La Libye apparaît de plus en plus clairement comme un nouveau terrain du jeu guerrier à travers lequel s’affrontent depuis peu plusieurs puissances régionales du Monde arabo-musulman.
Deux parties se partagent la Libye, depuis l’éclatement du pays dont le semblant d’unité nationale que Mouammar Kadhafi parvenait à maintenir par la force, la contrainte et les cadeaux aux leaders tribaux s’est rapidement érodé dès après la chute du dictateur, chassé et exécuté par décision de Paris et Londres, avec l’appui de Washington et de l’Alliance atlantique.
À l’ouest, le Gouvernement d’Union nationale, qui, en 2016, s’est installé à Tripoli, la capitale.
Proclamé à Tunis dans l’espoir de mettre fin au déchirement des factions, c’est le cheval sur lequel ont parié l’ONU, c’est-à-dire les Occidentaux pour l’essentiel, et peut-être également l’Algérie, dont les velléités récentes concernant la Libye ont apparemment pour but de contrer l’expansion de l’influence égyptienne dans la région, l’Algérie qui n’a cependant pas (encore) clairement pris parti pour une des composantes de l’échiquier.
À l’est, en Cyrénaïque (Benghazi), le deuxième gouvernement libyen autoproclamé, appuyé, toutefois, par le parlement qui avait été élu en 2014 et qui s’est réfugié à Tobrouk. Il est plus ou moins en cheville avec le turbulent général devenu maréchal, Khalifa Haftar (ancien chef d’état-major qui s’oppose depuis 2014 au premier parlement de l’après-Kadhafi, le Congrès national général, qui avait été élu en 2012 et siège toujours à Tripoli, trop islamiste à son goût). Le général Haftar dispose de la majeure partie des forces armées libyennes et du soutien de plus en plus déclaré de Moscou.
Ce gouvernement-là est quant à lui soutenu par l’Égypte et la coalition que forment désormais de manière affirmée l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Deux pouvoirs dominants devant lesquels ne font pas le poids d’autres mouvements qui compliquent cela dit l’équation, éparpillés dans le sud libyen (et notamment l’État islamique qui, depuis qu’il a perdu la bataille de Syrte où il s’était implanté, se réduit comme peau de chagrin)…
Mais voilà qu’une troisième composante de taille, que l’on croyait mise au placard, semble vouloir refaire surface et s’imposer au beau milieu du jeu de quilles : le Gouvernement du Salut national, qui s’appuie sur le Congrès général national (tous deux sont basés à Tripoli), le parlement élu en 2012 et qui ne reconnaît pas la validité de l’élection du parlement de 2014 (laquelle avait eu lieu dans des conditions qui n’avaient pas permis à tous les Libyens d’exprimer leur choix ; moins de 20% des électeurs avaient participé) ni non plus la validité du Gouvernement d’Union nationale soutenu par l’ONU.
Le Gouvernement de Salut national semblait avoir perdu de sa superbe, n’ayant plus pour tout appui militaire que les milices de Misrata, jusqu’à ce que, tout récemment, il reprenne l’initiative (et l’offensive armée) en ce mois de juillet 2017, avec le soutien du… Qatar et de la Turquie !
Le Qatar qui, depuis qu’il a été isolé par l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe début juin 2017, et ce pour avoir osé se rapprocher de l’Iran, a pu compter sans réserve sur l’assistance d’Ankara, notamment pour résoudre la question de l’approvisionnent alors que ses voisins ont fermé frontières et espaces aériens.
Voilà donc que le conflit qui oppose déjà Téhéran et Riyad en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen s’invite en Libye, et s’étend par le fait à l’Afrique du Nord.