Les « affaires » arabes n’excitent plus le voyeurisme de l’opinion, ni n’en aiguisent désormais les fantasmes comme naguère. La passion s’est éteinte ; le public international s’est habitué à la surenchère qui ravage l’Orient…
Mais ce désintérêt manifestement désabusé ne s’explique pas seulement par l’actualité footballistique dominante, qui mobilise l’attention de bandes d’imbéciles inconscients se trémoussant frénétiquement à la sortie des stades ou, pour les plus courageux, dans leur salon, le cornet de pop-corn sur les genoux et une mousse à la main. Tout ça parce que onze types en culotte courte -qui s’en mettent plein les poches pour pousser la baballe- ont remporté un « match », dans un pays, le Brésil, où des centaines de milliers de miséreux manifestent chaque jour contre ce scandale financier et social qu’on qualifie ainsi : le « Mundial ». Ces tarés, les « supporters », qui ignorent tout, apparemment, des inégalités effarantes qui structurent la vie socio-économique brésilienne, s’imbibent de bière et se couvrent de vomis, dans une joie simple et hébétée…
Mais, non, le « Mundial » n’explique pas tout…
Il s’agirait plutôt d’une forme de déception ou, plus encore, de lassitude (comme après avoir trop mangé de chocolat on lui préfère les fraises), symptôme d’un ennui profond, provoqué par la routine totalitariste et « corruptiviste » à laquelle sont retournés les peuples du Printemps.
Pendant ce temps et toute cette énergie dépensés en rigolade, la guerre civile fait rage en Irak -c’est à peine si les mass médias y font écho- et, mine de rien, la région subit une refonte géopolitique aussi discrète que sensible, l’Iran et les États-Unis d’Amérique s’accordant enfin sur la partition d’une danse macabre, orchestre improvisé face à la surprise provoquée par une insurrection islamiste débridée en mode « tache d’huile » et dans lequel résonne en grosse-caisse le silence attentiste d’Israël.
Les monarchies du Golfe persique ont, elles aussi, rejoint le bal, dépassées et penaudes, stupéfaites par les bons résultats qu’ont obtenus leurs Frankensteins salafistes, qu’elles ont financé depuis des décennies pour asseoir leur influence dans la région…
Pendant ce temps, également, le huis-clos syrien se poursuit dans l’indifférence de plus en plus affichée des médias du monde entier. L’équipe syrienne ne se serait-elle donc pas qualifiée au Mundial ? Non, en effet…
Le couvercle du cercueil s’est refermé sur al-Sham, et plus aucun observateur occidental n’ose le soulever. C’est que, mettre le pied en Syrie, à leur décharge, c’est presque à coup sûr alimenter l’industrie du kidnapping djihadiste. Aussi, la Syrie semble comme « échapper » à l’actualité…
En attendant, dans ce vaste secteur de l’Asie, une partie de chaises musicales de très grande ampleur se joue au quotidien, sous les auspices des ultras de l’État islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), dont rien ne semble pouvoir arrêter la progression.
La minorité sunnite d’Irak s’est soulevée contre les brimades du gouvernement chiite pro-américain du premier ministre Nouri al-Maliki, également soutenu par l’Iran, paradoxalement (en apparence en tout cas, car les dernières élections iraniennes ont complètement changé la donne diplomatique qui brouillait Téhéran et Washington, aujourd’hui soudainement copains comme presque cochons)…
Les Sunnites d’Irak qui, dans un premier temps, avaient accueilli favorablement l’EIIL (comme les Touaregs et les Arabes du Nord-Mali, à l’époque, AQMI), avant de se rendre compte que ces fous-furieux de la Charia leur feraient la fête à eux aussi, se sont depuis lors ravisés, in extremis. À Fallujah, la population crève sous deux feux…
De leur côté, les Kurdes essaient de tirer leur épingle du jeu en combattant l’EIIL, mais pas pour sauver l’Irak, non ! Pour s’emparer du plus de territoire possible (que les Peshmerga ne restitueront bien évidemment pas aux autorités de Bagdad) et proclamer un Kurdistan indépendant étendu à la Syrie et à la Turquie, sous les yeux hagards d’Ankara, dont la politique régionale se révèle plus chaotique que jamais (c’est par ses frontières et avec son consentement que le Kurdistan consolide son autonomie en exportant le pétrole soustrait à l’État irakien), et de Damas, qui semble avoir déjà renoncé à cette portion du territoire national.
