Syrie, Irak, Liban, Palestine… La question chiite et les guerres d’influence entre les monarchies du Golfe et l’Iran reviennent en force dans l’actualité du Moyen-Orient. Ancien responsable du Monde arabo-musulman au service diplomatique de l’AFP, journaliste et écrivain, René Naba donne toutes les clefs d’une équation aux enjeux déterminant pour l’avenir de cette région.
I. La thématique du martyr et le postulat inhérent de la « défense des opprimés »
Une analyse sommaire tendrait à attribuer au martyr d’Hussein la dynamique sinon vindicative, à tout le moins revendicative, en tout cas contestataire, du chiisme. Au-delà de cette approche rudimentaire, l’assassinat du petit-fils du prophète constitue un sacrilège absolu à nul autre pareil dans toute autre religion monothéiste. Au-delà de sa faculté mobilisatrice, le «martyr d’Hussein» demeure l’acte fondateur d’un schisme porteur d’une dynamique centripète du Monde musulman, dont les conséquences se répercutent encore de nos jours. Plutôt que de s’appliquer à purger ce passif par son dépassement, la guerre des religions est entretenue, au mépris des enseignements des guerres de religion de l’Europe médiévale (Catholiques/protestants en France et en Irlande, Catholiques/Orthodoxes en Orient) pour des raisons de pérennité idéologique et de survie dynastique.
Les prescriptions coraniques enjoignant l’unité des croyants sont nombreuses : « Cramponnez vous à la corde de Dieu et ne vous dispersez pas. » ; « Ne distinguez pas entre un Perse et un Arabe que par la piété. » Elles paraissent de peu de poids face aux conflits de puissance. Depuis la fondation de l’Islam, quatre califats se sont succédés à la tête du Monde musulman : califat Omeyyade de Damas (exilé à Cordoue); califat Abbasside de Bagdad; califat Fatimide du Caire; califat Ottoman. Durant les trois premiers siècles de la conquête (VII au Xème siècles), 39 califes se sont succédés à la direction du Monde musulman. Quatre Rachidoun, 14 Omeyyades et 21 abbassides ont gouverné durant 308 ans, soit une durée moyenne de règne de 7,9 ans. Treize des 39 califes ont péri de mort violente. C’est dire l’âpreté de la lutte.
La défense des opprimés ne relève toutefois pas exclusivement de l’imaginaire chiite, mais d’un vécu bien réel. Ainsi le statut de minoritaire du chiite tant dans le Monde arabe que dans le Monde musulman est un fait prégnant des rapports entre gouvernants et gouvernés. Un fait indubitable sous tendant un vecteur revendicatif, non du fait de l’imaginaire chiite que des analystes en mal de formule choc attribue à sa nature tourmentée, mais généré par une situation de sujétion, qu’il importe de prendre en considération dans tout développement de la notion de « défense des opprimés ».
Les chiites ont ainsi été la communauté la plus méprisée et la plus maltraitée au Liban. Longtemps désignés du terme « M’tawlé », ils étaient les véritables « déshérités » du Liban tant au niveau des investissements des pouvoirs publics sur le plan des infrastructures des zones chiites, que dans leur positionnement au sein de la fonction publique étatique libanaise. A la décharge des autres communautés libanaises, il conviendrait d’admettre que ce fait était partiellement imputable au leadership chiite féodal et narcotrafiquant, de surcroît discrédité par ses alliances contre nature avec les milices chrétiennes durant la guerre civile libanaise, le clan Sabri Hamadé-Kamel Al-Assad, lequel monopolisera le pouvoir chiite dans le quart de siècle qui a suivi l’indépendance, que le Hezbollah dégagera de la scène à son avènement, dans la décennie 1980.
Dans le Monde arabe, quand bien même les Chiites étaient majoritaires en Irak et au Bahreïn, le pouvoir a été détenu par les Sunnites en ce que le pouvoir colonial britannique a préféré confier le pouvoir au courant majoritaire de l’Islam, en contradiction avec les règles de la démocratie démographique. En Irak, par la dynastie hachémite (Faysal II), puis le Baas avec Saddam Hussein. A Bahreïn, par la dynastie Al-Khalifa. les Chiites ont pris le pouvoir à Bagdad, non de leur fait, mais par effet d’aubaine de l’invasion américaine de l’Irak qui a sapé les fondements sunnites du pouvoir Baasiste. En Arabie saoudite, ils ne sont pas considérés comme des citoyens de plein droit et de plein exercice. Leur accès aux grades supérieurs de l’armée, de même qu’au sein de la très haute administration et aux postes de direction des grands services publics leur est refusé. Un fait discriminatoire, contraire à la fonction universelle du Royaume, terre de la prophétie musulmane.
II. Le positionnement géostratégique du déploiement démographique chiite
A. Le chiisme dans le Monde
Les Chiites représentent près de 15 pour de l’ensemble de la population musulmane, soit près de 200 millions de personnes, soit presque autant que la seule Indonésie, répartis dans quatorze pays, dont quatre où ses adeptes sont majoritaires : Iran (90% religion d’État), Azerbaïdjan (85%), Irak (64%), Bahreïn (75%) ; et dix pays dans lesquels les Chiites sont minoritaires : Yémen (45%), Turquie (20%), Syrie (15%), Koweït (20%), Émirats Arabes Unis (13%), Afghanistan (20%), Qatar (5%), Égypte (1%), Arabie saoudite (5%), Pakistan 520%).
Minoritaire, certes, mais de par son déploiement géographique et démographique, il constitue une minorité stratégique qui explique la focalisation israélo américaine. Le chiisme contrôle, en effet, par l’Iran la totalité d’une des deux rives du Golfe arabo-persique, la veine jugulaire du système énergétique internationale. De par son déploiement démographique, la branche rivale du sunnisme est présente dans toutes les zones pétrolifères du Moyen-Orient : Dans la région orientale du Royaume saoudien (Dhahran), dans le sud de l’Irak (Bassora) et le Nord du Koweït. Dernier et non le moindre des éléments : les Chiites sont en outre massivement déployés au Sud Liban, l’ultime zone de confrontation avec Israël, avec l’enclave palestinienne de Gaza, ainsi qu’en Afrique occidentale.
