Les chrétiens d’Irak et de Syrie vivent la plus terrible tragédie de leur histoire bimillénaire.
En effet, très tôt, le christianisme s’est installé dans ces deux pays, où, à Antioche, les disciples de Jésus reçurent pour la première fois le nom de « chrétiens ». Il convient de rappeler qu’en Irak, jusqu’en 1948, existait depuis deux mille cinq cents ans une communauté juive résultant de la déportation à Babylone. Les chrétiens représentaient encore une force considérable au début du vingtième siècle, période durant laquelle ils ont été peu à peu marginalisés par la démographie explosive des familles musulmanes.
En Irak, l’Église la plus nombreuse est celles des Assyro-chaldéens, chrétiens de l’ancien empire de Perse, qui ont eu une action missionnaire considérable en Inde, où ils ont fondé des communautés encore vivantes aujourd’hui, comme en Chine et en Mongolie. Leur Patriarche, Sa Béatitude Louis Raphaël Sako, réside à Bagdad. Cette Église d’Orient est présente aussi en Iran, en Syrie, au Liban, en Turquie, où elle fut durement touchée par le génocide arménien de 1915.
L’Église Syriaque – dont le Patriarche, Sa Béatitude Ignace III Younan, réside au Liban – est présente en Irak et en Syrie. C’est la cathédrale syriaque de Bagdad qui fut le théâtre du massacre djihadiste de nombreux chrétiens, le 30 octobre 2011. On trouve aussi à Bagdad un évêché arménien et un évêché latin. Plusieurs congrégations religieuses latines très dynamiques animent des écoles, des hôpitaux, et des centres spirituels et culturels à Bagdad, à Kirkuk, et au Kurdistan irakien.
Les chrétiens à Bagdad et, dans le sud, à Bassora, sont minoritaires. Ils vivent les mêmes difficultés économiques et sécuritaires que tous les autres citoyens irakiens, mais, comme souvent en Orient, sont de surcroît discriminés en tant que chrétiens. Leur Patriarche Louis Sako déploie son activité pour trouver des chemins d’unité entre les différents courants qui traversent la société irakienne, activité pour laquelle il a un vrai charisme. Mais il doit aussi lutter contre certaines tentatives visant la spécificité de la communauté chrétienne, comme cette demande du gouvernement, que les femmes chrétiennes soient voilées, ou comme certaines inscriptions, illégitimes, qui précise la religion, sur les cartes d’identité.
L’épreuve des chrétiens, dans le nord de l’Irak, c’est plus encore l’irruption du Daesh, en juin 2014, et le fait qu’ils ont été chassés de Mossoul et de la plaine de Ninive, de leurs villages et de leurs maisons, où ils résidaient depuis toujours. Pour la plupart réfugiés au Kurdistan, désormais, ils ont perdu tous leurs biens ; ils ont été à la rue, puis sous des tentes, puis dans des bungalows rudimentaires…
Il s’agit à présent d’améliorer leurs conditions de logement, mais aussi de leur trouver des activités économiques.
La scolarisation des jeunes enfants s’est réorganisée, mais il faut mettre en place des structures mieux appropriées à la formation des plus âgés, et pour les étudiants qui abordent les études supérieures.
Cependant, la principale épreuve est celle de l’incertitude quant à l’avenir. À ce jour, pas un mètre carré des zones de peuplement chrétien n’a été libéré de l’emprise de l’État islamique. Il en résulte une profonde désespérance.
Comment, en effet, dans ces conditions, la population chrétienne ne serait-elle pas tentée par le désir de quitter le pays ? Beaucoup, déjà, arrivent en Europe. Mais l’exil est difficile et douloureux. Il ne faut pas rêver d’une vie facile en Europe ou ailleurs. Surtout, la Communauté internationale ne devrait pas admettre que Daesh, désireux de supprimer la présence chrétienne en Orient, puisse poursuivre son action. Il faut donc travailler à permettre le retour des chrétiens chez eux, même si eux-mêmes n’y croient plus actuellement. Cela passe par une neutralisation de l’État islamique en tant qu’organisation, par une pacification de la population sunnite, par une sécurisation en profondeur des zones chrétiennes.
Rêve impossible ? Pas du tout ! Si nous en avions la volonté cela serait réalisé en quelques semaines. Il ne faut pas mettre d’impossibilité là où il y a une simple volonté insuffisante de la Communauté internationale.
En Syrie, il y a des chrétiens syriaques, chaldéens, arméniens, latins, mais aussi maronites et surtout grecs. Les horreurs de la guerre civile qui frappe chaque jour la population syrienne s’accompagnent de la destruction des maisons et de l’économie de ce pays. On compte des centaines de milliers de morts, et plus encore de blessés. La population est traumatisée, effondrée, découragée. Là encore beaucoup veulent quitter le pays. Les chrétiens ne peuvent vivre qu’en zone sécurisée par le régime de Bashar al-Assad. Dans les zones rebelles, leur vie et leur liberté sont effectivement menacées. On ne compte plus les exécutions et les emprisonnements. Il faut en Syrie aussi neutraliser les forces terroristes, en particulier Daesh et Al-Qaïda. Il faut arrêter cette terrible guerre, ce qui passe par une période transitoire où une régionalisation sera nécessaire, car aucun pouvoir n’est en mesure de s’imposer sur l’ensemble du pays. Mais ce serait une grave erreur de toucher à l’intégrité territoriale de la Syrie. Un morcellement ne ferait que préparer la guerre suivante.
L’arrêt du conflit, en Syrie, permettra de réaliser ce qui manque aujourd’hui cruellement : rendre la parole aux Syriens qui doivent décider de l’avenir de leur propre pays.
On le voit, beaucoup de travail attend la Communauté internationale, c’est-à-dire le Conseil de Sécurité de l’ONU.
Il est dangereux de souligner sans cesse le rôle incontournable de la Turquie, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, qui ont sans doute de l’influence, mais certainement pas un rôle bénéfique sur le terrain, comme l’a récemment montré la Turquie.
Il faut au contraire empêcher toute velléité d’intrusion des puissances régionales pour permettre aux Syriens et aux Irakiens de reprendre leur destin en main.
Dans cette perspective, les chrétiens pourraient être des acteurs et des bénéficiaires d’une évolution positive de leur pays.
Cela suppose aussi que l’Islam clarifie les courants qui le traversent et les violences commises en son nom. Faute de quoi l’avenir même de l’Islam pourrait connaître des moments difficiles.
Là encore, des musulmans éclairés, mais minoritaires, savent que les chrétiens peuvent être leurs compagnons de route sur ce chemin périlleux.