« Il est une expression en deux mots », écrivait l’académicien français Bernard Le Bouyer de Fontenelle, « qui nous rappelle que le temps n’est pas à notre disposition : ‘trop tard !’ »
La révolution syrienne qui a fissuré la chape de plomb déposée sur le pays par le parti Baath (au pouvoir depuis le coup d’État de 1963) a commencé en mars 2011, dans la foulée des « printemps » tunisien et égyptien, qui constituèrent indubitablement le signal d’espoir qu’attendait une partie de la population pour s’insurger contre la mafia politico-économique au pouvoir à Damas.
Toutefois, d’une part abandonnée par les démocraties occidentales (qui allaient pourtant s’affairer si activement en Libye) et d’autre part combattue par les forces d’un islamisme sans concession encouragées par les puissances sunnites de la région, la résistance citoyenne au régime de Bashar al-Assad n’a pas réussi à s’imposer. Après avoir tenté un soulèvement armé qui s’est développé de mai à novembre 2012, les révolutionnaires ont peu à peu été contraints de battre en retraite, jusqu’à leur progressive dissolution dans une toute autre forme de guerre…
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Encore trop souvent simplifiée à outrance par des commentateurs très éloignés des événements et présentée comme la révolte d’un peuple uni contre un féroce dictateur, la révolution syrienne, au regard de ceux qui l’ont accompagnée de mois en mois et observée sur le terrain, n’est pas le phénomène statique qu’ont longtemps évoqué les médias unanimes avant de se retrouver confrontés à l’islamisation évidente du conflit.
Tout au contraire, les « événements » syriens ont connu plusieurs phases très distinctes et une évolution rapide qui a surpris et déconcerté, par sa vélocité et la diversité des protagonistes qui se sont invités sur le théâtre, même les experts les plus avertis.
Régulièrement présent –et aujourd’hui encore- sur les différents terrains du conflit en Syrie, à Damas, Homs, Hama, Alep, Idlib… (et otage cinq mois durant, en 2013, enlevé dans la ville d’al-Qousseyr par des bandits qui agissaient sous l’étiquette de l’islamisme, confié à la garde d’une brigade de Jabhet al-Nosra, la présumée branche syrienne d’al-Qaeda, puis vendu aux islamistes « modérés » des Brigades al-Farouk et déplacé à travers le pays sans être empêché ni de voir, ni d’entendre), c’est à l’aune des risques qu’il est nécessaire de prendre pour savoir et comprendre que j’ai pu me rendre compte des évolutions spectaculaires successives du conflit syrien qui est entré dans sa sixième phase.
Cette sixième phase oppose désormais trois composantes (outre bien sûr les Kurdes, dont l’avenir apparaît de plus en plus menacé) : le régime, toujours bien ancré à Damas et qui vient de reprendre Alep, les factions islamistes fédérées par Jabhet al-Nosra (surtout actif dans le gouvernorat d’Idlib) et l’État islamique, qui périclite de plus en plus rapidement.
L’Armée syrienne libre, quant à elle, les « révolutionnaires », n’est plus guère que portion congrue. Elle a depuis longtemps perdu le leadership de l’opposition au gouvernement qu’elle ne combat plus qu’en théorie et ne joue plus de rôle que celui d’une marionnette dans les mains de la Turquie qui la finance et l’appuie avec son armée ; un pantin agité, dans le nord du gouvernorat d’Alep là où elle subsiste encore, contre les Kurdes du Rojava que le président Erdogan envisage d’écraser, et ce probablement dans le cadre d’une alliance tacite avec le gouvernement de Bashar al-Assad.
I. Le « Printemps syrien », lorsque la révolution se faisait attendre (15 mars 2011 – mai 2012)
La Syrie est l’un des six pays du Monde arabe qui connaissent depuis le début de l’année 2011 des troubles conséquents ayant pour contexte l’ainsi dénommé « Printemps arabe » (avec la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Yémen et le Bahreïn).
Toutefois, la crise syrienne, qui s’est muée en conflit armé particulièrement meurtrier, conflit qui s’est progressivement étendu à toutes les régions du pays et perdure depuis six ans, semble aujourd’hui s’acheminer vers son terme et la victoire du régime de Bashar al-Assad.
Tout ça pour rien…
Contrairement aux cas de la Tunisie et de l’Égypte, où le pouvoir était plus fragile qu’on avait pu le croire et fédérait contre lui la plupart des éléments constitutifs d’une société ethniquement et confessionnellement relativement homogène, les réseaux baathistes en Syrie ont fait la preuve de leur capacité à mobiliser les ressources militaires nécessaires à la défense du régime et à diviser la population en jouant sur le patchwork communautaire syrien, les minorités (Chrétiens, Alaouites, Chiites, Druzes…), confrontées à une opposition qui s’est affirmée de plus en plus en plus dans l’exclusive sunnite. Ces minorités se sont ainsi regroupées, après bien des velléités, autour du président Bashar al-Assad, un président et un régime que d’aucuns n’apprécient pas nécessairement, mais qui leur apparaît comme les seuls garants de leur sécurité.
