Rien de très nouveau dans la marmite libanaise, où bouillonnent, à petit et grand feu, les complots, les antagonismes et intégrismes sunnito-chiites, les bras de fer et opportunismes maronito-maronites, les violations en série de la démocratie par la re-reconduction anticonstitutionnelle de la Chambre, l’insécurité alimentaire, les inondations urbaines à chaque pluie diluvienne à cause d’une infrastructure à l’image de la superstructure…
Rien d’étranger à ce qui était déjà annoncé sur le plan sécuritaire, à savoir un déplacement des hostilités d’Ersal au centre touristique de Tripoli, à la troisième semaine d’octobre, entre l’armée libanaise et les âmes damnées libanaises sunnites du Front al-Nosra et de l’État islamique. Hostilités qui se sont soldées par la domination de la troupe qui a investi les souks de la ville et éradiqué les terroristes sans avoir pu cependant mettre le grappin sur les têtes d’affiche hirsutes, et notamment sur Chadi Mawlawi, le même antihéros qui avait été arrêté par l’armée le 12 mai 2012 pour appartenance à al-Qaëda, dont l’arrestation avait mis le feu aux poudres entre les secteurs tripolitains rivaux de Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen et dont la libération, une semaine plus tard, sous la pression de la rue sunnite et d’influentes personnalités politiques, avait donné lieu à des parapluies géants de feux d’artifice à la place centrale al-Nour de Tripoli.
Il s’est avéré, plus de deux ans plus tard, que les accusations portées contre lui étaient fondées, et les démentis de ses partisans, mensongers.
Et l’on continue de qualifier Tripoli de « ville modérée »…
Si les forces d’élite de l’armée ont réussi à démanteler les réseaux affiliés à al-Qaëda dans la deuxième ville du pays et à nettoyer les foyers visibles d’infection, la question de l’évasion de Chadi Mawlawi reste posée, soutenue par les rumeurs selon lesquelles un arrangement s’est conclu avec quelque « parrain » et notable de la ville (ou quelques). Encore heureux que les appels à la défection des soldats sunnites de l’armée, lancés par le Front al-Nosra et le porte-parole des brigades Abdallah Azzam, relayés par le cheikh salafiste wahhabite de Minié et imam de la mosquée Haroun, Khaled Hoblos, qui relève de Dar el-Fatwa (!), n’aient pas trouvé d’écho au sein de l’armée, qui n’a connu jusque-là qu’une demi-douzaine de désertions. En espérant qu’on en reste là.
Passons des souks historiques dévastés de Tripoli au centre-ville de Beyrouth, où une poignée de cœurs de la société civile ont été dévastés de voir des réélus de leur propre chef se faire ré-réélire derechef ; un certain triste 5 novembre 2014 qui a vu une république déjà décapitée (sans président) se saborder.
Ce qui a encore une fois poussé des activistes de ce que l’on appelle vaguement la « société civile » à projeter de coûteuses tomates sur des vitres teintées, aveugles, impassibles, imperturbables, en route vers un parlement bon à parler et mentir au peuple… ou ce qu’il en reste ; car un peuple ne permettrait pas un meurtre de cette ampleur, surtout s’il s’agit d’une récidive, mais la foule, hélas, oui, qu’il convient de distinguer du peuple (« Ah ! Le peuple est en haut, mais la foule est en bas » – Victor Hugo). La foule, c’est cette majorité qui a laissé faire, impunément, le crime, en ce triste jour pour la démocratie. La foule, majoritaire, c’est la clientèle de ces récidivistes sur laquelle ces derniers comptent, en tant que patrons politiques, pour se faire reconduire en échange de services communautaires. Le « peuple », minoritaire, c’est cette poignée d’activistes des droits de l’homme, des élections démocratiques, de l’alternance au pouvoir, de la transparence, c’est ce « Mouvement civil pour la justiciabilité » (Civil Movement for Accountability), abandonné à lui-même, qui s’échine, impuissant, noyé dans la masse informe de la foule amorphe, à réclamer justice, à lancer des tomates sur des réélus d’office alors qu’il devrait les lancer sur leurs électeurs, sur la foule.
