Le bilan du président états-unien Barak Obama et de la politique étrangère de Washington au Moyen-Orient se révèle très en deçà des promesses formulées avec verve dans le célèbre « Discours du Caire » de juin 2009. Cinq ans plus tard, de la Palestine à Bagdad, les clefs de compréhension d’un tableau peu flatteur. Un tour d’horizon complet et précis, avec, en point d’orgue, l’émergence spectaculaire de l’État islamique en Syrie et en Irak.
Dans un article intitulé Renewing American Leadership, le futur président des États-Unis Barak Obama appelait au retrait des troupes américaines de l’Irak, ainsi qu’à un nouvel engagement vis-à-vis des peuples de la région.
Et, en effet, sous sa présidence, de nouvelles lignes de politique étrangère ont été mises en place, en commençant par l’abandon de « l’Agenda de la liberté », qui a constitué un des piliers de la guerre contre le terrorisme de Georges W. Bush.
Par sa vision transformationnelle, Obama a ravivé l’espoir de tourner la page sombre des relations médiocres entre les États-Unis et le « Grand Moyen-Orient » qui ont prévalu pendant la présidence de son prédécesseur. Un optimisme prudent semble être apparu à l’égard du conflit israélo-palestinien et de l’Iran. Loin du langage guerrier de Bush, la stratégie de sécurité nationale d’Obama s’est largement fondée sur la diplomatie et sur le dialogue (avec l’Iran et la Syrie), s’harmonisant avec un discours apaisant vis-à-vis du monde musulman (le célèbre « Discours du Caire »). Des expressions comme « la lutte contre l’extrémisme violent » et « l’approche multilatérale » se sont substituées à d’autres, devenues controversées, telles que « la guerre contre le terrorisme », « l’approche unilatérale » et « la guerre préventive ».
Mais, en ce qui concerne la paix au Proche-Orient, le discours d’Obama n’a fait que réitérer des promesses déjà formulées et non tenues par les administrations précédentes. Les résultats, à la fin de son premier mandat, apparaissent trop modestes. En réalité, la nature du système politique américain et l’héritage de Bush l’ont empêché de transformer ses promesses en politiques concrètes, ce qui a ouvert la porte à des analyses tendant à montrer que sa politique étrangère s’est révélée confuse et, en fin de compte, semblable à celle de Bush.
La seule bonne volonté n’a pas suffi à opérer le changement espéré. L’Amérique est devenue, aux yeux des Moyen-Orientaux, un pays faible financièrement, hésitant à agir militairement et politiquement paralysé par le dysfonctionnement de son système politico-économique.
Dès le début de son mandat -et contrairement à ses deux derniers prédécesseurs-, Obama s’est engagé à se concentrer sur la remise en route du processus de paix israélo-palestinien.
Ayant parfois une approche qui tient de la confrontation avec Tel-Aviv, Obama semble partisan d’un soutien moins inconditionnel à Israël, particulièrement en ce qui concerne l’occupation de la Cisjordanie depuis 1967 et l’expansion de colonies. Une approche contraste totalement avec celles de G.W. Bush et Bill Clinton, qui ont été parmi les plus ardents défenseurs des intérêts de l’État hébreu.
Le 2 septembre 2010, c’est la reprise des négociations au département d’État américain, après des mois d’efforts diplomatiques. Mais les négociations sont déjà vouées à l’échec, à cause du refus du gouvernement israélien de prolonger la période de gel de la colonisation au-delà du 26 septembre 2010. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rejette même l’offre du président américain qui incluait l’offre de 20 avions de combat F-35 et la promesse d’utiliser le veto états-unien contre l’adhésion de la Palestine à l’ONU, tout cela en échange de la prolongation du gel de la construction de colonies pour une période supplémentaire de 90 jours. Ce refus entraîne la fin des négociations directes.
On le voit : concernant le conflit israélo-palestinien, les discours d’Obama et ses promesses n’ont pas été suivis d’actions concrètes. Cela va contribuer à renforcer une opinion populaire, dans le Monde arabe, selon laquelle le processus de paix et la solution « des deux États » sont au point mort.