Contrairement au cas de la Libye, où plusieurs États européens et les États-Unis ont déployé des moyens militaires considérables pour renverser le gouvernement de Mouammar Kadhafi et écraser sous les bombes atlantiques ses nombreux partisans (et ce, quelles qu’en furent les raisons non-avouées), les rebelles syriens, quant à eux, se sont trouvés dans le plus grand désarroi lorsqu’ils se sont progressivement rendu compte que l’Occident n’avait aucun intérêt en Syrie et surtout pas celui de renverser un régime avec lequel l’Europe entretenait d’excellentes relations et qui avait trouvé avec Israël, pivot de la politique états-unienne dans la région, un modus vivendi plus que satisfaisant. Seuls et sans l’armement indispensable à combattre les unités fidèles au gouvernement, équipées et soutenues, en revanche, par de puissants États, piliers de la communauté internationale, la Russie, la Chine, l’Iran, mais aussi par des éléments régionaux comme le Hezbollah ou le gouvernement irakien de l’époque, celui de Nouri al-Maliki, les révolutionnaires n’avaient que peu de chance de remporter la victoire ; et, sans l’arrivée sur la scène des mouvements djihadistes, le régime aurait probablement remporté la partie début 2013 déjà.
Les protagonistes du théâtre syrien se sont donc livrés une guerre sans merci qui s’est traduite par les pires horreurs collectives et individuelles, plusieurs acteurs régionaux y ayant en outre ajouté leur grain de sel, propice à envenimer encore le drame, telles l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui se font une guéguerre d’influence, jouant le chiisme contre le wahhabisme sunnite, la première pour protéger son meilleur allié dans le Monde arabe, par lequel transite l’aide destinée au Hezbollah libanais, et, l’autre, pour contrer les intrusions iraniennes au Bahreïn et au Yémen. Mais aussi le Qatar qui, longtemps décidé à s’imposer comme la plaque-tournante de la diplomatie moyen-orientale, a accordé son aide aux réseaux djihadistes qui participent à sa sphère d’influence.
Pourtant, la communauté internationale aurait pu éviter à la Syrie cette quasi autodestruction et l’immense crise humanitaire qui en résulte…
En mars 2011, en effet, les premières secousses ont ébranlé la stabilité du régime, suite aux exactions de policiers responsables de la mort de plusieurs jeunes gens à Deraa ; des faits qui, dans le contexte du « Printemps arabe », ont reçu un écho inhabituel. Toutefois, après quelques semaines de troubles durement réprimés et jusqu’à la tenue, en mai 2012, d’élections que le président Bashar al-Assad s’était empressé de promettre « libres et honnêtes », le pays a vécu dans un calme relatif. Seules trois villes secondaires ont connu à l’époque des soulèvements populaires violents (mais très localisés et rapidement matés par l’armée), à savoir, pour l’essentiel, Homs, Maraat an-Nouman et Jisr al-Shougour ; la ville de Hama, fief traditionnel des Frères musulmans en Syrie, a elle aussi été le lieu de manifestations, plus substantielles et qui rassemblèrent plusieurs milliers de manifestants, mais dans un cadre pacifique.
Partout ailleurs, l’opposition peinait à mobiliser la population et les manifestations qui réclamaient le départ de Bashar al-Assad ou la réforme du régime ne rassemblaient guère plus que quelques centaines de participants, auxquelles répondaient les meetings monstres organisés par le pouvoir, des centaines de milliers de Syriens, qui exprimaient leur soutien à leur jeune président et à ses promesses de changement ; un soutien au président y compris de la part d’une large fraction de la communauté sunnite, à commencer par la bourgeoisie damascène et aleppine, pleinement satisfaite des avancées économiques mises en œuvre sous l’égide de Bashar al-Assad depuis son accession au pouvoir en 2000.
Les espoirs attentistes de la majorité silencieuse furent cependant mis à mal et très profondément déçus, lorsque, en mai 2012, le régime resserra le collier en manipulant le scrutin, comme à son habitude, en déclarant inéligibles les opposants réels à la dictature, qualifiés de « terroristes ».
Cette fois, néanmoins, les bureaux de votes demeurèrent vides durant toute cette journée du 7 mai, qui marqua un premier tournant dans la crise syrienne.
Bashar al-Assad, le jeune président occidentalisé qui devait faire entrer son pays dans le XXIème siècle en rompant avec la tradition soviétique du régime instauré par son père Hafez, a manqué son entrée dans l’Histoire.
À sa décharge, il fut probablement mal conseillé ou saboté par les caciques du parti Baath qui l’entouraient (il est difficile de déterminer quelles furent les intentions effectives du président syrien qui porte aujourd’hui dans les médias la responsabilité de la tragédie qui a anéanti une partie de sa population). Ainsi n’a-t-il pas su réformer un appareil vieux de plus de quarante ans et faire entrer la Syrie dans la modernité, ni socialement, ni politiquement.
II. Le soulèvement armé : l’Armée syrienne libre (mai 2012 – novembre 2012)
À l’inertie du régime, ont répondu des soulèvements armés, un peu partout dans le pays, encouragés par les succès apparents tunisien et égyptien, mais surtout par la « révolution » libyenne, qui avait reçu l’appui des puissances démocratiques de l’Occident.