B. Le déploiement géostratégique du chiisme sous l’effet du pouvoir colonial
La politique ségrégationniste de la France coloniale affectant à l’Afrique le trop plein chiite du Liban pour favoriser un duumvirat maronite sunnite sur le Liban a donné de surcroît du relief à cette communauté et une profondeur stratégique, au-delà des océans, au-delà de toute attente.
En un curieux retournement de situation, le fief chiite constitué en Afrique, dans le pré carré français, ne résulte pas, là aussi, d’une décision souveraine d’une communauté encore moins d’un état dans une politique de grignotage, mais de l’effet conjugué d’un machiavélisme colonial et de contraintes économiques d’une population déshéritée, en déshérence à l’époque. A cela s’ajoute la politique de dépeuplement de la région frontalière israélo libanaise pratiquée par Israël par le pilonnage quasi quotidien du secteur en vue d’en faire un no-man’s land stratégique. Enfin le glacis pétro monarchique.
Au-delà des clichés éculés et des effets de propagande, un fait demeure, incontestable. Si les pétromonarchies ont été une source d’enrichissement de leurs coreligionnaires sunnites arabes, particulièrement la confrérie des Frères Musulmans, l’Afrique et dans un degré moindre l’Amérique latine, auront été celle des Chiites, une communauté généralement perçue par l’opinion occidentale comme hostile aux intérêts du camp atlantiste, contrairement aux sunnites, en dépit des coups de butoir répétitifs d’al-Qaida. Observée sinon avec condescendance à tout le moins avec une bienveillance paternaliste du temps où le chah d’Iran présidait aux destinées de l’Iran, elle sera perçue avec suspicion sous le régime de la République Islamique.
Le passage de l’immigré libanais en Afrique du statut de supplétif des rouages du pouvoir colonial à celui de concurrent des entreprises occidentales dans l’Afrique post indépendance, l’établissement de surcroît d’un partenariat entre les Libanais chiites avec les élites nationales africaines, notamment par le financement des campagnes électorales des décideurs politiques va exacerber les antagonismes sociaux, particulièrement à l’égard des Chiites, d’autant plus vivement qu’ils sous-tendent des objectifs économiques. L’assassinat de Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001, passe ainsi pour avoir été financé par des libanais furieux que le président congolais ait confié à la société israélienne IDI, le monopole de l’achat des diamants.
Par effet d’aubaine des erreurs de la stratégie israélo-occidentale, la militarisation des chiites libanais dans la foulée de la liquidation de leur chef charismatique, l’Imam Moussa Sadr, en 1978, en Libye, et du démantèlement du sanctuaire de l’OLP au Liban (1982), feront de cette communauté, jadis la plus méprisée du Liban, par l’effet magique de ses exploits guerriers contre Israël (2000, 2006), l’équation incontournable du Moyen-Orient. Sa nouvelle puissance économique sera alors perçue comme une source nuisance, une évolution amplifiée par l’exacerbation des antagonismes interconfessionnels au Moyen-Orient, sur fond de bras de fer entre l’Iran et les Occidentaux à propos du nucléaire iranien et de guerre régionale sunnites chiites attisée par la dynastie wahhabite.
Sa mutation sociologique modifiera la perception de son rôle, selon le processus classique de « la fabrication de l’ennemi ».
Le basculement de l’Iran, l’ancien super gendarme américain dans le Golfe, dans le camp hostile au camp atlantiste sous l’égide de l’Imam Ruhollah Khomeiny (1979) et son rapprochement stratégique avec les pays latino-américains, contestataires de l’ordre américain (Cuba, Venezuela, Bolivie, Brésil, Chili) a achevé de criminaliser tant l’Iran que le Hezbollah que les Chiites d’une manière potentielle.
La diaspora libanaise, atout pour le Liban, devient un traquenard tant pour les libanais que pour le pays d’origine. Les pays d’accueil, principalement l’Afrique et l’Amérique latine, deviennent le terrain privilégié de la guerre souterraine planétaire entre Israël et le Hezbollah. Les exemples abondent d’articles de la presse locale et internationale mentionnant « le trésor des Libanais-Africains », son « opacité du fait de la déliquescence de l’administration fiscale nationale, de la fluidité du système bancaire et des innombrables tuyaux du circuit de blanchiment de l’ancienne ‘Suisse du Moyen-Orient’ ».
III. L’imaginaire et son carburant
L’imaginaire se nourrit des privations et des frustrations. Dans le cas d’espèce, l’agresseur à l’époque contemporaine a été le sunnite. Les années 1978 1979 constituent à cet égard des années charnières.
1978- La première fois, au Liban, avec l’assassinat de l’Imam Moussa Sadr, chef spirituel de la communauté chiite libanaise et artisan de son redressement, par le Colonel Kadhafi de Libye en 1978, en pleine guerre civile libanaise alors que les Chiites constituaient le gros des troupes de la coalition palestino progressiste. Pur acte gratuit s’il en est. Auparavant, il n’existait pas uns spécificité politique chiite propre. les Chiites constituaient le gros des troupes des Baasistes ou des Nassériens.
1979- La deuxième fois, un an après, en Irak : avec la guerre lancée par Saddam Hussein contre l’Iran Khomeiniste alors que l’irakien avait hébergé l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny pendant quinze ans dans le sanctuaire chiite de Nadjaf. Saddam Hussein y perdra ainsi le bénéfice de l’hospitalité accordée au guide de la révolution islamique, le tombeur de son ennemi déclaré, le chah d’Iran. Une guerre anti iranienne doublée, de surcroît, de l’assassinat des deux grands chefs religieux chiites de la famille Baqr al Hakim, dont Mouqtada Sadr en est l’héritier spirituel et politique, frappé de ce fait d’un double sceau de légitimité : la légitimité du martyrologe et la légitimité politique tirée de son opposition à un tyran (Saddam), en même temps qu’aux envahisseurs de son pays (les Etats Unis).
Rétrospectivement, il n’est pas indifférent de noter que tant Mouammar Al-Kadhafi que Saddam Hussein ont été éliminés par des interventions du camp atlantiste. Au vu de cette double et tragique expérience, il est à espérer que les dirigeants arabes intégreront dans leur schéma mental qu’un certificat de bonne conduite américaine ne vaut jamais garantie de survie et que la sécurité du Monde arabe n’est pas réductible à la sécurité du ravitaillement énergétique des États Unis, encore moins à la sanctuarisation d’Israël.