Dans un premier temps, Obama avait publiquement déclaré « illégale » la colonisation en Cisjordanie. Ce qui lui avait attiré des critiques sévères de la part d’Israël et de ses partisans aux États-Unis. Par la suite, cependant, son fameux discours de 2011 à l’ONU ne fait plus aucune mention aux colonies juives. À quatorze mois des élections présidentielles, il n’avait aucun intérêt à entrer en conflit avec le Congrès qui, de son côté, réitérait sa menace de punir les Palestiniens et de mettre fin à l’aide économique américaine si l’Autorité palestinienne, à Ramallah, demandait l’adhésion à l’ONU (il est important de rappeler qu’en octobre 2011, l’administration américaine cesse de contribuer aux fonds versés à l’UNESCO, car l’organisation onusienne a reconnu la Palestine comme membre de l’organisation).
Dans son discours à l’Assemblé générale de l’ONU en 2011, le président Obama dissocie les revendications des Palestiniens des aspirations du « Printemps arabe », et leur demande de négocier avec Israël à ses conditions avant de pouvoir être considérés comme éligibles à l’ONU et d’obtenir leur propre État.
Il devient ainsi évident que le conflit israélo-palestinien est intrinsèquement lié –et plus que tout autre- à la politique intérieure américaine.
En effet, le point de vue selon lequel « seul Israël a le droit de s’approprier la Terre sainte », y compris les territoires palestiniens occupés, est largement partagé par les représentants de la droite chrétienne au Congrès qui forment, d’ailleurs, une force puissante au sein du parti républicain. Le favoritisme vis-à-vis d’Israël demeure sans ambigüité. L’influence de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) s’est confirmée, comme le démontrent les travaux des universitaires J. J. Mearsheimer et S. M. Walt. Les liens solides entre le Congrès et la coalition gouvernementale israélienne menée par le Likoud, cimentés par une alliance entre la droite religieuse aux États-Unis et la droite en Israël, ne font que compliquer la tâche de la diplomatie américaine et diminuer la marge de manœuvre du président, quel qu’il soit.
Plus que n’importe quel autre facteur, le soutien indéfectible du Congrès à l’État hébreu fait obstacle à la prise de décision présidentielle et à l’aptitude des États-Unis à s’imposer impartialement dans ce dossier.
Compte tenu du propre bilan de « l’Agenda de la liberté » de Bush, l’idée d’imposer la démocratie dans « le Grand Moyen-Orient » est apparue beaucoup moins séduisante aux yeux d’Obama : « Aucun système de gouvernement ne peut ou ne devrait être imposé par un pays à un autre. » Ce qui explique que, jusqu’au coup de tonnerre du « Printemps arabe », l’administration américaine a poursuivi une approche non interventionniste en ce qui a concerné la promotion de la démocratie dans la région. Au début du « Printemps arabe », Obama déclarait ainsi que « l’Amérique doit être du bon côté de l’histoire, avec les peuples », mais maintenait le soutien aux alliés traditionnels. Il essaie alors de jouer sur les deux tableaux, mais la réalité sur le terrain lui force la main. Finalement, cependant, les États-Unis se sont trouvés dans l’obligation d’abandonner deux alliés loyaux, en Égypte et en Tunisie, Moubarak et Ben Ali.
Le président Obama et sa secrétaire d’État, Hillary Clinton, craignaient qu’à l’instar d’autres révolutions, celle de l’Égypte portât au pouvoir des forces islamistes hostiles. Une crainte qui existe depuis la révolution islamique iranienne de 1979. Les liens entre le département de la Défense et l’institution militaire égyptienne encouragaient Washington à soutenir une transition orchestrée par cette dernière. Obama, qui avait compris que Moubarak appartenait au passé, appella donc à un changement rapide.
Cette attitude découlait plutôt d’une vision réaliste des intérêts américains que d’un désir de promouvoir la démocratie. Comme Lizza Rayan le mentionne dans The New Yorker, Obama adopte généralement une approche différente de chaque pays ; c’est la « country by country strategy on political reform ».
Dans le cas égyptien, la décision d’abandonner le « Raïs »n’entraîna pas de transformation de la politique américaine dans la région. Dans ce sens, une ligne rouge devait séparer les pays arabes du Golfe d’un changement à la manière tunisienne et égyptienne. Contrairement à la fermeté à l’encontre des régimes en Libye, au Yémen et en Syrie, les Américains conseillèrent donc à l’opposition au Bahreïn de travailler avec le pouvoir en place, dans le but de réaliser une « altération du régime » plutôt qu’un « changement du régime ».
Cette politique bahreïnienne d’Obama, soutenue par Clinton et Gates, est particulièrement le fruit des pressions menées par l’Arabie saoudite. Elle met en garde Washington qu’elle ne permettra jamais aux Chiites de gouverner le Bahreïn. Les Saoudiens craignent qu’un succès de la révolte au royaume bahreïnien puisse renforcer la position de la minorité chiite en Arabie saoudite, et par conséquent accroître l’influence de l’Iran dans le royaume wahhabite. Une crainte que les Américains partagent avec les alliés saoudiens.