Localement d’abord, systématiquement ensuite, dans les villages et les quartiers des grandes villes, des citoyens, de plus en plus nombreux, se sont réunis en sections d’autodéfense, qui accompagnaient les manifestations de l’opposition au régime et les protégeaient des incursions de la police et de l’armée et de la répression.
Les armes à feu y ont progressivement remplacé les armes blanches, inquiétant de plus en plus les autorités ; puis ces groupes ont fait leur jonction et se sont organisés sur une échelle plus vaste, jusqu’à être rejoints par des soldats et officiers déserteurs de l’armée régulière, qui ont encadré et structuré ces groupes armés et les ont convertis en de véritables milices combattantes qui ont commencé à s’emparer de portions du territoire ainsi soustraites à l’autorité de l’État baathiste.
Lorsque des officiers supérieurs ont à leur tour emboîté le pas à l’insurrection, ils ont plus ou moins réussi à coordonner la quasi-totalité de ces milices à travers des conseils militaires à l’échelle de chacun des gouvernorats du pays, qui furent eux-mêmes affiliés à un commandement commun, qui sera finalement proclamé à Idlib, en octobre 2012.
L’Armée syrienne libre (ASL) était née.
Parallèlement à l’organisation de cette branche armée laïque et multiconfessionnelle (dans la mesure où, rassurées par les garanties que présentaient les officiers de l’ASL, les minorités ont commencé à rallier la rébellion et ses objectifs démocratiques), s’est également édifiée une branche politique, en exil, dans le but de constituer un gouvernement provisoire capable de prendre en main la gestion immédiate de la Syrie dans l’hypothèse d’une victoire sur le régime.
D’abord très morcelée et dominée par le Conseil national syrien, lui-même placé sous la coupe des Frères musulmans syriens, cette opposition a réussi à surmonter ses divisions pour se rassembler dans une structure commune, en novembre 2012, la Coalition nationale syrienne (CNS), gouvernement provisoire d’union nationale représentative des différentes sensibilités politiques et dudit patchwork communautaire et ethnique syrien.
La Ligue arabe, Londres et Paris furent les premières à en reconnaître la légitimité et à en accueillir les ambassadeurs.
Un bureau militaire fut créé pour coordonner l’action de l’ASL et de la CNS.
La rébellion disposait ainsi des outils militaires et politiques capables, avec un accompagnement et un appui extérieurs, d’opérer efficacement la transition vers une Syrie démocratique sur le modèle européen.
Forte de sa progression et de son efficacité accrue, certaine, aussi, de l’imminence d’un soutien international que lui laissaient espérer les discours des chancelleries européennes et états-unienne, l’ASL a donc lancé à Damas, le 17 juillet 2012, la « Bataille de libération de la capitale » et, le 20 juillet, la « Bataille d’Alep », poumon économique de la Syrie. Deux fronts concomitants sensés diviser les forces du régime.
Bien entendu, la lutte ne pouvait se prolonger sans un apport d’armement aux combattants, qui, dans le cas contraire, risquaient une asphyxie à très court terme. En outre, craignant la victoire du régime, nombre de militaires hésitaient à déserter en faveur de la rébellion, attendant d’y voir plus clair, à savoir un acte concret des puissances de l’Ouest.
Les démocraties occidentales, cependant, ont sans cesse retardé leur soutien effectif à ces structures, alors que d’autres gouvernements, en revanche, intervenaient secrètement et promouvaient une troisième composante du conflit qui n’allait cesser de se répandre et, phénomène spectaculaire, allait réussir à se rendre indispensable et, en moins de deux mois seulement, à s’imposer dans le conflit, au point de submerger soudainement le théâtre, à la surprise générale des apprentis sorciers de l’Ouest, mal informés des réalités galopantes d’un terrain en perpétuel mouvement…
III. De la révolution au djihad (novembre – décembre 2012)
Abandonnées par l’Occident, les structures de l’ASL se sont rapidement vidées de leurs effectifs. Dans certains gouvernorats, tels celui d’Idlib, d’ar-Raqqa ou de Deir ez-Zor, l’ASL a ainsi complètement disparu, au profit de mouvements djihadistes qui, largement financés et armés par les monarchies du Golfe, le Qatar, le Koweït et l’Arabie saoudite notamment, ont prospéré en quelques mois seulement.
Les katiba (brigades) de l’ASL, dépourvues d’armes et de munitions qu’elles ne pouvaient se procurer en suffisance, mais aussi des moyens logistiques nécessaires (vivres, vêtements, outils de communication…), n’ont pas été en mesure de rivaliser avec les katiba djihadistes.
Les miliciens de l’ASL, dans la plupart des cas, ont donc abandonné leurs officiers et regagné leurs foyers ou intégré les katiba islamistes. Ce phénomène de vases communicants s’est généralisé à partir de novembre et décembre 2012, notamment du fait de l’hiver et des conditions climatiques particulièrement rudes cet hiver-là, qui ont poussé bon nombre de combattants à franchir ce pas.
La conséquence la plus immédiate a été la déconnexion des forces combattantes de la rébellion de leur représentation politique en exil : les chefs de l’ASL ne commandaient plus qu’une coquille vide, au point que certains officiers eux-mêmes sont passés dans le camp djihadiste ; et la CNS n’a plus eu aucune emprise réelle sur les opérations menées sur le terrain.
