Les civils sont attaqués chaque jour par la police. Chaque semaine, des gens meurent. Les hôpitaux publics sont aux mains de l’armée. La police secrète est partout. Tout comme la désinformation. Nous ne sommes pas en Syrie… mais au Bahreïn.
Le Bahreïn, c’est une île. Une île située entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Une île dont personne ne parle.
Et pour cause. Depuis le début du mouvement de contestation, le 14 février 2011, les autorités bahreïnies se sont efforcées de contrôler l’information sur les rassemblements et sur les exactions commises par les forces de l’ordre : interpellations et expulsions de journalistes étrangers, intimidations des personnes voulant témoigner auprès des médias étrangers, harcèlement des défenseurs de la liberté d’expression, arrestations de photographes, de bloggeurs, d’activistes des Droits de l’Homme.
Dirigé par la famille royale depuis des décennies, le Bahreïn donne à voir au monde l’image lissée d’un pays moderne, développé, en pleine croissance : alors que les réserves de pétrole de ce petit royaume se tarissent, le Bahreïn est soucieux de garder les investisseurs étrangers (400 banques et institutions financières sont hébergées par le royaume) et la présence de services financiers qui pèsent désormais plus lourds que le pétrole dans l’économie du pays.
Par ailleurs, les États-Unis, qui ont choisi Manama comme port d’attache de la Cinquième Flotte US, pour le contrôle du Golfe persique, considèrent cette île, reliée par un pont au royaume saoudien, comme le premier rempart face à l’influence et à l’activisme de la République islamique d’Iran dans la région.
Alors que 1.500 soldats états-uniens sont déployés en permanence dans l’île, le positionnement stratégique du Bahreïn en fait une poudrière potentielle en cas de chute du régime.
Le Bahreïn voudrait avoir l’apparence d’une jolie carte postale…
Mais dans la réalité, c’est une carte postale tâchée de sang. Le sang des manifestants qui meurent parce qu’ils demandent à vivre dignement. Le sang des prisonniers politiques, arrêtés parce qu’ils dénoncent les exactions du régime.
Le sang d’innocents, qui, plus simplement, se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment.
En Février 2011, la contestation bahreïnie qui occupait pacifiquement la Place de la Perle, est pilonnée par les chars. Toute aide médicale est délibérément rendue impossible par le régime : le Bahreïn est en état de siège.
L’armée Bahreïni quadrille la ville, un couvre-feu est mis en place, des troupes provenant des Émirats arabes, ainsi que plus d’un millier de soldats saoudiens faisant partie de la force commune du Conseil de Coopération du Golfe, entrent au Bahreïn pour contribuer à préserver l’ordre et la stabilité.
C’était il y a trois ans.
Trois ans que l’on n’entend plus guère parler de ce pays…
Pourtant, trois ans plus tard, la situation est inchangée : des centaines de personnes sont encore emprisonnées et torturées, les manifestations sont quotidiennes et les décès hebdomadaires.
L’accès aux prisonniers ainsi qu’à leurs avocats est rendu très compliqué. Les sites web et autres médias d’opposition sont interdits. Le droit de réunion est limité et les organisations des droits humains sont muselées, tout comme de nombreux sites d’ONG nationales ou internationales, qui sont rendus inaccessibles sur le net.
Durant le mois que j’ai passé sur place, cachée, ce que je voyais, entendais, ce dont j’étais le témoin me montrait en quoi cette révolution, bien loin d’être orchestrée par l’Iran comme le laisse entendre le gouvernement, est tout simplement l’expression d’une vraie lassitude de la part de 75% de la population du Bahreïn, confrontée à un régime dictatorial qui ne laisse pas de place à la dignité humaine.
Les victimes du régime, depuis trois ans, perdent la vie durant des manifestations, en détention, ou tout simplement parce qu’elles vivent dans un village quotidiennement attaqué par la police, asphyxiées par les gaz utilisés de manière abusive.
Quarante mosquées chiites ont été rasées ; le gouvernement a procédé à des centaines d’arrestations, accompagnées de torture. Plus de 3.000 Chiites ont été licenciés depuis le début de la contestation : des centaines de médecins, d’enseignants, d’étudiants ont été interpellés.
Les Bahreinis demandent la même chose que les Tunisiens, les Libyens, les Egyptiens : la démocratie et la liberté.
Rien ne s’est arrêté depuis trois ans, la colère ne diminue pas. La répression est toujours aussi violente.
Le Bahreïn est une dictature cachée sous un vernis d’État de droit.
Mais le petit royaume semble avoir gagné la bataille de la perception, puisque le reste du monde s’est convaincu qu’il ne se passe rien au Bahreïn.