MONDE ARABE – L’ingérence occidentale en Afrique du Nord

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En termes d’influences étrangères sur les pays nord-africains, il s’agit d’évoquer principalement la pression française et, de plus en plus, celle qu’exercent les États-Unis qui poussent à l’intégration au marché globalisé quand l’adhésion n’y est pas spontanée.

Deux formes d’ingérences, en fait plus ou moins « soft », dans les affaires intérieures des États.

En son temps, la notion d’ingérence prônée par l’ONG Médecins sans Frontières (MSF), semblait  surgir du légitime sentiment humaniste. Pourtant, il n’a pas fallu attendre longtemps pour découvrir que le droit international en allait être pratiquement « abrogé », car plus aucun pays, désormais, hormis les quelques puissances qui disposent d’arguments militaires convaincants, ne peut être assuré de préserver sa souveraineté nationale…

Un état de fait qui s’est confirmé après ce qui s’est passé en Afghanistan, en Irak, en Libye et, partiellement, en Syrie, où les mécanismes et la procédure de sélection des « régimes » éligibles à l’ingérence sont mis au jour.

Au cœur de ces mécanismes, se trouvent toujours certaines « organisations non gouvernementales » (ONG), définies comme personnes morales à but non lucratif financées, en principe et seulement en principe, par des fonds privés. Il faut noter, surtout et aussi, que « non gouvernementale » est un qualificatif qui donne tous les gages de l’impartialité, de la neutralité et du désintéressement, que sont censées dicter les seules considérations humanitaires, comme dans le cas déjà évoqué de MSF. Dans cette catégorie, il y a toutes sortes d’associations, de ligue, … des observatoires divers et nombreux… et tutti quanti. Et, in fine, à bien y regarder, en amont, en aval et autour de ces O « NG », il y a presque exclusivement des gouvernements, exclusivement européens ou états-unien, surtout les États-Unis, qui se mêlent des dossiers qu’ouvrent lesdites ONG.

Dans cette veine, considérons par exemple le cas de la National Endowment for Democracy (NED). Elle a publié sur son site : « Chaque année, la NED distribue plus de 1.000 subventions pour soutenir les projets de groupes non gouvernementaux à l’étranger qui travaillent pour des objectifs démocratiques dans plus de 90 pays. » On peut aussi lire ceci : « Son statut de fondation non gouvernementale lui donne une flexibilité qui permet de travailler lors des circonstances les plus critiques de la planète et de répondre rapidement lorsqu’il y existe une chance d’évolution politique. »

Plus évocateur, l’exemple de la vidéoconférence du 11 février 2011, lors de laquelle Hillary Clinton, devant une assistance internationale, déclarait à travers son réseau d’ambassades : « We have a broad cross-section of global civil society here today, and we have thousands of others who are participating via interactive videoconferences at 50 of our embassies around the world.  » Elle précisait: « J’ai demandé à chaque ambassadeur américain de s’engager avec la société civile en tant que pierre angulaire de notre diplomatie. »

Ces deux exemples donnent le ton du contexte dans lequel, en concomitance des ONG spécialisées dans les « Droits de l’Homme », a lieu la déferlante triomphale du néolibéralisme libéré par l’effondrement des bureaucraties staliniennes du pacte de Varsovie ; une déferlante boostée par le FMI et la Banque mondiale, qui en sont les messagers pourvoyeurs de conseils « patentés ».

