L’Afrique, « monde mystère », pétri d’hostilité et de peur, dont les traits culturels scandalisaient, telles les coutumes « sauvages » des tribus, et le sacrifice humain…
Fin du XIXème siècle et début du siècle suivant : l’Europe part à la conquête du continent noir.
L’évangélisation des peuples colonisés constitue l’une des « raisons » de la « mission civilisatrice » de la colonisation européenne.
Mais la connaissance qu’on avait du « Noir africain » n’était fondée que sur les clichés déformants, dépeints à l’envi par les voyageurs, les militaires, les explorateurs et les religieux- missionnaires ; et largement diffusés dans l’opinion par la publication de leurs récits qui faisaient sensation.
L’évangélisation de l’Afrique a-t-elle été au cœur de la « mission civilisatrice » des puissances coloniales ?
L’évangélisation devait aller de pair avec l’implantation de « la société à l’occidentale », se basant sur la science empirique pour mettre un terme au sous-développement et à l’inculturation. Le missionnaire est le héros, venu combattre et vaincre la puissance du Diable, dans le but de moraliser les êtres noirs abrutis et de sauver ces malheureux afin qu’ils échappent à l’Enfer qui les attend après la mort (Matthijs C. Blok, 2004). Les missions chrétiennes eurent ainsi un rôle moteur dans ce projet civilisateur, et ce bien qu’elles fussent, de façon permanente, en concurrence entre elles en raison de la rivalité opposant Catholiques et Protestants.
Mais cette mission civilisatrice met en évidence une complexité de l’action missionnaire. Car la présence d’un christianisme missionnaire sur les terres nouvellement conquises par les colonisateurs européens participa –non pas toujours, mais bien souvent– à un véritable processus traumatique d’aliénation symbolique et psychique des populations locales (X. Gravend-Tirole et N. Kisukidi Yala, 2013). Même si certains théologiens s’indignèrent contre leur hiérarchie en Europe en dénonçant des pratiques néfastes de l’occidentalisation qu’ils qualifiaient de contre-valeurs pour le peuple africain.
Par ailleurs, on constate un entrelacement entre le Christianisme en tant que corps institutionnel et le pouvoir colonial local qui masque un dernier enjeu : la quête du prestige et de la puissance.
La conquête des terres par les missionnaires permet de guider les expéditions militaires en fournissant de précieux renseignements sur les populations, les richesses disponibles ainsi que les éventuelles oppositions. D’où, selon Achille Mbembe : « La conversion de l’indigène a été tout, sauf neutre ou gratuite. En toute hypothèse, et au risque de heurter une certaine théologie romantique, elle n’a pas été, fondamentalement, le fait de l’Esprit saint. Que les sociétés indigènes se soient, pour ainsi dire, laissées ‘appâter’, puis ‘capturer’ par certaines religions et non la totalité du Christianisme signifie précisément que leur ‘conversion’ fut sélective. Mieux, elle prit constamment en compte les perspectives de gains et de profits symboliques et matériels qu’était de nature à entrainer le troc des idiomes religieux ancestraux contre les idiomes des vainqueurs. » (A. Mbembe, 1988).
Quel rôle l’Islam a-t-il joué dans les mouvements d’indépendance ?
Il semble incontestable que l’Islam a joué un rôle essentiel dans la préparation de l’indépendance d’un certain nombre de pays africains, notamment ceux du Maghreb. L’algérien Ben Badis, célèbre pour sa formule « L’Algérie est ma patrie, l’arabe ma langue, l’Islam ma religion », et le marocain Allal el-Fassi, chef du parti Istiqlal («Indépendance»), soutenu par le Sultan Mohamed V, ont prôné la lutte de libération pour défendre les valeurs arabes et islamiques. L’Islam est vu comme le bassin où toutes les identités éparses doivent, comme des rigoles, se rejoindre et se fondre; c’est un savoir, une langue, une culture, une manière de se positionner et de se comporter, un savoir et un pouvoir scientifique et politique (K. Chachoua, 2011). La force de l’Oumma, la communauté islamique, réside dans sa personnalité, dans les traits qui sont communs à tous les Musulmans, quel que soit leur patrie.
«L’Occident colonisateur s’est aperçu que le Musulman ne se soumettait à son emprise matérielle et spirituelle ‘qu’en perdant son âme’. Ainsi, le principal obstacle à l’intégration des Musulmans était l’abandon du statut coranique. Le colonisateur n’a pas compris que la soumission à une autorité non musulmane n’était que provisoire.» (E. Bruno, 1966) Par application de la théorie de la « daruriya » (la « nécessité »).
La volonté du colonisateur d’interférer dans le domaine religieux est prise par les Musulmans comme un sacrilège et une réelle motivation de lutte pour la libération et la défense des valeurs arabes et islamiques. En Algérie comme en Tunisie ou au Maroc, l’Islam a donné plus d’autorité et de force aux mouvements nationalistes pour réagir contre la dénaturation du colonialisme. Cet emprunt, cette connexion entre valeurs religieuses et aspirations nationales ne peut surprendre dans ces pays de traditions musulmanes où, face à la politique de nivellement des communautés autochtones au plan culturel et religieux, l’Islam apparaissait comme valeur refuge, un substitut de la nationalité (Fr. Fregosi, 1992).
