire israélien les blocs de colonies édifiés en territoire palestinien et proches de Jérusalem.

Troisièmement, il ne faut pas oublier que… Trump déteste Obama ! Et que les relations entre l’ancien président américain et Benjamin Netanyahou ont été exécrables tout au long de ses deux mandats. De fait, jamais Barack Obama n’est parvenu à faire plier le premier ministre israélien et son gouvernement nationaliste et religieux, ni en ce qui concerne la colonisation, ni en ce qui regarde les velléités israéliennes à propos de Jérusalem. De défiance en défiance, les deux hommes n’avaient qu’une hâte : en finir. L’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche fut du pain béni pour Netanyahou, l’extrême-droite nationaliste et religieuse, mais aussi… les sionistes chrétiens américains : les étoiles s’alignaient de nouveau en faveur d’un nouveau monde.

Car cette idée de Jérusalem comme capitale d’Israël est une obsession américaine très ancienne : depuis 1950 déjà, une loi américaine reconnaît Jérusalem comme la capitale de l’Etat hébreux. Mais, pour des raisons politiques et désormais… religieuses, son application a été régulièrement repoussée. Rappelons en outre que, en 1995, le Congrès américain a adopté le Jerusalem Embassy Act, appelant les États-Unis à déménager leur ambassade pour l’implanter à Jérusalem ; et, dans les années 2.000, les travaux avaient même commencé sur la route de Bethlehem, avant d’être suspendus…

Alors, pourquoi maintenant, tandis que le contexte géopolitique est bouillant et que les pays arabes commencent à protester, jusqu’aux « alliés » mêmes d’Israël comme la Jordanie ou l’Arabie saoudite ?

Il faut comprendre le glissement religieux intense qui anime aujourd’hui les États-Unis : la population américaine -et Donald Trump le premier- s’inscrit dans une vision apocalyptique, millénariste et évangélique du monde. Chaque président américain prête serment sur la Bible lors de son investiture. Et Trump a développé une vision effrayante et très manichéenne du monde. Il agit comme s’il avait été élu pour précipiter la fin du monde, l’Armageddon. Or, aux États-Unis, le concept de « Nouvelle Jérusalem » est depuis toujours très important, et  il reprend désormais tout son sens, sous la poussée et l’emprise des sionistes chrétiens, des évangélistes ou encore des Mormons, qui attendent tous le Messie (lorsque les premiers colons européens sont venus s’installer en Amérique du nord pour construire un nouveau monde, une nouvelle civilisation, ils rêvaient de bâtir la « Nouvelle Jérusalem »). La tendance qui rapproche aujourd’hui les sionistes juifs des sionistes chrétiens, et que partagent et Trump et Netanyahou, c’est que, si eux ne gagnent pas contre le « Mal », c’est toute la civilisation occidentale qui périclitera.

En s’inscrivant dans une perception culturaliste et essentialiste, Donald Trump, est probablement également encouragé par nombre de Républicains défenseurs inconditionnels d’Israël et anciens soutiens de Mitt Romney, le candidat malheureux à la présidentielle de 2012. Il adopte donc cette tradition de glorification de l’axe Jérusalem-Nouvelle Jérusalem. Déjà en 2011, Netanyahou avait tout fait pour pousser Obama à frapper l’Iran (l’ennemi historique et mythique d’Israël, le fameux « Amalek »), qui menaçait de détruire Israël puisqu’il était sur le point de disposer de l’arme atomique. Les souvenirs de l’état-major israélien révélés dans la presse montrent à quel point le gouvernement israélien croyait en une fin du monde proche.

En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël, Trump se réinscrit au cœur du combat mondial contre le « Mal », en l’occurrence les pays arabes ; et il reprend par la force le flambeau du contrôle du Moyen-Orient. C’est par sa conviction en la destruction créatrice que Trump compte redessiner le monde, de l’Iran à la Corée du Nord, en passant par Israël. Lorsque l’on parle de risque de troisième guerre mondiale, il y’en a que cela effraie, il y en a aussi pour qui cette guerre est le seul salut de l’humanité, qui permettra de renaître sur de meilleures bases, purifiées.

Trump n’agit donc pas par folie ou inconscience, mais dans le cadre d’une construction de l’esprit très ancrée et élaborée.

On ne peut plus dire aujourd’hui que, dans notre monde, tout est politique et que le religieux est secondaire. Le monde glisse petit à petit vers une crise mondiale et civilisationnelle aux ressorts proches de l’irrationnel et, désormais, de plus en plus incontrôlables.

Si quelques petits États ont commencé à reconnaître Jérusalem, capitale d’Israël, dans la foulée de la déclaration de Trump, la Chine, principal ennemi du monde à venir (dans la perception états-unienne), a réitéré son souhait de voir la création de l’État palestinien, avec pour capitale… Jérusalem-Est.

Avec en perspective le risque de soulèvements du côté des populations arabes, la déclaration de Donald Trump à propos de Jérusalem n’est peut-être que le premier à tomber d’une longue série de dominos.

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Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

1 Comment

  1. Vous devriez savoir – et sans doute le savez-vous mais vos motivations sont ailleurs – , que l’affaire Dreyfus était une sombre histoire de malversations menées par un officier certes anti-sémite, mais sans arrière-pensée politiques ; la gauche, nonobstant une dose d’anti-sémitisme au moins équivalente à celle de la droite, y vit, assez tardivement, un moyen d’avancer ses pions. D’ailleurs ce drame s’acheva dés que les choses purent retrouver la voie du droit commun. Souvenez-vous de cette phrase (de Cholem Aleikhem il me semble ?) “quoi, un pays ou un juif peut être officier supérieur, et où, accusé de trahison il a encore la moitié de la population pour lui, est un paradis pour nous”.

    “Le monde glisse petit à petit vers une crise mondiale et civilisationnelle aux ressorts proches de l’irrationnel ” bien sur mais le monde est-il autre chose qu’une succession de pulsions irraisonnées, voir déraisonnables ? Peut-il en être autrement, est-ce simplement souhaitable ?
    L’occident et tous ses bagages juifs, grecs, romains, chrétiens, encyclopédistes n’a-t’il pas apporté au monde une prospérité certaine bien que mal partagée, une lecture en voie d’apaisement des tumultes de l’âme, le tout débouchant sur un art de vivre envié ?
    La Chine retourne peu à peu à Confucius et donc se recroquevillera, dans 50 ans elle sera un pays de vieillards, l’Inde pourrait nous surprendre et accentuer la comparaison favorable avec le Pakistan, mais dans les bagages de l’occident ne doit-on pas ranger le sanskrit et sa pensée ?
    L’islam reste infructueux, tragiquement archaïque ; stupidement Jérusalem l’atteint, et bien tant mieux !

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