Turquie, l’archange déchu de l’Orient…
Quelle étrange combinaison que celle qui unit la République de Turquie à l’État islamique… au terme d’une politique hasardeuse… en apparences du moins…
Une errance qui, trois années durant, a mené Ankara d’un extrême à l’autre…
D’un dédain affiché pour le « Printemps arabe » à une volonté proclamée de s’ériger en nouveau pivot du Monde arabo-musulman.
D’une absence remarquée au chevet du grand carnaval libyen à l’envoi par bateaux entiers de caisses de fanions rouges et lunes blanches… que les insurgés, dégoûtés, ont abandonnés dans leurs boîtes de planches sur un coin du quai de Benghazi.
D’une romance inconditionnelle avec Damas à un soutien à peine voilé –sans jeu de mot- à la révolution syrienne.
De sa vieille accointance avec Washington et la belle Bruxelles -qui ne l’a jamais véritablement aimée- à une alliance de facto avec l’État islamique dont les réseaux djihadistes ont déjà commencé de frapper les capitales atlantistes, au club desquelles s’est affiliée l’indigne –ou pas- héritière d’Atatürk, et ce nullement par le hasard de l’Histoire…
Sans prendre en compte le jeu complexe de trahisons et d’amitiés vénéneuses auquel s’adonne depuis toujours l’Ottoman, lorsqu’il se penche sur le cas désormais au centre de toutes les préoccupations, celui d’un hypothétique Kurdistan peut-être un jour indépendant, mais divisé, tiraillé, balloté, entre l’Iran chiite, qui supporte la faction de Souleymaniêh, alliée de ceux de Syrie, tous deux hostiles au maître d’Erbil, le fieffé coquin, meilleur ami d’Erdogan (décodage : UPK ; PKK et PYK ; et Massoud Barzani, président du PDK – tous Kurdes ; tous d’allégeances ennemies).
La République de Turquie, en fripouille philanthrope, s’approvisionne en or noir de contrebande auprès des « Fous de Dieu » qui vocifèrent à ses frontières ; elle se joue ainsi de Mister Magic, le premier président noir de la nouvelle Babylone qui, mis à part son sens inné de « la com’ » -bien qu’à la longue finalement éculé-, ne laissera rien dans l’Histoire –toujours elle…- que l’image d’un fantoche au teint grisé soumis aux diktats de Tel-Aviv.
Et Ankara, toujours membre de l’OTAN, de rejoindre paradoxalement le Traité de Shanghai, une organisation qui, depuis la fin des années 1990, a progressivement rebipolarisé les relations internationales et se veut, avec la Russie, la Chine et l’Iran en tête, un contre-pouvoir de plus en plus actif face à l’avancée vers l’est de l’Alliance atlantique, à « l’impérialisme américain » au Moyen-Orient et au dollar US comme monnaie-refuge mondiale.
Qui comprend, au Moyen-Orient, la politique de l’archange prometteur en définitive déchu par le fait de son inconséquence ?
Aujourd’hui, le petit poucet ottoman n’inspire plus confiance : à trop avoir trahi dans toutes les directions, Ankara, qui voulait -espérait !- remplacer Le Caire dans son rôle majeur de plaque-tournante diplomatique –et militaire ?- régionale, se retrouve à calculer comme une vieille maquerelle pour résoudre son déficit énergétique en se prostituant sans probablement le savoir trop bien –souhaitons-le du moins- à l’État islamique ; et à broder de la dentelle noire du sang séché des rebelles syriens…
Et de se refermer sur ses petits soucis intérieurs, sur les querelles de famille qui, comme souvent au pays du loukoum, s’achèvent en fin de soirée, après quelques verres de raki fermenté, à pleurer sur la mémoire d’Atatürk.
Le pauvre vieux héros ! Que nous ne plaindrons pas trop, cependant, en souvenir du massacre des Chrétiens grecs de Smyrne incendiée, avec le concours de la meute kurde –que l’Histoire est taquine-, sur l’ordre du grand démocrate laïcisant et que l’Histoire –tiens, encore elle !- a su précautionneusement oublier.
Laïcité, révolte des étudiants et des mineurs de fond, répression gouvernementale, disparitions forcées, mères qui implorent Erdogan de leur rendre qui son mari arrêté par les forces de police et jamais relâché, qui son fils emporté par les mêmes et toujours pas revenu… Erdogan n’a pas de leçon à recevoir de son illustre prédécesseur à la tête de l’État barbare, son prédécesseur qui –lui aussi- en était progressivement venu à l’idée de l’unipartisme (le mythe a décidément bien des casseroles au cul)… Et puis, déjà, le petit moustachu d’Ankara doit affronter les premiers revers d’un libéralisme effréné, qui n’aura connu que son temps.
D’ordinaire, seule une guerre aide un gouvernement à s’extirper de pareille banqueroute morale et politique.