Le discours du 19 mai 2011 (ou Obama’s Middle East speech), consacré aux changements dans le monde arabe, perçu comme un discours de réconciliation et de soutien, ne réussit pas à effacer le scepticisme quant aux objectifs sous-jacents des États-Unis et à leur capacité de tenir leurs promesses. L’administration démocrate aurait été confrontée à une situation ardue si l’on se fie à quelques sondages effectués en Égypte après le départ de Moubarak. Selon une enquête menée par Gallup en février 2012, 82 % des Égyptiens s’opposaient à l’aide américaine à leur pays ; et 83 % d’entre eux pensaient que les États-Unis allaient essayer d’exercer une influence directe sur l’avenir politique des pays de la région. Deux tiers étaient en désaccord avec l’idée selon laquelle l’Amérique était crédible dans son encouragement à la démocratie dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Selon Gallup, ces résultats indiquaient peut-être la frustration de l’opinion publique engendrée par le soutien américain tardif aux soulèvements arabes.
C’est la crédibilité des États-Unis qui demeure en question : comment peut-on croire à la rhétorique catégorique et remarquable du président américain si elle n’est pas accompagnée par des initiatives concrètes ou une feuille de route pour aider à résoudre les problèmes de la région ! « Nous, ne voyons pas comment M. Obama peut être persuasif dans son discours sur la transformation dans le monde arabe sans montrer aux Palestiniens un moyen pacifique de régler le conflit », écrivait The New York Times… Des millions d’Arabes révoltés ont été surpris par le véto américain opposé, en février 2011, à une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, d’initiative arabe, pour condamner la poursuite de la colonisation dans les territoires palestiniens. La résolution internationale, soutenue par 130 pays, y compris les autres membres permanents du Conseil, correspondait pourtant à la position officielle d’Obama concernant la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie.
Le déclenchement des protestations contre le régime syrien de Bachar el-Assad en mars 2011 a mis fin à la politique de l’engagement constructif d’Obama.
Le président américain a tenté un rapprochement avec Damas, dans le but de lui faire rompre son alliance avec l’Iran, le Hezbollah libanais et le Hamas. La politique syrienne de l’administration Bush avait été mise en cause, car elle n’avait pas réussi à expliquer aux Syriens qu’un changement de leur comportement à l’échelle régionale aurait pu apporter beaucoup d’avantages à leur pays. C’est dans le cadre de cet engagement que l’on peut situer la rencontre du sénateur John Kerry avec le président syrien Bachar el-Assad, en février 2009, et la nomination de Robert Ford, le 16 février 2010 en tant qu’ambassadeur en Syrie, ensuite rappelé par Washington, en octobre 2011, pour des raisons de sécurité (le 8 juillet, Ford effectuait une visite à Hama, une ville rebelle au régime syrien, ce qui allait particulièrement irriter Damas).
Le Département d’État américain établissait, jusqu’alors, une certaine distinction entre Bachar el-Assad et son père Hafez (1970-2000). Pour lui, un nouveau leader réformateur dirigeait la Syrie actuelle. Dans son discours devant le Carnegie Endowment for International Peace, Kerry ne fit aucune référence à la situation en Syrie. Il exprimait un grand optimisme au sujet de l’amélioration des relations avec Damas et restait muet sur la nécessité d’une réforme du système politique syrien.
La crise en Syrie survint dans un contexte moyen-oriental extrêmement compliqué pour les Américains qui se trouvaient, depuis avril 2011, dans l’obligation de critiquer el-Assad, qui avait ignoré les demandes légitimes du peuple syrien, et d’appeler Damas à arrêter immédiatement la répression à l’encontre de ses citoyens.
Finalement, le « soulèvement syrien » fournissait aux Américains l’occasion d’éliminer un grand allié de l’Iran. Mais, faire tomber le régime par les Syriens eux-mêmes semblait plus séduisant et moins coûteux ; et l’idée d’une intervention militaire, comme celle qui avait renversé le régime libyen, était en outre tout à fait exclue, pour plusieurs raisons : la forte densité démographique de la population syrienne ; le soutien de l’Iran, de la Russie et de la Chine au régime syrien ; l’échec de la stratégie du « Nation building »en Irak ; l’opposition de la majorité d’Américains (64 %) à l’idée d’une intervention militaire en Syrie ; et l’hétérogénéité de l’opposition syrienne, dispersée à l’étranger et sans aucun poids réel sur le terrain.
