Jeudi 30 juin 2016, dans la colonie de Kiryat Arba, aux portes de Hébron -Al-Khalil pour les Arabes… Une adolescente israélo-américaine, Hallel Yaffe Ariel, est poignardée dans son lit. Par un Palestinien, à peine plus âgé qu’elle. Il s’appellait Mohammed Nasser Tarayrah. Dix-sept 17 ans. Il a été abattu par la garde de la colonie.
Aux funérailles d’Hallel, la mère de Hallel s’en est prise à celle du meurtrier de sa fille, l’accusant de « transmettre la haine ».
Rien ne justifie le meurtre d’une gamine de 13 ans. Celui de Hallel a suscité l’émoi habituel en Israël. Les manipulations habituelles aussi…
La fleur des partisans de la colonisation à outrance s’était donné rendez-vous aux funérailles : Naftali Benett, ministre ultra de l’Éducation, le député Yehuda Glick, apôtre de l’édification d’un « troisième Temple » sur l’Esplanade des mosquées, Yishaï Fleisher, porte-parole des colons hébronites…
Benyamin Netanyahu et Avigdor Lieberman ont ordonné la destruction de la maison familiale des Tarayrah. Bani Naïm, leur village –situé à 8 km à l’est d’Hébron et qui, selon les traditions, abriterait la tombe de Lot- a été bouclé, ses habitants interdits d’entrée en Israël. Les travailleurs palestiniens se sont vus temporairement bannis de Kiryat Arba.
Du « classique », en quelque sorte. Et même le Times of Israël (1er juillet) a semblé éprouver quelque gêne face à la « récupération » politique éhontée de la cérémonie à laquelle se sont livrés les officiels présents : « après quelques lignes » de leurs discours, écrit le bulletin israélien, les éloges funèbres de la jeune fille ont laissé la place à des appels à hâter la construction d’implantations dans les Territoires palestiniens, à traiter les « terroristes » plus durement et même à annexer la Cisjordanie. Le rabbin de Kiryat Arba, Dov Lior, n’aurait quasiment pas évoqué Hallel, poursuit The Times of Israël, mais dénoncé « la faiblesse » des autorités face aux Palestiniens…
En invoquant « la haine » qu’aurait inculquée au meurtrier son milieu familial, la maman de Hallel, Rina, s’est certes montrée en phase avec un leitmotiv ressassé depuis longtemps par les autorités israéliennes. Leitmotiv qu’a d’ailleurs repris au cours de la cérémonie le porte-parole des colons de Hébron : ce serait une haine irrationnelle, purement idéologique à l’égard des Juifs, qui motiverait les actions que des « terroristes », assaillants au couteau ou à la voiture-bélier, mènent depuis plusieurs mois contre des citoyens israéliens lambda. Corollaire : ce diagnostic -ce verdict ?- de « haine », relevant d’une sorte de fatalité -la haine des Juifs, point/barre- dispenserait de toute réflexion ultérieure.
Ce constat de « haine » se suffirait-il à lui-même ?
Hébron, foyer d’incandescence
Certes, haine il y a. Et de part et d’autre.
À Kiryat Arba et à Hébron toutefois, celle-ci semble d’une intensité particulière. Sur les 33 Israéliens tués au cours de la vague d’attentats que connaît la Cisjordanie depuis le 1er octobre dernier, observe Le Monde (1er juullet 2016), six résidaient dans la colonie. Depuis, les choses semblent s’accélérer : un rabbin, Miki Mark, de la yeshiva (école religieuse juive) d’Othniel, a été tué le 1er juillet lors du mitraillage de sa voiture sur la route 60, toujours près de Hébron. Le même jour, une Palestinienne y a été abattue alors qu’elle tentait, selon la police israélienne, de poignarder des gardes-frontières. Le 18 juillet, deux soldats israéliens ont été légèrement blessés au couteau près du village d’al-Aroub, au nord de Hébron… sur la route 60. L’assaillant, Mustafa Bradaih, a été sérieusement blessé de deux tirs dans l’estomac.
