On connaît les motivations mensongères qui ont présidé à l’invasion de l’Irak par l’Amérique de G.W. Bush et par le Royaume-Uni d’Anthony Blair.
On sait par quels prétextes l’invasion de l’Irak a été justifiée : armes de destruction massive, armes biologiques… lesquelles n’existaient pas. Plusieurs nations occidentales rêvaient simplement de mettre sous sa coupe ce pays qui regorge de ressources énergétiques, ce qui n’était pas possible tant que Saddam Hussein et le parti Baas laïque étaient au pouvoir. On sait ce qu’il est advenu de l’Irak aujourd’hui : il est proche de l’implosion.
On connaît aussi les motivations alléguées par l’Occident pour s’immiscer en Syrie, pays vers lequel les États-Unis, pendant des décennies, envoyèrent pourtant leurs étudiants parfaire l’étude de la langue arabe, ce qui témoigne de l’existence de relations apaisées qui existèrent entre les deux pays. Or, cette situation de confiance n’était que l’extrémité visible d’un iceberg, car déjà des services secrets américains étaient à l’œuvre dans le pays et préparaient dans l’ombre un scénario de subversion, choisissant et assistant ceux avec qui ils allaient lancer le processus de soulèvement : certains opposants, notamment ceux qui se réclamaient des tendances salafistes et les Frères musulmans. Il fallait attendre seulement le moment propice et affiner l’argumentation justifiant le soulèvement populaire que l’on allait aider, encourager et faire croître.
Dans ce contexte, le printemps arabe a servi de détonateur. L’argument a été des plus simples : il y avait à la tête du pays un dictateur à éliminer ; et une fois ce dernier éliminé, tout irait mieux après… disait-on. C’est ce que répètent aujourd’hui les opposants les plus endurcis.
En réalité, le changement de régime (ou du moins son réalignement forcé) voulu par les États-Unis trouvait son origine dans le fait que le président syrien s’opposait aux ambitions géostratégiques occidentales et qu’il refusait que le gazoduc qatari traverse son pays. Mettre en avant la lutte contre un régime dictatorial constituait pour l’Occident un argument imparable justifiant une intervention aux yeux des opinions publiques mal informées.
Ainsi, très vite, aux mains de la société civile syrienne, de nombreuses armes firent leur apparition, dont on pouvait imaginer l’origine et le prestataire. En effet, une hypothèse devenue vraisemblable est que la guerre subversive avait été minutieusement préparée de longue date. Les services secrets anglo-saxons, notamment, avaient déjà élaboré toutes les séquences de la subversion en alimentant secrètement en armes certains opposants. Comme l’ont révélé aussi bien les dépêches de Wikileaks, les affirmations récentes de plusieurs généraux américains et les confidences de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères sous François Mitterrand, la guerre visant un renversement de régime avait été planifiée en Syrie bien avant 2011.
Récemment, fin février 2016, T. Kennedy, avocat et neveu de feu le président Kennedy, a affirmé lui-même que la guerre avait été déjà planifiée dès 2001, après le refus syrien de voir le gazoduc qatari transiter sur son territoire. Il manquait un prétexte. Les printemps arabes ont été ce prétexte et la guerre n’a eu alors aucun mal à se déployer très vite.
La volonté de lutter contre un régime qu’on a alors vite qualifié de dictature -et dans certains domaines, c’était évident- a servi de couverture efficace à la motivation première, mais secrète, qui était de se rendre maître des ressources énergétiques énormes de cette région exceptionnelle : la Syrie est la porte terrestre qui donne accès aux richesses énergétiques d’Irak et d’Iran. Peu importe si dans d’autres régions du monde existaient et existent des régimes dictatoriaux encore plus dangereux : mais, en tant qu’amis de l’Occident, ces derniers ne sont nullement inquiétés. Le Moyen-Orient témoigne ainsi de cette conscience à géométrie variable d’un Occident mercantile.