Des rapports occidentaux évoquaient la radicalisation croissante du soulèvement, dans la plupart des foyers de contestation qui commençaient à revendiquer le départ de Bachar el-Assad. Une des conséquences de cette radicalisation fut la défection de soldats de l’armée régulière et la formation de l’Armée syrienne libre (ASL), mais qui finira par se désintégrer, car une grande partie de ses membres rejoindront des groupes islamistes extrémistes beaucoup plus équipés, financés et organisés.
À partir de février 2012, Washington s’implique davantage dans la crise syrienne, transformée en lutte armée. Il développe un « plan B » visant à apporter un soutien plus formel et plus efficace à l’opposition à l’intérieur et en dehors du pays. Il décide de lui fournir une assistance en termes d’équipements non létaux ; et, bien que l’administration Obama déconseille à la Turquie, au Qatar et à l’Arabie saoudite d’armer l’ASL, elle s’abstient de les en empêcher.
Comme les affrontements s’intensifient entre les groupes rebelles et l’armée gouvernementale, des responsables américains soulèvent la question d’une intervention militaire immédiate en Syrie. Mais la Maison Blanche, sceptique quant à la capacité de l’opposition à établir un plan de transition et à remplir la vacation du pouvoir inhérent à la chute du régime, préfère gérer autrement les évolutions de la situation. En outre, par crainte d’une forte implication dans le conflit, Obama, en pleine campagne électorale, rejette également le plan développé par le Pentagone et soutenu par la secrétaire d’État Clinton, en vue d’armer les rebelles syriens.
Car, on s’interroge, à la Maison Blanche, sur l’identité de ces individus, ainsi que sur leurs orientations politiques. Bien qu’il existe une entité dénommée « Armée syrienne libre », elle est loin d’avoir les caractéristiques d’une armée par rapport à son organisation et ses équipements, mais est plutôt composée de milices sans réelle structure de commandement.
À l’issue de trois premières années du conflit, il est possible d’affirmer que l’administration Obama est encline à adopter une approche commune avec le Pentagone, au détriment de la cellule de crise du Département d’État mise en place par Robert Ford. Cela n’implique cependant pas une militarisation croissante de la politique américaine à l’encontre du régime syrien, mais simplement une meilleure prise en considération des conseils du Pentagone. À cet égard, le Département d’État est chargé de développer un partenariat avec la Russie en vue de produire une solution politique en vertu de la déclaration de Genève : le rôle du Pentagone s’avère très important, compte tenu des activités des groupes islamistes sur le territoire syrien.
Le départ du président el-Assad n’est désormais plus l’objectif de Washington : les États-Unis veulent à présent empêcher les débordements de la crise, qui menacent la stabilité régionale, et bien au-delà.
Il s’agissait bien sûr d’endiguer la montée en puissance, depuis le début de 2012, des groupes djihadistes comportant dans leurs rangs des combattants syriens et étrangers venant des pays arabes, dont la Tunisie, le Yémen, la Lybie, la Jordanie et l’Arabie saoudite, mais également de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Parmi eux se trouve Jabhat al-Nusra Liahl al-Sham (le Front du Secours à la Population du Levant), branche syrienne d’al-Qaïda. Il adopte une rhétorique sectaire, et se présente comme défenseur de la communauté sunnite en face de « l’ennemi alaouite » et ses « agents chiites ».
Pour deux autres mouvements, le Front islamique et l’Armée de l’Islam, la lutte contre les alaouites et les chiites est une obligation pour chaque musulman. Ils font l’amalgame entre la minorité alaouite et le régime syrien. Ce sont des forces antidémocratiques qui prônent la création d’un État islamique. Leurs messages, diffusés sur internet, sur le « devoir sacré de nettoyer Bilad al-Sham (le Levant) de cette saleté », dépassent les frontières de la Syrie et incitent beaucoup d’étrangers à se joindre à eux.
Il y a aussi l’État islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), ou, en arabe, داعش : الدولة الإسلامية في العراق والشام (Daech), qui s’est fait appelé l’État islamique (EI) après l’établissement du califat islamique sur le territoire qu’il occupe en Irak depuis quelques mois. L’EI a fait des tensions intercommunautaires en Irak et en Syrie son cheval de bataille pour gagner le soutien des sunnites, selon le discours du groupe, « victimes de l’injustice du gouvernement chiite pro-iranien de Bagdad et du régime nussayrite (alaouite) de Bachar el-Assad ».
