Porté disparu en Syrie depuis huit mois, le père jésuite Paolo Dall’Oglio avait pris fait et cause pour l’opposition démocratique syrienne. Ce prêtre italien de 59 ans a été enlevé près d’ar-Raqqa (nord), le 27 juillet 2013, alors qu’il était entré clandestinement dans le pays. Paolo ne manquait pas de souffle et était un peu trop sûr de lui… Ce jour-là, il avait demandé un rendez-vous à l’émir Abou Bakr al- Baghdadi. Retour sur un personnage d’ombres et de lumières…*
Il se croyait intouchable par les rebelles, car il avait pour lui son nouveau militantisme contre le régime de Bachar al-Assad, son engagement pour le dialogue islamo-chrétien qui lui avait valu de nombreux ennemis dans le camp chrétien, sa création d’une communauté œcuménique dans laquelle se fréquentaient les deux religions monothéistes, au sein d’un ancien monastère, celui de Mar-Moussa, près de Damas, et, surtout, une rage incommensurable mise au service de l’insurrection, ce que le régime ne le lui a jamais pardonné.
Il avait d’ailleurs été expulsé de Syrie sur ordre du gouvernement de Bachar al-Assad et s’était réfugié sans attendre en « zone rebelle », où il se sentait « chez lui », et notamment à Raqqa, où il s’était rendu à plusieurs reprises et où il comptait des amis pour l’héberger.
Quand il s’y rendit pour la dernière fois (pour la troisième fois, semble-t-il), Paolo était bien conscient des risques qu’il encourrait : dans un courriel, il avait au préalable fait part à une amie d’enfance de son intention d’entamer le dialogue avec un haut responsable de Daech. Avant son enlèvement, il avait même participé à une manifestation d’étudiants contre le régime de Damas, en soutien à la ville de Homs, laquelle n’avait pas encore été reprise par les forces loyalistes qui, à l’époque, l’assiégeait toujours.
Depuis qu’il a pénétré dans ar-Raqqa, le Père Paolo Dall’Oglio n’a plus donné signe de vie… Il avait certainement moins d’amis qu’il le croyait.
Daech a toujours cru que les étrangers qui essayaient de se rapprocher de son organisation pouvaient être des espions. Par ailleurs, avant de s’emparer des régions pétrolifères d’Irak, la recherche d’otages prestigieux était aussi un objectif de l’organisation, ressource susceptible de lui procurer les revenus dont l’EI avait tant besoin.
Paolo savait d’ailleurs qu’il était surveillé, de tous côtés. Après l’avoir « utilisé » -le prêtre était devenu une des figures emblématiques de la télévision d’État syrienne-, lorsqu’il tentait de concilier les deux grandes religions monothéistes qui se partagent les fidèles en Syrie (ce qui ne déplaisait pas au pouvoir baathiste), le régime syrien l’a immédiatement rejeté -et haï-, quand Paolo à commencé à critiquer violemment le régime de Bachar al-Assad. Suite à ces critiques acerbes de la politique gouvernementale, il a effectivement été sommé de quitter la Syrie, en juin 2012, non sans se prêter à un grand « battage » médiatique, exercice qu’il ne détestait pas, donnant par exemple son sang, devant les caméras du monde entier, pour les rebelles blessés par les troupes de Bachar.
Cette décision d’expulsion l’a radicalisé ; il s’est ainsi lancé dans une campagne médiatique de grande envergure, se produisant dans toutes les capitales occidentales qui vilipendaient alors le régime syrien, dépensant des sommes importantes pour couvrir ses nombreux déplacements et billets d’avion et multiplier les apparitions télévisées et les rendez-vous diplomatiques, ce qui faisait dire à ses ennemis qu’il était financé par Doha (« C’est un chrétien financé par le wahhabisme qatari ! », affirmaient-on parfois). Paolo s’est aussi affiché en « grand ami » de Laurent Fabius, qui adoptait en ce temps-là une posture radicalement anti-Assad.
Le « Père Paolo » était devenu une star… Bien loin, désormais, du message chrétien et de ses enseignements à propos de l’humilité, qu’il professait au monastère de Mar-Moussa, où il prônait la simplicité et la pauvreté.
Personnage complexe, ambivalent à l’extrême et à plusieurs facettes, le Père Paolo semble être tombé de Caribe en Sylla : il ne faut pas croire que tous les Sunnites l’admiraient. Beaucoup de conservateurs, parmi eux, dans le camp des Frères musulmans comme dans celui des salafistes, le percevaient comme un communiste exalté, jamais « guéri » de ses débuts en Italie. Et probablement aurait-il dû comprendre que Daech, dont l’idéologie totalitaire n’admettait aucune place pour le dialogue islamo-chrétien, n’était un partenaire ni potentiel, ni fiable.
