OPINION COLUMN – Les djihadistes de la liberté d’expression

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Drame de Charlie Hebdo. Drame abominable, condamnable, inqualifiable, mais malheureusement justifiable si l’on se place dans la peau de l’analyste et dans la tête malade des fanatiques. Drame qui vient signer la faillite du système d’immigration et d’intégration, la faillite de l’acculturation et du multiculturalisme, et de toutes ces politiques sociales qui n’ont pas réussi à produire une société française, et plus globalement occidentale, intégrée, cohérente, harmonieuse, sous-tendue par une identité nationale et une personnalité de base imprégnées des valeurs républicaines, laïques et démocratiques. Ces fous furieux d’Allah sont-ils seuls responsables ? Étant donné qu’on ne naît ni fou, ni furieux, mais qu’on le devient ? Or on ne constate aucune prise de conscience, aucune autocritique, aucun arrêt sur image, à cet égard, de la part des Français. Haro sur les terroristes ! Point… Je le dis aussi, mais j’ajouterai « à la ligne ».

Et sur la nouvelle ligne, je ne suivrai pas la boucle causale directe qui part de Syrie et d’Irak pour y revenir sur les ailes françaises de la coalition contre Daesh, ni ne remonterai-je la traditionnelle filière jusqu’au 11 septembre et en-deçà, ou autres itinéraires géopolitiques tortueux. Mais je sortirai des sentiers battus pour constater l’absence, d’une part, d’une politique anthropologique d’intégration qui tienne compte des besoins, des susceptibilités, des craintes, des frustrations, des valeurs des immigrants et, d’autre part, d’une politique de conscientisation et d’éducation de la société d’accueil, afin que celle-ci parvienne à mieux respecter les valeurs des anciens et nouveaux arrivants, et notamment leur sens du sacré.

Car si pour le « maître de céans » la liberté (d’expression), la démocratie et la laïcité sont choses sacrées, pour le « visiteur », la religion, « sa » religion, est sacrée, la figure de son prophète est sacrée et sa liberté de croyance consiste à s’aliéner aux préceptes de sa religion, l’Islam.

Ce n’est pas le principe de neutralité, fondé sur la laïcité, qui neutralisera les tendances létales, mais le principe de fraternité différenciée.

Ce n’est pas en interdisant les symboles religieux, de soi et des autres, dans les espaces publics, qu’on instaurera la concorde ; c’est en les réconciliant dans la conscience collective, sous le signe de l’humanisme, qui ne rime pas exclusivement avec laïcisme ou athéisme.

Si vous ne voulez pas tenir compte de leurs symboles, de leurs us et coutumes, de leur sacré, ne les recevez pas chez vous. C’est simple.

Vous ne pouvez pas les accueillir et cracher à la figure de leur prophète, serait-ce d’une giclée d’encre.

Parfois, un crachat d’encre est plus virulent qu’un crachat de salive.

Si votre liberté, chers hôtes hospitaliers, ne peut s’arrêter là où commence celle de ces « autres », si votre liberté est libertaire, tyrannique, exclusive et non inclusive, insultante pour permettre des caricatures qui raillent leur Ramadan, si votre liberté consiste à leur imposer votre déicide et leur ôter leur liberté de ne pas être libres, laissez-les librement chez eux et gardez votre liberté à vous, chez vous, sans la leur imposer.

On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre : avoir leur main-d’œuvre, puisque vous ne pouvez vous mouiller dans tout, et vos valeurs exclusives.

C’est là le « b.a.-ba » du donnant, donnant.

Ce n’est pas dans la provocation artistique que vous parviendrez à les démocratiser, mais dans la conciliation intelligente, dans la compréhension et l’inclusion qui ne consistent pas uniquement à leur assurer un droit de culte et un droit de vivre dans des ghettos, dans les quartiers malfamés de banlieue pour en faire des marginaux, mais un droit de « vivre-ensemble », un droit de partage dans un même espace convivial.

Et des hebdos comme Charlie, provocateurs, offensants, qui affichent un bouche à bouche baveux entre un cheikh et un dessinateur… Ceci entre moult autres caricatures révulsantes (pour moi) et révoltantes (pour eux)… Ils ne sont pas pour favoriser l’intégration et apaiser les esprits surchauffés.

Clamer collectivement « nous sommes tous Charlie », comme pour dire « nous continuerons à vous provoquer », à vous faire un pied de nez, à agiter la muleta, à insulter vos valeurs et vos symboles, ce n’est pas un pas dans la bonne direction, mais un coup de pied dans un nid de guêpes, étant donné que l’on ne peut avoir raison du terrorisme, cette arme des faibles, mais qu’il est toujours possible de désamorcer… par l’apprivoisement ; et de prévenir… par l’éducation.

Parlons-en, de cette dernière. Où est-elle, cette éducation à la citoyenneté ? À la tolérance ? À la démocratie ? Quels sont vos programmes éducatifs à l’endroit des immigrants « fragiles », chers hôtes ?

Quelles écoles fréquentent-ils depuis leur bas âge? Les mêmes écoles publiques que les vôtres ? De même qualité d’enseignement ? Même curriculum scolaire? Ou leurs propres écoles privées ? Ou des écoles coraniques ? Et les diplômés d’entre eux, quel marché de travail, quels débouchés les attendent, à compétence égale ? Les mêmes que les Français de « pure laine » ?