« Nous ne faisons pas la révolution ! Nous combattons pour Dieu ! » C’est le principe énoncé par la majorité des djihadistes que j’ai rencontrés en Syrie, lesquels rejetaient autant le gouvernement baathiste que la démocratie, « régimes corrompus » qui procèdent des lois des hommes et qui ne sauraient primer sur un État islamique, qui émane des lois de Dieu.
L’absence de l’Occident dans le conflit syrien a donc ouvert le champ à l’hydre islamiste.
Cette absence s’explique par le non-intérêt des puissances au renversement du régime.
Ainsi, les quelques États européens qui se sont intéressés de près ou de loin à la Syrie, telles la France, bien sûr, ancienne puissance coloniale, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne, avaient toujours entretenu des rapports cordiaux avec la famille al-Assad dont les intérêts n’ont jamais interféré avec les leurs. Mieux encore, depuis qu’elle a renoncé à l’énergie nucléaire, l’Allemagne, devenue un grand consommateur d’énergie fossile, de gaz et surtout de pétrole, s’est sensiblement rapprochée de la Russie, alliée de Damas ; l’Allemagne avait donc tout à perdre à prendre fait et cause pour la rébellion en Syrie, au risque de se brouiller avec Moscou (Berlin a ainsi été le principal adversaire d’une intervention militaire de l’OTAN en Syrie et, même, de la proposition franco-britannique de fournir des armes aux rebelles, que ces deux puissances n’ont cela dit pas formulée sans la savoir condamnée à l’avance).
Quant aux États-Unis, ils n’ont jamais eu l’intention de se débarrasser d’un régime qui, depuis quarante ans, a garanti la stabilité régionale et, sans avoir jamais signé la paix avec Israël, en a pourtant assuré la sécurité sur la frontière du Golan. Certes, la Syrie a soutenu le Hezbollah dans son combat pour restaurer le pré carré libanais. Mais il s’est toujours agit pour Damas d’une carte régionale utile, dont tout le principe résidait dans le fait d’en contrôler et réfréner l’ardeur, et d’ainsi en jouer habillement à chaque occasion.
La politique états-unienne à l’égard de la Syrie consistait au contraire à imposer un progressif réalignement de Damas, au détriment de Moscou ; Bashar al-Assad jouait assez bien le jeu et, d’année en année, se rapprochait de l’Ouest, jusqu’à ce que la « révolution » vînt tout remettre en question.
C’est pourquoi Washington s’est retranché derrière les vetos russe et chinois qui, au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, empêchaient toute intervention en Syrie, mais aussi derrière le principe d’une ligne rouge, celle de l’emploi éventuel par le régime syrien d’armes chimiques ou biologiques contre sa propre population, au-delà de laquelle l’intervention était envisageable. Le président Obama savait pertinemment que le régime syrien n’avait aucun intérêt à employer ces armes, dont l’usage aurait non seulement entraîné une réaction hostile de la communauté internationale, mais également mis en difficulté la Russie et la Chine, qui auraient eu bien du mal à continuer de protéger ouvertement leur allié.
Il est cependant toujours périlleux de définir une ligne rouge, car ceux qui y ont intérêt mettent tout en œuvre pour la faire franchir (une ligne rouge, celle de l’emploi des armes chimiques, qui est par ailleurs très hypocrite : le régime a bombardé des hôpitaux, des rassemblements de civils qui attendaient des distributions de pain, des écoles, etc. ; dans le cas du conflit syrien, l’arme de destruction massive, c’est l’AK-47, la kalachnikov, et pas le gaz).
Le président Obama fut donc pris à son propre jeu lorsque, en août 2013, du gaz sarin fut utilisé dans la banlieue damascène d’al-Ghouta, provoquant le décès de plusieurs centaines de civils, et que la responsabilité en fut attribuée par les rebelles au gouvernement de Bashar al-Assad (qui ne pouvait pourtant escompter obtenir aucun avantage militaire à l’issue de cette manœuvre). La Maison blanche devait désormais intervenir, sous peine de se discréditer très largement.
D’où la porte de sortie que Barack Obama a immédiatement empruntée lorsqu’elle lui a été ouverte par le président russe, Vladimir Poutine, qui, en l’absence de certitude sur l’identité des auteurs du drame d’al-Ghouta, a proposé, pour couper court, de placer l’armement chimique syrien sous le contrôle de la Russie. Une proposition qui, selon les informations publiées par Le Monde diplomatique (octobre 2013), ne datait pas de la crise générée par les événements d’al-Ghouta, mais faisait l’objet de négociations entre Moscou et Washington depuis un an déjà, avec l’assentiment de Vladimir Poutine, soucieux de mieux contrôler son dernier allié au Moyen-Orient…
La décision de saisir la main tendue par la Russie fut d’autant plus facile à prendre que la donne géopolitique avait sensiblement changé pour Washington : jusqu’alors, la Maison blanche jouait les équilibristes, politique de bascule délicate entre sa volonté d’affaiblir le régime syrien (sans le faire chuter) pour contrer l’Iran et ses efforts pour contrôler son allié saoudien et en modérer les attaques contre Damas (les États-Unis avaient notamment empêché l’Arabie saoudite de livrer massivement des roquettes anti-char aux rebelles). Désormais, cependant, la problématique ne se posait plus en ces termes.