Vox populi, vox Dei ? J’en doute, lorsque sommé de choisir entre Jésus et Barabbas, il y a deux mille ans, le peuple, ou plutôt la foule, a choisi Barabbas.
Les députés du « Courant Patriotique Libre», apparemment hostiles à cette reconduction ont, il est vrai, logé un recours en invalidation auprès d’un Conseil constitutionnel qu’ils savent invalide, mais cette démarche s’inscrit dans un long parcours démagogique, ne s’étant pas accompagnée de la démission des députés contestataires. Espérons, pour nous, et non pour eux qui ne le souhaiteraient pas in petto, que le Conseil sera en mesure d’assurer le quorum cette fois-ci afin de statuer sur cette violation des principes démocratiques les plus élémentaires, sur cette confiscation illégale et illégitime des voix du peuple (à distinguer de la foule). Les autres partis et courants politiques des deux bords, qui se sont unis rien que pour l’occasion, brandissent une fois de plus le motif de nécessité, étant donné l’état sécuritaire, et ce dans le but d’éviter le vide institutionnel, sans répondre à la question de savoir pourquoi il a fallu rajouter une rallonge de deux ans et sept mois au mandat de la Chambre.
Ce cas de force majeure est-il destiné à durer si longtemps ? Ces violeurs de chambre n’auraient-ils pas pu s’engager à dégager dès que la situation sécuritaire le permettra ? Mais en fait, personne pour poser la question.
Et comme « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille » (Jacques Chirac), il a fallu un scandale alimentaire à l’échelle nationale pour ajouter à l’angoisse existentielle et secouer le secteur de la restauration, partant ceux de l’économie et du tourisme. Il a fallu mettre dans la cocotte-minute, déjà sous haute pression, des matières premières frelatées, voire des « matières fécales » aux dires du ministre de la santé libanais Waël Bou Faour, dont le ministère a conduit des opérations d’inspection sur environ un millier de restaurants et supermarchés du territoire libanais pour annoncer, après analyse des échantillons en laboratoire, que le Liban est une vaste culture microbienne et que nous, Libanais, mangeons de la merde.
Mais le choc et l’effet de surprise passés, il s’est avéré que des catégories alimentaires précises sont pointées du doigt, telles que le poulet chez telle enseigne, la viande de bœuf chez telle autre, etc., avec pour nouveauté d’avoir nommé les contrevenants, tout de go, et sans autre forme de procès, faisant fi des risques de généralisations dont ceux-ci seraient victimes de la part de la clientèle et des conséquences désastreuses sur le secteur alimentaire et sur la psychologie du consommateur.
Alors que dans les pays modèles un avertissement discret est adressé au commerçant, des enquêtes judiciaires sont entreprises selon le principe de la présomption d’innocence, afin de s’assurer du coupable ou de remonter la piste pour mettre la main sur le vrai fautif, voici que des accusations à l’emporte-pièce, à caractère sensationnel, sont lancées de la part du ministre, lesquelles viennent semer la panique chez les citoyens et causer d’irrémédiables dommages collatéraux parmi les restaurateurs, y compris les enseignes les plus notoires.
Car il convient de noter que la chaîne alimentaire est longue et remonte bien loin, jusqu’aux abattoirs qui, soit dit en passant, ne sont pas soumis à des règles d’hygiène strictes, ni à un contrôle de la qualité systématique de la part de l’État libanais. À la décharge des commerçants et des restaurateurs, en effet, il n’existe pas une loi moderne, à jour, sur la sécurité alimentaire avec des critères et des standards bien définis, pas de commission nationale investie du rôle de faire appliquer ladite loi et de mettre en place les dispositifs du contrôle qualité en matière alimentaire. Il existe un projet de loi daté de 2003, du nom de son initiateur, feu Bassel Fleyhane, ministre de l’économie de l’époque, examiné en commission parlementaire, mais entravé par des ministres qui y ont vu une menace aux prérogatives de leurs ministères. Si la démarche du ministre actuel de la santé pour la sécurité du consommateur est louable, il n’en demeure pas moins que celle-ci a trébuché sur le double plan éthique et méthodologique.
