Monsieur le Président,
Je voudrais, par la présente, vous remercier, en tant que Libanais (détenteur également de la citoyenneté canadienne), de votre aimable intervention qui eut pour effet salutaire de résoudre la « crise » survenue à la suite de la démission surprise de notre premier ministre libanais, M. Saad Hariri, annoncée depuis Riyad, ce 4 novembre 2017.
À vous dire vrai, j’ignore, à ce jour, la nature et les véritables raisons de cette « crise », laquelle a dégénéré pour envenimer dangereusement les relations entre l’État libanais et le royaume saoudien. Cette regrettable « crise » était normalement censée naître et mourir à l’intérieur des frontières libanaises, puisque les belligérants impliqués sont libanais, même s’ils subissent les influences, voire les instructions étrangères, ce qui n’est un secret pour personne.
Vous n’êtes pas sans avoir eu vent des rumeurs qui ont immédiatement suivi (voire même accompagné) la démission de M. Hariri, lesquelles continuent de survivre jusqu’à ce jour, malgré le retour de notre premier ministre qui réitère, directement ou par personne interposée, sa version des faits selon laquelle sa démission n’était pas forcée, qu’elle a émané de lui, en toute indépendance, dans son timing, son lieu, son contenu et ses mobiles, et ceci contrairement à l’avis du « Liban officiel », comme si le premier ministre n’en faisait pas partie.
Malheureusement, ni le retour de M. Hariri au Liban, ni ses démentis de loin et maintenant de près, n’ont réussi à dissiper ces rumeurs tenaces, fussent-elles fondées ou infondées, qui continuent de circuler dans les médias locaux et étrangers, rumeurs portant sur la coïncidence entre la démission de notre premier ministre et la purge anti-corruption en Arabie saoudite, sur son arrestation pour diverses raisons reliées à ses « compromissions » politiques, à ses difficultés financières, à la faillite de la société de construction Saudi Oger dont il est le propriétaire, elle-même pointée par les racontars pour des opérations suspectes. Rumeurs qui portent non seulement atteinte au prestige et à la dignité de la personne de M. Hariri, mais conséquemment à notre dignité nationale et citoyenne, puisque le premier ministre nous représente, ceci outre les séquelles très néfastes laissées dans l’esprit de bon nombre de citoyens libanais en quête de vérité.
Force est d’admettre que le manque de clarté a laissé des zones d’ombre, comme des taches persistantes dans notre champ visuel, qui se sont insidieusement infiltrées dans notre esprit pour entretenir le doute. Étant donné le flou dans lequel nous nageons relativement à cette affaire scandaleuse, favorisé par une coutume politique locale qui ne se caractérise pas par une totale transparence, et mus de notre droit de savoir, en tant que citoyens et électeurs, ce qu’il s’est vraiment passé, qu’il me soit permis de vous faire part de ces zones d’ombre, dans l’espoir d’obtenir éventuellement votre éclairage, et ceci avant que lesdites zones ne deviennent des taches indélébiles.
Les questions qui subsistent dans notre esprit sont les suivantes…
Premièrement… Pourquoi M. Hariri n’a-t-il pas pris soin d’appeler notre président Michel Aoun pour l’assurer du caractère libre et indépendant de sa démarche et, par conséquent, le rassurer sur sa situation ? Au regard surtout des rumeurs qui enflaient à mesure que son mystérieux silence se prolongeait durant son séjour à Riyad ? Et ceci afin d’empêcher ce dernier, à bout de patience, d’accuser le royaume d’avoir enlevé son premier ministre et d’alerter les chancelleries étrangères, y compris la vôtre ? Et, par conséquent, déclencher une crise (heureusement étouffée) entre le Liban et l’Arabie saoudite ? Qu’il ne l’ait pas prévenu de sa démission (alors qu’il aurait dû le faire) passe encore ; mais pourquoi ne l’a-t-il pas rassuré aussitôt, ou après ? Et s’il l’a fait, pourquoi la présidence et la diplomatie libanaises sont-elles montées au créneau international pour demander sa… « libération » ?
Deuxièmement… Pourquoi la diplomatie française a-t-elle, à un moment donné, « souhaité davantage de liberté de mouvement pour M. Hariri » durant son séjour à Riyad ?
Troisièmement… Pourquoi avez-vous jugé bon « d’inviter » M. Hariri en France, lui qui y possède des résidences et qui a l’habitude d’y aller sans avoir besoin « d’invitation », ni de permission ? Ce qui a donné l’impression d’une démarche dont le dessein était de le « tirer des griffes » de son ravisseur ? S’il était libre, M. Hariri avait-il besoin de cette « invitation » pour faire le déplacement ?
Quatrièmement… Pourquoi l’acceptation de votre « invitation » par M. Hariri a-t-elle nécessité « l’approbation » des autorités de Riyad ? Si tel fut le cas, selon quelle entente conclue entre les trois parties ? Sans indiscrétion de ma part…
Bien que la réponse à la première question ne soit pas de votre ressort, nous vous saurions gré de l’obtenir pour nous car ici, à Beyrouth, personne ne répond ou ne veut rien entendre, à part les acclamations et les ovations de bienvenue.
Vous conviendrez, Monsieur le Président, que ces interrogations sont amplement justifiées et méritent une réponse de votre part, selon les mêmes principes de transparence qui régissent la vie publique en France et en conformité avec votre culture politique et démocratique qui se défend de laisser les citoyens concernés dans le flou, fussent-ils français ou d’une autre nationalité, surtout amie. Tout comme le citoyen français n’a pas besoin d’être « dans le secret des dieux » pour savoir, n’ayant pas affaire à des dieux (contrairement à la norme imposée dans d’autres pays), mais à ses propres représentants, élus, qui se doivent de lui rendre des comptes, nous, citoyens libanais, vous réclamons des informations pour une affaire nous concernant et dans laquelle la République française a joué un rôle primordial.
En bref, et pour faire simple, que savez-vous de cette affaire, Monsieur le Président ?
Quelle est votre version des faits ? Que s’est-il passé au juste, entre le 4 et le 20 novembre 2017, à Riyad ?
Vous seul (ou presque), grand ami du Liban et des Libanais, êtes en mesure de nous éclairer et de mettre un terme aux rumeurs en les confirmant, ou les infirmant, ou les reformulant.
Franchement, nous n’en sommes pas, au Liban, à un « mystère » près ; mais pour une fois que la France est partie prenante dans cette affaire, nous saisissons l’occasion pour tenter une percée.
Veuillez croire que nombre de mes compatriotes sont las des mystères dans notre pays : des tractations, intrigues, manœuvres, pratiques, activités, aventures et mésaventures mystérieuses.
Quant à moi, sur un plan personnel, le seul mystère que j’arrive encore à tolérer est celui de ma propre foi chrétienne. Et cela me suffit.
En vous souhaitant le meilleur, ainsi qu’à la France, je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’expression de ma plus grande estime pour ce que vous êtes, en tant que personne, et ce que vous faites, en tant que président d’un pays qui nous est si cher.