IV. L’élimination subliminale de la dynastie chiite des Bhutto au Pakistan
Le panorama serait moins incomplet avec la mention de l’élimination subliminale au Pakistan de la dynastie politique chiite des Bhutto, Zulficar Ali Bhutto et sa fille Benazir, deux des rares civils à avoir dirigé le gouvernement de l’unique puissance nucléaire d’un pays musulman qui plus est sunnite; un pays qui fut par ailleurs le refuge d’Oussama Ben Laden, le fondateur d’Al Qaida. Deux farouches nationalistes certes, mais des chiites. Circonstance aggravante pour Zulficar, le fait d’avoir épousé une iranienne, la Béguin Nusrat, et pour Benazir, d’avoir eu pour interface Peter Galbraith, le sous-traitant pour l’Asie de la CIA, le concepteur de la théorie du « combat des chiens » (la théorie de la dissension sociale) et fils de l’économiste James Kenneth Galbraith, insupportables tares pour ce fief du wahhabisme en Asie.
Sous couvert de lutte entre civils et militaires, de lutte contre la corruption et pour l’avènement de la démocratie, il était en effet difficile à un pays gagné par le rigorisme religieux de tolérer la présence d’un chiite à la tête de l’unique puissance militaire nucléaire musulmane, en charge pendant trois décennies de la protection de l’espace aérien saoudien.
Un risque intolérable en ce qu’il portait également sur la fiabilité de la coopération souterraine nucléaire entre le Pakistan et les pays musulmans sunnites (Arabie Saoudite, Égypte, Libye) et les suspicions inhérentes que pouvait générer la présence d’un renégat (takfiriste) à la tête d’un, qui constitue tout à la fois la base arrière des Talibans et le champ d’expérimentation du djihadisme erratique sous égide saoudienne.
Au-delà de la caste militaire, l’Arabie saoudite dispose au Pakistan d’un homme lige, Nawaz Charif, rival de la famille Bhutto, qui assume une fonction identique au clan Hariri au Liban. C’est d’ailleurs Rafic Hariri, l’ancien premier ministre assassiné, qui a servi de caution à l’arrangement conclu entre Nawaz Charif et les militaires à son éviction du pouvoir et l’héritier Saad Hariri, qui remplira la même fonction pour son retour d’exil au Pakistan. Le sunnite Hariri aura droit à un tribunal spécial international pour le jugement de ses assassins présumés, la chiite Bhutto, pas, quand bien même les deux victimes disposaient du même statut, d’ancien premier ministre de leur pays respectif.
V. De la notion de « Révolution islamique », du « seuil nucléaire » et de la « dissuasion asymétrique »
A. Des dangers d’une révolution islamique en zone pétro monarchique
Les impératifs stratégiques sont des faits incontournables qu’il importe de ne jamais occulter : l’idée même de «révolution islamique», surtout lorsqu’elle est le fait d’un pays chiite, l’Iran, porte en elle les germes de dépérissement des pétromonarchies de son environnement. Surtout s’il s’agit d’une révolution populaire, et non d’un coup d’état militaire, surtout si cette révolution islamique est d’essence chiite, et qu’elle constitue de ce fait une menace de bouleversement révolutionnaire pour le camp sunnite; surtout enfin si elle fonctionne selon le principe de l’élection alors que les pétromonarchies fonctionnent selon le principe de la transmission héréditaire du pouvoir. Mohamad Morsi, en Egypte, premier président néo islamiste démocratiquement élu dans le plus grand pays arabe, en a payé le prix. Du fait même qu’il se réclame de l’idéologie islamiste, surtout sunnite, et qu’il ait été choisi par la voie de l’élection.
B. Le nucléaire iranien, l’Iran un cas d‘école.
L’accession de l’Iran au rang de «puissance du seuil nucléaire», en dépit d’un embargo de trente ans doublé d’une guerre de près de dix ans imposée à l’Iran par Irak interposé, a suscité l’admiration de larges fractions de l’opinion de l’hémisphère sud qui ont vu dans cet exploit technologique incontestable la preuve parfaite d’une politique d’indépendance, en ce qu’il débouche sur la possibilité pour l’Iran de se doter d’une dissuasion militaire en même temps que de maintenir son rôle de fer de lance de la révolution islamique.
Par extension pour tout pays du tiers monde, musulman ou non, de pouvoir se doter de la technologie de pointe, hors imprimatur occidentale. Dans une zone de soumission à l’ordre israélo américain, le cas iranien est devenu de ce fait un cas d’école, une référence en la matière, et, l’Iran, depuis lors, est devenu le point de mire d’Israël, sa bête noire, dans la foulée de la destruction de l’Irak, en 2003 et de la destruction de la Syrie, dix ans plus tard. Depuis la venue au pouvoir du premier ministre israélien ultra droitier, Benyamin Netanyahu, il y a six ans, Israël a lancé trois attaques virus visant le champ informatique iranien en vue de neutraliser, sinon retarder le programme nucléaire de la République islamique. Doublée d’une campagne d’assassinats de savants iraniens, la triple campagne virale, Stuxnet, Duqu et Flame, a visé tout autant le système nucléaire iranien que le système bancaire libanais, supposé servir de plate forme de blanchiment au trésor de guerre du régime syrien et du Hezbollah libanais. Près de trente mille ordinateurs auraient été infectés par ce virus malicieux qui recherchait dans les ordinateurs le système de supervision de la firme allemande Siemens Win-CC, en charge du contrôle des oléoducs, des plate formes pétrolières et des centrales électriques.
En pleine bataille de Syrie, à trois mois des élections présidentielles américaines, en septembre 2012, Israël a même envisagé de lancer contre l’Iran une impulsion électromagnétique (IEM), afin de paralyser l’ensemble des réseaux de transport et de communications, en vue de briser le développement de son programme nucléaire. L’impulsion devait prendre la forme d’une explosion nucléaire en haute altitude destinée à perturber le parc informatique du pays.
L’explosion ne devait produire ni souffle, ni radiation au sol, mais provoquer une paralysie des communications et un tarissement du ravitaillement alimentaire, selon des indications fournies le 29 Août 2012 par Bill Gertz sur sa chronique vidéo sur le site conservateur américain « The Washington Beacon ».
