Le 29 novembre 2012, dans la petite ville tunisienne de Siliana, de violents affrontements opposent les forces de l’ordre à une jeunesse au chômage qui veut la chute du gouvernement islamiste et se demande ce que le « Printemps arabe » lui a apporté.
« Ennahdha, dégage ! »
« Vous avez pris nos yeux, mais vous ne pouvez emporter notre voix » ; c’est le graffiti qui recouvre un mur en lettres rouges, après que la police a tiré à la chevrotine sur les manifestants, blessant 250 personnes, dont une vingtaine a perdu la vue…
Hamadi Djabali, alors chef du gouvernement tunisien, a déclaré : « Dans ce moment difficile où la police est attaquée, on se trouve confronté à un dilemme : ou bien on livre les policiers à leur destin, ou bien ils se défendent et défendent l’intérêt du peuple. »
Djabali, le numéro 2 d’Ennahdha, cette section des Frères musulmans en Tunisie… Moins de deux ans étaient passés, depuis que le « frère » militait encore en opposant au pouvoir des Bourguiba-Benali, sous l’étendard islamiste. Moins de deux ans, aussi, étaient passés depuis que ces mêmes manifestants sur lesquels on ouvrait à présent le feu avaient participé à la « Révolution du Jasmin » qui avait contraint l’armée à destituer Benali et permis à Djabali d’accéder aux sommets d’un nouveau pouvoir. Un nouveau pouvoir censé promouvoir les intérêts des révoltés et bannir les injustices et les inégalités, mais qui reproduisait désormais le système économique en vigueur sous Ben Ali, inchangé, et encensé par les institutions financières internationales.
Cet épisode de la gouvernance frériste indique quelles furent les raisons profondes qui ont poussé le camp atlantiste à finalement soutenir les courants islamistes « modérés ». Il s’agissait de contenir ou de submerger ce qu’il restait encore de velléités socialistes et d’attentes nationalistes, par trop ennemis du « libre-échange ».
On a pu observer tout au long de la seconde moitié du XXème siècle que, nulle part, les islamistes n’ont porté le drapeau indépendantiste des mouvements de libération.
Au contraire, les islamistes « modérés » ont joué un rôle majeur dans l’affaiblissement des États-nations et dans la quasi disparition des courants socialistes, dans les pays arabes et assimilés, souvent aidés en cela par le pouvoir qui a pactisé avec le diable pour s’assurer la paix sociale ; et finalement arrivés au pouvoir, au Maroc, en Tunisie ou en Égypte, ils ont applaudi les règles draconiennes qu’imposaient à ces pays le Fonds monétaire international (FMI) et de la grande finance.
Ainsi, au début du XXIème siècle, le mécontentement populaire, nécessairement généré par la mondialisation capitaliste, n’a plus trouvé que le drapeau de l’Islam pour s’exprimer, soit pour se placer sous le joug de ces islamistes « modérés », soit pour se fourvoyer dans les guérillas désespérées que furent Al-Qaïda ou Daesh, plus utiles à justifier l’interventionnisme impérialiste qu’à réaliser la moindre aspiration des insurgés.
Les bombardiers et les drones et les « Marines » ou autres « Boys » ne massacrent pas des révoltés de la misère, mais des fanatiques religieux qui, eux-mêmes, n’ont pas d’autres cris de guerre que « tuer les ennemis d’Allah », et d’œuvrer à l’avènement du Califat. Ainsi, pour un temps au moins, la demande sociale est occultée et ne s’exprime plus en pays soumis à la terreur religieuse, alors que se projettent, jusqu’au cœur des bastions du capitalisme, les « peurs » utiles à la stratégie des restrictions des libertés publiques, et que se multiplient les états d’urgence.
C’est là résumé le rôle des « gentils islamistes » et celui des « desperados de l’Islam », in fine alliés objectifs des gouvernements occidentaux et de leurs ingérences permanentes dans les pays arabes. Ils leur offrent de précieux arguments pour le verrouillage des espaces d’expression et l’isolement, par la communautarisation et/ou la stigmatisation, de leurs citoyens « issus de l’immigration » musulmane, afin de les isoler du corps de la société et de les éliminer du front social, parce qu’ils sont les premières victimes des « réformes économiques» et de la « crise » et des restrictions des budgets sociaux.
Apparaît ainsi toute la vanité de considérer le champ de bataille actuel, sous le prisme manichéen, « civilisation » versus « terrorisme », proposé par des « spécialistes » médiatiques de l’Islam, mercenaires volontaires ou idiots d’une propagande utile aux stratèges de la finance mis au service de la prédation et du profit.
Un Islam coupé des réalités morbides, dans lesquelles vivent ses adeptes et d’où se nourrit le djihadisme, une version dévoyée de la lutte pour la survie. La barbarie des puissants, contre la barbarie des faibles seule mise en spectacle et dénoncée.
Karl Marx l’a ainsi formulé : « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. »