De même qu’elle avait donné son aval à l’éviction des Frères musulmans en Égypte, l’Arabie saoudite avait mis en sourdine sa politique de déstabilisation de la Syrie : le développement exponentiel des mouvements djihadistes salafistes soutenus principalement par les Saoudiens et les Qatari en Syrie, en Tunisie, en Libye et en Égypte a pris des proportions telles que le Wahhabisme de Ryad s’en est senti menacé dans son propre fief. Court-circuitant son petit allié qatari toujours en quête de reconnaissance régionale, l’Arabie saoudite a donc brusquement inversé sa politique de soutien aux Frères musulmans en Égypte. Ces derniers, discrédités par l’exercice maladroit du pouvoir, faisaient au Caire le lit de l’intégrisme salafiste, leurs partisans rejoignant en masse le mouvement salafiste du Hezb al-Nour, une hémorragie qui commençait à inquiéter Ryad. Le feu vert fut donc accordé aux militaires pour une reprise en main draconienne d’un État qui, à ce jour, demeure l’axe central du Monde arabe.
Par ailleurs, l’élection du président Hassan Rohani en Iran, en juin 2013, avait également modifié le théâtre régional : les États-Unis avaient déjà commencé une ouverture diplomatique franche et large à l’époque du gouvernement Khatami (1997-2005) ; et l’élection de Rohani, après les deux mandats de Mahmoud Ahmadinejad (qui ne constituèrent qu’une parenthèse), leur donnait la latitude de reprendre les négociations là où elles en étaient restées ; les Etats-Unis ont dès lors (temporairement) assoupli leur politique à l’égard de l’Iran (avant de se rendre compte que Rohani n’était pas un « nouveau Khatami »…).
Le raz de marée djihadiste en Syrie et l’élection du président Rohani en Iran ont ainsi entraîné un remaniement complet du jeu géostratégique régional autour de Damas et du régime baathiste.
Les États-Unis ont donc décidé, unilatéralement, de na pas intervenir en Syrie, et la France de François Hollande, qui, dans le cadre de sa politique d’influence qatarie, sonnait déjà du clairon, a dû ranger tambours et trompettes et suivre les sentiers tracés par son maître en effectuant une remarquable volte-face (il faut en finir avec ce refrain récurrent que l’on fredonne depuis une vingtaine d’années à Paris : le « déclin de l’empire américain », ça n’existe pas !).
Sans ambiguïté aucune, la rébellion syrienne, dans sa version laïque et démocratique, était bel et bien seule, depuis le tout début du conflit.
IV. Islamismes et banditisme, l’involution de la révolution (2013)
Lorsque je suis entré en Syrie en avril 2013, pour un huitième séjour d’observation, trois jours avant d’être enlevé, je me suis rendu à Yabrud avec la katiba d’un commandant de l’ASL, Abou Youssaïfa.
Ayant aperçu la cathédrale de la ville, très proche du chemin que nous empruntions, j’ai demandé si nous pouvions nous y arrêter. Ma requête ne semblait pas trop plaire à mes hôtes, mais j’ai insisté et ils ont finalement cédé.
Par chance, nous avons croisé un des responsables de l’évêché catholique de Yabrud. J’en tairai le nom, pour sa propre sécurité… Il sortait de la cathédrale à l’instant où nous descendions de voiture. Il avait étudié la théologie en Belgique, à l’Université de Louvain, et parlait un excellent français, ce qui nous a permis de nous entretenir plus librement, sans que mes amis de l’ASL, qui, l’air inquiet, ne nous lâchaient pas d’une semelle, pussent comprendre la teneur de nos propos.
Le prêtre accepta de me parler sans réserve, mais commença par me faire visiter l’édifice, ancien temple romain transformé en église au VIIème siècle, gesticulant ostensiblement en désignant de la main icônes et colonnades… Cette visite touristique m’apparut surréaliste en pleine guerre civile, mais j’en compris rapidement les raisons, lorsqu’il me l’expliqua, à l’abri de la sacristie où, trop exiguë pour accueillir aussi mes amis révolutionnaires, nous avions trouvé refuge : il ne devait pas donner l’impression aux miliciens de l’ASL qu’il m’avait parlé d’autre chose que de « vieilles pierres ».
La communauté chrétienne de Yabrud, m’apprit-il effectivement, était sans cesse rançonnée par « ces gens-là » :
– Nous leur payons chaque semaine de petites sommes, pour qu’ils nous laissent tranquilles, poursuivit-il. Mais ça ne suffit pas : ils s’en sont pris plusieurs fois à de riches commerçants. Certains ont été enlevés et ont payé pour être libérés. Beaucoup des membres de notre communauté ont finalement décidé de s’en aller. Plusieurs centaines sont déjà partis au Liban ou à Damas…
– Mais l’Armée syrienne libre ne vous protège-t-elle pas ?, lui ai-je demandé.
