Un jour malheureux. Le sang coule de nouveau sur la terre d’Égypte.
Deux attentats sanglants contre des églises coptes à Tanta, dans le Delta du Nil, et à Alexandrie.
Le crime est ignoble ; revendiqué par le groupe État islamique (EI), il a tué 45 personnes et en a blessé 120 autres. C’était le dimanche 9 avril 2017.
Le nombre des victimes égyptiennes qui succombent tous les jours depuis le 25 janvier 2011 se multiple, et davantage sous les coups des militaires qui n’ont jamais lâché prise depuis qu’ils ont pris le pouvoir par un coup d’État… en 1952.
C’est le onzième fléau, la onzième plaie, celle que perpétue la junte militaire à l’encontre des Égyptiens, réaffirmée en juillet 2013 par le maréchal al-Sissi lorsque les citoyens ont osé réclamer le pain, la liberté et de pouvoir vivre dans la dignité.
En ce qui concerne les derniers événements, ces attentats contre des Chrétiens, moi, personnellement, je ne trouve pas les mots pour condamner ces actes cruels et détestables… Mais je m’empêche aussi de penser à haute voix à propos des circonstances locales et internationales qui entourent ce massacre, et c’est en mon for intérieur que je cherche à comprendre qui pourraient être les bénéficiaires du crime.
Le vendredi 7 avril, le dictateur qui gouverne désormais l’Égypte, Abdel Fattah al-Sissi, est revenu des États-Unis où il avait reçu un accueil chaleureux du nouveau président américain, Donald Trump. Les deux hommes se sont échangé de nombreux sourires et des compliments affectueux. Manifestement, Donal Trump sait exprimer ses sentiments quand il apprécie quelqu’un, comme il sait aussi le faire savoir à ceux qu’il n’apprécie guère ; la chancelière allemande s’en souviendra longtemps…
Cependant, nous, les Égyptiens, mis à part la bonne entente qui anime notre dictateur et le président Trump, on ne sait rien de ce qui va pratiquement résulter de cette visite si amicale. On ne peut pas, bien évidement, se fier aux rumeurs que font circuler des médias égyptiens dorénavant tous aux ordres du pouvoir et qui prétendent que cette rencontre apportera la solution à tous les problèmes de l’Égypte. Mais on se doute que notre maréchal-président n’est pas le maître du jeu international… Une photographie a circulé sur les réseaux sociaux, qui a beaucoup ennuyé le dictateur de l’Égypte : le véritable maître, celui qui loge à la Maison blanche, y figurait, assis, derrière son bureau, entouré des membres de la délégation égyptienne, debout, et, à leur tête, se tenait al-Sissi.
On ne sait pas ce qui était décidé à Washington concernant notre pays, mais la première demande inscrite à l’agenda d’al-Sissi, qui avait impatiemment attendu le départ de Barack Obama pour mettre enfin les pieds à la Maison blanche, ce fut de demander au nouveau président que les États-Unis qualifient la confrérie des Frères musulmans en tant que groupe terroriste et de reconnaître l’Égypte (son dictateur, plus exactement) comme l’un de leurs fidèles alliés dans la région. Et Donald Trump lui a accordé tout ce qu’il désirait en matière d’engagement aveugle contre le « terrorisme ». Par contre, il semblerait que, si le président américain a loué l’excellente gestion autoritaire dont son homologue fait preuve chez nous, on n’a pas parlé de quelques détails qui incommodent les Égyptiens au quotidien : la violation des Droits de l’Homme (pourtant assez flagrante), la torture, les centaines des milliers de détenus et les nombreux disparus, autant de petits problèmes dont le président Trump, de notre avis à nous, les citoyens de l’Égypte, aurait pu toucher un mot ou deux à son invité.
Seul l’écho des paroles de Sarah Margon, responsable de Human Rights Watch à Washington, a résonné dans le silence international : « Inviter Monsieur Sissi pour une visite officielle à Washington au moment où des dizaines de milliers d‘Égyptiens croupissent en prison et où la torture est de nouveau à l’ordre du jour est une étrange façon de bâtir une relation stratégique stable. »
Al-Sissi, de son côté, à peine rentré à la maison, s’est montré ravi et très empressé de mettre en œuvre les décisions prises en Amérique ; et son ministre de l’Intérieur de déclarer sans attendre que les procédures pratiquées dans la lutte contre le terrorisme allaient connaître des changements radicaux. Que cela signifie-t-il ? Cela non plus, nous ne le savons pas encore ; mais on en tremble déjà d’inquiétude…
Par ailleurs, al-Sissi s’était demandé s’il allait entendre parler de la conférence de presse tenue au Sénat italien, le 4 avril, à la demande des parents de Giulio Regeni, durant laquelle la mère de Giulio a demandé l’aide du Pape pour obtenir la vérité sur les circonstances de l’assassinat de son fils au Caire. Pour rappel, ce jeune étudiant italien qui préparait un doctorat sur les syndicats ouvriers égyptiens indépendants, a été enlevé, torturé à mort de la pire manière imaginable pendant des jours, puis son corps a été jeté dans un fossé, les membres, les côtes, les doigts brisés, la peau couverte de brûlures et de coupures, lacérée…
Le Pape François, en effet, était attendu à la fin du mois d’avril, en Égypte, pour y rencontrer al-Sissi, le grand imam de la mosquée al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb, et son homologue copte orthodoxe, Tawadros II. Mais rien n’a filtrer et on peine à deviner ce qui pourra concrètement ressortir de cette visite, notamment parce que le Pape n’a pas réagi, jusqu’à maintenant, à la sollicitation des parents de Giulio Regeni… Peut-être parce que les préoccupations du Pape ne vont qu’aux Coptes, dont la communauté s’accommode fort bien du nouveau raïs, lequel sait jouer des peurs qui animent les Chrétiens pour s’assurer de leur soutien… un peu comme al-Assad en Syrie… ou comme Saddam Hussein, en son temps, en Irak.