Éthique, en rendant publique l’identité des établissements sans avertissement préalable et sans verdict formel des autorités compétentes, portant ainsi atteinte à la réputation du commerce, partant à sa viabilité et celle des travailleurs. Méthodologique, en procédant à des inspections et des analyses sans un protocole normatif et transparent, porté à la connaissance du public et des experts.
À titre d’exemple, la salmonelle découverte sur un échantillon de poulet est-elle le produit d’une contamination dans l’aire de préparation du restaurateur ou celle du fournisseur ? Car dans le second cas le restaurateur n’y est pour rien (ou presque), à moins qu’il ne lui soit demandé de procéder à l’analyse en laboratoire de toutes les matières premières et denrées qu’il réceptionne. D’où la nécessité de procéder au contrôle des points critiques de toute la chaîne alimentaire, en remontant à la source première (la ferme, l’abattoir, les plantations…), et d’imposer une norme de certification à tous les acteurs de ladite chaîne.
Et quelque part ailleurs, sous ce vaste couvercle embué, il y a des étudiants zélés qui se sont offusqués d’avoir été privés de leur droit de vote aux élections annuelles estudiantines, celles-ci ayant été, cette année, annulées par des établissements de renom pour des raisons de sécurité à l’intérieur des campus. C’est que ces étudiants insistent, comme à chaque année, à se crêper la barbe ou le chignon à la veille, durant et après cet exercice qu’ils appellent démocratique et qui n’est autre qu’un alignement aveugle et panurgiste de « clients » (et non d’étudiants) pour tel ou tel patron politico-communautaire extérieur, aux dépens de leur propre cause étudiante, sacrifiée au bûcher des causes narcissiques patronales, sous couvert patriotique. Or, le message adressé par la direction de l’université se résume à inviter les étudiants à s’exercer à la démocratie avant de la pratiquer. En espérant que leurs aînés s’y invitent aussi, étant encore plus concernés.
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… » (Charles Baudelaire)
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Dans des pays qui se respectent ou qui prétendent à la respectabilité, comme par exemple en Europe, il y a une “””traçabilité””” des produits alimentaires, surtout en ce qui concerne la viande, produit de première nécessité pour des populations à l’aise financièrement. Des reportages ont été faits sur le sujet de la “””traçabilité””” et l’on constate par exemple dans une simple tranche de jambon, après une analyse d’ADN, au moins trois sortes d’origine de viande. Les animaux sont emmenés à l’abattoir dans un pays, et la carcasse est acheminée par avion dans un autre pays pour finalement être préparée dans un troisième pays, à la mise sur le marché. Cela veut dire que le produit mis sur le marché est analysé, et la sécurité alimentaire du consommateur est très prise en compte. Malheureusement, nous sommes au Liban ou les droits du consommateur sont piétinés par une négligence scandaleuse des principes élémentaires de sécurité alimentaires. Nous manquons des abattoirs modernes, et signe des de l’insalubrité de l’abattoir de Beyrouth, cette odeur pestilentielle qui nous prend à la gorge dès qu’on traverse la zone du maslakh. C’est un scandale et je me suis demandé comme tout autre touriste, comme peuvent vivre toute une population dans le voisinage de l’abattoir. Comment ne pas se demander sur l’avenir de toute une population à la merci d’une telle négligence, et les maladies transmissibles, et la prolifération des rats dans les alentours signe d’une “”dégénérescence””” des autorités publiques, et voici qu’un ministre s’autorise par simple présence sur l’écran à énumérer les restos qui ont failli à l’hygiène. Cela s’appelle de la démagogie, et qu’il faut par exemple, procéder autrement que par la simple dénonciation des établissements soupçonnés d’avoir failli à l’hygiène. Le dénigrement ne sert à rien…..