Quant aux combattants de l’EIIL, ils ont franchi l’Euphrate et campent à moins d’une trentaine de kilomètres de l’aéroport international de Bagdad.
Une réalité nouvelle et internationalement lourde de conséquence, dont un monde médiatique en manque de prospective semble n’avoir pas pris la mesure.
Ce 21 juin, pourtant, en matchs de groupe, l’Iran a tenu en échec l’Ogre argentin jusqu’aux arrêts de jeu ; et il aura fallu un but de l’attaquant Messi -paraît-il l’un des deux meilleurs joueurs de la planète- pour donner le coup de grâce à la Tim Melli.
Et, cela étant, l’équipe des Ayatollahs demeure en lice pour les six kilos d’or pur (18 carats) et de malachite du sculpteur italien Silvio Gazzaniga.
Peut-être, dès lors, finira-t-on par reparler de ce qui se passe à l’Est…
9 Comments
Votre éditorial avec “Ces tarés, les « supporters », qui ignorent tout, apparemment, des inégalités effarantes qui structurent la vie socio-économique brésilienne, s’imbibent de bière et se couvrent de vomis, dans une joie simple et hébétée…” n’est pas très malin, tout en voulant se faire passer pour ‘plus malin’ via ce type de raisonnement…
Ne gâchez pas le plaisir d’une majorité de lecteurs potentiels qui ne sont pas aussi idiots que vous le pensez… simplement, ces ‘tarés’ aiment le foot, travaillent et sont à 1000 lieues de ce qui se passe en Irak ou ailleurs loin de leur train-train quotidien…
Informer, ce n’est pas se mettre au-dessus de la mêlée… et bcp de mes amis qui ont reçu cet édito seront d’accord avec moi… et ne passeront peut-être pas le cap de cet édito genre ‘schtroumphe moralisateur’…. qui ne comprend manifestement rien au foot et des sensations de bonheur qu’il procure à bcp de citoyens qui n’ont pas souvent l’occasion de se réjouir…
Je suis moi-même supporter des diables et du Standard, et j’adore vibrer avec mes deux équipes.
Bien conscient de la virulence de mon texte (mais ne vous trompez pas de genre : il s’agit d’un « éditorial », et non d’un article d’information), j’en assume entièrement le propos.
En effet, actuellement en Irak, après un bref retour sur le terrain de l’horreur quotidienne en Syrie, je refuse d’accepter de mesurer l’idée que je me suis forgée de l’humanisme à l’aune de ce que je peux constater depuis le début du « Mundial » et, plus généralement, à chaque fois qu’un quelconque événement du type « grand-messe footballistique » ravage l’actualité et les esprits.
Je connais par ailleurs assez bien le Brésil, pour en avoir visité les grandes métropoles et avoir pu y constater la fracture sociale effarante qui y subsiste ; au point qu’il m’a été impossible un jour –pour vous conter cette anecdote significative et qui vous éclairera peut-être sur mon propos- d’achever le repas que je prenais dans un restaurant de São Polo avec des amis brésiliens fortunés, lorsque j’ai vu bouger des amas de cartons sur le trottoir, de l’autre côté de la rue, et que j’ai compris que c’étaient là les dortoirs d’êtres humains qui, pourtant, étaient des travailleurs, mais si peu rémunérés qu’ils ne pouvaient que survivre (ce qui n’est pas « vivre »).
Je suis incapable d’imaginer qu’un homme puisse, dans ces conditions, marquer son adhésion, de quelle manière que ce soit, à l’effroyable machine économique qualifiée de « Mundial ».
Je vous passerai les remarques, pourtant de simples bon sens, comme, par exemple : « le monde serait bien différent si ces milliers –pardon, ces millions- de personne qui dépensent des sommes impressionnantes, un temps incroyable et une énergie folle autour de la balle en consacraient le quart de la moitié, avec un peu de conscience, à tendre la main à ceux qui souffrent, parfois même tout devant leur porte –nul besoin de courir à « 1000 lieues » de là où l’on vit- ou à se mobiliser pour la justice et la paix. »
Plus simplement, je constate une facilité immorale à abdiquer, à se laisser aller à une vie par procuration et à un monde de loisirs, celui du « train-train quotidien », qui procure la satisfaction et le plaisir de « l’être pour » et en meute, en se protégeant des frustrations du devoir de « l’être avec » et souvent très seul.
