Donald Trump est entré en fonctions le 20 janvier 2017. Six mois ont passé. Et il est toujours aussi difficile de distinguer une ligne claire quant à la politique du président sur la scène internationale. En particulier concernant le Monde arabe.
L’entourage
Au sein de l’équipe formée par Trump juste après son élection, deux départs furent emblématiques.
Le premier fut celui du général Flynn, chef du Conseil national de Sécurité. Celui-ci fut remplacé dès février 2017 par le général MacMaster, aussi idéologue et théoricien que son prédécesseur était connaisseur du terrain et pragmatique. Sans doute un peu trop pragmatique…
Flynn est tombé en raison de ses multiples contacts avec l’ambassade de Russie, sur lesquels il avait menti au vice-président Pence. Un rapprochement trop visible avec Moscou, dans le contexte d’une administration républicaine très antirusse et des accusations portées contre le Kremlin d’ingérences dans la campagne, qui ne pouvait laisser le président sans réaction.
Début avril, ce fut au tour de Steve Bannon de quitter le Conseil national de Sécurité. Personnage sulfureux, au nationalisme exacerbé et aux méthodes contestées, l’homme qu’on surnommait « Goebbels » fut également écarté. Ce départ laisse les mains libres au plus classique MacMaster. Mais Bannon conserve de l’influence sur d’autres sujets, comme le climat.
Aujourd’hui, c’est le haut conseiller le plus proche de Trump, son gendre Jared Kushner, qui est sur la sellette pour avoir tenté d’établir des liaisons plus directes entre Washington et Moscou. Un téléphone rouge du XXIème siècle en quelque sorte. À première vue, rien d’anormal, mais sur les rives du Potomac, tout ce qui ressemble à une complicité avec le Kremlin est mal perçu.
Ainsi s’explique le faible score (56 contre 43) obtenu par le secrétaire d’État Rex Tillerson lors de sa confirmation par le Sénat. Il faut dire que depuis cet avertissement, le patron de la diplomatie américaine a compris la leçon et s’emploie à ne pas mettre en avant la relation avec la Russie qu’il a tissée comme président d’Exxon.
Et l’on repense de fait aux frappes (symboliques) sur la Syrie…
Du « Muslim ban » à la Syrie
Le premier geste du nouvel exécutif se situait dans le prolongement de ses déclarations de campagne : décision d’interdire l’accès des États-Unis aux ressortissants de pays musulmans (« Muslim ban »). Vivement décriée par les pro-américains des pays concernés et par la communauté internationale, cette mesure a été suspendue, dans ses deux versions successives, par la justice fédérale.
Pour le reste, les quelques décisions de politique étrangère de la nouvelle administration s’inscrivent dans une « continuité républicaine », c’est-à-dire le retour aux pratiques du temps de Bush fils.
Ainsi se comprend l’attaque américaine, dans la nuit du 6 au 7 avril 2017, d’installations militaires du régime syrien, « en représailles à l’utilisation (alléguée) d’armes chimiques », en l’espèce du gaz sarin, contre les rebelles. Nous sommes ici dans la rupture : avec Obama, qui (avec l’approbation du futur candidat Trump !) avait refusé une telle opération, planifiée par la France, en août 2013, préférant négocier avec la Russie un plan de désarmement chimique en Syrie; mais aussi avec le discours de campagne de Trump, rejetant de telles opérations militaires et déclarant son intention de travailler avec Assad.
Le nouveau président aurait pu s’abriter derrière la nécessité d’une enquête internationale ; il a préféré agir seul, de façon symbolique, et peut-être (aussi) pour se dédouaner de toute accusation d’entente avec Moscou.
Riyad et Téhéran
De la même manière, la première tournée proche-orientale du nouveau chef de la Maison blanche semble destinée à resserrer des liens distendus par la politique de son prédécesseur.
Certes, son déplacement à Riyad, le 21 mai 2017, comportait un volet commercial substantiel (des contrats d’une valeur au bas mot de 180 milliards de dollars). Mais un fort message politique y a été inséré…
Il fut délivré lors du discours devant un vaste parterre de dirigeants sunnites arabo-musulmans. On y retint à égalité la lutte contre Daesh et la surprenante diatribe contre l’Iran, accusé de soutenir le terrorisme, et ce trois jours après la brillante réélection du président Rohani, tenant de l’ouverture.
Or, même si nul ne s’aventurerait à accorder à Téhéran un brevet de bonne conduite, il ne fait pas de doute que l’Iran fait partie des ennemis jurés de l’État islamique. On ne pourrait en dire autant de tous les auditeurs de Trump à Riyad.
