Égypte – Tel-Aviv et Le Caire : une alliance assumée ?

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Les combats ont repris, vendredi 8 août, entre Israël et les groupes palestiniens de la Bande de Gaza. L’échec des négociations indirectes tenues au Caire sous médiation égyptienne a mis un terme au cessez-le-feu obtenu trois jours plus tôt. Plus d’un mois après le début du conflit, l’impasse diplomatique menace d’alourdir le bilan humain : près 1900 palestiniens tués (plus de deux tiers de civils) et 10.000 blessés contre 63 soldats et deux civils israéliens tués. Si la plupart des pays occidentaux affirment, comme à l’accoutumée, le « droit d’Israël à se défendre », la complicité des pays arabes, et celle de l’Égypte plus particulièrement, choque davantage encore. Au point de s’interroger sur la nature des relations israélo-égyptiennes un an après le coup d’État de juillet 2013.

Tout commence le 12 juin, lorsque trois jeunes Israéliens disparaissent en Cisjordanie. Rapidement, sans enquête préalable, ni preuve à l’appui, le gouvernement israélien accuse le Hamas d’avoir commandité leur enlèvement. Le mouvement palestinien a beau démentir en être l’auteur, rien n’y fait, l’engrenage est lancé. Deux semaines plus tard, les trois Israéliens sont retrouvés morts. Le 8 juillet, l’armée israélienne lance l’opération « Bordure protectrice ».

Le conflit actuel est d’ores et déjà exceptionnel de par sa longueur. L’opération « Plomb Durci » en 2008-2009 s’était achevée après 22 jours, contre 7 pour l’opération « Pilier de défense » en 2012. Plus de 27 jours ont également été nécessaires pour qu’un cessez-le-feu consistant soit négocié. Le principal obstacle à la fin des hostilités réside, ici, dans l’absence de médiateur crédible considéré comme fiable par les deux belligérants. Ce rôle appartenait traditionnellement à l’Egypte.

Or, aujourd’hui, pour paraphraser le propos d’Imran Garda, ancien journaliste d’al-Jazeera, les dirigeants arabes ne s’embarrassent même plus des discours de solidarité feinte à l’égard des Palestiniens. L’indifférence prévaut, quand il ne s’agit pas ouvertement de complicité.

L’attitude du Caire tranche aujourd’hui avec l’action diplomatique du gouvernement de l’ancien président islamiste, Mohamed Morsi, au moment de la crise de novembre 2012. Depuis lors, éradiqués du champ politique égyptien, les Frères musulmans ont laissé place à un pouvoir militaire souhaitant explicitement la chute du Hamas, issu du même courant idéologique que la Confrérie, fondée par Hassan al-Banna.

Ainsi, parmi les charges invraisemblables retenues contre le président Morsi, la justice égyptienne l’accuse, entre autres, d’avoir conspiré avec le Hamas afin de lui céder une partie du Sinaï.

EGYPTE - Août 2014 - Mehdi KARIMILes ennemis de mes ennemis sont mes amis…

L’Égypte du président Abd el-Fattah al-Sissi n’a donc objectivement aucun intérêt à jouer efficacement le médiateur entre Israël et le Hamas. Le 15 juillet, une première proposition de cessez-le-feu avait été acceptée par Tel-Aviv mais rejetée par les Palestiniens. Et pour cause : celles-ci n’avaient été négociées qu’avec les autorités israéliennes et transmises ensuite aux groupes palestiniens par le biais des médias.

L’échec attendu de cette première médiation égyptienne –destinée davantage à sauver les apparences– a permis au Caire de se laver les mains du sort des Palestiniens et d’imputer la mort des civils au Hamas. En affirmant également que le rejet d’un accord par le mouvement palestinien le rendait responsable des conséquences de l’opération terrestre israélienne, Sameh Shoukry, le ministre égyptien des Affaires étrangères, s’est ainsi parfaitement aligné sur la rhétorique israélienne.

L’Égypte ne joue pour autant pas qu’un rôle passif dans la tragédie en cours. Comme sous la présidence d’Hosni Moubarak, le pays participe directement au blocus de la Bande de Gaza. En refusant d’ouvrir –à quelques exceptions près– le terminal de Rafah, elle empêche les civils de fuir les bombardements et les blessés d’être évacués. Plus encore, elle ne permet pas même à l’aide humanitaire internationale d’entrer dans l’enclave palestinienne.

