Il y a de petits films qui ne retiennent pas l’attention, mais qui n’en font pas moins réfléchir pour autant.
L’un d’eux, c’est la production américaine No Escape, un film sorti en 2015, et dans lequel jouent Owen Wilson et Pierce Brosnan… Le premier interprète un brave père de famille qui débarque des États-Unis avec sa femme et ses deux filles, dans un pays qu’on devine être le Cambodge. Il va y travailler pour une multinationale.
Très rapidement après leur arrivée, des troubles éclatent et tous les Occidentaux sont massacrés par des bandes armées.
La famille réussit cependant à s’échapper et parvient in extremis à franchir la frontière du Vietnam, où ils trouvent leur salut. Et on voit alors des soldats vietnamiens, membres d’une armée qui est l’héritière de celle qui a vaincu les États-Unis, sauver, en tirant sur leurs poursuivants, une famille d’Américains moyens poursuivis par des révolutionnaires.
Si on l’avait racontée en 1967 ou 1968, cette histoire aurait fait figure ni plus ni moins que d’un récit de « science-fiction » (autant que pouvait en être le livre que le dissident Andreï Amalrik écrivit en 1970 : L’Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?).
Alors, osons nous aussi un peu de science-fiction.
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Nous sommes en… 2022 (mais ce pourrait être 2021, voire déjà 2020).
Des forces spéciales américaines, britanniques et françaises entraînent des commandos afghans, qui ont cette particularité d’être d’anciens combattants talibans, ceux qu’ils s’acharnaient à éliminer quelques années auparavant.
Ils les forment à rechercher et à détruire les terroristes de l’État islamique, aussi bien en Afghanistan qu’au Pakistan, ou qu’en Irak et qu’en Syrie ; et pourquoi pas aussi dans la zone sahélienne où ils accompagnent les forces françaises – la ministre française des Armées, Florence Parly, a obtenu les crédits pour cela.
Bien formés, conseillés, accompagnés et dirigés par leurs instructeurs américains, britanniques ou français, ce sont les combattants les plus efficaces contre les « Daeshis », qu’ils chassent et détruisent sans pitié.
Science-fiction ?
Dans une enquête passionnante publiée le 8 février 2018, le site américain d’information The Daily Beast raconte comment deux Américains (une ambassadrice et un colonel ayant combattu en Afghanistan puis participé aux premières tentatives de négociations entre l’administration Obama et les Talibans) ont poursuivi une diplomatie officieuse avec les représentants talibans du bureau politique de Doha, au Qatar.
Au fil de leurs discussions, les deux Américains ont senti les positions de leurs interlocuteurs s’assouplir très sensiblement sur les sujets qui « bloquaient » jusqu’ici les négociations, tant avec le gouvernement de Kaboul qu’avec celui de Washington.
« Aucune paix tant que les dernières troupes étrangères n’auront pas quitté le sol afghan. » C’est toujours le discours officiel des Talibans et la précondition qu’ils posent à toute négociation de paix.
Oui, mais … Les Talibans accepteraient maintenant que cette question soit négociée, et ils iraient jusqu’à admettre qu’un gouvernement « inclusif » (auquel ils participeraient) pourrait autoriser le maintien de forces étrangères chargées d’entraîner l’armée afghane… Une armée dans laquelle seraient intégrés une partie des combattants talibans et qui aurait pour mission d’interdire le pays à des mouvements terroristes (l’objectif ultime qu’a toujours poursuivi l’administration américaine dans son intervention en Afghanistan).
Si elle était autorisée par un gouvernement dont les Talibans seraient membres, cette présence américaine (même indéfinie) ne constituerait donc plus, aux yeux des Talibans, une « occupation étrangère ».
Les raisons de cette nouvelle « flexibilité » des Talibans seraient en partie liées à la politique afghane du président Trump, qui, loin de retirer les troupes américaines d’Afghanistan comme il l’avait laissé entendre pendant sa campagne présidentielle, les a au contraire renforcées, en ne fixant pas de délai limite à leur présence, contrairement à ce qu’avait fait son prédécesseur.
Cette décision aurait amené la direction talibane à comprendre que non seulement elle ne l’emporterait jamais sur le terrain, mais que le temps jouait contre elle, en permettant le renforcement, la professionnalisation de l’armée afghane ; alors que ses propres combattants s’épuisent, se découragent, comme l’a montré le cessez-le feu de trois jours observé lors de la fête de l’Aïd en juin 2018.
Alors même que cette diplomatie « off » n’a jamais été officiellement encouragée et encore moins assumée par le Département d’État américain, ses résultats auraient été si probants qu’ils auraient amené la toute récente évolution de l’administration Trump : l’ouverture en juillet 2018 de négociations directes entre des hauts diplomates américains et ces mêmes représentants des Talibans du bureau politique de Doha.
Même si, dans ce malheureux pays qu’est l’Afghanistan, le pire n’est jamais à exclure, les choses pourraient donc aller beaucoup plus vite qu’on ne le croit, à telle enseigne que, selon l’article du Daily Beast, le Pentagone aurait intégré l’idée que le processus de paix allait se poursuivre avec succès et se préparerait déjà à la perspective d’une intégration des anciens ennemis au sein de l’armée afghane.
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Alors, est-il temps pour l’état-major de l’armée française de réfléchir à un programme ultra-secret « Formation des anciens combattants talibans afghans à la lutte antiterroriste » (dont le sigle serait évidemment FACTALA) ?
Peut-être ; et ce ne serait pas de la science-fiction, mais de « l’anticipation ».
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On est dans la répétition de l’histoire en fait parce que les fondements de l’impérialisme restent les mêmes, le néocolonialisme et les profits à court terme à n’importe quel prix. Après avoir éliminé les communistes en Afghanistan ou ailleurs, il faut, pour garder le pays ouvert aux intérêts économiques et stratégiques étrangers, y compris ceux de la drogue, jouer un groupe de seigneurs de la guerre contre un autre. Exactement comme dans la Chine coloniale, où les Occidentaux avaient réussi à éliminer les Taïpings pour “l’ouvrir” à l’opium et aux guerres civiles sans fin, puis cherché à éliminer les communistes. L’objectif n’était pas le bien du peuple chinois, bien au contraire, c’était son pillage. Cela dura jusqu’en 1949. On connait la suite, le pays a retrouvé finalement son indépendance et se prépare à dépasser ses anciens maîtres. Les peuples musulmans aussi sont en train de comprendre que les Nasser, les Kadhafi, les Boumedienne, les Najibullah, les Arafat, n’étaient qu’une entrée insuffisante et que, comme les Iraniens après Mossadegh, la prochaine fois il faudra manger un vrai plat de résistance. Pour l’Afghanistan, on verra d’abord quelles seront les orientations du nouveau premier ministre pakistanais, de concert (ou pas) avec l’Iran, la Russie et la Chine, car les Occidentaux n’ont plus la force et l’autorité pour être pris au sérieux sur le long terme. Il ne peut être exclu d’emblée que des talibans, ayant fait l’expérience du pouvoir et des hypocrisies occidentales et pétromonarchiques, ne deviennent, à force, d’authentiques nationalistes modernes, voire des révolutionnaires car il est probable que certains d’entre eux ont compris qu’on s’est joué des Afghans depuis 1979 au nom d’une lutte contre l’épouvantail soviétique et d’une religion réduite à un ritualisme stérilisé. L’histoire bégaie parce que les Occidentaux refusent de changer leur propre système de société et de pensée dépassé, et cherchent donc à promouvoir un islam de même niveau.