– L’Armée libre ? Quelle armée libre !? Il n’y a plus d’Armée libre ! Ce ne sont plus que des bandes de brigands qui vivent sur le dos de la population !
– Pourtant, il existe un commandement supérieur, auquel vous pouvez vous plaindre de ces exactions.
– Oui, nous sommes allés à plusieurs de leurs réunions. Ils ne peuvent rien faire contre leurs propres troupes. Chacun n’en fait qu’à sa tête. Ils n’ont aucun projet politique pour l’avenir. Je leur ai demandé : « Qu’est-ce que vous ferez quand vous aurez renversé Bashar ? » ; ils m’ont répondu : « On verra. » « Et pour nous, les Chrétiens, qu’en sera-t-il dans votre nouvelle Syrie ? » ; ils m’ont encore répondu : « On verra. » C’est bien ce qui nous inquiète ; oui, nous aussi, « on verra »…
Abou Youssaïfa ne nous a pas laissé poursuivre cette conversation bien longtemps : il a poussé la porte de la sacristie et demeurait sur le seuil, en m’exhortant de ne plus tarder à reprendre la route…
Au-delà du cas spécifique des Chrétiens d’Orient, qui vont, une fois encore, faire les frais de la radicalisation islamiste, le phénomène ici décrit n’est pas distinctif du conflit syrien : l’historien britannique Eric Hobsbawm (Bandits) a montré que les révolutions ont souvent été l’occasion pour les marginaux et les déclassés, dans les circonstances où l’État n’a plus la force de faire respecter la loi, de prendre une revanche sociale à travers le banditisme.
Sans plus d’espoir de triompher, certaines katiba de l’ASL se sont muées en bandes criminelles ; et certains groupes, ainsi, s’agressaient mutuellement dans les villes sous contrôle de la rébellion, pour la mainmise sur un quartier ou une rue commerçante…
Mais, au-delà d’un banditisme structurel, c’est le djihadisme qui menaçait alors la révolution syrienne en s’imposant partout et par la force lorsque l’ASL tentait de lui résister.
En effet, depuis l’été 2013, les organisations djihadistes avaient dévoilé leur jeu et n’hésitaient plus à attaquer des positions de l’ASL pour s’en emparer. Ce fut le cas, spectaculaire et sans appel, de l’attaque du poste frontière d’Azaz, enlevé à l’ASL par les djihadistes de l’État islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), en septembre 2013. En octobre, une soixantaine de miliciens de l’ASL étaient massacrés dans les rues d’Alep lors d’âpres combats qui les opposaient à des katiba djihadistes. Et l’on évoquera encore les enlèvements à répétition de journalistes occidentaux, qui se sont multipliés à partir de juin 2013, victimes de ces mouvements islamistes ; ou les menaces de morts proférées à l’encontre des opposants qui se rendraient à la table des négociations de « Genève II ». Pour ne faire ici état que des faits les plus significatifs… Mentionnons aussi la question kurde et les actions militaires menées par le PKK-YPG (qui envisageait dès 2012 de détacher certaines régions du pays qu’il contrôlait déjà), également confrontées à l’avancée djihadiste depuis le printemps 2013.
Les organisations djihadistes présentes en Syrie étaient devenues innombrables, de la plus puissante, Jabhet al-Nosra, aux plus intégristes, Ahrar as-Sham et Suqqur as-Sham, en passant par les moins intolérantes, Liwa al-Towheed, Liwa al-Fata, etc. ; plus des milliers de groupuscules radicalisés par la guerre qui, se refondant sans cesse et changeant continuellement d’appellation, ne seront jamais clairement répertoriés.
Le conflit, fin 2013 déjà, était très largement dominé par les différentes factions djihadistes, présentes sur la majorité du territoire, d’une part, et, d’autre part, par des bandes de malfrats, parfois issus de l’Armée syrienne libre (ASL), qui ont profité du chaos ambiant pour étendre leur mainmise sur des villages ou quartiers dont ils ont mis les populations en coupe réglée.
V. L’État islamique (2014-2016)
Le tournant suivant, c’est un acteur nouveau et soudain qui va l’impulser : l’État islamique.
Au courant de l’année 2013, ce nouvel acteur surprend tous les protagonistes. En quelques mois, il réussit à fédérer un grand nombre des différentes composantes du djihadisme syrien. L’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) a même rallié à sa cause la moitié des katiba de Jabhet al-Nosra, au détriment de la branche historique d’al-Qaeda. Et il étend son influence sur tout le nord et le centre de la Syrie, depuis le gouvernorat d’ar-Raqqa où il a proclamé l’indépendance de la province, placée sous la loi coranique, la Charia, fin juillet 2013.
L’EIIL devient ainsi le principal mouvement d’opposition au régime. C’est un nouveau tournant pour les « événements » de Syrie, et c’est aussi l’acte de décès de l’ASL ; marginalisée, elle est partout évincée et, très vite, ne comptera plus pour rien sur l’échiquier syrien, ni non plus dans les colonnes des médias occidentaux qui auront tôt fait de l’oublier.
Un an plus tard, le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi inaugure le mois de Ramadan en annonçant la refondation du Califat établi au VIIème siècle par le Prophète Mohammed et prend le titre de Calife, « Commandeur des Croyants » et successeur du Prophète.