La prise de Mossoul en juin dernier a permis à l’EI de mettre la main sur une grande quantité d’armes américaines abandonnées par l’armée irakienne qui a déserté la zone, ainsi que de s’emparer des réserves des banques de la ville. En outre, il dispose des ressources financières estimées à deux milliards de dollars dues en partie à la vente à des hommes d’affaires turcs du pétrole extrait des puits sous son contrôle en Syrie et en Irak.
Les crimes commis par l’EI contre les minorités religieuses de l’Irak et son attaque lancée contre les zones kurdes contraignent Obama à agir en ordonnant des frappes aériennes dans le but de protéger les minorités en question et de stopper l’avancée des combattants de l’EI : le 12 septembre 2014, le président américain annonce sa stratégie pour « dégrader et finalement détruire » l’État islamique en Irak et en Syrie. Obama, qui a mis fin à la présence militaire américaine en Irak en 2011, se trouve aujourd’hui contraint de se réengager profondément dans les affaires du Moyen-Orient, sans plus trop tenir compte de sa doctrine dite « Leading from behind »mise en application durant la guerre contre Kadhafi : selon Barak Obama, « l’opération ne sera pas sans risques », même s’il affirme que cette campagne contre le terrorisme est tout à fait différente des guerres en Afghanistan et en Irak.
En ce qui concerne la Syrie, il n’a pas exclu le recours aux frappes aériennes contre l’ennemi sur le territoire syrien, mais sans coopération avec le régime « illégitime » d’el-Assad.
Alors, qui seront ses partenaires sur le terrain et qu’est-ce que tout cela signifie pour les rapports de force actuels en Syrie ?
Contrôler la situation sur le terrain constitue un élément essentiel pour gagner une guerre, note J. Corbett dans Some Principales of Maritime Strategy. Les forces aérienne et maritime sont complémentaires au combat terrestre. Dans son livre Military Strategy : A General Theory of Power Control, J. C. Wylie soutient qu’il est faux de penser que les forces aériennes peuvent contrôler ce qui se passe sur le sol. Faire le désert et puis appeler cela « rétablir la paix » et « imposer le contrôle », ce sont deux choses différentes. L’acteur décisif du contrôle est « l’homme sur la scène avec un fusil ».
Les services de renseignement américain estiment à environ 1,500 le nombre des groupes armés actuellement en Syrie. Ils contrôlent entre 20 et 35 % du territoire syrien, dont moins de 5 % sous les mains des rebelles « modérés » aux yeux de Washington. La question qui se pose : quelles forces sur le terrain sont-elles en mesure de combler le vide laissé par le retrait des combattants de l’EI ou la destruction de leurs positions ?
Tout affaiblissement de l’EI risque de renforcer la position du régime syrien et ses troupes qui contrôlent un peu moins de la moitié du territoire. D’après la Coalition de l’opposition syrienne, les États-Unis arment et financent 74 groupes au sud et au nord de la Syrie. Ils n’ont pas prouvé, jusqu’à présent, leur efficacité dans les combats contre l’armée gouvernementale et l’EI. Quant au projet américano-saoudien visant la formation d’une force militaire alternative à la fois à l’armée syrienne gouvernementale et à l’EI, il peut réussir seulement si l’armée syrienne est détruite par des bombardements aériens, et cette question est un sujet de division entre les États-Unis et leurs alliés.
Le président Obama a clairement fait comprendre qu’il envisageait de soutenir les rebelles modérés uniquement dans la mesure où ceux-ci luttent contre l’EI et sécurisent les zones libérées ; il ne soutiendrait pas leur lutte pour renverser el-Assad, mais plutôt pour équilibrer les rapports de force en prélude au règlement politique du conflit.
Pour conclure, il est possible de dire qu’en l’absence de partenaire sur le terrain et de coopération avec le régime syrien, il y aura un handicap en ce qui concerne l’obtention des renseignements de qualité sur le déploiement de l’EI.
Mais, aujourd’hui, rien n’indique que la campagne contre l’EI sera un succès pour la politique américaine au Moyen-Orient si l’on considère ce qui s’est passé, depuis l’intervention en Irak et l’impasse de la Feuille de route en vue de régler le conflit israélo-palestinien, jusqu’à l’éclatement du « Printemps arabe », qui a fait ressortir les limites de la capacité de Washington à anticiper, à dicter et à contrôler des événements ayant des conséquences stratégiques considérables sur la position des États-Unis dans la région.