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ces Français-là ne fassent toujours pas partie de la « souche» » et soient toujours perçus -et par eux-mêmes d’abord- comme des étrangers; qu’une proportion non négligeable n’ait pas intégré les valeurs républicaines ; que Daesh exerce sur eux un tel charme qu’ils délaissent tout pour se joindre au Diable en le prenant pour Dieu ; qu’on les voie brûler leur passeport français sur le bûcher des atrocités de la Syrie et de l’Irak, un couteau à la main ; que certains d’entre eux haïssent tant leurs hôtes qu’ils désirent les tuer, au lieu d’éprouver envers eux de la gratitude pour les avoir accueillis, ou pour avoir accueilli leur père ou grand-père, et leur avoir par conséquent ouvert les portes de l’Eldorado.

Les Français de souche, ces extrémistes, ces jihadistes de la liberté d’expression, qui brandissent la plume et le pinceau comme des instruments inoffensifs -alors que le verbe et l’image tuent au même titre qu’une arme à feu- ne s’en interrogent pas, ne se prêtent à aucun examen de conscience.

Autisme total, que l’on espère réversible.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

2 Comments

  1. Le choix vous est donné on

    Le peuple français a fait la seule erreur de penser que ses maladies de jeunesse (et ses milliers de morts pour la séparation entre l’Eglise et l’Etat entre le 16 et 18ème siècles) avaient été comprises par les peuples qu’il a accueillis sur ses terres.

    Il se réveille aujourd’hui avec une énorme gueule de bois.

    Musulmans et nous, français “de souche” (quelle horrible expression) ne sont pas formatés pareil.

    Nous avons le choix de penser et dire ce que nous voulons ce qui fait que le sacré n’existe pas dans notre démocratie laïque. L’Etat prime sur la religion. Sans cette liberté durement acquise, et sans nos morts, il n’y aurait ni juif, ni musulman sur notre sol puisque nous serions restés sous la coupe de prêtres, dans la chrétienté.

    Vous avez par contre le droit de ne pas aimer ce que fait Charlie Hebdo et de trouver ça stupide et irrespectueux, ce que 80% de français pensent et dont la majorité ont critiqué les caricatures.

    “Je suis Charlie” ne signifie pas je veux ridiculiser l’islam et c’est malheureux qu’une grande partie des musulmans le pensent. “Je suis Charlie” veut dire que, comme Voltaire, vous pouvez dire ce que vous voulez et penser ce que vous voulez en respectant les règles démocratiquement choisies par le peuple et que même si je ne suis pas d’accord avec vous, je me battrai pour que vous puissiez vous exprimer.

    Cette démarche n’est pas issue d’un peuple faible. C’est un peuple qui n’a pas peur du débat ou de la réflexion sur les faits imposés. Je ne dois pas vous dire que personne ne sait ce qui se passera après la mort et que les philosophes comme Voltaire, Montesquieu et Rabelais ont eu un certain courage de remettre en question la douce promesse du Paradis qui leur était imposée par la religion catholique.

    A ce titre, il semble que les musulmans mériteraient d’avoir des débats sur l’interprétation qu’une minorité de leur classe dirigeante fait d’un document écrit en arabe et non compris par la majorité de ses fidèles. Malheureusement, le coran étant saint, il ne permet pas la critique ou la réflexion ce qui pose une question dans la société multiculturelle dans laquelle nous vivons.

    Quant à l’immigration qui devrait être arrêtée par les Français s’ils n’acceptent pas de brider leur liberté d’expression, on en revient toujours aux arguments victimisants. Il y a des pays dans le monde où la population est bien plus pauvre et n’entraine pas de jeunes à se suicider au nom d’un diable qu’il prennent pour dieu. Il faut évidemment renforcer l’intégration, mais les valeurs de l’hôte, à savoir la liberté (liberté, égalité, fraternité, devise qui se trouve partout dans les lieux officiels) sont des prérequis au vivre ensemble de manière harmonieuse.

    • Ronald Barakat on

      Votre réponse étoffée à mon article est la bienvenue. Je salue la sagesse de vos propos sans toutefois pouvoir souscrire à certaines contradictions. Le sacré étant le fondement symbolique et dogmatique des religions, vous ne pouvez pas ne pas le reconnaître chez vos compatriotes croyants et le leur accorder, si vous tenez à vivre en harmonie avec eux et tous ceux qui ne sont pas athées ou agnostiques. Malheureusement non, le choix ne nous est pas donné, et ne vous est pas donné non plus. Nous ne pouvons pas, en tant que chrétiens, installer des crèches dans les endroits publics, dans les mairies de France… Nous ne pouvons pas, en tant que musulmanes, porter le voile à l’école (même si la religion le commande), ni afficher des signes religieux ostentatoires. Vous ne pouvez pas ne pas observer une minute de silence à la mémoire des victimes de Charlie Hebdo si vous êtes en situation de devoir le faire (pour information, des écoliers réfractaires ont été «interrogés» à ce propos). Vous ne pouvez pas ne pas chanter La Marseillaise ou vous mettre au garde-à-vous durant l’hymne national (en référence à l’incident Taubira qui a subi les foudres du FN et qui a dû s’expliquer). Ni vous, ni nous, ne pouvons nier l’Holocauste, ou minimiser son importance, car une loi l’interdit (mais le génocide arménien, oui). Ni vous, ni nous ne pouvons dire avec Dieudonné « Je me sens Charlie Coulibaly » car nous serions accusés d’apologie du terrorisme, déférés devant les tribunaux et passibles de quelques années de prison, juste pour avoir sorti ces quelques mots. Et la liste est longue. Cette liberté d’expression, que l’on dit à géométrie variable, varie en fonction des arithmétiques politiques.

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