ISRAËL – Netanyahou IV : l’enfer du décor !

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L’enfer du décor d’une victoire prévisible et cohérente de la part des Israéliens. Les élections israéliennes du 17 mars dernier ne devaient pas être des élections surprise. Sondages et spécialistes confirmaient la fin de Netanyahou depuis plusieurs jours. L’issue du scrutin devait en réalité selon les derniers sondages -et après une campagne particulièrement violente et agitée- conforter la liste de centre gauche du camp sioniste, le tandem Herzog-Livni, à la succession de l’inoxydable Benjamin Netanyahou. Intellectuels, politiques de tous bords à l’étranger, chercheurs mêmes, se prenaient à envisager un renouvellement politique à la tête de l’État hébreu. Ils croyaient à un retour de la « gauche ». En réalité, un certain nombre de spécialistes résista à l’appel d’air médiatique. Nous en étions. Et les israéliens furent près de 72% à se déplacer pour ce scrutin, un record historique. La vraie surprise.

C’était bien mal connaître l’histoire récente d’Israël, bien mal connaître l’électorat israélien, bien mal connaître le champ politique de l’État hébreu, et méconnaître encore plus Netanyahou que tout le monde pensait à terre, que de croire au retour de la gauche et du centre-gauche.

Depuis quinze ans, la droite et l’extrême droite s’enracinent, la colonisation des territoires et l’obsession sécuritaire également, dans un contexte régional incertain favorable à la droite, au nationalisme et au sionisme religieux. C’est légitime puisque la région est inquiétante. Même si Sharon avait évolué sur la fin de sa carrière politique, restant l’homme de combats et de guerre qu’il avait pourtant été depuis la guerre d’indépendance, peut-on en attendre de même de « Bibi » [ndlr : Benjamin Netanyahou] ? Est-ce seulement possible si l’on croit encore à l’adage que pour préparer la paix il faut préparer la guerre ? C’est bien évidement peu probable qu’il se mette à faire des concessions. La seule fois où il l’a fait, en 1999, il a perdu son poste.

La gauche israélienne historique est responsable de la fin programmée de l’État palestinien depuis le 29 novembre 1947 et de l’expulsion des Palestiniens entre 1947 et 1949, même si l’Irgoun et le Stern y ont largement contribué sur le terrain, nœud gordien de l’affaire ; mais également de la guerre des Six jours et de l’enracinement idéologique de la colonisation des territoires palestiniens au nom de la sécurité jusqu’à l’arrivée de la droite en 1977 et au-delà.

Faut-il rappeler que la colonisation n’a jamais cessé depuis quarante-huit ans ? Et de manière intensive y compris du temps d’Ehud Barak succédant à Netanyahou en 1999 avant de le rallier en ministre de la Défense de 2007 à 2013 et artisan des guerres à Gaza depuis 2008.

La fuite en avant de la politique israélienne jusqu’au-boutiste de Netanyahou isole un peu plus Israël du reste du monde et rend impossible toute chance de réalisation effective d’un État palestinien, probablement pourtant première source de sécurité pour l’État hébreu.

Le Likoud, symbole de l’unité du pays contre Amalek

Il y’a des degrés de radicalité dans les différents partis politiques de droite, nationaliste, sioniste religieux et messianiques en Israël. Mais celui qui, à droite aujourd’hui, -et de longue date- fédère le plus les Israéliens « de droite » et reste le plus grand parti de gouvernement, c’est bien le Likoud.

Contrairement à d’autres comme Kadima, parti de droite, qui finit par rallier la gauche en 2006, le Likoud reste le meilleur garant de l’unité de l’électorat de droite décomplexé. À part en 1999 (19) et en 2006 (12), le parti actuel de Netanyahou, depuis 1973, est rarement descendu en dessous de la vingtaine ou trentaine de sièges à la Knesset. La fourchette varie : 39 en 1973, 48 en 1981, 32 en 1996 (Netanyahou devient chef de file du parti puis premier ministre), 38 en 2003, 27 en 2009, 20 en 2013 (il reste pourtant premier ministre), et 30 en 2015. Cela signifie bien que la cohérence du Likoud dans sa politique est un repère fondamental pour les Israéliens. La ligne est la même : sécurité, sécurité et… sécurité.

Cette dernière passe par la colonisation des territoires, le refus d’un État palestinien, le déclenchement de guerres préventives dévastatrices pour l’ennemi et pour l’économie du pays, la gestion économique et sociale du pays passant au second plan. Le Likoud n’a de cesse de vouloir défendre le pays contre de nombreux ennemis qui ne changent pas, quelle que soit la conjoncture : l’Iran qui pourtant revient dans le concert des nations, le Hezbollah, le Hamas, et récemment Daesh à l’arrière-plan alors qu’il est la menace numéro un pour toute la communauté internationale. Depuis son arrivée au pouvoir, Netanyahou a très rarement changé de position sur les dossiers clés qui touchent en priorité les Israéliens : pas plus d’ailleurs dans la résolution de la crise économique et sociale, que sur les questions de défense, de lutte radicale contre les ennemis, qu’en ce qui concerne l’État palestinien.

