CMO-MOC – In Memoriam Christopher ALLEN (Fr)

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Christopher ALLEN – Historien / Freelance Journalist

Membre de l’équipe du CMO de mars 2016 à août 2017 (†)

 

C’est la deuxième fois, cette année, que je dois prendre la plume pour dire adieu à un collaborateur et, bien plus encore, à un ami cher.

Il y a quelques mois, Lorenzo Lanciers, l’un des fondateurs du Courrier du Maghreb et de l’Orient, nous quittait, tué par la maladie.

Aujourd’hui, c’est un autre homme –un jeune homme- d’une intelligence rare et d’une édifiante ouverture d’esprit que le sort a enlevé à notre société. Aujourd’hui, un jeune héros est mort, comme ceux que chantent les poètes de la Grèce ancienne ; et son départ ne résonne pourtant dans le rythme tumultueux d’une Humanité fastidieuse que par les quatre lignes des dépêches de Reuters et de l’AFP…

Christopher Allen était un très jeune reporter de guerre, parmi les plus audacieux que j’aie rencontrés, qui disparaît de nos vies, assassiné dans une bataille qui opposait au Soudan du Sud les forces gouvernementales et la brigade rebelle que Christopher avait intégrée pour couvrir les événements.

Christopher n’avait que 26 ans. Je partageais avec lui des études d’histoire, de philosophie et de littérature ; diplômé de l’Université de Pennsylvanie, il avait également fréquenté la Sorbonne, comme moi-même, Oxford et l’Université de Leiden.

J’avais rencontré pour la première fois ce reporter de guerre américano-britannique en Ukraine, à Donetsk ; c’étaient ses tous débuts. Son esprit vif, sa passion, son désir ardent de connaître la vérité du Monde m’ont immédiatement conquis, comme ils ont conquis tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer.

Ce petit gars était à ce point brillant et intrépide, capable d’analyses précises et d’un humanisme si immense, que nous sommes immédiatement devenus amis. Et Chris a rejoint l’équipe du Courrier du Maghreb et de l’Orient, qui lui offrait cette attache que les « freelancers », les sacrifiés de la presse contemporaine, peuvent difficilement espérer.

Il venait de terminer ses études et l’Ukraine était son premier terrain de guerre. Il avait soif d’aventure, de réalité, de prendre le Monde à bras-le-corps… Nous avons décidé de travailler ensemble et nous avons passé plusieurs jours sur la ligne de front, puis dans les geôles de la rébellion du Donbass.

Souvent, depuis lors, nous parlions de repartir tous les deux sur le terrain. Et, à chacune de ses escales à Bruxelles, nous passions avec Chris d’excellentes soirées, en compagnie de notre ami Dorian, directeur de la rédaction anglophone du CMO.

Chris fut notre envoyé spécial en Turquie, lorsque le régime d’Erdogan détruisait les villes kurdes de l’est du pays. Il a couvert les événements pour le CMO, accompagné d’un ami très cher lui aussi, le photographe Önder Simşek.

Retravailler ensemble… C’était prévu pour ce début juillet 2017 : la Libye. Les visas sont arrivés trop tard… Je partais ensuite pour l’Irak et la Syrie… Chris, pour le Soudan du Sud ; il tenait à couvrir les guerres oubliées… Nous avons donc postposé le reportage à l’automne. Un reportage ensemble… Nous ne le réaliserons pas… Plus jamais. Il restera le souvenir de l’Ukraine.

Les circonstances exactes de sa mort demeureront peut-être à jamais inconnues : le samedi 26 août 2017, je rentrais à Bruxelles d’un long reportage sur le djihadisme dans le Sahel, à travers le Mali et la Mauritanie… Lorsqu’un ami commun, reporter lui aussi, m’a appelé : « Pierre, do you know that Chris died in Sudan ? »

Bien sûr, nous connaissons les risques. Mais quand un des nôtres s’en va…

Christopher est tombé là-bas, sans ses amis, sur un petit carré de terre rouge brûlé par le soleil de l’Afrique centrale, dans un paysage morne et sans espoir. Il est mort à mille lieues de chez lui, pour témoigner de la souffrance d’un peuple qu’il ne connaissait pas, dans un pays qui n’était pas le sien.

Depuis lors, nous avons enquêté, et tous les éléments récoltés portent à conclure que Chris a été délibérément exécuté par l’armée du Soudan du Sud.

Chris était un reporter « freelance », un véritable homme de terrain ; rien de commun avec ces imposteurs des « mainstreams » dont il se scandalisait, qui perçoivent des salaires mirobolants pour se tenir à carreau…

« Se tenir à carreau »… Une expression ancienne, qui signifiait « se mettre à l’abri dans une bataille, pour ne pas être à la portée d’un carreau d’arbalète, d’une flèche ».

Chris n’était pas de ceux-là, qui trompent l’opinion par de faux reportages et se partagent ensuite entre eux les prix Albert Londres et Pulitzer, que, depuis longtemps, ils ont confisqués à leur avantage.

Chris était de ceux qui risquent leur vie, de ces freelancers qui, pour une poignée de seigle, s’exposent au feu et, insignes anonymes, meurent sans gloire.

Il était notre petit-frère ; et j’enviais la passion qu’il avait encore pour la vie.

Je n’ai rien à écrire de plus.

Impossible de trouver un mot à ajouter.

Simplement, confions-nous au temps qui, pour être notre pire ennemi, fera son œuvre à l’égard des faibles humains que nous sommes.

Le temps passe, en effet, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins, a écrit quelqu’un. « Car telle est la vie des hommes : quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. »

Chris est mort les yeux grands ouverts sur le Monde. Sa vie n’avait pour lui pas d’autre sens que celui-là, et il rappelait souvent ces deux lignes de Werner Herzog : « Le poète ne doit pas détourner le regard de ce qui arrive dans le monde. Pour comprendre ce qui s’y passe, vous devez y faire face. » Il ajoutait : « Le risque à prendre pour cela, ce n’est pas  important. »

*  *  *

La Rédaction du Courrier du Maghreb et de l’Orient se réunira avec les amis de Chris, le vendredi 15 septembre, à Bruxelles, pour un dîner à la mémoire de notre collègue défunt – informations disponibles en contactant le CMO.

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About Author

Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

1 Comment

  1. Pieter KERSTENS on

    Requiescat In Pace !

    “On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.”
    Antoine de Saint-Exupéry.

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