Rappelons aussi que sur les assaillants palestiniens recensés depuis ce même 1er octobre -dont beaucoup, selon des témoins, semblent avoir été victimes « d’exécutions extrajudiciaires »- plus d’un tiers venaient de Hébron…
Depuis l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 -et déjà au temps du Mandat britannique- Hébron est toujours apparue comme l’un des plus virulents foyers de tensions et de violences israélo-palestiniennes. En Israël, l’on rappelle souvent « le pogrom de 1929 » -avant donc la création de l’État- au cours duquel 133 Juifs avaient péri. L’on parle beaucoup moins des 116 Palestiniens tués lors des mêmes affrontements. Et encore moins, rappelle le « nouvel historien » israélien Tom Segev (Haaretz/Courrier international, 27 août-2 septembre 2009), des 435 Juifs hébronites (plus de la moitié de la communauté) qui furent secourus par des amis arabes.
Ville deux fois sainte -pour les Juifs, Ma’arat Ha-Makhpela (c’est-à-dire la « Grotte des doubles tombes », où seraient enterrés Adam et Ève, Abraham et Sarah, Isaac et Rebecca, Jacob et Léa); Haram Ibrahim (Sanctuaire d’Abraham) pour les Musulmans-, Hébron est devenue, dans la vision juive sioniste, un symbole du « retour » en Terre sainte. Et cela sans doute d’autant plus que les massacres communautaires de 1929 avaient mis fin, pour 50 ans, à une présence juive millénaire dans la ville. Voilà probablment ce qui explique la participation, le 20 juillet, de tant de personnalités -Avigdor Liberman, le chef d’état-major Gadi Eizenkot, le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, et le président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, Avi Dichter- à la visite de B. Netanyahu au chantier d’une nouvelle « barrière de sécurité » de 42 km de long destinée à couper Hébron des colonies israéliennes de la région.
Dans cette « guerre des mémoires » que livrent la droite et l’extrême-droite israélienne, même les pacifistes juifs américains n’ont pas leur place : ainsi, récemment, une action de solidarité menée dans la vielle ville de Hébron par deux organisations pacifiste judéo-étasuniennes s’est vue empêchée à la fois par les colons et par les militaires (Haaretz, 19 juillet 2016)…
Pour les Palestiniens, Hébron/Khalil est apparue après 1967 comme un symbole majeur de l’occupation et de la colonisation israéliennes. Et des souffrances et humiliations endurées de leur fait.
Il est en effet indubitable que, depuis la création, en 1972, de Kiryat Arba, ses habitants figurent parmi les plus radicaux des colons dits « politiques » ou « idéologiques ». Qui ne se souvient du massacre, le 25 février 1994, de 29 Palestiniens en prière au Caveau des Patriarches par l’ex-médecin militaire (qui refusait de soigner des patients palestiniens !) Baruch Goldstein, résident de Kiryat Arba et membre du part d’extrême-droite israélien Kach ?
À en croire les décomptes du Palestinian Center for Human Rights (PCHR), les attaques perpétrées par des colons israéliens contre des civils palestiniens dans l’ensemble des Territoires occupés ont été très majoritairement le fait de colons de Kiryat Arba. Au cours de la seconde moitié des années 2000, ceux-ci auraient mené 75% de ces attaques en 2006, 62% en 2007, 90% en 2008, 86 % en 2009 : tabassages (parfois mortels), y compris d’enfants, tirs au hasard contre des civils, mitraillages de véhicules, saccages d’habitations palestiniennes, attentats contre des établissements scolaires, destruction d’oliveraies et de bétail, attaques de mariages…
Quiconque a pu visiter les Territoires palestiniens occupés a pu se rendre compte combien le « grignotage » de la vieille ville de Hébron par les colons de Kiryat Arba s’est accompagné de harcèlement et de violences à l’égard de la population palestinienne qui, peu à peu, l’a désertée.
