La polémique, qui oppose le ministre algérien de la Communication à certaines entreprises de presse privées, vient à point nommé poser la problématique du rôle de l’État dans la régulation du secteur médiatique. Un secteur où tout n’est pas clair, en termes de déontologie ou de respect du droit des citoyens à une information objective…
Car, à moins de faire dans l’angélisme, se situer dans l’absolu des nobles idéaux des libertés publiques est difficile, ou proprement naïf, quand il est patent que l’argent n’est pas, loin s’en faut, le parent pauvre des motivations qui animent les patrons de presse, en Algérie comme dans le monde.
Pourtant, il faut « faire avec » ; c’est un mal nécessaire, dans un contexte où l’humanité reste soumise aux lois du capitalisme, en attendant que naisse une société débarrassée de l’appât du gain en tant que moteur de son fonctionnement. Il faut « faire avec » pour que, malgré la pollution du profit, les idées et les opinions s’expriment.
Quid, alors, des ressorts de la polémique ?
Commençons par un regard en dehors du pays. En France, pour 2013, le chiffre de 10,2% de baisse de la publicité, donné par l’Irep (Institut de Recherches et d’Études publicitaires) et France Pub, est jugé catastrophique pour la presse quotidienne papier en particulier. Il en est de même à l’échelle internationale, où les médias enregistrent des pertes financières substantielles.
En Algérie, si ce phénomène a pu être contagieux, puisque la manne publicitaire privée, destinée à la presse écrite, a commencé à se tarir depuis quelques mois, il y a aussi des caractéristiques propres au pays, dont un environnement encore très pauvre en matière de demande d’espace. Les raisons peuvent se trouver, de même, dans les modifications qu’a connues le marché, alors que les gros annonceurs sont encore très peu nombreux pour assurer un carnet de commande à la mesure de l’offre. Une offre qui s’est brutalement démultipliée à travers l’irruption de la dizaine de chaînes de télévisions privées, de la prolifération des panneaux publics d’affichage, des journaux en ligne et de la téléphonie mobile qui pointent du nez.
Même s’il y a une opacité dans le domaine, on peut supposer qu’à elles seules, les deux premières formes de supports, qui touchent un public infiniment plus large, ont contribué, sans doute, à s’accaparer une bonne part, si ce n’est la plus grosse, du budget de la communication des entreprises. Les titres qui ont connu une baisse drastique de leurs recettes en publicité, sans préjuger de leur santé financière, ne pouvaient par conséquent que se tourner vers leur ancien pourvoyeur : l’État…
Les « insurgés », les premiers sur la place, tous issus de l’ex-presse unique et de la politique volontariste du gouvernement « réformateur » de Mouloud Harouche, à la suite de l’ouverture dite « démocratique », avaient bénéficié d’un soutien massif et multiforme, pour construire de véritables entreprises de presse : mise à disposition de locaux, subventions ou exonérations de toutes sortes, et surtout garantie d’octroi par l’ANEP (Entreprise nationale d’Édition et de Publicité) de la publicité, au moins institutionnelle.
En quelques mois, les effets de cette rente providentielle se sont fait sentir en termes de rentabilité des organes concernés. En bonus, les charges étaient presque nulles durant la période de lancement et l’État était très peu regardant sur les conditions de travail des journalistes et sur le respect du code du travail. Il faut dire que la situation sécuritaire, qui prévalait à l’époque, dans les années 1990, ne laissait pas de place à d’autres considérations que de combattre les groupes armés islamistes, sur tous les terrains, dont le terrain médiatique bien sûr !
La diminution de la violence et son confinement, les décantations politiques, autorisent les divergences entre les alliés d’hier de se manifester au grand jour. Certains journaux ont commencé à devenir « impertinents » selon le mot de l’un de leurs directeurs. En réaction, une mesure est prise qui les exclut du bénéfice de la publicité des entreprises et institutions publiques.
Particularité, l’information au sens propre a fini par ne plus être la mission principale et « l’impertinence » a même atteint des sommets, lorsque ces journaux se sont mis à se comporter en opposition déterminée à abattre le pouvoir en place. Au point de suppléer avantageusement une classe politique à l’indigence avérée. D’organes de presse, ils se sont mués en organes centraux d’un parti qu’il suffirait de doter d’un statut ; et, lorsqu’éclate le « Printemps arabe », ils appellent ouvertement à la sédition populaire, dans la foulée de la chute de Zine El Abidine Ben Ali, en Tunisie, à soutenir ouvertement l’agression de l’OTAN contre la Libye et à entretenir une propagande permanente anti-pouvoir et pour un changement radical du « système ».
Aujourd’hui, arguant de difficultés financières, les médias jettent sur la place publique le problème de la publicité. Leur cheval de bataille est de reprocher au pouvoir de soutenir des « petits journaux » et de l’accuser d’avoir intimidé les annonceurs et de revendiquer une part du marché de la publicité détenu par l’ANEP.
Pour l’attaque contre leurs pairs, il faudrait leur reconnaître d’abord la qualité de « grands journaux », ce qui relève d’un débat plus compliqué que de se baser sur la seule notoriété en occultant la qualité du contenu. Pour l’accusation, il faudrait soit être dans le secret des dieux, soit enquêter auprès du secteur privé, pour la confirmer ou l’infirmer. Pour la revendication, elle pose le problème de savoir s’il est possible d’user, en tant que pouvoir, de cette forme de pression pour contrer l’hostilité subie.
Tout ceci, quand le pluralisme médiatique constitue une condition sine qua non de l’implémentation d’un débat contradictoire, quand on doit plutôt éduquer le citoyen dans la diversité et quand les réponses à donner doivent être du même ordre que les attaques.
Ce qui suppose pour les autorités de hisser leur mode de communication au niveau des exigences de la société.
À moins, bien sûr, d’être tenté d’user des méthodes du monopole, qui sévit sur le monde et qui n’a laissé de la liberté de la presse que ce monologue dicté par les puissances de l’argent et par les stratégies atlantistes.