En contrepoint l’Iran a réussi a détourné, en décembre 2011, un drone ultra sophistiqué américain qui surveillait les sites nucléaires iraniens, via le Baloutchistan, atténuant quelque peu les contre-performances iraniennes. Drone furtif et secret, le RQ-170 se présente comme un butin inestimable en ce qu’il a démontré la capacité iranienne à prendre le contrôle du plus sophistiqué des drones d’observation américain, apportant la démonstration de la capacité d’électroniciens hors pairs de ses savants. En disposant désormais d’un prototype pour reproduire l’arme secrète, l’Iran parait avoir réussi à se prémunir des attaques de ce genre d’engins, se propulsant au 2eme rang mondial dans ce secteur d’armement.
C. Le Hezbollah et sa « dissuasion asymétrique »
En initiant une dissuasion asymétrique, fondée sur une riposte balistique, le Hezbollah a modifié les règles du combat dans sa confrontation avec Israël, une puissance nucléaire créditée parmi les plus grandes armées de l’Hémisphère Sud. En obtenant le dégagement militaire israélien du Liban sans négociation ni traité de paix, en 2000, la formation chiite a propulsé son pays à la fonction de curseur diplomatique régional, et, dans l’histoire du conflit israélo-arabe, le standard libanais au rang de valeur d’exemple, tant cet exploit a revêtu dans la mémoire collective arabe un impact psychologique d’une importance comparable à la destruction de la ligne Bar Lev, lors du franchissement du Canal de Suez, lors de la guerre d’octobre 1973. Récidiviste huit ans plus tard, le Hezbollah initiera, face à la puissance de feu de son ennemi et à l’hostilité quasi générale des monarchies arabes, une nouvelle méthode de combat, concevant un conflit mobile dans un champ clos, une novation dans la stratégie militaire contemporaine, doublée d’une audacieuse riposte balistique, à la grande consternation des pays occidentaux et de leurs alliés arabe.
En 2006, la « divine surprise » du Hezbollah s’explique tant par le fait que la milice chiite se battait, alors que son arrière-plan stratégique, -son flanc occidental et son flanc oriental-, étaient tenus par ses adversaires, -le camp phalangiste à Beyrouth et le clan Hariri à Beyrouth Ouest- que par le fait que cette victoire s’est accompagnée d’une spectaculaire opération d’échange de prisonniers avec Israël. Un échange œcuménique dépassant les clivages traditionnels du Monde arabe, en ce qu’il comportait tan des Libanais que des Palestiniens, dont aucun n’appartenait au Hezbollah, notamment le druze Samir Kintar, le doyen des prisonniers politiques arabes en Israël, et près de 200 dépouilles, dont celle de la palestinienne, Dalal Moughrabi, membre d’un commando palestinien tuée en 1978.
Un exploit qui pourrait éclairer le souci du camp islamo-atlantiste (la coalition des grands pays musulmans sunnites avec le bloc atlantiste) d’enserrer le Hezbollah dans un nœud coulant en vue de provoquer sinon son implosion, à tout le moins sa strangulation, via la justice internationale et la politique de criminalisation du Hezbollah (inculpation par le Tribunal Spécial sur le Liban, TSL Liban Hariri), inscription sur les liste des organisations terroristes de l’Union européenne.
Hasard ou préméditation ? Deux journalistes français se sont distingués, de manière synchrone, durant cette période. Le premier, Yves Mamou, un ancien du journal Le Monde, commettra un opus de moyenne facture, intronisant le Hezbollah comme le nouveau baron du narco trafic tri continental (Amérique latine, Afrique, Moyen-Orient), l’égal de Pablo Escobar.
La seconde, Annick Cojean, une ancienne journaliste au même journal qu’elle a réintégré, dissertera, elle, sur la sexualité débridée des combattants de la formation chiite, se fondant sur le témoignage des réfugiées syriennes du camp de Zaatari, un camp situé en Jordanie, placé sous haute surveillance de l’armée bédouine du Roi hachémite. Mais le fait est que Brookings Doha Center, -une institution nullement suspectée de sympathies ni pour l’Iran, ni pour le Hezbollah-, n’ait mentionné le moindre de ces méfaits dans son rapport paru en Mai 2014 a posé le problème la pertinence de ses articles.
S’agissait-il de la part des deux confrères de l’ancien et du nouveau Monde de discréditer le Hezbollah pour mieux accréditer sa culpabilité en pleine phase accusatoire du procès des assassins présumés de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri (TSL) ? De faire contre feux au fait qu’Israël soit devenu l’un des premiers colonisateurs de la planète, une superficie 20 pour cent supérieure à la totalité de la Palestine, avec une colonisation de terres en Amérique latine et en Afrique?
VI. A propos du Symbole et de sa fonction
Un symbole se flétrit de ses flétrissures. Il dépérit faute d’éléments contributifs à sa pérennisation. Il en est ainsi d’Achoura et de La Mecque.
Achoura, la commémoration du martyr d’Hussein, se serait réduite à un exercice de flagellation et de lamentation, objet de dénigrement de la part des adversaires des chiites n’était-ce les exploits guerriers du Hezbollah et la résistivité de l’Iran.
L’Achoura est un événement religieux qui revêt une importance particulière pour les Chiites, qui y commémore le massacre de l’imamHossein et de 72 membres de sa famille et partisans par le califatomeyyade à Kerbala en Irak. L’Achoura symbolise la lutte contre l’oppression et les injustices dans le chiisme par référence à cet événement historique. La célébration a lieu le 10e jour du mois musulman de Mouharram et le deuil se poursuit pendant 40 jours jusqu’à l’Arbaïn. Pour se rappeler des douleurs subies par l’Imam Husserlien, certains pèlerins se flagellent collectivement L’Achoura est l’occasion pour les fidèles chiites d’expier les fautes de leurs ancêtres.
En Irak, certains hommes se frappent le dos jusqu’au sang à l’aide de chaînes, au son des tambours et des chants religieux. Dans d’autres pays comme en Inde, ils se martèlent la poitrine. C’est à Kerbala en Irak qu’a lieu le pèlerinage principal.
