La démocratie et l’Islam sont-ils compatibles ?
Une question éculée ? Certes… Mais a-t-elle jamais reçu une réponse satisfaisante ?
Cinq années après le bref espoir tremblant d’un printemps passé…
Alors que la Syrie et l’Irak, à feu et à sang, n’ont pas fini de descendre aux Enfers… Alors que la Libye et le Mali (à sa suite) implosent… Alors que l’Égypte vit désormais sous les bottes et les verrous d’une tyrannie militaire impitoyable… Alors que le Yémen manifeste une disposition à disparaître de la carte du Monde… Alors que la Tunisie –même si certains observateurs ne s’en sont pas encore très bien rendu compte- est rattrapée par les démons de l’ancien régime et gangrenée par les velléités islamistes de tout poil…
L’histoire récente n’aurait-elle pas rendu son verdict ?
Mais peut-être faut-il formuler autrement la question…
L’Islam a-t-il la vocation –comme ce fut le cas du Christianisme- de produire la démocratie ?
Ou bien, tout au contraire, cette religion, née dans le creuset de la férocité bédouine du désert arabe, a-t-elle généré le principe de la coercition politique ? Et le Califat, régime monarchique et théocratique, est-il l’émanation naturelle d’un texte coranique sévère et intransigeant, dicté par le Prophète Mahomet qui fut lui-même, de son vivant, le souverain tout puissant d’un peuple soumis ?
Une gauche extrême, rejointe en cela par une droite qui l’est tout autant, a cru voir dans les événements qui ont ébranlé quelques-unes des nations de langue arabe la main criminelle des États-Unis d’Amérique. « Quand il y a un mauvais coup quelque part, dites toujours que ce sont les Américains ! », faisait déclamer Costa Gavras à l’un de ses personnages. « Même si vous croyez que vous avez tort… Eux, ils savent que vous avez raison ! » Une gauche qui n’a pas compris que, si la Guerre froide joue effectivement les prolongations, le clivage idéologique n’est plus le même qu’à l’époque d’Eisenhower et de Staline…
Les faits l’ont montré, sans laisser d’équivoque : les Américains, pris au dépourvu et incapables de réagir, ne sont pour rien (ou pas grand-chose) dans l’explosion des révoltes, révolutions et guerres civiles arabes… Un petit peu en Libye, tout de même… Mais pas en Égypte, où la révolution a révélé une administration Obama malhabile et gourde, qui n’avait absolument pas appréhendé les tensions, ni anticipé le changement… éphémère. Ni en Syrie, où l’insurrection a mis à mal la politique de Washington qui, depuis 2005, s’évertuait à favoriser un renversement d’alliance, multipliant les pressions et les révérences à l’égard du régime baathiste.
La chose est aujourd’hui certaine : les révoltes, révolutions et guerres civiles arabes ont été (sont) des phénomènes endogènes.
Et ils n’ont pas conduit les États concernés vers la démocratie.
Plus exactement encore, comme certains observateurs du terrain l’avaient immédiatement constaté –et comme même les plus éloignés, avec désormais un recul supplémentaire, de cinq années, l’ont, peut-on espérer, admis eux aussi-, les motivations profondes de ces phénomènes n’avaient pas pour objet… la démocratie.
De leur côté, les monarques de Péninsule arabique ne leurrent plus guère que celles des chancelleries occidentales qui veulent leur vendre des chars d’assaut ou des avions de combat, ou de la haute couture et des cosmétiques de luxe… Par ces lois de papier jamais mise en œuvre qui, telle, crée un parlement dépourvu de tout pouvoir décisionnel et, telle, interdit la torture dans les prisons du régime qui condamne les apostats à mourir sous mille coups de fouet. Au regard de ce qui se fait là-bas, Mohamed VI fait figure d’enfant de chœur, lorsqu’il rempli les geôles marocaines d’opposants trop encombrants, sous le prétexte très à la mode de lutter contre le terrorisme islamiste.
Tandis que l’Amérique latine a depuis longtemps amorcé la transition et s’éloigne pas après pas d’un passé abominable, et que l’Extrême-Orient connaît à son tour une (r)évolution sociale aux implications politiques lentes mais prévisibles, le Monde arabe apparaît figé, comme toujours ramené au point de départ par ses propres référents immuables.
Il n’en est pourtant pas des nations « arabes » comme il en va des ethnies de l’Afrique noire, bloc d’ébène dur et massif, envoûtées comme toujours par le spectre du chef intouchable, prototype politique subsaharien qui, après un demi-siècle de décolonisation, semble se révéler indépassable…
Alors, faut-il conclure que l’Islam, seul dénominateur commun de ces peuples « de langue arabe », bigarrés et d’appétences hétéroclites (aux antipodes d’un panarabisme rêvé un jour par Nasser ou Bourguiba), et principal élément structurant des modèles politiques et des réflexes culturels des sociétés en question, recèle en son génome le principe essentiel responsable de quatorze siècles d’absolutisme irréductible ?