ISLAM – Le paradoxe de l’Islam politique, schizophrénie des communautés musulmanes

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De la peine de mort en Arabie Saoudite ou en Iran aux persécutions et aux tortures en Tchétchénie ou au Maroc, les gouvernements de ces pays ont un point commun : l’islam.

Plus que cela, c’est souvent au nom de cette religion que les dirigeants de ces pays prennent certaines décisions discriminantes.

Aussi, il semblerait que le politique mélangé à la religion ne fonctionne pas en ce qui concerne, notamment, le respect des droits de l’Homme. Ce constat peu se généraliser, et peu importe le courant de l’islam dominant dans  chacun de ces États ; en outre, dans plusieurs cas concernés, l’impasse mène à un processus au terme duquel la situation s’empire.

En effet, du hanafisme turc au wahhabisme saoudien en passant pas le chiisme duodécimain iranien, jusqu’au soufisme tchétchène, les aspects dits « islamiques » qui impactent le domaine politique ne riment pas avec tolérance et bienveillance.

Pourtant, plus d’un milliard six cents millions de personnes adhèrent à cette religion, et la grande majorité d’entre-elles considèrent l’islam comme étant « une religion de paix et de tolérance ».

Comment comprendre ce paradoxe ?

L’Islam politique est-il un leurre pour les communautés musulmanes, pour leur spiritualité et leur croyance ?

L’exemple de la Tchétchénie…

« Il y a des aspects positifs et négatifs dans les décisions politiques de ces dirigeants du monde musulman. »

S’il est important de souligner que ces pays ont connu des avancées dans divers domaines, il est question ici de s’intéresser aux limites en lien avec les droits de l’Homme. Pourquoi ? Parce que les dirigeants de ces pays utilisent la religion pour conforter leurs décisions politiques. Seulement, c’est en fonction des tendances religieuses qui parcourent l’islam et donc des interprétations propres à ces divergences que les sociétés vont devoir subir ces choix politiques.

Deux exemples concrets, ceux de l’Iran et de l’Arabie Saoudite en ce qui concerne l’autorisation ou l’interdiction faite aux femmes de conduire : en Iran la question ne se pose même pas ; en Arabie Saoudite, il est interdit à une femme saoudienne de prendre le volant.

Pourtant, ces deux pays définissent la législation sur base de la « même » religion.

Un autre exemple et toujours en lien avec la représentation des femmes en islam, le Pakistan (république islamique qui intègre donc l’islam dans la politique) : une femme peut devenir présidente (cela a déjà été le cas) ; ce qui n’est pas possible en Iran, et encore moins en Arabie Saoudite.

« L’utilisation politique du religieux dans les décisions politiques et dans les discours se fait au nom de Dieu, Allah et des différents courants musulmans. »

Le chiisme découvert par l’Occident, par le biais de la révolution iranienne et de son leader l’Ayatollah Khomeiny, a donné une image dure de cette seconde branche de l’islam.

Du coté sunnite, c’est l’influence de mouvements sociopolitiques comme ceux des Frères musulmans ou du wahhabisme saoudien qui, en Occident, inquiète toujours.

Quant au soufisme (qui ne constitue pas un courant en tant que tel, mais s’exprime sous différentes facettes et au sein des différentes tendances musulmanes, et se construit aussi localement par le prisme des confréries), il a toujours été perçu de manière très positive par ce même Occident.

Plus encore, beaucoup considèrent le soufisme comme l’expression pacifique et ésotérique de l’islam. Ce qui, en partie, n’est pas faux.

Cependant, la spiritualité musulmane des autres tendances islamiques vécues par la majorité des fidèles est aussi inscrite dans cette lignée pacifique et ésotérique.

Ce en quoi la perception tronque l’image de la réalité, c’est que la distinction n’a pas été faite entre l’utilisation politique du religieux, d’une part, et, d’autre part, les individus qui adhèrent à l’islam (à des tendances islamiques) de manière pacifique.

Le cas de la Tchétchénie et des homosexuels

Si la Tchétchénie a déjà été montrée du doigt pour son non respect des droits humains, c’est en particulier en 2017, en lien avec les persécutions que subissent une partie de sa population homosexuelle ou prétendue comme telle, que la Tchétchénie s’est retrouvée sous le feu médiatique.

Pourtant, c’est au soufisme qu’adhère le président tchétchène, Ramzan Kadyrov ; et le soufisme constitue la tendance religieuse majoritaire de la population tchétchène. Ramzan Kadyrov , le chef de l’État, est lui-même un religieux soufi, qui a dénoncé à plusieurs reprises le terrorisme et soutien officiellement la lutte contre le terrorisme. Il est aussi opposé au wahhabisme (tendance religieuse officielle en Arabie Saoudite) ; Kadyrov a en effet dénoncé le wahhabisme, auquel il dénie le statut de « tendance officielle » de l’islam sunnite.

En Tchétchénie, «  l’islam s’enracine sous la forme de deux confréries soufies : la Naqshbandiya et la Qadirya », précise Pénélope Larzillière (« Tchétchénie : le jihad reterritorialisé », Critique internationale 20, 2003). « Chaque Tchétchène est rattaché à l’une des branches de ces confréries, les membres d’un même clan pouvant appartenir à des branches différentes. »

Ainsi, le soufisme, considéré par d’aucuns comme le courant le plus « soft » de l’islam, se prononce ici par le biais du président tchétchène dans le rejet de la différence… On est bien loin du Soufi mon amour d’Elif Shaffak…

« L’islam, c’est la paix »

Si à plusieurs reprises les personnes de confession musulmane ont pu témoigner que pour eux, l’islam représentait beaucoup plus la paix que l’image de guerre qu’en donne des groupes armés s’identifiant à cette religion, il est certain que plusieurs aspects politiques n’aident pas à y croire.

Les groupes armés qui tuent ou les gouvernements qui discriminent utilisent l’argument religieux pour appuyer leurs actions.

Ainsi, il apparaît de manière évidente que le mariage entre la politique et l’islam ne respecte pas la représentation que plus d’un milliard de musulmans se font de leur religion.

Cela dit, l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques n’est pas l’apanage des états reliés à la religion. D’autres gouvernements dits « sécularisés » instrumentalisent les communautés religieuses et notamment l’islam afin de discriminer un segment de leur population et de camoufler les réels problèmes rencontrés par les sociétés en question.

Ainsi, il est important de pouvoir distinguer les individus -et ce peu importe leur tendance religieuse- des décisions politiques de groupes armés ou de gouvernements qui imposent leurs vues sous couvert de la religion. Mais il est surtout important que les populations musulmanes se rendent compte de ces instrumentalisations.

Un exemple récent en est la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar : plusieurs fidèles qui accomplissaient le pèlerinage ont témoigné que, durant les prières prononcées à La Mecque, des imams qui conduisaient la prière ont formulé des vœux à l’encontre du Qatar.

Cette instrumentalisation de la religion prouve que les politiques instrumentalisent comme ils le souhaitent le quotidien des musulmans. Un travail sur cet aspect doit absolument se réaliser, afin que les individus ne soient pas mêler à des crises politiques qui n’ont comme priorité que le maintien du pouvoir de ces gouvernements.

 

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Ikram BEN AISSA

Politologue - Chercheur en Sociologie des Religions (Iran et Chiisme) à l'Université Libre de Bruxelles (BELGIQUE)

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