Après la défaite de l’État islamique dont les djihadistes ont été chassés de leur capitale syrienne, Raqqa, le régime toujours en place à Damas n’a plus que deux groupes d’opposants à réduire avant de proclamer la fin de la reconquête complète du territoire national : dans la région d’Idlib, l’Armée de Libération du Levant (Hayat Tahrir as-Sham/HTS, coalition islamiste dont l’essentiel des combattants est issu des rangs de Jabhet al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaeda) et, dans le nord du pays, les Forces démocratiques syriennes (FDS – très majoritairement constituées des unités kurdes du YPG, la branche syrienne du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, principalement présent en Turquie et en guerre ouverte avec le régime d’Ankara).
Or, tandis que depuis la fin de l’été 2017, l’armée syrienne, fidèle à Bashar al-Assad après ses victoires à Homs, Hama, Alep et Deir ez-Zor, s’active avec l’aide militaire russe à préparer l’assaut sur Idlib, des colonnes de chars et de fantassins turcs ont franchi ce 20 janvier 2017 la frontière syrienne et ont commencé d’attaquer les positions kurdes du YPG dans le nord de la Syrie, soutenus par des frappes nourries de l’aviation.
Au départ, il s’agissait d’une « opération de police » contre les « terroristes du PKK » (le YPG) établis dans le canton d’Afrin (au nord-ouest d’Alep), l’un des trois cantons kurdes (avec Kobanê, au centre, et la Jazeera à l’est) qui constituent le Rojava, la région kurde de Syrie, laquelle s’étend tout le long de la frontière turque. Avec l’intention avouée d’Erdogan de modifier la démographie du canton d’Afrin en se débarrassant des réfugies syriens (arabes) qui se sont entassés en Turquie depuis le début du conflit, et ce en les installant dans le canton d’Afrin à la place de la population kurde.
Cependant, l’opération (baptisée « Rameau d’olivier »), dont l’envergure ne cesse de croître, ne se limite plus désormais à la seule région d’Afrin : les forces turques s’en prennent aussi aux autres cantons du Kurdistan syrien, annonçant la fin du rêve kurde d’une fédéralisation de la Syrie et de la création d’une « région de Syrie du nord ».
Il est très difficile, à ce stade des événements, de prédire les intentions du président Erdogan, qui a promis à son peuple d’en finir avec les « terroristes du PKK » présents à sa frontière. Les forces turques ont-elle reçu pour mission d’aller de l’avant et d’envahir Kobanê et la Jazeera ? Est-ce le début d’une opération d’éradication du YPG ? Se pose aussi la question de savoir si le gouvernement de Bashar al-Assad approuve cette intervention ; y aurait-il un accord tacite ou secret entre Assad et Erdogan dans le cadre de cette opération ? Washington demeure silencieux, car les États-Unis n’ont pas de base militaire dans le nord du gouvernorat d’Alep. Mais, Trump va-t-il laisser Erdogan viser la Jazeera, où des installations militaires américaines existent déjà ?
Une chose est sûre, il y a eu un accord entre la Turquie et la Russie et l’Iran ; ce qui explique le retrait des milices liées à la Turquie et l’avancée de l’armée du régime syrien dans la province d’Idlib.
Ni la Russie, ni l’Iran (ni la Turquie) n’ont apprécié, en effet, le projet de créer une « garde des frontières » de 30.000 hommes que les États-Unis comptaient mettre sur pied en coopération avec le YPG et armer.
De son côté, le président turc a confirmé avoir eu l’aval de Moscou avant d’entreprendre cette opération qui servira de facto les intérêts du régime syrien ; et le Kremlin a rappelé sa volonté de privilégier tous les scénarios qui garantiraient l’avenir de « l’unité nationale de la Syrie ».
La Maison blanche, quant à elle, malgré les appels au secours des Kurdes, n’a réagi que du bout des lèvres à l’intervention turque qui s’en prend de front aux alliés de la coalition internationale menée par les États-Unis contre l’État islamique (rappelons que ce sont les FDS, principalement le YPG, qui ont remporté la bataille de Raqqa, avec l’appui de l’aviation de la coalition) ; un silence gêné, alors même que, depuis le 23 janvier 2017, les bombardements turcs se sont étendus à la Jazeera. On se demande, cela dit, comment les États-Unis pourraient intervenir en faveur du YPG, à la fois contre l’armée turque, membre des forces de l’OTAN, et face à la Russie, présente en Syrie à l’appel du gouvernement « légitime » du pays. Seul un retrait américain, discret et total, semble dorénavant envisageable…
À Damas, le régime a officiellement protesté contre « l’ingérence » d’Ankara dans les affaires syriennes et l’incursion de l’armée turque sur le territoire national.
Mais laissons aux naïfs être dupes : de même qu’en octobre 2017 l’armée turque avait participé à une attaque contre l’Armée de Libération du Levant (HTS) à Idlib, favorisant la progression de l’armée syrienne dans cette région, de même, l’offensive actuellement en cours contre les Kurdes facilitera le retour de Damas dans le nord de la Syrie.
Une fois anéanties à Idlib les forces de l’Armée de Libération du Levant, il ne restera plus ainsi à l’armée syrienne qu’à tourner ses canons vers le Rojava pour écraser les reliquats des FDS ; si toutefois l’armée d’Erdogan laisse à Assad quelques reliefs à se mettre sous la dent.
À n’en pas douter, car c’est désormais certain et plus que jamais : Bashar al-Assad a gagné la guerre.
2 Comments
on ne va quand même pas pleurer la fin des takfiristes, la fin des séparatistes kurdes, la découverte du caractère erratique de la politique d’Erdogan et la restauration de l’unité de l’Etat syrien qui a démontré au cours de toute cette guerre son enracinement populaire
Bacha Al Assad a gagné la guerre parce qu’il ne la mène pas contre une opposition politique mais contre des mercenaires-terroristes qui font la guerre à Al Assad par procuration pour le compte de puissances régionales et internationales. C’est pour cela que le peuple syrien l’a soutenu. Les Syriens ne sont pas dupes, les autres terriens non plus