D’ailleurs, on constate qu’après les indépendances, les mouvements nationalistes se sont en effet dotés d’un droit constitutionnel dont la référence à la religion musulmane est plus réelle et intégrée dans l’État. Une tendance observée dans l’ensemble du Monde musulman (majoritairement dans les pays arabes) à reconnaître à l’Islam un statut officiel en signe de principe et d’héritage sacré.
Quel impact l’Islam a-t-il eu dans ces pays libérés, jusqu’à nos jours?
L’impact de l’Islam a différé selon les pays. L’imprégnation musulmane est partout significative, mais la société musulmane revêt, selon les lieux, des aspects très divers.
La physionomie sociologique de chacun des États est originale. En raison de cette diversité de la vie musulmane, que se soit au Maghreb, en Afrique de l’Ouest et de l’Est, plus précisément en Mauritanie ou au Soudan du Nord, on retrouve un Islam qui, en dépit de quelques différences de méthode, d’interprétation et même d’objectifs, demeure, en intention et en fait, unitaire et unificateur.
L’Islam s’identifie au peuple et à ses structures sociales et politiques. On observe par exemple que, dans chacun des pays du Maghreb, l’Islam est, formellement ou en fait, reconnu comme la religion soit de l’État, soit au moins du peuple. Il semble donc logique que l’Islam fournisse partout la même impulsion, et les différences que l’on peut observer procèdent seulement de la manière dont cette impulsion est accueillie et interprétée et des conséquences pratiques qui en sont tirées.
De même, la conjoncture géopolitique a également influencé le retour à un Islam rigoriste tant en terme de conception et de pratique qu’en matière d’organisation politique et sociale ainsi que des mœurs.
Aujourd’hui, l’Afrique semble faire l’objet d’une nouvelle poussée de l’Islam politique, voire intégriste, risquant de fragiliser les équilibres précaires et d’offrir des angles de pénétration à la violence islamiste.
Au sein du monde sunnite, une poussée réformiste de tendance sunnite hanbalite, souvent néo-wahhabite, stigmatise le sunnisme malékite des confréries de l’Islam noir traditionnel.
« Dans ce cadre, toutes les grandes sources de l’Islam radical se positionnent peu à peu au sein de certains États du Sahel et du Maghreb en s’appuyant sur leur légitimité spirituelle et historique. Ces nouvelles forces, tout en étant de nature trans-étatique, sont par ailleurs pilotées par les États moteurs de l’islamisme radical (Arabie Saoudite, Qatar, Iran et Soudan du Nord) et interagissent avec les forces islamiques autochtones, les confréries, et ceci de manière propre à chaque pays. » (T. Mehdi, 2010). C’est dans ce registre qu’a progressivement pris racine un terrorisme massif et irrationnel : la menace islamiste radicale, illustrée notamment par un grand nombre de groupes terroristes qui écument le continent africain et dont certains se sont liés à l’État islamique (EI).
Finalement, comment le paysage religieux colonial a-t-il façonné l’Islam tel qu’il se présente aujourd’hui sur le continent africain ?
De fait, depuis les indépendances, et jusqu’à aujourd’hui, on constate une redynamisation de l’Islam caractérisé par une pratique religieuse intensive.
La sédimentation de signes religieux variés (en termes d’étiquette religieuse, d’origine géographique des acteurs, etc.) s’est incontestablement accélérée depuis deux décennies. « Cette transformation prend la forme d’un éclatement, d’une fragmentation directement visible par la multiplication, voire l’atomisation des lieux cultuels qui traduit, plus profondément, de nouveaux modes de croire, de communier et de pratiquer. » (M. Lasseur et C. Mayrargue, 2011).
On assiste aussi à une vague culturelle de fond d’un Islam perceptible à travers le nombre de publications qui y sont consacrées et le nombre de réseaux qui s’y intéressent.
Toutefois, malgré ce nouvel élan, on constate une émergence des tensions autour de ce courant religieux. On observe la montée de comportements et d’attitudes qui témoignent d’une contestation de l’Islam en tant que valeur universelle partagée par tous les Musulmans.
L’affirmation de la différence religieuse caractéristique d’un Islam pluriel qui peut accompagner ces comportements donne une tonalité nouvelle quand à une crise de l’identité islamique.
5 Comments
Cet article soulève une question un peu négligé en Afrique. Il est très intéressant et merci à l’auteur pour cette analyse et au Courrier du Maghreb et de l’Orient pour la qualité de ce travail remarquable.
l’Occident colonisateur a voulu dénaturé les musulmans sauf que ceux ci ne ce sont pas laissés tromper comme le reste des africains subsahariens qui ont abandonné leur coutume.
Les missionnaires européens et américains sont venus tout faire en Afrique sauf l’évangélisation et la conversion du peuple africain. Au contraire, c’étaient des colons déguisés qui sont venus s’enrichir, satisfaire leur curiosité et s’approprier des pouvoirs dont ils ne possédaient pas chez eux.
Je dirais aussi que les missionnaires ont aussi joués un très grand rôle notamment dans le volet éducatif et religieux. On peut notamment voir tout les écoles et universités catholiques ou protestantes qui ont fleuris en Afrique et qui ont aidés à former les premiers administrateurs africains. Et le christianisme est une religion majoritaire en Afrique aujourd’hui, devant l’islam et l’animisme.
Peut-on dire alors que les africains du nord ont été plus sages que les africains du sud en conservant leur religion: l’islam ?