Et l’intervention directe ou indirecte de l’Occident dans d’autres pays du Moyen-Orient ne s’est pas effectuée, non plus, sans mobile ou arrière-pensée…
Pour le Yémen, dont la valeur géostratégique saute aux yeux en raison de sa position géographique au croisement des routes maritimes entre l’Océan indien, le Golfe persique, la mer Rouge avec le canal de Suez, il est sûr que l’Occident ne pouvait pas se désintéresser du destin de cette région dont la sécurité est strictement nécessaire à ses approvisionnements en ressources énergétiques par la voie maritime. Après l’invasion de la capitale par les Houthis venus du nord, l’Occident a choisi d’aider l’Arabie saoudite et ses alliés, passant sous silence la marginalisation et la paupérisation séculaires des Chiites, minoritaires dans ce pays gouverné depuis toujours par des Sunnites.
En s’alliant avec l’Arabie saoudite, l’Occident n’ignorait pas que la stratégie saoudienne ne visait pas seulement à remettre en selle un président renversé par une émeute populaire (Saleh), mais qu’elle visait aussi à s’emparer des puits de pétrole du pays et surtout à contrôler l’accès à la mer Rouge. En particulier, son dessein caché était de s’assurer la maîtrise de l’île de Miyon qui occupe une position clé, car elle relie le détroit d’Ormuz au canal de Suez. Peu importe pour l’Occident si les Chiites du pays ont été appauvris et exploités pendant des siècles. Le problème était ailleurs.
En fait, sans exagérer, on peut affirmer que l’Irak, la Syrie et le Yémen détiennent chacun des avantages spécifiques considérables en matière géostratégique. L’Occident a voulu maîtriser de ce fait l’avenir de ces pays.
La guerre a été l’instrument de cette stratégie. Les puissances occidentales alliées ont su très bien instrumentaliser les communautés en lutte en prenant parti, ce qui aurait dû être évité à tout prix : les Sunnites, contre les Chiites, les Musulmans contre les Chrétiens, les Arabes contre les Kurdes, mais chaque fois en s’assurant de la préservation des seuls intérêts occidentaux. Raviver volontairement ces brasiers, c’était à coup sûr refaire resurgir les guerres ancestrales et propager l’incendie.
Ainsi, Washington et Paris ont pris parti en Irak pour les séparatismes, rendant le pouvoir central de Bagdad impuissant et créant les prémisses d’une implosion future du pays.
Au Yémen, l’Occident a pris fait et cause pour la coalition sunnite menée par l’Arabie saoudite et donc contre les Houthis, communauté bafouée et humiliée pendant des siècles. Mais qui s’en soucie à Washington ?
En Syrie, l’Occident a pris fait et cause pour l’opposition sunnite, y compris salafiste, notamment en vantant les mérites d’al-Nosra et de ses groupes affiliés, représentant al-Qaeda, humiliant ipso facto toutes les minorités religieuses sous le prétexte qu’elles soutenaient le régime syrien. Or, les opposants au régime syrien n’ont jamais représenté qu’un gros tiers de la population. Et les autres, qu’en a fait l’Occident et la diplomatie française en particulier, sans cesse dépendante de Washington ?
Pendant près de six ans, la politique occidentale relative à la Syrie a été pour l’essentiel élaborée à Doha, puis à Riyad, conçue donc par les tenants d’une idéologie islamiste que les alliés occidentaux ont accepté sans broncher. On se souvient des louanges prodiguées alors par les diplomates américains et français -et non des moindres- à l’intention de l’aréopage des « Amis de la Syrie », dominés par des leaders de l’Islam politique. Ces pays occidentaux se sont fourvoyés, car, s’il fallait s’opposer à Assad, c’est avec des laïques ou des indépendants qu’il fallait le faire, et non avec des islamistes. Mais, pour les États-Unis et la France, le sort d’al-Nosra et de ses affiliés comptait alors bien plus que celui des minorités pourtant humiliées, notamment celui des Chrétiens d’Orient qui n’ont été pour l’Occident qu’un simple paramètre d’ajustement.
Qui, par ailleurs, s’est soucié en Occident du sort humiliant pendant mille ans subi par la minorité alaouite [ndlr : à laquelle appartient la famille al-Assad] de la part de la majorité sunnite qui avait transformé cette minorité en un peuple d’esclaves ?
La débâcle de l’Occident est patente au Proche et au Moyen-Orient où l’incendie se propage dans tous les sens.
L’Afghanistan est en lambeaux et prêt à être reconquis par les Talibans.