Achoura est ainsi devenue un temps fort du rituel symbolique de la révolution, comparable à la prise de la bastille en France ou au défilé de la place Rouge commémorative de la Révolution d’Octobre en Russie. En contrechamps, l’Arabie saoudite, elle, détient les symboles les plus incontournables de l’Islam en ce qu’elle est la terre de la prophétie, abritant la Mecque et Médine. Sans la puissance financière du Royaume et ses réserves pétrolières, l’Arabie aurait été un nain politique, objet d’une détestation généralisée.
A. La symbolique de l’exercice du pouvoir au Liban : Hassan Nasrallah versus Saad Hariri
Hassan Nasrallah et Saad Hariri, les deux chefs de file des deux courants antagonistes de l’islam libanais, sont antinomiques. Le chiite, adossé à l’Iran, fait objet d’un rigoureux pistage des services israéliens et de la totalité des services occidentaux et pétro monarchiques, le sunnite, adossé sur l’Arabie saoudite, fait, lui, l’objet de la sollicitude de ces mêmes services.
Une menace permanente pèse sur les deux dirigeants libanais. Hassan Nasrallah a perdu deux de ses plus importants collaborateurs au niveau militaire, Imad Moughnieh, le fondateur de la branche militaire du Hezbollah et Hassan Lakiss, le chef de sa balistique, et l’un des dignitaires chiites a fait l’objet d’une tentative d’assassinat de la part de la CIA, Cheikh Hassan Fadlallah. Sans compter les opérations de déstabilisation du fief Hezbollah, l’été 2013, en relation avec la guerre de Syrie, dont le plus meurtrier aura été l’attentat contre la mission culturelle iranienne à Beyrouth.
Saad Hariri, lui, a perdu son père Rafic Hariri, l’ancien premier ministre, dans un attentat en Février 2005, et le chef de sa garde rapprochée, Wissam Al Hassan, dans un attentat en octobre 2012, en pleine guerre de Syrie.
Là s’arrête la similitude. Hassan Nasrallah n’a jamais déserté le champ de bataille, ni son fief du sud de Beyrouth, alors que son contrepoids sunnite Saad Hariri, le chef du clan saoudo américain au Liban a opté pour la fuite en avant comme mode de gouvernement. Député de Beyrouth, une ville reconstruite par son père, de surcroît chef de la majorité parlementaire à l’époque, il n’hésitera pas à fuir Beyrouth, au premier coup de feu tiré par les Israéliens en 2006. Il récidivera cinq ans plus tard en s’exilant en Arabie saoudite pendant la totalité de la guerre de Syrie, glanant au passage le sobriquet de « planqué de Beyrouth ».
Il en a été de même des deux formations sunnites Fateh Al Islam et celle du prédicateur salafiste pro Qatar de Saïda, Cheikh Ahmad Al Assir, missionnées, tous les deux, par les pétromonarchies du Golfe pour y créer un abcès de fixation dans l’hinterland stratégique du Hezbollah. Tant Fateh Al Islam (Nord du Liban) que Cheikh Ahmad Al Assir (Sud du Liban) se sont attaqués à l’armée libanaise, agrégateur des diverses composantes de la mosaïque libanaise en ce qu’elle constitue l’unique matrice du brassage humain inter libanais.
Les deux ont infligé de lourdes pertes à l’armée libanaise. Plus durement qu’elle n’en a subie depuis l’indépendance du Liban, il y a 70 ans. Et pas la moindre éraflure à l’armée israélienne. Les deux ont instrumentalisé des Palestiniens dans leur aventure, dévoyant le combat principal des Arabes de son champ de bataille principal la Palestine.
Les chefs de ces deux formations ont déserté le champ de bataille. Chaker Absi, le nordiste, a été exfiltré vers l’Arabie saoudite par son ancien commanditaire Saad Hariri, (remembrer l’épisode de la Banque de la Méditerranée) et Ahmad Al Assir a disparu de la scène par phénomène d’évaporation théologique. Une baudruche dégonflée.
B. Le Hezbollah, al-Qaida : une différence de stature
Une différence de stature existe entre les deux organisations de lutte armée opérationnelles du Monde arabe, Al Qaida (sunnite) et le Hezbollah (chiite). Hezbollah recherche la dissuasion, une parité stratégique avec son ennemi, alors qu’Al Qaida pratique la nuisance. Dommage collatéral et subsidiaire, la destruction des Bouddhas de Bamyan a entraîne de surcroît un rapprochement entre Israël et l’Inde, jadis partenaire privilégiée de l’Égypte au sein du mouvement des non-alignés. De même les dérives djihadistes du conflit de Syrie ont accentué l’islamophobie dans le Monde occidental et massivement contribué à un retournement de l’opinion.
Bénéficiant d’une audience certaine tant au sein de l’Islam asiatique (Afghanistan Pakistan) que de l’Islam africain (Sahel subsaharien), son mouvement opérant une spectaculaire percée en Syrie à la faveur des errements de la stratégie islamo atlantiste, Oussama Ben Laden a souffert toutefois d’un handicap majeur au sein du noyau historique de l’Islam -le Monde arabe- du fait de son passé d’agents de liaison des Américains dans la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1990), détournant près de cinquante mille combattants arabes et musulmans du champ de bataille principal, la Palestine, alors que Yasser Arafat, chef de l’OLP, était assiégé à Beyrouth par les Israéliens avec le soutien américain (juin 1982).
S’il a pu se targuer d’avoir contribué à précipiter l’implosion d’un « régime athée », l’Union soviétique, ses censeurs lui reprochent d’avoir privé de leur principal soutien militaire, les pays arabes du « Champ de bataille », l’Organisation de Libération de la Palestine, l’Égypte, la Syrie, l’Irak, ainsi que l’Algérie, le Sud Yémen, le Soudan et la Libye.
Son autorité de ce fait se heurte sur la scène arabe au charisme d’authentiques dirigeants à la légitimité avérée aux yeux de larges factions du Monde arabo musulman, Cheikh Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, le mouvement chiite libanais, auteur de deux exploits militaires contre Israël (2000, 2006), dont l’incomparable avantage sur Oussama Ben Laden réside dans le fait qu’ils n’a jamais déserté, lui, le combat contre Israël, l’ennemi principal du monde arabe. Elle se heurte aussi à la concurrence du nouveau Calife de l’islam, le calife Ibrahim.
