Retour sur le « Printemps arabe » médiatique et une année du Courrier du Maghreb et de l’Orient.
Il y a plus de quatre ans, apparaissait dans les médias « mainstream » internationaux (en Occident surtout…) un phénomène imaginaire qui fut pourtant très peu controversé : le « Printemps arabe ».
Il y a tout juste un an, apparaissait une nouvelle revue, spécialisée dans les affaires arabes et dont les analyses, d’une parfaite rigueur et d’un professionnalisme impeccable mais souvent à contre-courant des lieux communs publiés par la presse « grand-public », se sont systématiquement avérées : Le Courrier du Maghreb et de l’Orient.
« En Égypte, le retour à l’ancien régime est impossible ! », martelait Alain Gresh, en 2012 -et début 2013 encore. « Le peuple égyptien, qui est sorti en masse dans la rue et qui a fait tomber Moubarak au terme d’une mobilisation extraordinaire, n’est pas près de rentrer chez lui. Sa mobilisation permanente et sa détermination rendent impossible le retour à l’ancien régime. Ce peuple ne va pas se laisser confisquer la victoire », assurait à l’époque le directeur adjoint du Monde diplomatique. « Tout changer pour que rien ne change »… « Face aux islamistes, l’armée pourrait bien se rendre ‘indispensable’ »… S’inquiétaient d’autres analystes, mal aimés.
« C’est le vent de la liberté qui souffle sur la Libye », proclamaient les chroniqueurs de presse français et britanniques ! « Après quarante-deux ans de dictature, le pays va enfin connaître la démocratie et une vraie prospérité économique », renchérissait le chantre de la « révolution libyenne », un certain « BHL », secrètement jalousé et haï, mais jamais contredit par ses pairs… « Chaos, querelles claniques interminables et islamisme galopant », prophétisaient une et d’autres rares voix discordantes alors accusées de « défendre la dictature », de « supporter Kadhafi », et qui furent immédiatement ostracisées et réduites au silence médiatique.
Le chef du service international du célèbre et « très sérieux » journal Le Monde, Christophe Ayad (lequel avouait sans complexe n’avoir jamais mis les pieds en Syrie), annonçait en 2011 la fin du régime de Damas, que « la révolution pacifique » allait mener à son « crépuscule » en quelques mois. « La société syrienne est très divisée ; et le patchwork communautaire, religieux et ethnique qui écartèle la Syrie réservera bien des surprises… Le président al-Assad a encore de belles années devant lui », écrivait en revanche un certain « Tintin »,plus souvent qu’à son tour en visite« au pays de Bashar »… et, en conséquence, brutalement (dis)qualifié « d’idiot » dans les colonnes du Monde et de « pro-Assad » par quelques autres plumitifs de la profession… Sans appel possible.
« En Tunisie, la démocratie va bien », titrait tout récemment encore le Courrier international. Alors que la constitution, bâclée après trois années d’impossible entente entre Ennahdha et le centre-gauche, présente nombre de zones d’ombre éminemment liberticides à terme… Alors que les deux seuls partis socio-démocrates se sont effondrés aux élections législatives de 2014, sans réel recul des islamistes, en revanche, et face au raz-de-marée d’une formation avec laquelle ces derniers se sont in fine acoquinés, qui, outre quelques déçus de la déception associés au mouvement pour donner des gages, compte parmi ses supporters tout ce que la mafia économico-politique « rcdiste » a encore de membres dans le pays. À commencer par son leader, devenu président de la république, ancien responsable de la sûreté de l’État et tortionnaire sous Bourguiba, puis apparatchik notoire de l’appareil bénaliste -une réalité, un passé, qu’aucun média mainstream n’a même évoqué… Car « la démocratie va bien, en Tunisie ». Une réalité voilée ; et dénoncée, depuis deux ans, seulement par ceux qui arpentent quotidiennement le terrain politique tunisien et en ont appréhendé les « subtilités ».
Faut-il également re-crier les titres euphoriques qui saluaient, qui la « transition démocratique réussie au Yémen » et qui les « première élections présidentielles libres à Sanaa » ? Des élections à candidat unique… Les potaches étaient-ils aveugles ou incérébrés… ? Une parodie de « démocratie » dont les Occidentaux furent dupes, peut-être, probablement, semble-t-il ; mais certainement pas les Yéménites eux-mêmes, avaient fait remarquer quelques observateurs aujourd’hui oubliés.
Devant cette obscénité, eût hurlé Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! ». Mais, l’indignation, ce n’est pas assez, car elle demeure trop souvent lettre morte… Il fallait réagir à l’incompétence et contre-attaquer face à la bêtise, à la suffisance… à l’arrogance…
C’est donc à ces analystes mal aimés, à ces voix ostracisées, à ces idiots, arpenteurs du terrain, et autres observateur oubliés, à ces professionnels impeccables, à ceux-là et à d’autres, que Le Courrier du Maghreb et de l’Orient, qui en a reconnu toute la valeur et veut en promouvoir l’expertise, a fait appel pour constituer une équipe hors paire, un vivier intellectuel capable de partager avec ses lecteurs les clefs du Monde arabe et d’en expliciter utilement les arcanes.
Que marmonnez-vous ? Je vous entends mal… « Un éditorial revanchard » ? « De la rancœur » ? « Des règlements de comptes » ? … « Certes, vous aviez raison… Mais pas de triomphalisme indécent au regard d’une actualité effroyable. »
Sont-ce là les reproches que je dois anticiper ?
Pourquoi ne pas plutôt rappeler comment fonctionnent les puissants médias « mainstream », tous abonnés aux grandes agences de presse qui dictent « l’actualité » ?
Pourquoi ne pas plutôt rappeler comment les organes de presse dominants, financés par un actionnariat qui les a rendus dépendants, se nourrissent les uns des autres, « inventent » la réalité et enferment leurs lecteurs dans un monde virtuel ?
Pourquoi ne pas plutôt insister sur la difficulté, la quasi impossibilité de se faire entendre lorsque l’analyse ou le discours déroge à cette « vérité médiatique » uniformément admise ?
La règle, en matière de presse, est simple, en effet : toujours tout dire comme tout le monde, pour éviter de jamais se voir reprocher une erreur… Bien sûr, « on n’engueule pas un océan »… Mais c’est ce que nous n’acceptons pas.
Le monde de « l’information » est très malade ; dans le contexte géopolitique international et global actuel, la connaissance véritable du Monde arabe est une priorité nécessaire.
À la force d’un an d’existence, Le Courrier du Maghreb et de l’Orient s’est imposé comme une référence dans les milieux universitaires, diplomatiques et également… journalistiques ; et son lectorat s’ouvre chaque mois davantage à un plus large public, avide de comprendre ce qui se passe dans ce vaste « Orient », si proche mais si complexe.
Bonne continuation à toute l’équipe !
Incha’Allah.