L’Irak est sur le bord d’une implosion que Washington a favorisée par son travail de sape contre le pouvoir central, agissements funestes qu’elle vient juste d’interrompre de peur que le point de non-retour soit franchi (les États-Unis et la France ont incité les Kurdes irakiens d’une part et les Sunnites irakiens d’autre part à se désolidariser d’un pouvoir central à majorité chiite devenu exsangue et impotent). En rejetant et humiliant tous les cadres militaires de la grande armée de Saddam Hussein, l’Amérique a contribué à la création de Daech. Mais c’est un sujet tabou…
Après six ans d’une guerre impitoyable, l’Occident n’a pas remporté la guerre de Syrie, qu’il avait si bien préparée avant qu’elle n’éclate. Elle ne devait durer que deux mois. À qui imputer toutes ces morts que l’ONU chiffre aujourd’hui à 400.000 ? Le régime aidé par ses alliés a repris une partie des territoires perdus. L’Occident au lieu de soutenir des structures laïques, les seules à convenir à un pays multiconfessionnel, s’est solidarisé longtemps au contraire avec l’opposition islamiste fabriquée entièrement à Doha puis à Riyad. On aurait espéré mieux de l’Amérique d’Obama et surtout de la France de Hollande.
Rien ne va plus au Yémen où, malgré les tapis de bombes largués par les forces aériennes saoudiennes appuyées par les Occidentaux, il n’a pas été possible aux coalisés de reprendre la capitale, Sanaa, de repousser les Houthis, lesquels continuent à occuper des villes frontalières saoudiennes.
Pendant ce temps, le Liban agonise et son armée, pourtant loyale, a été « punie » par le royaume saoudien qui l’a ravalée à un rang secondaire [ndlr : l’Arabie Saoudite a suspendu son aide financière à l’armée libanaise, pour la sanctionner de ne pas avoir participé à l’effort de guerre sur les terrains qui où s’opposent Riyad et Téhéran]. L’Arabie saoudite prépare d’autres guerres en se rapprochant de la Turquie et d’Israël…
Le Sinaï est en feu avec des brigades daéchistes de plus en plus nombreuses menaçant à la fois le régime égyptien et Israël sur terre, mais aussi sur mer. Le Hezbollah d’un côté, et Daech de l’autre, se rapprochent d’Israël, lequel voit augmenter les périls sur plusieurs fronts, tandis que la Palestine est en situation de pré-intifada. La Syrie menace de reprendre le Golan, mais Israël fera tout pour le conserver.
Le Bahreïn est en ébullition permanente, les Chiites majoritaires rejetant la domination minoritaire du régime sunnite. Les Émirats arabes unis se distancent de plus en plus du royaume saoudien, lequel poursuit à présent une politique d’aventurisme.
La Turquie est en proie à une guerre civile contre ses minorités, kurde notamment, et s’oppose aussi à l’émancipation des Kurdes syriens. Elle est de ce fait en guerre contre les Kurdes de l’intérieur et de l’extérieur.
Le Qatar, que l’on croyait tranquille durant l’interrègne, a relancé sa guerre secrète. Daech, attaqué dans son fief, est touché, mais pas coulé ; il prospère au contraire à l’extérieur de son califat, exportant sa guerre sur tous les continents par ses attentats.
Le monde a peur.
Al-Sissi, malgré tant d’oppositions internes et externes, est maintenant considéré comme le dernier rempart contre l’invasion de Daech au Maghreb afin d’éviter l’établissement d’un immense califat reliant le Moyen-Orient à l’Afrique du Nord. Le Maghreb, exposé aux attentats, retient son souffle. L’Égypte d’al-Sissi ne veut plus entendre parler de la Turquie et de Doha qui appuient la rébellion égyptienne. Quant à la Ligue arabe, elle doit faire face à l’opposition de l’Irak, de l’Algérie et du Liban et ne peut plus se présenter comme représentant la voix du Monde arabe uni.
Le chaos est complet et du chaos ne peuvent surgir que des guerres.
Le bilan de ce chaos est catastrophique en termes de vies humaines et de coût économique, mais le chaos a eu pour conséquence d’attirer les groupes extrémistes, notamment ceux d’al- Nosra (représentant al-Qaeda) et de Daech qui ont l’habitude d’évoluer en eaux troubles et de s’épanouir en pareilles conditions. La politique occidentale leur a offert ces conditions.