C. A propos du Hamas
Cas unique dans les annales des guerres de libération nationale, la décision du Hamas d’installer son quartier général politique à Doha a constitué une aberration mentale équivalant, dans l‘ordre symbolique, à se placer sous la coupe de son bourreau, équivalant, pour bien le souligner, à l’implantation du QG du FLN algérien à proximité de Taverny, le PC de la force stratégique aérienne française, ou du Viêt-Cong vietnamien à Pearl Harbour, la plus importante base américaine de la zone Asie Pacifique.
Un mouvement de libération nationale qui renonce de facto à libérer son pays occupé pour privilégier un alignement sectaire, non sur sa religion, mais sur une école de pensée religieuse, cesse ipso facto d’être un mouvement de libération. Toutefois, le premier percement balistique de l’espace aérien israélien par sa trajectoire transnationale, de Gaza à Tel Aviv, opéré en riposte à « Bordure protectrice » a rompu la réclusion du Hamas consécutive à son alignement sectaire sur les pétromonarchies rigoristes, replacé la revendication palestinienne au centre du débat international et renfloué la branche palestinienne des Frères Musulmans en renouant ses relations avec ses anciens frères d’armes le Hezbollah et l’Iran, le replaçant parmi les principaux interlocuteurs de ce conflit.
D. Le drone Ayoub : une spectaculaire démonstration de leur capacité technologique à forte portée psychologique
Au-delà des tentatives de déstabilisation, de criminalisation et des supputations, l’Iran et son allié libanais ont fait preuve de résistivité et de leur capacité à percer la défense anti aérienne israélienne. Le lancement le 2 octobre 2012 d’un avion sans pilote du Hezbollah en direction d’Israël a constitué la première incursion aérienne réussie de l’aviation arabe depuis la guerre d’octobre 1973, il y a 40 ans. Son survol du site nucléaire de Dimona, dans le Néguev, a démontré l’étanchéité du « dôme d’acier » israélien, édifié avec de coûteux moyens avec l’aide américaine en vue d’immuniser le ciel israélien de toute attaque hostile. Cet exploit militaire du Ayatollah, et par voie de conséquence de l’Iran, est apparu comme une spectaculaire démonstration de leur capacité technologique à forte portée psychologique tant à l’égard d’Israël et des États-Unis, qu’à l’encontre du groupement des pays sunnites gravitant dans l’orbite atlantiste.
Le drone produit par l’Iran, sans doute un clonage du RQ-170, a été monté par le Hezbollah sur le sol libanais. Son nom de code « Ayoub » fait référence à l’un des combattants du Hezbollah, Hussein Ayoub, premier artisan de cette formation tué lors d’une attaque. Par extension au personnage biblique de Job et à sa légendaire patience, comme pour signifier que cette qualité anime aussi les contestataires à l’ordre hégémonique israélo-américain dans la sphère arabo musulmane.
Au vu de ce bilan, bon nombre d’analystes occidentaux considèrent que le Hezbollah constituent le phénomène majeur sur le plan politique et militaire du dernier quart de siècle, un des plus prestigieux mouvements de libération du tiers monde, à l’égal des Barbudos cubains, du FLN vietnamien et du FLN algérien.
E. La normalisation avec Israël
Alors que le grands pays arabes musulmans sunnites, notamment l’Arabie Saoudite, s’emploient, via la théologie, à provoquer une normalisation de facto avec Israël, l’Iran et le Hezbollah s’y refusent.
Aucun dignitaire religieux chiite n’a participé au colloque des oulémas sunnites d’Amman, le 1 er mai 2014, rendant licite sous certaines conditions, le pèlerinage à Jérusalem pour les Musulmans, dégageant ainsi la responsabilité de la branche rivale du sunnisme dans cette forme de normalisation déguisée par la théologie avec Israël. L’Iran chiite et le Hezbollah libanais constituent les deux seules entités à proclamer leur attachement à la célébration de la journée mondiale « d’al-Qods », commémorée chaque année le dernier vendredi du mois de Ramadan, en l’absence de la moindre participation sunnite, alors que la Palestine est dans sa très grande majorité peuplée de sunnites et d’une minorité chrétienne arabe, dont la population ne comporte aucun chiite, et que la responsabilité de la défense des Lieux Saints Musulmans incombe aux vingt pays arabes qui se réclament du sunnisme, la branche majoritaire de l’Islam.
F. Le « surge » de l‘ISIS en Irak et « l’impérialisme safavide ».
Des « islamophilistes », jamais avares d’explications apologétiques, soutiendront que le « surge » de l’ISIS en Irak, en juin 2014, visait, au premier chef, « l’expansionnisme iranien » et « l’impérialisme safavide », en référence à la dynastie des Safavides (1501-1736), qui se sont convertis au chiisme entraînant avec eux la majorité de la population iranienne.
Sous le fatras des considérations historico théologiques de ces plumitifs besogneux, l’objectif sous-jacent viserait en fait « la fracture du croissant chiite, dont la continuité territoriale allait, depuis l’invasion américaine en Irak, en 2003, et la mise en place d’un régime chiite à Bagdad, de Téhéran à Beyrouth ».
Sauf que cette thèse pour séduisante qu’elle soit, ne résiste pas à l’analyse, en ce que le déclencheur du feu initial a bel et bien été le camp sunnite : Saddam Hussein, d’abord, contre la révolution islamique iranienne, en 1979, c’est-à-dire par un dirigeant nationaliste et non théocratique, animé d’une idéologie laïque pan arabe, pour le compte de pétromonarchies théocratiques, dont il apparaîtra ultérieurement comme le sous-traitant, gratifié de leur ingratitude par l’invasion de son pays et sa pendaison.
Le colonel Mouammar Kadhafi, ensuite en décapitant sans raison apparente, en pleine guerre du Liban, (1975-1990), l’Imam Moussa Sadr, chef spirituel de la communauté chiite libanaise, le partenaire principal d’une coalition palestino-progressiste à très forte majorité sunnite et qui récoltera, à son tour l’ingratitude islamo-atlantiste.
En contrepoint, la formation chiite libanaise a été l’alliée stratégique du sunnite Hamas dans son combat anti israélien, jusqu’à la défection sectaire de la branche palestinienne de la confrérie des Frères Musulmans, parallèlement au harcèlement des organisations takfiristes, Jobhat an Nosra et Dahe’ch, sur le Hezbollah plus intensément que sur leur supposé ennemi commun Israël.
