Le récent cessez-le-feu entre le gouvernement de Kaboul et les Talibans serait-il une simple éclaircie ou une annonce de printemps ?
Dans le film Treize jours, qui raconte la crise des missiles cubains d’octobre 1962, le secrétaire à la Défense de Kennedy, McNamara, explique à un amiral que le blocus naval de Cuba par la marine américaine, loin de n’être qu’une simple action militaire, est en fait un dialogue, dans un langage totalement nouveau, entre le président Kennedy et le premier secrétaire soviétique Nikita Krouchtchev.
Il en va de même avec le cessez-le-feu de trois jours déclaré par les Talibans, deux jours après que le président Ghani a lui-même ordonné à ses forces armées d’observer une trêve à l’occasion de la fête de l’Aïd qui marque la fin du Ramadan.
Que cette double décision ait résulté d’une négociation est évident : le 31 mai dernier, le général Nicholson, qui commande les troupes américaines en Afghanistan, lâchait l’information selon laquelle les Talibans menaient des discussions secrètes avec des officiels afghans sur un possible cessez-le-feu.
Depuis le vendredi 15 juin, les armes se sont donc (en partie…) tues en Afghanistan et elles devraient rester silencieuses jusqu’au dimanche 17 juin.
Dans un certain nombre de centres urbains, de capitales régionales, les combattants de l’insurrection talibane se sont ouvertement mêlés à la population, parfois aux côtés des forces de l’ordre.
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Même s’il reste d’une portée militaire limitée, ce geste de leur part représente incontestablement un tournant dans le dialogue secret, non reconnu officiellement mais bien réel, que le gouvernement de Kaboul mène avec les Talibans pour tenter de mettre fin à cette guerre civile de plus de quinze ans (et même de quarante ans si on la fait débuter en 1978, avec l’arrivée des premières troupes soviétiques venues renforcer le gouvernement procommuniste).
Un geste d’une portée militaire limitée
Le 7 juin 2018, le président Ghani ordonnait aux forces armées afghanes de respecter à partir du 12 juin une trêve unilatérale d’une semaine, suite aux recommandations d’une assemblée de quelque 3000 oulémas, qui avaient également prononcé une fatwa contre les attentats suicides – ce à quoi Daesh avait répliqué par un attentat suicide commis à l’entrée même du lieu de ce rassemblement et faisant quatorze morts.
Les Talibans ont mis deux jours à prendre la même décision de trêve – histoire sans doute de ne pas donner l’impression qu’ils répondaient directement à une initiative du président. Ils l’ont expliquée par leur volonté de permettre aux familles de se rassembler dans la joie pendant cette fête de l’Aïd.
Sous l’angle purement militaire, ce cessez-le-feu est important en ce qu’il est inédit depuis le début de l’insurrection, en 2002-2003, même si les combattants ont parfois, localement, respecté des périodes de trêves informelles.
Pour autant, il ne faut sans doute pas en attendre la fin immédiate et totale des hostilités entre le pouvoir afghan et ceux qui le combattent.
D’une part, les mouvements terroristes que sont Daesh et Al-Qaïda n’y sont pas associés.
D’autre part, les Talibans ont eux-mêmes annoncé qu’ils poursuivraient leurs attaques contre les militaires étrangers encore présents en Afghanistan, et qu’ils répliqueraient à toute agression venue des forces armées afghanes.
Enfin, le mouvement taliban n’étant plus aussi monolithique que lorsqu’il était dirigé par le mollah Omar (décédé en 2013), il est à prévoir que des commandants locaux s’opposeront au processus de paix – tout comme, inversement, certains ont commencé à se rallier au gouvernement.
De toute façon, comme l’a rappelé le général Nicholson, faisant référence au processus de paix conduit en Colombie qui mit fin à une guerre de 50 ans, il n’est pas rare que des combats se poursuivent pendant des périodes de trêve décrétées par les adversaires.