Dans le cas de l’Algérie, citons Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI, qui s’exprime dans un livre, paru en 2014 : « Ce pays, en fait, ouvre l’histoire économique de son indépendance handicapé d’une double tare : les mirages soviétiques d’une planification centrale conduisant à de formidables gaspillages de la rente pétrolière et un interventionnisme colbertiste de la pire espèce, hérité de son colonisateur, dont il ne fera qu’accentuer les travers. » Nous devinons, immédiatement, que les « conseils » qu’il a délivrés ne souffraient d’aucune équivoque sur les « changements » à apporter à un système de gouvernance héritée d’une politique profondément sociale…

Ces « conseils », comme il l’avoue lui-même au Magazine-decideurs.com (26 septembre 2014), ne sont que ceux d’un commis : « Nous n’avons fait qu’appliquer les principes d’inspiration libérale soutenus par la communauté internationale. »

La réalité algérienne exprime aujourd’hui les fruits de l’adhésion, fût-elle même partielle, aux directives du FMI et des chantres de « l’économie de marché » : l’Algérie démantèle son tissu industriel, son agriculture, abandonne ses velléités « socialistes » et montre patte blanche aux investisseurs étrangers, qui n’en finissent pas d’exiger plus de « réformes », tandis que ses dirigeants sont diabolisés par une presse française sans concession. Car il y aurait encore des « mesures » plus « courageuses » à prendre, dont la complète ouverture du marché de l’énergie et la suppression des subventions de certains produits de large consommation.

Là, cependant, l’ingérence occidentale se heurte à la pression des masses populaires, peu enclines à laisser remettre en cause les acquis d’une libération nationale algérienne qui a été sociale dans son essence.

Dans le cas du Maroc, on ne saurait parler « d’ingérence » au sens propre, puisque la royauté marocaine fait partie intégrante du plan occidental, dont elle reçoit, en contrepartie, protection et soutien.

Mais il est utile de préciser que le monarque peut être amené à se plier à quelques exigences étrangères qui peuvent renforcer la vague de mécontentement social, qu’il contient tant bien que mal. Rappelons à ce propos le cadeau présenté par Mohammed VI au président français Nicolas Sarkozy : le lancement, le 29 septembre 2011, à Tanger, des travaux du « premier TGV arabe et maghrébin »… Pour aider l’industrie française en difficulté. Coût pour le Maroc ? 24 milliards de dirhams, soit plus de deux milliards d’euros.

Entre autres réactions, le site marocain Yabiladi avait publié un article indigné qui mettait en évidence le caractère insensé du projet : il faudrait trente ans, dans les meilleures conditions de remplissage, pour l’amortissement du projet.

Partant du  comparatif du PIB par habitant des deux pays partenaires (2.400 euros en France contre 320 euros au Maroc), Yabiladi conclut : « C’est comme si la France avait décidé de construire une ligne grande vitesse à 58 milliards d’euros. » De plus, le train sera inévitablement subventionné par l’État, au même titre que les produits alimentaires de base, et l’argent sera emprunté. Tandis que… le marché été attribué sans appel d’offres.

En retour, le Makhzen [ndlr : l’État profond marocain, tributaire de la famille royale] est à présent admis parmi les « partenaires privilégiés » de l’Union européenne.

Dans le cas de la Tunisie, la révolution de janvier 2011 a d’abord provoqué une peur panique au sein de l’establishment atlantiste, par son caractère imprévu et incontrôlé.

La chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali pouvait entraîner la sortie du pays de la zone d’influence occidentale et, pire, déboucher sur un révolution sociale exemplaire pour la région du Maghreb (et même pour les populations des pays européens économiquement fragilisés).

In fine, cependant, la survie du système, à travers celle de ses caciques, a maintenu la Tunisie dans le giron atlantiste et son actuel président, Béji Caïd essebsi, n’ a de cesse de se conformer, autant que la contestation interne le lui permet, aux desiderata des puissances de l’argent de l’intérieur et aux canons des institutions financières internationales.

Le fait est donc, à bien y regarder, que l’Afrique du nord demeure entièrement soumise,  quoique de manière inégale, aux stratégies occidentales, et qu’elle s’y conforme, pour survivre et/ou éviter des entreprises de déstabilisation, voire des interventions militaires, dont les prétextes ne sont plus si complexes à fabriquer.

 

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Ahmed Halfaoui

Chroniqueur de presse (Alger)

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