Élections douteuses, insécurité, ingérences diverses… L’Irak explose une nouvelle fois et se fissure de toutes parts.
Ce 30 avril, les Irakiens se sont rendus aux urnes pour élire leurs députés dans un contexte instable. Malgré les divisions du camp chiite, l’opposition des Sunnites et les échecs de son bilan, le premier ministre Nouri al-Maliki devrait parvenir à négocier un troisième mandat, protégé par ses soutiens internationaux.
Cependant, le maintien du statu quo actuel semble intenable…
Le nouvel état-tampon du Moyen-Orient ?
Le 9 mars, le premier ministre chiite al-Maliki accusait publiquement les pays du Golfe de financer le terrorisme en Irak, sanctionnant la condition « d’état-tampon » de ce pays, un espace de prédation où les grands acteurs régionaux entrent en concurrence par le biais de leurs clientèles locales. Après le retrait des dernières troupes américaines en décembre 2011, le nouveau régime a subit de plein fouet les secousses politiques de la guerre en Syrie, et plus largement la guerre par procuration que se livrent l’Arabie Saoudite et l’Iran dans toute la région.
al-Maliki a craint la contagion d’un front sunnite ; il a dès lors permis aux armes iraniennes de franchir ses frontières, tout en essayant d’interdire l’approvisionnement des rebelles. Ce qui lui a valu la haine des monarchies du Golfe, au premier rang desquelles l’Arabie Saoudite. Conséquence, des porteurs de mallettes saoudiens financeraient les milices sunnites, tandis que des fonds destiné à la Syrie alimenteraient le djihad en Irak également.
De son côté, l’Iran conforte une position dominante sur le pays. Ses réseaux commerçants dominent les régions de Bassorah, Bagdad et Souleymanié. Ses forces militaires exercent une influence considérable sur les milices chiites comme sur l’armée irakienne, qui s’est considérablement confessionnalisée. Enfin, les leaders des principaux partis chiites multiplient les déplacements à Téhéran afin d’y trouver un soutien.
La chute d’Al-Anbar, symptôme d’une « colère » sunnite.
Avec presque 10.000 morts en 2013, 4000 depuis janvier 2014, l’Irak semble replonger dans la violence.
L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui s’est rendu maître d’une frontière poreuse, sur le flanc syrien, s’impose comme le groupe d’opposition le plus puissant, avec plus de 7.000 miliciens dans la place. Ses faits d’armes récents sont spectaculaires : la libération de centaines de prisonniers de la prison d’Abou Ghraib en juillet 2013 ; et, surtout, la conquête de tout l’ouest du gouvernorat d’Al-Anbar, en janvier dernier. Ses cadres ont notamment profité d’une expérience acquise durant les opérations de guérilla contre les Américains, menées après l’invasion de 2003, puis, plus récemment, contre le régime baathiste en Syrie.
Cependant, il est important de préciser que les troubles, dans ce gouvernorat, n’ont pas commencé avec les djihadistes : ces groupes ont profité d’une nouvelle montée des tensions qui se sont intensifiées depuis 2008 et d’une « colère » de la communauté sunnite, qui explose depuis deux ans.
En avril 2013, ainsi, une centaine de tentes bloquent les grands axes routiers qui conduisent à Al-Anbar. Les protestataires s’indignent de l’arrestation systématique de figures sunnites ; et ils exigent un meilleur accès aux emplois publics.
En décembre 2013, un raid de l’armée sur un camp de réfugiés de la région met le feu aux poudres. Et ce n’est que quelques jours plus tard que, profitant d’une situation déjà devenue insurrectionnelle, l’EIIL chasse l’armée régulière du gouvernorat en lançant des attaques depuis la frontière syrienne, atteignant Falloudja, située à soixante kilomètres à peine de la capitale, Bagdad. Les tribus sunnites accueillent les djihadistes et, avec leur aide, parviennent à enrayer la contre-offensive de l’armée irakienne.
Après trois mois d’opérations militaires, les forces de l’EIIL semblent en difficulté, refoulées progressivement en Syrie et contenues par les troupes spéciales irakiennes qui se déploient dans l’ouest de l’Irak. L’armée évite cependant de lancer l’assaut sur les grandes villes et négocie depuis lors avec les tribus locales. Le but serait de remobiliser les « Sahwa », des milices qui avaient permis d’éradiquer la guérilla islamiste à l’époque du « Surge » américain.
