La Tunisie, grand berceau de civilisations, est entrée de plain-pied et de plein droit dans le cercle des nations qui ont bouleversé le cours de leur histoire par des révolutions qui ont permis à des millions d’âmes de s’affranchir du joug du despotisme et de battre en brèches les forteresses de l’arbitraire. Après la révolution iranienne de 1979, des analystes se sont aventurés pour décider en lieu et place de la dynamique de l’histoire que, plus que jamais, il n’y aurait de révolution populaire. La révolution tunisienne de 2010-2011 est venue démentir cette prophétie.
Grandeurs et misères
Ce moment, tournant de l’histoire de la Tunisie contemporaine, a été affublé de ce sobriquet, la « Révolution du Jasmin », très vite remplacé par le « Printemps arabe », après que l’élan révolutionnaire a gagné d’autres lieux.
Qui sont les maîtres d’œuvre et les sous-traitants de cet ouvrage intrinsèquement grandiose ? Quelles sont les forces occultes qui ont œuvré dans l’ombre pour saper les fondements de l’élan moderniste pris par la Tunisie depuis plusieurs décennies ? Les meutes de prédicateurs faux-dévots à la solde de ploutocrates véreux qui ont afflué pour altérer le paysage verdoyant tunisien et le polluer ont vite dévoilé le plan diabolique de leurs commanditaires, qui les ont chargés de valises emplies de fausse-monnaie, qu’ils ont distribuée à volonté et à tout vent. Cette manne maudite était destinée à « ré-islamiser des renégats et des apostats en manque de supplément d’âme ».
Les faux monnayeurs
Mais ce plan s’est soldé par un échec cuisant, par le fait d’une veille et d’une vigilance à toute épreuve de la société civile et des modernistes de tous bords.
Les conspirateurs haineux installés outre-méditerrané et dans les déserts arides ont reçu un camouflet cinglant : leur fausse monnaie, frappée sous le soleil ardent du désert et dans les think-tanks d’outre atlantique, n’a tenté qu’une poignée de fourvoyés qui se sont empressés d’aller grossir les rangs des combattants de la guerre sainte en Syrie.
Cette fausse monnaie n’a charmé qu’une infime minorité et les Tunisiens ont élu leur Assemblée nationale Constituante, qu’ils ont mandatée pour rédiger une constitution dans le délai d’un an.
Mais le plaisir du pouvoir a duré trois ans, tandis que les bavures et les erreurs de gestion se multipliaient, que l’État s’effondrait et que le pays sombrait dans le chaos. En effet, l’agonie a été longue, mais elle n’a pas mené la Tunisie jusqu’à trépas : augmentation du coût de la vie, violence, assassinats de militants de gauche… et la recrudescence du terrorisme… mais l’État, bien qu’affaibli par la perte de son autorité, n’a pas succombé aux coups durs qui lui ont été assenés.
Dans ce magma effervescent qui échauffe les esprits, dans cette mer houleuse où le navire Tunisie tangue, un souffle de liberté, bien que débridée, est venu soulager les âmes et leur donner l’espoir d’un rebondissement salutaire. Toutefois, les faux monnayeurs de l’extérieur ont décidé d’agir autrement et de laisser la place à leurs délégués de l’intérieur.
La fabrique de la fausse monnaie ne doit aucunement cesser de tourner. Citons en premier lieu l’idée de la restauration du califat. Cette nouvelle fausse monnaie a été reçue par les Tunisiens avec indignation et mépris ; mais ses zélateurs ne baissent pas la garde et ne se lassent pas d’appeler à boycotter les élections présidentielles, arguant que la démocratie est une hérésie et une innovation blâmable de l’occident mécréant.
Les motivations mercantiles et bassement matérielles de ces zélateurs ne sont un secret pour personne. À cela s’ajoutent l’insouciance, l’inconsistance et l’inconscience de plusieurs candidats aux présidentielles, qui se sont rués dans une course au pouvoir.
La monnaie qu’ils distribuent est, pour le moins qu’on puisse dire, venimeuse, puisque le jeu qu’ils jouent est attentatoire à l’unité nationale par le discours scissionniste et diviseur du pays en sud pieux, révolutionnaire, et en nord mécréant et réactionnaire. Fort heureusement, cette fausse monnaie, tant distribuée sur les médias et les réseaux sociaux, trouve difficilement preneurs, puisque le commérage qui assure sa promotion n’a pas mordu et s’est révélé un expédiant sans lendemain.
L’histoire récente de la Tunisie indépendante est aussi invitée à mettre la main à la pâte puisque certains illuminés ont cherché à convaincre l’électorat, par l’évocation des victimes du Youssefisme (scission politique parue vers la fin des années cinquante et le début des années soixante). L’objectif est de discréditer un candidat aux présidentiellex porté gagnant ; et de jeter sur lui l’opprobre.
La démagogie et le populisme ont aussi leurs usines, qui distribuent des promesses à l’emporte-pièce, le pain à cent millimes de dinar tunisien (vingt centimes d’euro), la gratuité totale des soins médicaux, etc.
L’intelligence vaincra-t-elle ?
Mais ce qui est beaucoup plus déplorable c’est le « droit-de-l’hommisme » dont la noblesse a été galvaudée pour devenir elle aussi une fausse monnaie dont tout le monde se détourne.
Dans tout cela, la raison de l’égo amplifié et l’ambition démesurée remplacent le sens de l’État. Pour ne pas accuser la main secrète qui diligente les pyromanes et pour ne pas tomber dans la théorie du complot et la rhétorique de la prévarication, disons que, si toutes ces monnaies ont pu exister, c’est parce qu’il y a vraiment en Tunisie, chez certains, un déficit de patriotisme qui vient s’ajouter à un déficit de connaissance.
Mais, la Tunisie intelligente saura combler tous ces déficits et sortira victorieuse de l’épreuve ; elle aura raison des minorités frappées d’ineptie et de cécité et des faux analystes qui troquent les intérêts de leur pays contre une poignée de dollars, de vrais dollars, ceux-là…
En Tunisie, la bonne monnaie finira par chasser la fausse ; point de place pour le cynisme, les petits calculs d’épiciers et les conflits identitaires meurtriers.