Le dessein commencé dans les années 1980 par la Jamaat al-Tawheed wal-Djihad d’Abou Moussab al-Zarkawi est devenu réalité. Un État est né. L’État islamique (EI).
Progressivement, l’EIIL avait étendu son emprise dans le nord-est de la Syrie et conquis plusieurs villes d’Irak, dont Mossoul, enlevée à l’armée irakienne après seulement quatre jours de combat, le 6 juin 2014, puis Falloudjah, Tikrit, se rapprochant de Bagdad… Ces territoires devenus « État islamique », majoritairement peuplés de tribus sunnites dont la plupart des populations rurales accueillent favorablement l’idée d’un renouveau du Califat, sont organisés en provinces, gérées par une administration simplifiée et dont l’autonomisation régionale assure l’efficacité, dans lesquelles sont nommés des magistrats, qui jugent en vertu des principes de la Charia, la loi coranique, et dirigées chacune par un exécutif, un gouverneur, qui dépend d’un gouvernement central présidé par le Calife Ibrahim (Abou Bakr al-Baghdadi).
L’État islamique se dote en outre d’un « conseil militaire », placé directement sous l’autorité du Calife, qui coordonne des effectifs chiffrés entre 10.000 et 100.000 combattants par les analystes (ce qui montre que, en cette matière également, l’opacité de l’État islamique -l’impossibilité pour des observateurs étrangers de parcourir son territoire- empêche d’en connaître la réalité) ; probablement les estimations les plus réalistes faisaient-elles état d’une armée de 50.000 hommes, dont 15 à 20.000 combattants étrangers, originaires pour l’essentiel d’Europe (surtout de France, Grande-Bretagne, Allemagne et Belgique), de Tchétchénie et, en tout premier lieu, des pays arabes (Tunisie en tête, Jordanie, Arabie Saoudite, Maroc, Liban et Égypte principalement).
L’État islamique, dont la population était estimée, au printemps 2015, entre 10 et 13 millions de personnes, assurait le bon fonctionnement des administrations, des institutions (écoles, hôpitaux…), des industries et ressources minières et pétrolières « nationalisées » par l’EI, du commerce, des douanes –en dépit de l’état de guerre, d’intenses échanges commerciaux se poursuivent entre l’État islamique, l’État turc et même l’État irakien-, de la poste, des banques, de la fiscalité, de la justice, la police, la distribution d’eau et d’électricité… Il assurait aussi la protection des minorités religieuses antéislamiques, tels Juifs et Chrétiens, avec le statut de dhimmi (« protégés »), contraints de payer la djiziya, un impôt spécial lié à leur condition (en revanche, les religions apparues postérieurement à l’Islam et le chiisme, considérées comme une hérésie, sont sévèrement combattues et leurs adeptes, persécutés). En avril 2015, l’EI crée sa propre monnaie, une monnaie divisionnaire métallique, de cuivre, d’or et d’argent, basée sur la monnaie qui avait cours dans l’antique Califat et dont la valeur intrinsèque garantit la pérennité…
Cette expansion et la proclamation du Califat sous la forme d’un État qui apparaissait de mieux en mieux organisé et de plus en plus viable, y compris sur le plan économique (l’EI devint très vite autonome, en mesure de s’autofinancer et de subvenir par lui-même à tous ses besoins), ont emporté l’adhésion de nombreuses factions djihadistes à l’échelle internationale, lorsque le Calife a appelé tous les Musulmans du monde à rejoindre le combat du Califat. Parmi celles-ci, plusieurs mouvements d’envergure, tels Ansar Beit al-Maqdis (Égypte), qui a proclamé la création d’une province (wilayat) de l’État islamique dans le Sinaï, Jund al-Khalifa (Algérie), Ansar Dawlat al-Islamiya (Yémen) ou encore Boko Haram (Nigeria), qui combattent tous, aujourd’hui, sous l’étendard de l’État islamique. Le rhizome le plus actif et le plus spectaculaire de l’EI est sans aucun doute Majilis Choura Chabab al-Islam, en Libye, qui, profitant de l’effondrement de l’État libyen et du chaos généralisé qui règnait dans le pays, s’y est répandu à très grande vitesse avant de fédérer contre lui les principales factions rivales du pays.
En quelques mois, l’EI s’est donc solidement implanté dans le Monde arabo-musulman, et il apparaît invincible.
Mais ce danger grandissant, qui s’attaque à deux capitales européennes, Paris et Bruxelles, décide les puissances occidentales à intervenir dans l’urgence… et donne à la Russie l’occasion de déployer des troupes en Syrie, notamment sa force aérienne.
VI. Ce sera Bashar ou… Bashar (2016-2017)
Ce sont les États-Unis qui interviennent les premiers, en catastrophe, lorsque qu’une soudaine offensive de l’EI approche à une vingtaine de kilomètres d’Erbil, provoquant la panique et la fuite massive des habitants de la capitale du Kurdistan irakien, en août 2014.
Par des frappes aériennes intensives, l’aviation américaine stoppe net la progression des colonnes djihadistes qui se sont lancées à la conquête du Kurdistan, depuis Mossoul, traversant à découvert la plaine de Ninive.
