Le Liban, où aucune réforme sérieuse n’a été entreprise depuis la présidence du général Fouad Chéhab, fait figure de pays irréformable et gangrené par la corruption.
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Le Liban occupe le 143ème rang sur 180 pays du monde au classement 2017 de l’indice de perception de la corruption, publié dans le rapport annuel de Transparency International (TI).
Le dicton « un poisson pourrit par la tête » s’applique malheureusement au pays où la corruption sévit parfois au sommet de l’État et où certains des principaux leaders politiques des communautés ne s’entendent que pour faire main basse sur les fonds publics ; et les montants représentés par cette grande corruption sont bien plus considérables que les pots de vins versés au menu-fretin des fonctionnaires. Comment peut-on en effet demander à un fonctionnaire qui est au bas de la hiérarchie de l’administration publique de ne pas accepter de pots-de-vin lorsqu’il voit ce qui se passe dans les sphères supérieures ?
C’est le système confessionnel (qui implique que toute mise en cause d’un politicien ou d’un haut-fonctionnaire soit considérée comme une attaque dirigée contre sa communauté) qui explique en grande partie la totale impunité dont jouissent les corrompus.
Il existe certes des politiciens, des fonctionnaires et des magistrats intègres, mais ils sont impuissants face à l’absence de réelle volonté politique de lutte conte la corruption. Il en est de même de la Justice et des organismes de contrôle, comme la Cour des comptes ou l’Inspection centrale, qui ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Quant à la récente création d’un ministère de la Lutte contre la Corruption au sein du gouvernement libanais, ce n’est que de la poudre aux yeux : deux ans après l’élection du président Aoun (qui avait qualifié ses adversaires politiques « d’association de malfaiteurs » lorsqu’il était dans l’opposition), la situation du Liban est toujours aussi calamiteuse (et elle n’a pas commencé pendant son mandat)…
C’est ainsi, par exemple, que, plus de vingt-sept ans après la fin de la guerre civile, les citoyens libanais ne bénéficient toujours pas d’une fourniture d’électricité 24 heures sur 24 (depuis dix ans, le ministère de l’Énergie est aux mains du Courant patriotique libre – CPL, le parti du président Aoun). Le cumul des déficits dans ce domaine depuis la fin de la guerre est estimé à 30 milliards de dollars, plus du tiers de la dette publique ! L’hémorragie financière de l’électricité du Liban se situe actuellement autour 1,5 milliard de dollars annuellement.
Un rapport de l’administration en charge des appels d’offres concernant une nouvelle location de deux centrales électriques flottantes, dont le coût est estimé à 1,7 milliard de dollars pour deux ans, dans le cadre d’un énième « plan électricité », recommande au gouvernement de rejeter les offres retenues, du fait de nombreuses irrégularités, d’un manque de clarté et de transparence, et du non-respect des règlements en vigueur. Mais la recommandation de l’administration a été ignorée, alors que les montants dépensés depuis la location de ces navires-centrales auraient permis l’acquisition d’une centrale électrique permanente. Et le ministre CPL d’avoir commencé par rejeter une offre de la firme Siemens, susceptible de résoudre le problème de l’électricité au Liban, avant de se raviser à présent suite aux révélations d’un ancien ministre du parti Amal dont certains dirigeants sont eux même pointés du doigt dans les médias pour corruption.
À l’époque où le ministère des Finances était aux mains du Courant du Futur (le parti du premier ministre Saad Hariri), l’État n’avait pas de budget… Et il existe depuis toujours au Liban des zones de non-droit régies par l’État dans l’État que constitue le Hezbollah, dont la plupart des habitants ne paient pas leurs factures d’électricité…
Un autre scandale imputable à la mafia au pouvoir, c’est celui des déchets. Un scandale qui n’est toujours pas résolu malgré le vain mouvement de protestation de la société civile représentée par le collectif Vous-puez. Signe de son impuissance et du clientélisme politique ambiant, le collectif n’a reçu que peu de soutien citoyen et n’a réussi à faire élire qu’un seul de ses candidats aux dernières élections législatives.
Les principaux responsables de tous ces scandales (l’électricité, les déchets, les télécommunications, les douanes…) sont connus ; et les politiciens eux-mêmes jettent des accusations à la figure de leurs adversaires, tout en oubliant leurs propres turpitudes ou celles des membres de leur parti. Mais rien ne change.
Le népotisme, le clientélisme, les violations des règles d’attribution des marchés publics, l’opacité des commissions occultes, autant de pratiques qui ont la peau dure et sévissent de plus belle.
Les services publics continuent de se dégrader et la dette publique atteint un niveau abyssal.
Deux lois sur l’accès à l’information et sur la protection des lanceurs d’alerte viennent certes d’être votées. Elles devraient en principe permettre à des journalistes d’investigation de dévoiler, preuves à l’appui, des faits de corruption et de dénoncer leurs auteurs. Et un amendement de la loi sur l’enrichissement illicite a été soumis au parlement.
Tout aussi importants et attendus sont la création de la Commission pour la Lutte contre la Corruption, la loi sur la réorganisation de la Cour des comptes, celle relative à l’Inspection centrale, ainsi que l’amendement des textes régissant les marchés publics et le fonctionnement de la Direction générale des adjudications. Mais en l’absence d’une Justice indépendante, elles resteront lettres mortes, des vœux pieux, des textes sans effets dans la réalité du Liban.
Les expériences passées ont en effet montré une tendance chez les politiques à trouver, par tous les moyens, des combines pour contourner ou violer la loi.
La tenue à Paris de la Conférence économique pour le Développement du Liban (CEDRE), en avril 2018, pourrait représenter une lueur d’espoir dans la mesure où les montants alloués sont assujettis à des engagements de réformes, de transparence et de bonne gouvernance ; et où elle ouvre la voie à des partenariats publics privés (PPP). Autorisés par une loi créant un Haut Comité pour les Privatisations et les PPP (qui vient enfin d’être votée après avoir été bloquée pendant près de dix ans), les partenariats publics privés devraient permettre une meilleure gestion de certains services publics. Et le projet d’instauration d’un système de gouvernement électronique visant à rendre les services publics fournis par l’administration plus accessibles devrait contribuer à limiter la corruption.
Mais le blocage et les tiraillements dans la formation du gouvernement risquent de compromettre leur mise en œuvre. Aux dernières nouvelles, l’Irak (qui vient sortir de conflits sanglants ayant laissé de profondes déchirures entre ses communautés) aura dès ce mois d’octobre un gouvernement représentant toutes ces communautés, alors que les politiciens libanais continuent de se disputer autour du partage des portefeuilles ministériels…
Ou plutôt des dépouilles d’un État en déliquescence, rongé par la corruption, et sur lequel plane le spectre de la banqueroute.
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Le gouvernement de l’Irak (qui compte 38,5 millions d’habitants) se composera de 15 ministres ; alors qu’il est prévu que celui le Liban (qui compte 5 millions d’habitants) se chiffrera à 30 !
Le gouvernement de l’Allemagne (qui compte 82 millions d’habitants et a un PIB 80 fois supérieur à celui du Liban) n’en a que 16 !
Au Liban, le « changement » nécessaire n’est pas pour demain.
1 Comment
Excellent article. La situation au Liban ne m’étonne guère, eu égard aux caractéristiques confessionnelles du pays, le délicat équilibre à maintenir entre les différentes communautés, mais il faut dire que cette situation est presque pire que celle du Cameroun, que j’ai bien connue…
Et comme le souligne l’article, des solutions techniques sont largement impuissantes à modifier une telle situation dès lors que la culture politique permet, favorise, même, le développement de ces comportements.