L’axe chiite de Téhéran à Beyrouth, généré par un effet d’aubaine des déboires de la stratégie saoudo américaine, visait par une alliance de revers à briser la triangulation constituée par le partenariat stratégique d’Israël et la Turquie, seul pays musulman qui plus est sunnite membre de l’Otan. Une alliance contre nature entre le premier état génocidaire du XXème siècle et les rescapés du génocide hitlérien. Prolongée par le chapelet des bases atlantistes des pétromonarchies du golfe, cette triangulation enserre le cœur du Monde arabe dans un étau et bride ses aspirations à l’autonomie.
Durant la guerre de Syrie, un PC opérationnel de l’Otan et des pétromonarchies, incluant la Turquie, avait même été aménagé à Mafrak, à une 50 km de de la frontière syrienne de Dera’a, dans l’ancien PC mixte israélo jordanien de 1988, pour y synchroniser les opérations contre le pouvoir de Damas. Un pont aérien avait été établi de la Jordanie vers la Turquie pour consolider le Front Nord (Alep) où les djihadistes étaient en mauvaise posture. Le prince Salmane Ben Sultan, demi-frère du prince Bandar, était chargé de la gestion du flux djihadiste depuis la Jordanie vers la Syrie, et la coordination de l’intendance, leur ravitaillement en armes et munitions.
Le chef de l’ISIL, Abu Baker al-Baghdadi, un Irakien de Samarra de son vrai nom Ibrahim Awad al Badri , s’est battu contre les Américains. Ancien lieutenant d’Abou Mouss’ab al Zarkaoui, capturé, détenu, il a été torturé dans la plus grande prison américaine en Irak, le camp Bucca pendant cinq ans.
L’administration George Bush jr a réveillé le conflit entre sunnites et chiites enraciné dans plus de 14 siècles d’histoire en ce que l’ignorance délibérée par les États-Unis de l’oppression massive des Irakiens et des sunnites en particulier, au cours de la guerre de 2003 jusqu’à leur retrait, de même que l’éradication du Baas et le démantèlement de l’armée, ont été un facteur important dans la formation de l’ISIL et dans le déchaînement de violence dont il s’est illustré en Irak, depuis juin 2014. L’Iran a su exploiter la situation pour des raisons diverses dont de forts intérêts politiques et territoriaux, couplés avec l’espoir de prendre sa revanche sur ce que beaucoup de chiites perçoivent comme des injustices historiques.
A noter que la résurgence de l’ISIS marque l’échec cuisant des idéologies, particulièrement baasiste, en ce que le pouvoir baasiste à Damas le plus important soutien à ses frères d’armes baasistes irakiens dans leur contre insurrection anti-américaine à Bagdad, en 2003, sera payé de retour, de bien curieuse façon par le résidu du Baas irakien, via son alliance avec l’ISIS, l’adversaire le plus coriace des baasistes syriens.
Le Monde musulman, particulièrement sa sphère arabe, est en pleine ébullition. Le terrorisme sous couvert du Djihad en propagation constante. Un mouvement pour l’instant resté essentiellement anthropophage en ce que les victimes sont dans leur très grande majorité des musulmans : un million de morts lors de la guerre Irak-Iran (1979-1989), 200 000 morts en Algérie durant la décennie 1990, 200 000 morts en Irak (2003-2008), davantage encore au Soudan (Darfour), en Somalie, en Libye, en Syrie et au Pakistan, sans compter l’Égypte et la Tunisie.
La mutation de l’Islam sunnite en Islam wahhabite a, en fait, signé « l’adieu aux armes » des pays arabes et sa reddition à l’Imperium israélo-américain, dont le signe le plus manifeste aura été le ralliement aux pétromonarchies du mouvement palestinien Hamas, l’unique mouvement de guérilla sunnite au monde arabe, sinon l’excepte le djihadisme erratique d’Al Qaida et de l’ISIS, ainsi que la renonciation par Mahmoud Abbas au « Droit au retour » des Palestiniens, quêtant la faveur de visiter sa ville natale de Safad, avec promesse de ne pas s’y installer dans une pathétique prestation à l’occasion du 95eme anniversaire de la promesse Balfour.
La verticale Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth constitue, dans ce contexte, l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-occidentale, -« Douwal Al Moumana’3a »-, un concept lancé par le président iranien Mohamad Khatami, en personne, en 2004, lors de son déplacement officiel à Beyrouth, haut lieu de la résistance arabe. Cette verticale a été désignée par le Roi de Jordanie d’ « arc chiite ». Dans la prose occidentale, elle constitue « l’axe du mal », cher à George Bush jr., par opposition à « l’islam des lumières » incarné par la constellation des régimes les plus rétrogrades du monde (les pétromonarchies du golfe) et les plus répressifs (la Jordanie, Maroc). Un « Islam des Lumières » qui constitue par ses états de service, l’axe de la capitulation, célébré au sein du camp occidental par la mise en œuvre du pernicieux protocole de validation d’un islam domestiqué à l’ordre israélo américain, opérée, de manière subliminale, à la faveur du « printemps arabe ».
L’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques est le fait de deux démiurges, les États Unis aux manettes, en tant que sorcier apprenti, et l’Arabie saoudite, en tant que copilote, en sa qualité d’apprenti sorcier. Sous l’égide de Gamal Abdel Nasser, l’islam sunnite, flamboyant dans le tiers monde, bien au-delà du Monde arabe a été le point de ralliement des peuples en lutte pour l’indépendance. Sous les wahhabites, le centre de basculement vers la vassalisation à l’ordre israélo-américain. Ce n’est pas tant l’islam qui est en cause, mais l’usage qui en est fait.
Épilogue – Au-delà de cette gesticulation guerrière
Au-delà de cette gesticulation guerrière, trois vérités s’imposent…
Première vérité : Le Monde arabe est redevable à l’Iran d’une part de sa culture et l’Islam d’une partie de son rayonnement, qu’il s’agisse du philosophe Al Fârâbî, du compilateur des propos du prophète, Al Boukhary, du linguiste Sibawayh, du théoricien du sunnisme Al Ghazali, des historiens Tabari et Shahrastani, du mathématicien Al Khawarizmi (Logarithmes), et naturellement du conteur du célèbre roman Kalila wa Doumna, Ibn al Mouqaffah ainsi qu’Avicenne (Ibn Sinna). De même, l’expansion de l’Islam en Asie centrale aux confins de la Chine n’a pu se faire sans le passage par la plate forme iranienne.