C’est le début d’un nouveau tournant, encore, pour la Syrie…
Il aura fallu deux ans, ensuite, à la coalition internationale formée sous l’égide des États-Unis, pour coordonner les acteurs du terrain combattants l’EI et mettre en œuvre une stratégie efficace alliant frappes aériennes occidentales et progression au sol des troupes irakiennes, des milices chiites et des Peshmergas (Kurdes d’Irak), d’une part, et des forces kurdes de Syrie (YPG), d’autre part.
Mais cette stratégie porte désormais ses fruits, comme en témoigne le recul de l’EI en Irak, qui a été contraint d’évacuer Tikrit (mars 2015), puis Falloudjah (juin 2016) et perd pied à Mossoul face à l’offensive de l’armée irakienne et des milices chiites lancée en octobre 2016, tandis que l’étau se resserre sur ar-Raqqa, la capitale des islamistes, en Syrie.
De son côté, le gouvernement syrien reconquiert le pays ville après ville. Laissant pour l’instant la coalition internationale et les Kurdes du Rojava (le Kurdistan syrien) se charger de réduire l’État islamique auquel ces derniers sont directement confrontés, l’armée syrienne a concentré ses efforts sur la seconde ville d’importance du pays, Alep, qu’elle a complètement reconquise en décembre 2016, après un siège de plus de quatre années. Le prochain objectif du régime sera très probablement Idlib, dernier bastion de Jabhet al-Nosra, dont la chute annoncera la reprise en main par Damas de la quasi-totalité de la « Syrie utile ».
C’est l’appui soutenu de l’aviation russe, parfaitement coordonné avec l’armée syrienne, qui a permis ce rapide retour en lice du régime baathiste, mais c’est aussi le déploiement en Syrie des forces du Hezbollah libanais et de contingents miliciens chiites d’Irak et d’Iran, qui avaient déjà aidé le régime à reprendre le contrôle du gouvernorat de Homs en mai 2014.
De plus en plus certains de conserver le pouvoir, Bashar al-Assad et les Baathistes syriens auraient même déjà prévu de régler la « question kurde », parfaitement en phase sur ce point avec le président Erdogan, que le coup d’État manqué de juillet 2016 a solidement installé sur le trône de Turquie et dont l’objectif déclaré est de mettre un terme à toute velléité autonomiste kurde en Syrie, une aspiration fédéraliste proclamée par les Kurdes du Rojava et que l’idéologie nationaliste arabe du Baath ne saurait pas tolérer davantage.
Restera à voir quelle attitude la coalition occidentale, qui utilise actuellement les milices kurdes du YPG comme troupes au sol contre l’EI en Syrie, adoptera à leur égard une fois les djihadistes chassés d’ar-Raqqa… Mais on voit mal comment l’Occident pourrait s’opposer à une reprise en main des villes kurdes de Syrie par le gouvernement de Damas, a fortiori si ce dernier agit en coordination avec l’armée turque et l’aviation russe.
Idlib, ar-Raqqa et Deir ez-Zor, puis… le Rojava ?
Ce sera donc Bashar.
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La révolution syrienne, incontestablement, a évolué de manière continue – il est à présent nécessaire d’écrire l’histoire de ce conflit atypique – et s’achève aujourd’hui sur un « retour à la case départ ».
Les derniers bastions de l’ASL, à n’en pas douter, finiront pas céder. Nombre de mes contacts dans l’ASL ont déjà rendu leur tablier et fuient avec leur famille, en Turquie, au Liban, mais aussi vers l’Europe, sans espoir ni désir de retour, et parfois comme clandestins…
Revenons à présent à Monsieur de Fontenelle : pour l’Occident, il est désormais trop tard pour intervenir. Trop tard, car l’ASL ne dispose plus des effectifs qui lui permettraient de reprendre le dessus sur les organisations djihadistes et, surtout, sur le régime et ses alliés ; trop tard, car il ne reste plus grand monde à soutenir, dans le camp de la démocratie.
Il est trop tard également pour envisager une solution politique au conflit, devenue illusoire : les adversaires du régime, à ce stade des événements, bien plus que l’ASL et son pendant politique, la Coalition nationale syrienne, c’est Jabhet al-Nosra et l’EI. Or, ces mouvements ne négocient pas. Ce n’est pas dans leurs intentions. Ils font le djihad, la guerre sainte, et ne sauraient tolérer le maintien de l’État syrien.
Ainsi, aussi ridicules que pathétiques, les allers et retours genevois de Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la paix en Syrie, et le troisième round de négociations qui s’achève par un fiasco font sourire à Damas, glousser à Moscou et ricaner à Téhéran.
L’évolution récente et subite dont nous venons de faire état, dernier rebondissement en date du conflit syrien, a modifié sensiblement l’approche qu’en avaient les chancelleries occidentales, lesquelles ont déjà, pragmatiquement, commencé à réhabiliter le régime baathiste.
Quant au peuple de Syrie, beaucoup, parmi les survivants et les exilés, conserveront jusqu’à la fin de leurs jours un effroyable souvenir, qu’ils transmettront à leurs enfants et à leur petits-enfants…
Celui d’une occasion manquée.