« Le succès ou l’échec d’une révolution peut toujours se mesurer au degré selon lequel le statut de la femme s’en est trouvé, rapidement, modifié dans une direction progressive. »
(Angela Davis)
Depuis leur arrivée au pouvoir en 2011, les islamistes d’Ennahdha n’ont cessé leurs manœuvres afin que les droits des femmes soient abolis, même s’ils déclarent le contraire dans un discours ambivalent et manipulateur.
Beaucoup de progrès ont été faits, depuis 2014 notamment. Pourtant, l’égalité successorale n’existe toujours pas…
* * *
Tous les prédicateurs de la discorde, invités par leur parti, des discoureurs aux prêches enflammés, ont exhorté les femmes à la soumission et à l’obéissance. Depuis la nécessité de l’excision, à la pratique de la polygamie, à la négation de la citoyenneté pour la « femme-complémentaire », aux tentatives d’empêcher les femmes de voyager avec leurs enfants ou seules, jusqu’à la police des mœurs pour inquiéter celles qui se baignent en maillots de bain et celles qui portent des shorts, tout a été fait dans l’objectif de limiter les libertés féminines, si ce n’est dans le but d’annihiler tous les droits acquis grâce au Code du statut personnel, promulgué le 13 août 1956.
Sept ans (depuis la révolution de 2011) ont été émaillés de faits qui ont démontré que les femmes constituent la cible privilégiée des islamistes.
Victimes de l’arbitraire imposé par des policiers complices ! Par des juges à la solde des politiques déterminés à les spolier des droits fondamentaux !
Il a fallu battre le pavé, militer pour revendiquer le droit à l’égalité entre hommes et femmes.
La Constitution de 2014 a été sauvée de peu, l’article 21 reconnaît enfin cette égalité: « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi, sans discrimination. L’État garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs. Il leur assure les conditions d’une vie digne. »
Personne, aujourd’hui n’ose nier que la société tunisienne a changé, personne n’ose occulter le rôle que jouent les femmes au sein des familles, dans les domaines social et économique. Les femmes ont lutté durant des années contre la marginalisation et la discrimination dont elles étaient victimes et ont fini par obtenir l’égalité entière avec les hommes.
Pourquoi, cependant, l’égalité successorale que revendiquent les femmes depuis quelques années rencontre-t-elle autant d’opposition, d’hostilité, d’entrave ?
Pourquoi vouloir à tout prix maintenir cette ségrégation à l’égard des femmes, vécue comme une injustice flagrante ?
Plusieurs associations réclament, depuis plusieurs années, que soit levé cet arbitraire à l’égard des femmes. La Commission sur les Libertés individuelles et l’Égalité devait présenter ses rapports, le 20 février 2018 ; mais elle en a demandé le report après les élections municipales qui auront lieu le 6 mai 2018, afin d’élargir les consultations. « Ce projet de civilisation ne devrait pas constituer une tension électorale », a précisé Bochra Belhaj Hmida, présidente de la commission.
Le président de la république, Caïd Essebsi avait lui-même déclaré, le 13 août 2017, journée nationale de la Femme, que l’égalité de l’héritage entre hommes et femmes ainsi que le droit au mariage d’une tunisienne avec un non musulman devaient être promulgués, ce qui a suscité une polémique de la part des opposants à ces deux projets aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Nombre de pays arabes ont en effet exprimé leur désapprobation. Les cheikhs d’Al-Azhar ont fermement condamné ce discours, qui a manifestement transgressé un tabou.
Pourtant, une loi sur l’égalité de l’héritage entre hommes et femmes constituerait une réelle avancée, un aboutissement historique de la lutte des femmes en Tunisie. Elle réglerait tant de problèmes qui se posent, souvent de manière dramatique. En effet, la plupart des femmes travaillent et contribuent financièrement aux dépenses familiales. À la disparition de leurs parents ou conjoints, elles se retrouvent dans une situation difficile, puisqu’elles n’héritent que de la moitié de la part des hommes, et ce en fonction du texte coranique. Or, ce texte coranique a fait l’objet d’interprétations par des savants, des exégètes afin de l’adapter aux nouvelles réalités. D’ailleurs, certains, même parmi les savants de la Zitouna (université théologique de Tunis) ont choisi de partager leur héritage à parts égales entre leurs enfants des deux sexes. Cette pratique a toujours existé.
L’égalité successorale ne concerne pas seulement les couches sociales aisées, mais également les classes pauvres. Les femmes des milieux ruraux sont les plus touchées par cette injustice, alors qu’elles constituent 90% de la main d’œuvre agricole. Souvent, elles ne touchent pas de salaire, puisque travaillant pour leur père ou leur mari. De plus, elles n’héritent pas de la terre, car, sous la pression de la famille, elles doivent renoncer à leur héritage au profit des hommes.
Avec l’accès des femmes au travail et leur participation effective aux dépenses familiales, les rapports hommes-femmes ont changé et ceux qui refusent de se rendre à cette évidence et s’accrochent à une lecture littérale du texte coranique ainsi qu’à leurs privilèges masculins, surtout, campent sur leur position et refusent tout débat.
Pire, ils manipulent l’opinion et invoquent des contre-vérités. Ainsi, le chef de file du parti islamiste Ennahdha a-t-il déclaré au journal Le Monde : « Ce n’est pas un débat populaire, c’est un débat élitiste. Le peuple considère qu’il y a d’autres priorités que celle-ci… ».
Tous les leaders politiques sont fidèles à ce principe (de non-égalité) énoncé par le Coran, par notre identité et par notre civilisation. Les contradictions du discours ne sont pas à démontrer.
La Coalition nationale pour l’Égalité dans l’Héritage, qui regroupe 74 associations féministes et des Droits de l’Homme, ONG et syndicats représentant différentes professions, soutenue par des personnalités et associations étrangères, avait décidé d’organiser une marche nationale, le 10 mars, à Tunis pour appeler à l’égalité successorale.
Cette marche a rassemblé quelques milliers de femmes et d’hommes qui se sont dirigés vers l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) au Bardo, brandissant le slogan « L’égalité, un droit, non un privilège ».
Cette marche visait à « lever un des obstacles contre l’égalité pleine et entière entre hommes et femmes, principe inscrit dans la Constitution du 27 Janvier 2014, mais qui fait encore débat ; un dernier tabou à faire tomber », ont déclaré les organisateurs. Et ces derniers d’ajouter : « Notre marche n’est ni utopie, ni hérésie. Le débat public, ouvert depuis la première moitié du XXème siècle avec Tahar Haddad, commence, aujourd’hui, à trouver écho sous la poussée des valeurs de dignité, d’égalité et de justice sociale. »
La marche fut un succès, même si les opposants mènent depuis lors une cabale pour discréditer ses partisans. Certains responsables du parti islamiste n’ont pas hésité à traiter les femmes qui ont marché de « débauchées », dans des déclarations injurieuses d’une violence inouïe. Des slogans anti-égalité ont été brandis, dans une tentative de discréditer les manifestants.
Le combat continue !
* * *
Malgré la polémique, le discours haineux, sexiste et discriminatoire, le débat en faveur de l’égalité successorale avance. Les femmes victimes d’injustice commencent à apporter leurs témoignages sur les dérives du partage inégal de l’héritage, source de préjudice grave.
Ceux qui prêchent l’inégalité entre hommes et femmes et l’adoptent comme pilier de leur culture et de leur projet de société réalisent que la prise de conscience de cette injustice flagrante par une grande partie de la société ne saurait être tolérée dans une société moderne et démocratique.