Deuxième vérité : Le Monde arabe est redevable à l’Iran d’un basculement stratégique qui a eu pour effet de neutraliser quelque peu les effets désastreux de la défaite arabe de juin 1967, en substituant un régime allié d’Israël, la dynastie Pahlévi, le meilleur allié musulman de l’état hébreu, par un régime islamique, qui a repris à son compte la position initiale arabe scellée par le sommet arabe de Khartoum (Août 1967) des « Trois NON » : Non à la reconnaissance, Non à la normalisation, Non à la négociation avec Israël.
Il a ainsi offert à l’ensemble arabe une profondeur stratégique en le libérant de la tenaille israélo iranienne, qui l’enserrait dans une alliance de revers, compensant dans la foulée la mise à l’écart de l’Égypte du champ de bataille du fait de son traité de paix avec Israël. La Révolution Islamique en Iran a été proclamée le 9 Février 1979, un mois avant le traité de Washington entre Israël et l’Égypte, le 25 mars 1979.
En retour, les Arabes, dans une démarche d’une rare ingratitude, vont mener contre l’Iran, déjà sous embargo, une guerre de dix ans, via l’Irak, éliminant au passage le chef charismatique de la communauté chiite libanaise, l’Imam Moussa Sadr (Libye 1978), combattant dans le même temps l’Union soviétique en Afghanistan, le principal pourvoyeur d’armes des pays du champ de bataille contre Israël.
Troisième vérité : Le Monde arabe s’est lancé, au-delà de toute mesure, dans une politique d’équipements militaires, pendant un demi-siècle, payant rubis sur ongle de sommes colossales pour d’arsenal désuets, pour des livraisons subordonnées à des conditions politiques et militaires draconiennes, alors que, parallèlement, les États-Unis dotaient, gracieusement, Israël de son armement le plus sophistiqué.
Israël a ainsi bénéficié, à ce titre, de cinquante et un (51) milliards de dollars de subventions militaires depuis 1949, la majeure partie depuis 1974, plus qu‘aucun autre pays de la période postérieure à la II me Guerre mondiale, selon une étude du spécialiste des affaires militaires Gabriel Kolko, parue dans la revue Counter Punch en date du 30 mars 2007. A cette somme, il convient d’ajouter 11,2 milliards de dollars de prêts pour des équipements militaires ainsi que 31 milliards de dollars de subventions économiques, sans compter la fourniture de l’ordre de trente milliards de dollars, dont des missiles à guidage laser, des bombes à fragmentation, des bombes à implosion, un dôme d’acier de protection anti balistique, en vue de préserver la suprématie militaire israélienne au Moyen-Orient.
A deux reprises au cours du dernier quart de siècle, les pays arabes ont participé à des guerres lointaines par complaisance à l’égard de leur allié américain, parfois au détriment des intérêts à long terme du Monde arabe, s’aliénant même un allié naturel, l’Iran, un voisin millénaire, dans la plus longue guerre conventionnelle de l’époque contemporaine, sans pour autant bénéficier de la considération de leur commanditaire américain.
A l’apogée de sa puissance, au plus fort de son alliance avec l’Iran, l’Amérique n’a jamais réussi à faire restituer à leur propriétaire arabe légitime les trois îlots du golfe, propriété d’Abou Dhabi : Abou Moussa et les deux îles Tumb, occupés par le Chah d’Iran, dans la décennie 1970.
En phase de puissance relative, l’Amérique saura-elle, à tout le moins protéger durablement ces relais régionaux, au moment où ses déboires en Irak, en Afghanistan et en Syrie la place sur la défensive, alors qu’en contrepoint, l’Iran, fort de sa maîtrise de la technologie nucléaire et des succès militaires de son allié libanais, le Hezbollah se pose en parfait contre-exemple de la servitude monarchique. Plus précisément, alors qu’elle se lance à la conquête de l’Asie pour y endiguer la Chine, l’Amérique pourra-t-elle protéger ses relais des turbulences internes attisées par les frasques monarchiques répétitives, en parfait décalage avec les dures conditions de la réalité quotidienne de la multitude de leurs concitoyens et qui gangrènent inexorablement les assises de leur pouvoir.
Les Arabes ont trop souvent sacrifié la stratégie à des succès tactiques à court terme. Au point que l’un des plus actifs partisans de la diplomatie pétitionnaire, Leila Shahid, déléguée de l’autorité palestinienne auprès de l’Union européenne, a admis l’échec de leur stratégie après la dernier offensive anti israélienne contre Gaza. Pour leur malheur et celui des peuples en lutte pour leur liberté.
Au-delà de leur discours de légitimation respectif (Wilayat al Faqih pour les Iraniens, idéologie du Tawhid pour les Saoudiens), une analyse concrète d’une situation concrète tendrait à constater que l’Iran dispose d’une autonomie de décision, de par son statut de puissance du seuil nucléaire.
L’Arabie saoudite, elle, est sous protectorat américain. Et le Clan Hariri au Liban, une excroissance de l’Islam wahhabite et sa délocalisation dans un pays à système pluraliste. Des faits indiscutables.
Ni théologien ni linguiste, le signataire de ce texte laisse toutefois le mot de la fin à plus compétent que lui en la matière pour traiter de la différence entre chiites et sunnites :
« Les religieux chiites reçoivent une éducation beaucoup plus rigoureuse que les clercs sunnites. Ils ont une solide formation dans les sciences théologiques. Ils apprennent la logique aristotélicienne avant le Coran. La théologie est beaucoup plus vivante dans la communauté chiite. (…) les Chiites sont plus théologiques, les sunnites sont légalistes. Et les Chiites ont leur ‘histoire de passion’ avec Hussein et Ali. C’est une invitation à réfléchir sur la nécessité de la justice. », (Cheikh Tarif Al Khalidi, Professeur de civilisation musulmane à l’Université Américaine de Beyrouth).