Il me semble que, quand quelqu’un souffre, que ce soit sur son trottoir ou à « 1000 lieues », on laisse sa balle dans le garage, pour éventuellement reprendre plus tard ses jeux, et on se préoccupe d’aider celui qui appelle au secours. Une attitude autre que celle-là m’apparaît indécente.
Bien évidement, d’une part, il revient à chacun de déterminer ses priorités et, d’autre part, cet éditorial, qui procède d’une expérience de vie particulière et de la sensibilité qui en résulte, n’engage que son auteur.
J’ai vécu 8 ans en Indonésie dans les années 90. J’ai aussi vu des hommes vivre comme des chiens… C’est la loi de la nature, c’est comme ça que le vivent les indonésiens majoritairement musulmans qui ajoutent à ce positionnement celui du ‘Allah l’a voulu’ et chacun doit accepter sa destinée… Pour le mondial, chaque supporter le sait autant que vous que c’est un business… et NOUS n’y pouvons rien tant que NOS politiciens restent impuissants quand un pays comme le Qatar est choisi comme prochaine destination – complètement surréaliste – pour y jouer au foot sous des températures supérieures à 50°… En attendant, éditorial ou pas, son ton moralisateur n’aidera pas à trouver des lecteurs supplémentaires quand son team leader écrit d’une telle façon quelles que soient votre vécu ou vos expériences… Tout le monde a les siennes à son niveau… Et ce dont souffre l’Irak est déjà chez nous, les fous de Allah ont déjà frappé et d’autres suivront, cela nous promet du sang et des larmes vu l’impuissance de nos dirigeants.
Je vous invite à écouter ceci :
https://www.facebook.com/photo.php?v=10204326980673843
Plutôt d’accord avec l’auteur. Un peu rude de verbe, mais il faut de temps en temps savoir dire les choses comme elles sont sans mettre de gants. Et tant pis pour ceux qui se sentent visés ou choqués; il n’y a que la vérité qui blesse.
En tout cas, il fallait le dire clairement.
Et pas d’accord avec Y. Magain. NON, NOUS n’y pouvons PAS rien !
NOS politiciens, c’est nous qui les choisissons ou, au moins, qui les laissons en place par notre apathie et par nos “c’est comme ça, on n’y changera rien”. Ben non, en effet : on n’y changera rien si on préfère “boire une mousse” devant la télé à regarder comme des c… des mecs en shorts courir après une balle de cuir.
Bien sûr, il n’est pas possible à tout le monde de faire comme l’auteur et traverser les guerres en Syrie ou en Irak pour montrer au monde ce qui s’y passe et essayer de le réveiller.
Mais si chacun éteint sa télé et dit non au Qatar, pas parce qu’il fait 50°, mais parce que c’est une sale dictature; si au lieu de passer son temps avec la meute qui hurle chaque fois que la balle passe les poteaux, on consacrait ce temps à aider, à protester pour soutenir des causes valables, on changerait beaucoup de choses et on serait probablement plus heureux et plus satisfait.
Mais, tant qu’on dira “on peut rien changer” et qu’on s’assiéra devant le foot, les politiciens feront ce qu’ils voudront et on ne sera pas vraiment des citoyens.
Excellent édito, suivi d’une excellente réplique (psych)analytique à ceux et celles qui ont pour adage : «vivre et laisser mourir». Il ne s’agit plus d’indécence, mais d’une mort de la conscience humaine, surtout occidentale, à quelques exceptions près observées dans les lignes humanistes ci-dessus. Comme je l’ai aussi mentionné dans mon article sur le Liban, l’attentat-suicide dans une ruelle de Beyrouth n’a pas empêché les robots humains, générés par «la machine économique du Mundial», de fêter, dans la ruelle d’à côté, la victoire de leur équipe étrangère extranationale et de vadrouiller à tue-tête, à quelques mètres des lambeaux de chair éparpillés et des véhicules fumants. Mais lorsqu’on assiste à la superbe indifférence permanente d’un monde soi-disant libre, démocratique et humaniste vis-à-vis des horreurs perpétrées en Syrie et ailleurs, lorsqu’on voit l’homme postmoderne recourbé en permanence sur son nombril, sur son smartphone, sur son plaisir, sur sa coquille et son cocon, on ne s’étonnera pas de cette euphorie footballistique occasionnelle, ce climax « Mondial » devant une guerre ludique qui vient, tous les quatre ans, opérer sa catharsis et remplacer le spectacle lassant des guerres et des atrocités réelles.
La question est-elle bien là?
Je crois que Pierre Piccinin da Prata utilise simplement le “Mundial” comme repoussoir parce que c’est la grande actualité du moment.