Il est vrai que les Coptes ont souvent été la cible d’actes de violence en Égypte, depuis le coup d’État de 1952 qui avait amené les militaires au pouvoir… Et les années ‘90 furent particulièrement marquées par une vague de terrorisme qui visait le régime d’Hosni Moubarak et dont les Coptes et les touristes furent les cibles principales. Les auteurs des attentats pensaient affaiblir le régime en s’attaquant à ces cibles faciles et sensibles. Le tourisme est en effet une ressource importante pour l’Égypte. Depuis la révolution de 2011, il a fortement périclité et les investissements étrangers se sont considérablement amenuisés ; la situation interne en Égypte est catastrophique, économiquement et socialement, outre l’effroyable aspect politique.
Aussi la situation est-elle différente… Les deux attentats offrent coïncident avec les décisions de Washington et détournent les gens des préoccupations socio-économiques. Les attentats ont permis, pour commencer, le retour à l’état d’urgence ; ce qui, en vérité, n’a pas changé grand-chose : il s’agissait de « légaliser » une situation déjà existante dans les faits. Une situation d’exception qui avait caractérisé les trente années de règne de l’ancien dictateur, Moubarak, et qui a motivé le terrorisme. Mais l’état d’urgence a tout de même été assorti d’autres mesures, qui touchent davantage encore les médias, les institutions religieuses musulmanes et l’appareil judicaire.
Le régime n’a pas non plus tardé à profiter des deux attentats pour, dès le lendemain, exiger de son parlement qu’il approuve en quelques séances expéditives toute une série de projets de lois qui faisaient polémique, comme cet accord sur les frontières maritimes avec l’Arabie Saoudite (qui abandonne deux îles stratégiques égyptiennes aux saoudiens), lequel traînait à se concrétiser depuis des mois, mais, surtout, cette loi qui garantit dorénavant au général de pouvoir lui-même nommer tous les chefs des principaux tribunaux (une mesure qui avait déjà été prise concernant les institutions de presse) et encore cette autre loi qui lui donne également barre sur l’Université et la mosquée al-Azhar, l’une des plus hautes autorités de l’Islam.
Dans les rues, dans les cafés du Caire et d’Alexandrie, les citoyens commencent à parler, mais à voix basse… Quelques-uns se demandent qui sont les auteurs des derniers attentats… Il n’est en effet plus possible de ne pas se rendre compte que seul el régime en ressort fortifié.
Le régime, qui a toujours nié être responsable des tortures terrifiantes qui ont causé la mort de Giulio Regeni… et accusé les « terroristes »… Un régime toujours à la recherche de prétextes pour justifier sa politique ultra-répressive et convaincre l’Occident du bien-fondé de la dictature.
Cette terreur qui pèse aujourd’hui sur l’Égypte, plus que sous Nasser, plus que sous Moubarak, plus que jamais dans l’histoire moderne de mon pays, c’est le système de gouvernement nécessaire à la pérennité de la mainmise des militaire sur l’économie et le pouvoir. L’empire désormais presque total d’al-Sissi sur les institutions, en effet, ne le met pas à l’abri d’un nouveau soulèvement populaire : les alertes des services de renseignement et de sécurité concernant une explosion sociale sont multiples ; le début de la préparation des élections présidentielle, avec un taux de la popularité du général qui se réduit progressivement, les rumeurs persistantes à propos d’un coup d’État qui viserait à ramener au pouvoir Ahmed Shafiq (le dernier premier ministre du Moubarak et le rival du président Morsi), la blessure à l’amour-propre national qu’a causée la cession des deux îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie Saoudite…
Le maréchal-président n’oublie pas qu’il dirige le pays uniquement par le biais d’un État policier et qu’il s’est emparé de l’Égypte en s’en prenant à un président démocratiquement élu, Mohamed Morsi.