Les actes diffèrent pourtant des mots sur ce dernier dossier : dans son discours de Bar Ilan en 2009, Netanyahou soutenait la solution à deux États. Aujourd’hui, il n’y croit plus et en a fait un argument imparable de fin de campagne législative. Au fond de lui, il n’a jamais été pour. C’est cela la cohérence d’un homme, d’un parti, qui finit toujours par rassurer les Israéliens.

« S’il est réélu, Benjamin Netanyahou poursuivra la réalisation de son grand projet. Transformer ce qui est l’essence de l’esprit d’Israël. Ce n’est pas tout. Dans ses dernières déclarations, le premier ministre sortant répète qu’il ne fera plus de concessions aux Palestiniens, et que, pour lui, la solution à deux États n’est plus possible. », expliquait Charles Enderlin sur son blog, dans « L’enjeu : l’avenir d’Israël ».

Une « opposition » incohérente, déstructurée, et jetable

La liste du camp sioniste d’Isaac Herzog, fils de l’ancien président israélien Chaïm Herzog, et de Tsipi Livni, transfuge régulier de droite à gauche, a pourtant fait un score plus qu’honorable, mais pas suffisant pour remporter la victoire. Avec 24 sièges, l’Union sioniste, parti nouvellement créé, relève de ces constructions politiques propres à Israël pour tenter de gagner un scrutin.

Yech Atid, parti de centre gauche de l’ancien journaliste et ministre de l’Économie et des Finances Yair Lapid, débarqué en 2014 comme Tsipi Livni, et responsable des élections anticipées pour reconstituer une coalition forte, avait émergé en 2013 de nulle part. Il se maintient à l’issue du scrutin de 2015 à 11 sièges mais refuse de joindre la future coalition emmenée par Netanyahou.

Au-delà de la surprise de la liste arabe unie sur laquelle nous reviendrons, l’opposition de centre gauche n’est plus crédible depuis longtemps en Israël. Elle l’est encore moins depuis que la droite israélienne l’a rendue responsable d’avoir cru en Oslo, d’avoir cru en une paix possible avec les Palestiniens à l’issue de l’échec des négociations de Camp David II. Lorsque l’on regarde l’histoire des travaillistes depuis dix ans, on voit bien que le parti est éclaté et en déshérence, que ses anciens dirigeants comme Barak se sont radicalisés vers la droite et ont fondé leur propre parti aujourd’hui disparu Hatzmaout, que l’idéologie dominante des travaillistes fondateurs de l’État n’est plus en vogue, que la gauche a disparu dans le trou noir. En 2013, le parti travailliste n’obtenait que 15 sièges, alors que Yech Atid, de centre gauche, décrochait 19 sièges et s’empressait de faire alliance avec Maison Juive avant de rejoindre le gouvernement de Netanyahou ; le parti travailliste obtenait 13 sièges en 2009 et Kadima, alors devenu de centre gauche, décrochait 29 sièges, se positionnant largement devant le Likoud ; puis les travaillistes obtinrent 19 sièges en 2006, face à leur principal adversaire… qui était devenu entre temps Kadima, qui, lui, décrochait 29 sièges, laissant le Likoud loin derrière, avec 12 sièges.

C’est à n’y rien comprendre de la « gauche ».

Quant aux Arabes d’Israël, sous la bannière de la Liste arabe unifiée, ils ont obtenu cette année un score historique, puisqu’avec 14 sièges à la Knesset, ils se hissent en haut du podium, faisant de ce parti la troisième force politique, faiseur de roi avec Kulanu, le parti du transfuge du Likoud, Moshe Kahlon. Ayman Odeh, le leader de la Liste arabe unifiée, avait promis pendant la campagne, qu’il ne ferait alliance ni avec Netanyahou ni avec Herzog, mais qu’il comptait bien se présenter plutôt comme la première puissance d’opposition. Affaire à suivre.

La seule politique cohérente et continue vient de droite

On demanderait donc à la gauche israélienne qui a perdu son identité -et qui porte un passé noir à l’égard des Palestiniens pour avoir été au pouvoir pendant toute la construction de l’État d’Israël, de 1948 à 1977, et pour avoir contribué directement ou indirectement à l’effondrement de certains beaux principes humanistes du sionisme (homme neuf, pays neuf, kibboutzim, société égalitaire, etc.)- de résoudre la crise numéro un en Israël depuis sa naissance.

La gauche porte ce péché originel comme une tache indélébile dans son histoire. C’est pour cela qu’espérant échapper aux critiques et à son impuissance du temps de sa gestion des affaires, elle a tenté cette année de se présenter comme une union « sioniste ». Or, le sionisme a évolué depuis sa création. Censé être « laïc », le sionisme est devenu, en l’espace d’un siècle, nationaliste et religieux.