Or, comme il le dit, il y a au Moyen-Orient des choses folles qui se passent en ce moment, mais des “inconscients” obligent les médias à parler d’un jeu de balle, parce que ça les intéresse plus que les tragédies qui se déroulent à quelques centaines de kilomètres à peine de chez eux pourtant.
En cela, n’a-t-il quand même pas un tout petit peu raison?
Et je ne vois rien de moralisateur ou schtroumpf à lunette. Plutôt un cri de rage et d’alerte, à la fois citoyen et humaniste. Un autre, qui nous a quitté l’année dernière, disait : INDIGNEZ VOUS !
Je peux comprendre le fond du message du rédacteur en chef mais la forme du second paragraphe est insultante. Monsieur Magain a raison quand il demande le respect du lecteur potentiel. Si ce site se veut pluraliste (et tolérant … hum hum) , la moindre des choses est de respecter celles et ceux qui apprécient le sport le plus regardé de la planète.
La phrase polémique à savoir “Ces tarés, les « supporters », qui ignorent tout, apparemment, des inégalités effarantes qui structurent la vie socio-économique brésilienne, s’imbibent de bière et se couvrent de vomis, dans une joie simple et hébétée…” devrait purement et simplement être retirée.
Pourquoi retirer cette phrase? Elle est provocante en effet. Et, plutôt que la censure, je préférerais qu’on prouve que l’éditorialiste a tort, si cela vous dérange. Pour ma part, je suis d’accord. Je n’apprécie ni les mouvements de foule idiots, ni les troupeaux imbéciles qui s’agglutinent dans les stades. C’est vrai que ces types boivent, déconnent, vomissent et s’en foutent de ceux qui meurent en Syrie. Je consacre tout mon temps libre dans un Resto du Coeur. Modestement, je me trompe peut-être, mais c’est mieux, je crois que de perdre mon temps devant la télé de la planète foot. Puis, je suis aussi membre d’un collectif d’aide aux réfugiés syriens. Pas le temps pour le foot; trop à faire pour aider ceux qui en ont besoin. Le mot que je retiendrai de cet édito : indécence. Tout à fait d’accord.
Les Kurdes font de la realpolitik, et il est clair qu’ils visent l’extension de la région autonome kurde à Kirkouk, comme cela vient d’être fait, mais aussi à Mossoul. Ces deux villes, au-delà de tous les argumentaires qui articulent les liens historiques de longues dates et qui ont toujours servi à justifier une annexion, sont des bassins pétroliers importants qui garantiront des ressources sur un plus long terme.
Maintenant, il faut être juste avec la région autonome kurde aussi. Cette zone prospère accueille des dizaines de milliers de réfugiés, de Syrie, et maintenant d’Irak, sur son sol et beaucoup sont absorbés grâce à la solidarité kurde. Il y a un très fort contraste avec le traitement des réfugiés en Turquie et en Jordanie par exemple. On n’y voit pas fleurir des camps de réfugiés partout comme on range du bétail.
Il faut aussi rappeler que l’armée irakienne a été incapable de défendre une grande ville comme Mossoul et que le même sort d’abandon était réservé à Kirkouk. On préfère quand même savoir les Peshmergas là en place plutôt que EIIL, ce qui a d’ailleurs découragé ces fous furieux d’essayer de s’en emparer, et protégé des centaines de milliers de civils.
Et puis, surtout, l’Irak est une invention coloniale comme la Syrie, il n’y a pas de raison morale supérieure dictant que l’Irak ne se désagrège pas, surtout avec les expériences passées, l’intransigeance et l’intolérance des leaders arabes sunnites, et auparavant le nationalisme arabe.
Puis, sinon, l’analyse sur l’indépendance du Kurdistan est vraiment simpliste. Désolé de le dire. Les choses sont beaucoup plus complexes. D’abord, il y a de facto une indépendance du GRK depuis longtemps, plus de vingt ans. Ensuite, les Kurdes sont fortement divisés en clans, en partis politiques, notamment au Rojava, ce qui fait que la création d’un super état kurde n’est pas du tout assurée. Et même si elle l’était, il y a beaucoup d’autres facteurs qui vont à l’encontre de ce scénario, comme le poids économique de la Turquie par exemple. Le miracle serait déjà que les principaux protagonistes kurdes, PKK, Barzani, Talabani, puissent s’entendre suffisamment longtemps pour privilégier leurs intérêts généraux et même ça ce n’est pas gagné…