Mais voilà… Certains de ces djihadistes sont de retour en Occident ; et à son tour l’Occident a commencé à avoir peur de ce boomerang qui lui est revenu, ce à quoi il ne s’attendait pas.
Mais chaque partie se prépare à la continuation de la guerre, guerre sans fin, que l’ONU pense pouvoir entrecouper de périodes de trêve, que ce soit en Syrie ou au Yémen, lesquelles ne peuvent constituer que quelques bouffées d’oxygène au milieu du chaos. Chacun n’a fait la trêve que pour mieux préparer la guerre. En Syrie, le refus répété du régime de discuter une transition politique excluant le président Assad et l’insistance de l’opposition à demander son départ ont conduit à une impasse diplomatique qui rend la résurgence des violences inévitable.
L’opposition syrienne « interne » a volé curieusement au secours du président syrien en réclamant son maintien pour éviter « le démembrement » du pays. Ainsi, le chef de la délégation des opposants intérieurs syriens à Genève, également secrétaire du Parti de la conférence nationale « Syrie Laïque », Elian Massaad, a vivement critiqué la position du « Haut Comité des négociations » (une autre opposition, basée à Riyad), qui a appelé le président syrien Bachar al-Assad à quitter le pouvoir. Elian Massaad a déclaré pendant ces négociations que le départ de Bachar al-Assad aboutirait au démembrement de la Syrie : « Nous avons discuté avec de Mistura du sort de Bachar al-Assad et insisté sur le fait que dans le cas de son départ, la Syrie se verrait divisée entre les parties belligérantes ». Il ya donc plusieurs oppositions en Syrie, qui ont une vision complètement divergente de l’avenir du pays.
Déjà, l’Amérique, anticipant l’échec des pourparlers de paix de Genève, pensait à réarmer. Elle l’a fait. Ainsi, d’importantes réserves d’armes à destination de la nébuleuse d’al-Nosra et de ses affiliés, dont Ahrar as-Sham, ont été constituées dans le cadre d’un programme américain appelé : « L’armement des opposants au gouvernement syrien », rappelant ce que la CIA avait déjà réalisé entre 1980 et 1990 en Afghanistan avec le programme dénommé « Armement de moudjahiddines arabo-afghans », lequel a abouti finalement à la constitution d’un nouveau groupe terroriste bien équipé, en l’occurrence, al-Qaeda, et à la somalisation de l’Afghanistan.
Ainsi, et plus exactement, selon L’Orient-Le Jour, depuis décembre 2015, les États-Unis auraient délivré 3.000 tonnes d’armes et de munitions à des groupes rebelles qui, sur le terrain, ont fait allégeance à al-Qaeda. Une seconde cargaison aurait quitté la Bulgarie le 28 mars 2016 à destination de la Jordanie, où elle aurait appareillé le 4 avril. Elle transportait 2.007 tonnes d’armements, dont 162 tonnes d’explosifs. Cette information, rapportée par le quotidien libanais, a été révélée par l’agence d’information militaire britannique Jane’s, sur la base de deux appels d’offres lancés sur le site FedBizGov.org recherchant des sociétés de fret maritime pour le transport de matériel militaire à partir de Constanta en Roumanie pour le port d’Aqaba en Jordanie. Ces éléments troublants semblent indiquer que, derrière la trêve et le paravent diplomatique de Genève, la guerre d’usure voulue par l’Amérique a pour seul but de reconfigurer les rapports de force pour modifier les termes de l’équation militaire.
L’Amérique a perdu la première manche mais espère remporter la seconde, pour arriver à faire chuter enfin le régime syrien. Mais, dans cette équation, il y a une inconnue : le nouveau rôle de la Russie. Il est clair que le message de l’Amérique peut se résumer ainsi : pas de paix avant la chute du président syrien actuel. La guerre est devant nous. Trump fera-t-il volte-face ?
On oublie de se poser la seule question qui mériterait d’être posée : « Qui a allumé la mèche de ce vaste incendie prêt à tout engloutir et qui en portera la responsabilité devant l’Histoire ? »
« Toutes les guerres sont des erreurs » a affirmé le général Peter Cosgrove. Celles de l’Occident sont de graves erreurs, qui se retournent aujourd’hui contre lui.