Dans les communautés chrétiennes de Syrie également, ses soutiens n’étaient pas aussi nombreux qu’il l’avait espéré : ses thèses œcuméniques lui avaient valu une comparution devant le tribunal de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui fut à deux doigts de l’excommunier, mais finit par accepter les statuts d’al-Khalil, sa communauté, en faveur d’un rapprochement entre Chrétiens et Musulmans. En syrie, cependant, le jugement de ses coreligionnaires fut plus sévère : la plupart des Chrétiens le fustigeaient, le considérant comme un traitre à sa religion, pour avoir sympathisé avec les cheikhs, pour avoir épousé longtemps la mystique soufie et présenté Mahomet non comme un infidèle, mais comme un nouveau prophète, dont le message s’adressait aussi aux Chrétiens qui devaient s’en inspirer pour « évoluer ».
Paolo Dall’Oglio, en effet, a toujours recherché des espaces fusionnels entre les deux religions et des sources communes se prêtant à l’invention d’une forme de syncrétisme qui aurait permis d’affirmer une communauté originelle aux deux religions monothéistes. Le considérant excessif, la hiérarchie chrétienne de Syrie l’avait mis à l’index, à commencer par le patriarche grec-catholique de Homs, qu’il avait accusé de corruption. Une mise à l’index confirmée ensuite par la quasi-totalité des prélats orthodoxes et catholiques d’Orient, au moment, surtout, où de nombreux Chrétiens commençaient d’être massacrés par les djihadistes syriens, ceux-là mêmes qui devaient progressivement s’organiser au sein des deux organisations dominant le djihad en Syrie : Daech et Jabhet al- Nosra.
Le bilan s’est rapidement alourdi : des centaines d’églises détruites en Syrie, et en Irak, la communauté arménienne d’Alep en fuite et presque anéantie dès 2012, le quartier chrétien de Damas bombardé plusieurs fois par semaine depuis trois ans, sans que les gouvernements d’Europe ne s’en émeuvent, des milliers de Chrétiens disparus à travers tout le pays, les monastères de Maloula, chefs d’œuvre des premiers siècles du christianisme oriental, dévastés et pillés…
Le Père Paolo détonnait ainsi singulièrement, alors que les Chrétiens de Syrie, effarés par ces crimes et exactions répétés, s’étaient in fine jetés dans les bras de Bachar al-Assad, qu’ils soutiennent désormais, avec une détermination bien plus profonde ferme qu’en 2011.
Paolo Dall’Oglio n’a-t-il pas pécher par orgueil ? Lui qui animait depuis Dubaï une émission sur Orient-TV, appelant régulièrement les Chrétiens d’Orient, minoritaires, à se rapprocher des Musulmans, majoritaires. Un message inaudible pour les Chrétiens d’Orient, dans le contexte que l’on sait…
Il ne faut pas s’étonner, en effet, dans ce contexte tragique et face au mutisme généralisé de l’Occident sur le sort des Chrétiens du Levant abandonnés, n’était l’exception des appels désespérés du pape François, que les ces derniers se soient tournés vers la Russie de Vladimir Poutine.
Contrairement au peuple juif, qui a pu constituer une patrie et consolider un État, les Chrétiens d’Orient, trop dispersés géographiquement et trop divisés entre de trop nombreuses Églises rivales, n’auront probablement jamais cette opportunité.
Ils sont désormais exposés à une mort certaine ou à la déportation, volontaire ou contrainte, et c’est en masse qu’ils quittent aujourd’hui leurs ancestrales terres d’Égypte, d’Irak, de Syrie, du Soudan ou de Libye…
* À paraître prochainement : Jean-Pierre ESTIVAL, Ces Chrétiens d’Orient que nous avons assassinés, aux éditions L’Harmattan.
2 Comments
L’interprétation donnée ne correspond pas à la réalité et me choque profondément pour avoir connu le Père Paolo, qui a été jusqu’au bout de son amour pour les Syriens, quelle que soit leur religion. A l’instar du Christ,…
L’auteur de l’article fait d’emblée une erreur importante de date, je croyais rêver .. Le Père Paolo a été enlevé en juillet 2013, et non voici 8 mois. Pourquoi ne pas expliquer le contexte ? Allez voir l’article dans LA VIE, le mieux fait sur le sujet. Paolo dall’Oglio voulait tenter une médiation, éviter l’embrasement avec l’ouverture d’un nouveau front. ..
Les églises, qui les a détruites en premier? Le régime ! pour faire croire que ce sont les extrémistes musulmans… Et d’où viennent ces derniers? Lâchés des prisons de Bachar aux permières heures de la révolution pour enflammer le pays et rallyer les opinions au régime.
Bonjour, je voudrais juste signaler qu’il existe une page FB de soutien au Père Paolo dont la quète est: “de réunir tous les éléments disponibles pour comprendre si le Père Paolo Dall’Oglio est toujours en vie et si oui, lui faire savoir notre soutien et notre inquiétude à son sujet”.
Voici le lien: https://www.facebook.com/pourlaveritesurPerePaolo
Merci.