On peut assister à une large « théocratisation » en Israël, que ce soit dans le champ politique, dans l’armée ou dans la population. Cette invasion du religieux joue bien sûr en faveur de la droite de Netanyahou et surtout de ses alliés « traditionnels » : Shas, Judaïsme unifié de la Torah, Israel Beitenou, Maison juive. Parce que l’émergence du Bloc de la foi, avec l’arrivée de la droite israélienne au pouvoir dès 1977, a permis progressivement d’unifier défense de la sécurité et messianisme religieux dans les territoires palestiniens. L’État palestinien à ce jour, reste encore pour de larges franges de radicaux israéliens soutenant ces partis satellites d’extrême droite, la « Judée-Samarie ».

Là où l’incohérence pêche encore plus du côté de la « gauche » israélienne, c’est dans son programme des élections de 2015 : Jérusalem capitale une et indivisible d’Israël (quid de la capitale palestinienne ?) ; soutien au démantèlement des colonies sauf les gros blocs d’implantations (tel Male Adoumim, notamment, qui compromet l’État palestinien), reconnaissance d’un État palestinien mais pas sur les frontières du 5 juin 1967 et de la Ligne verte.

Il devient alors facile de comprendre que même en Israël lorsque l’on est de gauche sur ce dossier, on peut finir par voter à droite avec cohérence. La gauche mortifère dans ses idéaux originels devient schizophrène…

Il resterait un terrain sur lequel elle pourrait récupérer une partie de son électorat : le champ économique et social en crise. En effet, les Israéliens, depuis 2011, n’ont eu de cesse de dénoncer la politique de Netanyahou en la matière. Suite aux plus grosses manifestations de l’histoire du pays, le premier ministre a nommé une commission spéciale, appelée Träjtenberg, qui n’est jamais parvenue à résoudre la situation. Parce qu’il n’y a pas assez d’argent et pour la sécurité et pour l’économique et social.

Le centre gauche a bien tenté une campagne dans ce domaine, mais en dernier ressort, les Israéliens préfèrent espérer en des candidats qui leur promettent et la sécurité et la résolution de la crise. Comme il existe des candidats, aujourd’hui faiseurs de roi, comme Moshe Kahlon, avec son parti Kunalou obtenant 10 sièges à la Knesset, et ayant promis pendant toute la campagne qu’il soutiendrait, tout en restant à droite, le candidat qui mettrait en avant l’économique et le social.

Il est encore possible pour Netanyahou de faire un petit effort un temps pour concilier défense du pays et défense du niveau de vie de ses concitoyens. On peut donc à nouveau être plutôt « à droite », tout en étant adroit et avoir des candidats qui défendront des mesures dites « de gauche ». Mais à la prochaine crise interne, crise externe ou menace extérieure sérieuse, l’union nationale fera bloc derrière lui et en oubliera tout le reste.

Pour que tout change, rien ne doit changer. Netanyahou a les mains libres pour construire une coalition solide de près de 67 sièges, renvoyant travaillistes et arabes dans l’opposition, et s’allier à nouveau avec les plus radicaux des partis de droite dans le pays : ceux qui veulent comme Lieberman déclencher de nouvelles guerres contre Gaza, contre le Hezbollah ; ceux qui veulent comme Naftali Bennett sauver Israël du péril “hipster” gauchiste et qui défendent la position ferme à l’égard de tous les ennemis du pays et sans repentance aucune pour quoi que ce soit tout en poursuivant la recolonisation naturelle de la Judée et de la Samarie, ceux qui veulent comme le Judaïsme unifié de la Torah reprendre le Mont du Temple aux Musulmans et revenir sur la loi de conscription désormais obligatoire pour les ultra-orthodoxes à partir de 2017.

En attendant, Israël continuera de se « bunkériser » dans l’espoir de l’avènement du Messie, de se protéger face à l’Iran, son ennemi numéro un, de progressivement s’ingérer dans certains fronts des printemps arabes comme c’est le cas du côté syrien, risquant d’embraser la situation déjà explosive, et de soutenir le statu quo sur des dossiers bien moins brûlants et qui ne sont plus l’urgence, la question palestinienne notamment.

Ce qui est une menace pour le monde l’est avant tout pour Israël. Netanyahou le confirmait récemment en précisant qu’il n’avait pas changé sa politique, mais que c’était la réalité qui changeait. Netanyahou IV ressemblera de toute évidence aux précédents.

Pour le bien du pays et son propre bien ? Le coût international de la réélection de Netanyahou est déjà lourd : l’isolement d’Israël est historique, la communauté internationale sceptique, la Grande-Bretagne prête à reconnaître la Palestine, l’Union européenne lassée, Barack Obama au bout du rouleau.

Mais les États-Unis restent encore dans leur ensemble un puissant soutien. Le dernier ?

Jusques à quand ?

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About Author

Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

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