Violences physiques, comme mentionné ci-dessus, mais aussi symboliques : beaucoup ont pu voir les filets tendus au-dessus des ruelles du souk afin de protéger clients et commerçants des déchets jetés des étages que se sont appropriés les colons.
L’on se souviendra aussi de ce reportage montrant des habitantes de Kiryat Arba poussant à bout leurs voisines forcées, des Palestiniennes, en les traitant de « prostituées ». Ou de celui où des adolescents de Kiryat Arba -de l’âge qu’avaient Hallel et Mohammed- chantaient dans leur car scolaire -je cite de mémoire : « As-tu ‘eu’ ton Arabe aujourd’hui ? »
N’y aurait-il donc pas quelque impudence à invoquer, comme le font Y. Fleisher et bien d’autres, une « haine des Juifs parce que juifs » ? Des faits récents, faussement anodins et récurrents, le démontrent d’ailleurs : ce sont des Palestiniens qui ont aidé les proches du rabbin Mark à sortir de leur voiture retournée et c’est le Croissant rouge palestinien qui, dans un premier temps, les a pris en charge.
Chronologie de la haine
1979 – Des résidents de Kiryat Araba squattent un ancien hôpital abandonné dans la vieille ville de Hébron. En mai 1980, le gouvernement reconnaîtra ce « fait accompli », de même que d’autres par la suite. L’armée fut chargée de les « protéger ».
1995 – Hébron est la seule grande ville palestinienne, hormis Jérusalem-est, à ne pas bénéficier d’une évacuation des forces israéliennes des villes de Cisjordanie, telle que prévue par les Accords d’Oslo.
1997 – Le Protocole de Hébron entérine une autonomie palestinienne sur 80% de la ville, désignés comme « Hébron 1 » (H1), la vieille-ville et ses implantations de colons l’étant comme « Hébron 2 » (H2). Depuis, quelque 2.000 soldats israéliens sont chargés de veiller sur les quelque 800 habitants juifs de H2…
2002 – Lors de la seconde Intifada, l’armée israélienne reprendra le contrôle de la totalité de la ville, en violation du Protocole de 1997.
Pourrissement
La seconde Intifada (2000-2004) aura, comme dans le reste des Territoires, son cortège d’actes meurtriers : attaques-suicides, attaques à l’arme blanche de « loups solitaires ». Déjà…
En novembre 2002, des Israéliens, se rendant sous escorte au Tombeau des Patriarches, sont victimes d’une embuscade : 12 tués, dont 9 soldats. À tout cela, le gouvernement israélien répond par une intransigeance accrue : en avril 2005, Ariel Sharon qualifiera l’enclave israélienne de Hébron « d’atout stratégique pour le judaïsme ». Qu’il s’agissait de conserver. Toujours la « guerre des mémoires »…
La même année, Amnesty International dénoncera des épandages de produits chimiques toxiques sur des champs proches des villages palestiniens au sud de Hébron : « des dizaines de moutons et de gazelles ont été contaminés... »
« Guerre des mémoires » encore : en février 2010, le gouvernement israélien entreprend de faire inscrire le Caveau des Patriarches au patrimoine archéologique d’Israël ; les protestations seront réprimées.
- À la fin du mois d’août, 4 colons sont tués lors du mitraillage de leur voiture à hauteur de… Bani Naïm. L’acte est revendiqué par les Brigades El-Kassam du Hamas : l’Autorité nationale palestinienne dénonce.
Voilà qui préfigure la situation actuelle.