Mais l’EIIL n’est pas vaincu pour autant. Ses brigades se nourrissent d’abord du mal-être sunnite. L’EIIL s’immisce dans les conflits locaux liés aux « territoires disputés » entre Kurdes et Arabes, ou, plus inquiétant, dans les affrontements qui opposent Sunnites et Chiites dans la banlieue de Bagdad, où les troubles semblent gagner en intensité et s’étendent progressivement dans de nombreux quartiers.
Aussi, les seuls interlocuteurs véritables que constituent pour le gouvernement les leaders des tribus sunnites semblent aujourd’hui tentés de profiter d’une situation à haut risque et manifestent leur ambition de définir une région sunnite autonome, sur le modèle du Kurdistan…
Le Kurdistan, arbitre du conflit, joue sa partition indépendantiste.
La région kurde, déjà quasiment indépendante, en pratique en tout cas, connaît une croissance économique fulgurante.
La tentation de sécession n’en est dès lors que plus forte, et la Turquie pousse en ce sens en usant de sa position de principal débouché.
Les litiges avec Bagdad sont nombreux. Les tensions sur les territoires disputés s’exacerbent, à Kirkouk et Mossoul. Quant au secteur du pétrole, le président kurde Barzani défend le droit du Kurdistan de l’administrer indépendamment de Bagdad. Ce que refuse en bloc le gouvernement irakien, dont le puissant ministre de l’Énergie, Hussein Al-Sharistani, maintient une ligne dure face aux prétentions kurdes.
Les deux parties se sont ainsi livrées ces dernières années à une guerre de tranchées administrative, dans laquelle Bagdad a su conserver l’avantage par le contrôle des transferts financiers aux gouvernorats. La position kurde s’est également affaiblie du fait de divisions internes : les dernières élections locales ont vu l’affaiblissement de l’UPK du président irakien Jalal Talabani au profit du PDK de Barzani et d’une nouvelle formation, Gorran.
Six mois plus tard, les négociations pour un gouvernement d’union n’ont toujours pas abouti.
Les élections vont-elles changer la donne ?
Héritage des structures imposées au pays par la coalition internationale qui avait envahi l’Irak en 2003, le système politique irakien actuel favorise les clivages communautaires et soumet le gouvernement à des blocages institutionnels fréquents.
Al-Maliki a évité plusieurs motions de censure ces dernières années et passe plus de temps à désamorcer les crises de régime qu’à développer un pays miné par la corruption et le clientélisme, deux biais utilisés par le pouvoir pour acheter sa sécurité.
En se concentrant sur la « guerre au terrorisme », le premier ministre s’est mué en pompier-pyromane, s’aliénant la population sunnite afin de s’attirer les faveurs des Chiites et de la Communauté internationale en se présentant comme un chef de guerre, dernier rempart contre le djihad.
Alors que le scrutin de 2010 avait vu une victoire d’Al-Iraqiyya, une liste majoritairement sunnite, al-Maliki a éliminé ses adversaires en cooptant les uns et emprisonnant les autres. Mais les oppositions sont également fortes au sein de sa propre communauté ; on citera notamment l’Ayatollah Al-Sistani et le leader du bloc Al-Ahrar, Moqtada Al-Sadr, ou encore Ammar Al-Hakim, membre du Conseil islamique suprême d’Irak, même si leur position modérée face à la guerre faite aux Sunnites a permis au premier ministre de les discréditer partiellement.
Cela dit, al-Maliki peut compter sur le soutien de l’Iran et des États-Unis, qui voient en lui un interlocuteur fiable et un allié fidèle.
Dans ce contexte, les élections devraient donner une victoire à son parti, Al-Da’awa, et permettre à « l’État de Droit », sa coalition, de s’imposer au parlement.
Sa position semble d’autant plus ferme qu’il pourra compter sur les voix des militaires, qui voteront deux jours avant la date officielle. En outre, les combats dans les zones sunnites ont provoqué le déplacement d’environ 300.000 réfugiés, autant d’opposants sunnites au premier ministre qui ne pourront donc pas voter pour ses adversaires.
Mais une victoire trop large pourrait exacerber les troubles…
L’Irak semble bel et bien victime, depuis trente ans, d’une constante implacable : une forme de « politique de la terre brûlée ». Pour sécuriser son régime, Saddam Hussein avait brisé une société civile florissante. Pour éliminer ce système, les Américains ont disloqué l’État. Aujourd’hui, Nouri al-Maliki est-il prêt à briser le contrat social irakien pour se maintenir au pouvoir ?