Israël
L’étape suivante, celle de Tel-Aviv, fut destinée à rassurer l’allié israélien, quelque peu malmené (sans grand succès) par Obama.
On en retient, au-delà d’une visite sans grand relief dans les territoires palestiniens, un soutien sans faille des États-Unis à Benyamin Netanyahu, ravi de la tonalité agressive du haut visiteur envers Téhéran.
Toutefois, le président Trump n’est pas allé jusqu’à confirmer le déménagement de l’ambassade des États-Unis qui avait été un temps envisagée, de Tel-Aviv à Jérusalem.
L’Europe
Puis, la partie européenne du déplacement trumpien fut également édifiante.
Certes le président soutient-il l’OTAN, mais il se lance en public dans une rude dénonciation des « arriérés » de dépenses militaires des alliés européens. Il commet au passage un contresens : contrairement aux États-Unis vis-à-vis de l’ONU, les Européens ne rechignent pas à payer leurs contributions à l’OTAN. Et si les États-Unis assurent 75 % des dépenses militaires des pays de l’alliance, une grande partie de ces sommes est affectée aux besoins propres de Washington. Résumé à l’essentiel, le message trumpien est le suivant : dépensez plus en achetant nos matériels.
Pour l’essentiel, le nouveau président américain a obtenu l’engagement des alliés dans la coalition antiterroriste, en revient à un soutien sans nuances aux monarchies pétrolières et s’évertue à un exercice de culpabilisation des membres de l’Alliance atlantique.
Moscou
En parallèle, un autre aspect du programme de Trump peine à se concrétiser : celui du rapprochement avec Moscou.
Pourtant, le candidat n’avait pas été avare de propos en ce sens durant sa campagne. C’était avant tout concernant le dossier syrien, pour lequel un nouveau dialogue avec la Russie s’imposait.
Par ailleurs, puisque les forces russes combattaient également Daesh, il était nécessaire que les Occidentaux concilient leur propre coalition avec celle mise en place par Poutine. Le contentieux relatif à l’Ukraine était dès lors minimisé. L’alliance Moscou-Téhéran était passée sous silence… Même si Trump critiquait l’accord 6 plus 2 de juillet 2015.
De ces orientations, il ne reste pas grand-chose.
Les chefs d’États russe et américain ont certes reçu, chacun de son côté, les ministres des affaires étrangères de l’autre pays. Mais à ce stade, aucune rencontre Trump-Poutine n’a eu lieu. Les sanctions contre Moscou n’ont pas été levées.
L’absence de concrétisation dans la relation russo-américaine s’explique avant tout par les fortes réticences de l’ensemble de la classe politique de Washington. Les Démocrates s’insurgent contre l’ingérence de Moscou dans l’élection présidentielle. La polémique sur la révélation par Trump de « secrets » au ministre Lavrov, qui constitue l’un des motifs du lancement d’une éventuelle procédure d’empeachmnent, mobilise également des élus républicains. Ce climat pousse l’administration à la prudence : ainsi le secrétaire d’État Tillerson, censé être l’artisan de ce rapprochement, mais marqué par l’étroitesse de sa confirmation au sénat, tient-il désormais en public des propos antirusses.
Or, l’idée d’une entente Moscou-Washington, si elle pouvait inquiéter certaines chancelleries, était également porteuse d’éléments positifs, aussi bien sur le dossier syrien que sur l’influence pouvant être exercée sur Téhéran, notamment sur le dossier du conflit du Proche-Orient.
De facto, la gestion politique de ces dossiers échappe largement aux Occidentaux.
Le réchauffement climatique
Dernier exemple en date des velléités trumpiennes : le « retrait » des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat.
Certes Trump applique-t-il un engagement de campagne. Mais, dans l’immédiat du moins, il n’en tire aucun bénéfice, attisant la hargne de ses opposants américains et éloignant un peu plus son pays du rôle naturel de leader mondial voulu par George Bush père après la fin des blocs.
Bien d’autres options se seraient présentées à l’homme de la Maison blanche. Il aurait pu, par exemple, rester dans l’accord avec certaines réserves ou n’en dénoncer que quelques aspects. Il a choisi une confrontation brutale, quitte à faire, plus tard, marche arrière et, tout de suite, à laisser souligner l’ineffectivité de son annonce.
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Le tempo est donc donné.
L’administration Trump fonctionnera par à-coups, sans ligne claire.
Pendant ce temps, la Russie et les puissances régionales poursuivent leurs projets volontaristes et assumés. C’est désormais vers Paris et Berlin que se tournent les regards.
Les premiers pas diplomatiques du président Macron comme la volonté de la chancelière Merkel de doter les Européens d’instruments d’action pourraient, s’ils étaient suivis d’effet, transformer durablement la donne.