C’est au plan politique et diplomatique que cette trêve, aussi imparfaite soit-elle, revêt une grande importance
Tout d’abord, en termes de pure politique interne, cette brève cessation des hostilités entre les forces armées afghanes et l’insurrection constitue indéniablement un succès pour le président Ghani, qui en a bien besoin pour raffermir son pouvoir. Après le ralliement de Gulbuddin Hekmatyar, l’année dernière, elle est la seconde avancée significative qu’il peut revendiquer vers cette paix dont il a fait le cœur de sa politique.
Surtout, le fait que les Talibans aient saisi le rameau d’olivier que le chef de l’État leur tendait est bien, de leur part, une manière de reconnaître pour la première fois officiellement la légitimité d’un pouvoir qu’ils n’ont cessé de qualifier de « marionnette des États-Unis ». Ils n’ont d’ailleurs toujours pas répondu à l’offre de paix que leur a faite le président en février dernier, lorsqu’il s’est dit prêt à reconnaître leur légitimité s’ils acceptaient la constitution de 2004 et se constituaient en parti politique.
Ensuite, il a bien fallu que le réseau Haqqani donne son accord à ce cessez-le-feu, puisqu’il est le principal bras armé de la shura de Quetta, la direction politique du mouvement des Talibans afghans, ce qui fait de lui l’une des clés des négociations de paix à venir.
Cette trêve est également importante si elle traduit l’implication du Pakistan, qui, sous la pression de l’administration américaine, aurait persuadé ses protégés afghans d’accepter cette offre du président Ghani.
Le fait que l’Iran, par la voix de son ambassadeur à Kaboul, a salué ce cessez-le-feu est aussi à noter, car avec Islamabad, Téhéran sera l’un des partenaires régionaux incontournables dans toute négociation de paix entre le gouvernement de Kaboul et l’insurrection talibane.
De cette trêve, deux interprétations opposées sont possibles
Pour certains observateurs, les Talibans ont accepté cette trêve parce qu’ils sont en position de force. Ils peuvent donc se permettre de lâcher du lest, afin tout à la fois de « gagner les cœurs et les esprits » de la population (et dans une guerre insurrectionnelle, la psychologie des habitants est le seul terrain de manœuvre qui vaille) et de se démarquer des terroristes de Daesh. À l’inverse, c’est parce que le gouvernement serait sur la défensive et affaibli par ses divisions internes que le président Ghani aurait proposé cette trêve.
Mais on peut aussi faire l’interprétation inverse : si les Talibans ont accepté cette trêve, c’est parce que c’est eux qui sont sur la défensive. Qu’ils gagnent du terrain ne signifie pas grand-chose au regard de leur objectif politique, qui reste de renverser le pouvoir de Kaboul et de rétablir l’Émirat islamique qu’ils dirigeaient jusqu’en décembre 2001, lorsqu’ils ont été chassés du pouvoir par l’Alliance du Nord et les forces américaines. Même si elle contrôle une bonne partie des campagnes, une insurrection qui n’a pas de perspectives sérieuses de renverser le gouvernement en place perd la guerre.
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Cette trêve ne sera-t-elle qu’une simple éclaircie dans un ciel désespérément orageux, ou annonce-t-elle le début d’un « printemps afghan » ?
Cette brève cessation des hostilités sera-t-elle comme la trêve de Noël 1914 que les soldats respectèrent dans leurs tranchées, mais qui n’empêcha pas la boucherie de se poursuivre ensuite ?
Ou au contraire marque-t-elle, pour reprendre l’expression de Churchill, le « début de la fin » de ce conflit ?
L’espoir est quand même permis… On le saura bien vite, dans les semaines qui viennent ; dans quelques mois au plus tard.
2 Comments
C’est une affaire à régler entre Afghans sans ingérence extérieure selon les termes mêmes de la Charte des Nations unies …violées systématiquement par les grandes puissances, commencer par la plus puissante.
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