Le 12 juin 2014, l’enlèvement de deux jeunes colons et d’un troisième adolescent, de nationalité américaine, étudiants d’un séminaire talmudique et qui faisaient de l’auto-stop près de Gush Etzion, toujours sur la fameuse route 60, sont enlevés près de Hébron. Leurs corps criblés de balles seront retrouvés à la fin du mois, à 3 km au nord de la ville. Un enlèvement qui fera monter d’un cran « la haine ». Sur le campus palestinien de Bir Zeït, des étudiants distribueront des friandises pour « célébrer » l’enlèvement. Le Fatah publiera sur Facebook des caricatures représentant trois souris arborant une Étoile de David accrochées à une ficelle. Côté israélien, trois jeunes gens enlèveront à Jérusalem-est, sur le chemin de la mosquée, un adolescent de 17 ans, Mohammed Abou Khdeïr, qu’ils tortureront sauvagement avant de lui faire ingurgiter du carburant et de le brûler vif. Auparavant ils avaient tenté d’enlever un gosse de 7 ans…
Pour Benyamin Netanyahu, l’enlèvement servira de prétexte à l’opération « Bordure protectrice » : elle se soldera par quelques 2.127 tués côté palestinien et transformera la Bande de Gaza en un champ de ruines…
En mars dernier, des images filmées à Hébron, puis diffusées par B’Tselem, organisation pacifiste israélienne, révulsent l’opinion internationale. Ainsi qu’une partie de l’opinion israélienne…
Elles montrent un sergent franco-israélien, Elor Azria, achever d’une balle en pleine tête un Palestinien, Abd -Al-Fatah Al-Sharif, déjà atteint de plusieurs balles, désarmé et gisant à terre.
Ce dernier venait, avec un comparse, abattu, d’agresser au couteau un autre soldat, ami du sergent meurtrier. Lors de son procès, le sergent sera applaudi par plusieurs dizaines de personnes dont… Avigdor Lieberman, aujourd’hui ministre de la Défense. Moshé Yaalon, son prédécesseur au moment des faits, estime que cet acte « porte atteinte aux valeurs de l’armée », déclenchant un confit avec son premier ministre qui le conduira à la démission.
Enfin… Le 8 juin… Les deux Palestiniens qui avaient tué quatre personnes au Marché Sarona de Tel-Aviv étaient originaires de Yatta, au sud de Hébron…
Guerre des ados, guerre des mères, guerre de tous contre tous
La tragédie qu’a connue Kiryat Arba, le 30 juin, illustre à quel point les choses ont dégénéré en « Israël-Palestine ».
Le phénomène des « assaillants non affiliés » (politiquement) montre comment la guerre est devenue celle de tout un chacun, en venant à relever de la vendetta et rendant encore plus illusoires les possibilités d’une solution.
L’enquête sur l’exécution d’Abd al-Fatah al-Sharif établira que son meurtrier avait confié à ses collègues que le Palestinien « devait mourir » pour avoir agressé son camarade… Mohamed Tarayrah avait apparemment décidé de venger son cousin, tué -non loin de là-, en mars, après avoir blessé un soldat dans une attaque à la voiture-bélier. Mustafa Bradaih, l’assaillant du 18 juillet dernier, avait vu son frère, Ibrahim, tué en avril après avoir attaqué deux soldats à la hache…
La dénonciation de « la haine » -qui ne la partagerait ?- apparaît à tout un chacun comme évidente. Elle confère de plus à ses auteurs comme un certificat d’humanité.
Au Proche-Orient comme ailleurs.
Mais, clamer son refus de « la haine » immunise-t-il pour autant de celle-ci ? Ou serait-ce plutôt qu’elle permet de se croire sans aucune responsabilité dans son émergence ?
Bien moins que l’idéologie, religieuse ou politique, ce sont l’injustice et l’oppression, l’arrogance politique et ce que beaucoup qualifient « d’océan d’impunité » face à celles-ci qui sont à l’origine de la haine.
Il est plus que dangereux de ne pas s’en souvenir.
1 Comment
http://pchrgaza.org/files/Reports/English/pdf_annual/annual2008-E.pdf
Going by the 2008 figures it seems only 52% of attacks by Israeli settlers on Palestinian civilians were in Hebron. It seems a distance to extrapolate from this to ‘À en croire les décomptes du Palestinian Center for Human Rights (PCHR), les attaques perpétrées par des colons israéliens contre des civils palestiniens dans l’ensemble des Territoires occupés ont été très majoritairement le fait de colons de Kiryat Arba.’