Engagées dans une guerre totale contre l’organisation des Frères musulmans, qualifiée de « terroriste », les autorités égyptiennes n’ont pas fait mystère de leur intention à l’égard de son pendant idéologique palestinien. L’élimination du Hamas n’est que la prochaine étape : « Nous ne pouvons pas être libérés du terrorisme des Frères musulmans en Égypte sans en finir avec lui à Gaza », affirmait, en janvier dernier, une source sécuritaire, sous couvert d’anonymat, à un journaliste de l’agence Reuters. Dès la chute de Morsi, l’armée égyptienne avait par ailleurs entrepris la destruction des tunnels qui reliaient la Bande de Gaza à l’Égypte.

Mais, s’il n’est pas possible de recourir à une confrontation militaire directe, l’Égypte compte bien s’attaquer, d’abord, à la crédibilité du Hamas –ce qui est déjà le cas médiatiquement–, puis s’appuyer sur la présence d’autres groupes armés palestiniens « qui ne sont pas en bons termes » avec le Hamas au cœur même de la Bande de Gaza.

Tous les moyens sont donc acceptables, pour Le Caire, afin de parvenir à éradiquer le mouvement palestinien au pouvoir depuis 2007.

Et pourquoi pas même coopérer directement avec Israël ?

Un niveau de coopération historique

Cela n’est un secret pour personne : Israël et l’Égypte coopèrent de longue date, notamment en matière de sécurité dans le Sinaï. Mais selon Amos Gilad, directeur des affaires politico-militaires au sein du Ministère israélien de la Défense, « les relations entre Israël et l’Égypte se sont améliorées dramatiquement » depuis la chute de Morsi, ouvrant « la meilleure période de coopération diplomatique et sécuritaire avec des Arabes ».

Le 24 juillet, Ansar Beit al-Maqdis, un groupe islamiste qui a revendiqué de nombreux attentats terroristes en Égypte depuis le coup d’état de juillet 2013, a déclaré avoir été visé par des tirs de drones israéliens ayant pénétré dans le Sinaï. Une opération qui n’aurait, bien entendu, pas pu avoir lieu sans l’accord de l’armée égyptienne.

Les relations israélo-égyptiennes pourraient même continuer de s’étendre au-delà du domaine strictement sécuritaire. Confronté à une crise énergétique sans précédent, conséquence de la mauvaise gouvernance, l’Égypte est devenue importatrice nette de gaz, alors qu’elle en exportait il y a trois ans. Au cours des dernières semaines, le ministre du Pétrole, Sharif Ismail, avait indiqué que le gouvernement pourrait étudier la possibilité d’importer du gaz israélien, par l’intermédiaire de société occidentale, ajoutant qu’il n’y voyait « aucune honte », face à la situation que traverse le pays.

Pourtant, après le soulèvement du 25 janvier 2011, nombreux avaient été les Égyptiens qui avaient dénoncé l’accord gazier conclu à l’époque de Hosni Moubarak. L’Égypte exportait alors son gaz vers Israël en le vendant à un intermédiaire pour une valeur plus de huit fois inférieure au prix du marché. Des proches de l’ancien président et d’anciens agents du Mossad furent accusés de s’être emplis les poches à la faveur de cet accord qui aurait fait perdre plus de 11 milliards de dollars à l’Égypte.

Du point de vue de la rue égyptienne, enfin, si la population reste solidaire de la cause palestinienne, la propagande médiatique gouvernementale assommante a fini d’en convaincre beaucoup de la responsabilité du Hamas, « officine des Frères », dans le sort des Palestiniens de la Bande de Gaza.

Dans les cortèges des opposants au régime militaire égyptien, les drapeaux palestiniens se mêlent certes aux bannières « anti-coup ». Mais l’ampleur de ces manifestations, soumises à la répression, reste bien inférieure à celle des rassemblements contre l’opération militaire israélienne organisés à Londres, Chicago, Istanbul et même… à Tel Aviv.

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Mehdi Karimi

Politologue - (Le Caire - ÉGYPTE)

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