Le politiquement correct qui prévaut dans le courant médiatique dominant n’a laissé que peu d’espace d’expression (voire aucun) aux partisans de l’État islamique (EI), auquel l’Occident a déclaré la guerre en août 2014.
Ainsi, les rares témoignages de combattants de l’EI diffusés par certains médias ont jusqu’à présent systématiquement plaidé à charge du mouvement islamiste, à propos duquel courent par ailleurs nombre de légendes, comme par exemple celui du massacre des Chrétiens d’Orient. Ces rares « témoignages » ont été recueillis auprès de djihadistes capturés et emprisonnés, et qui, manifestement, soit cherchaient à donner le change pour affirmer leur repentir et négocier les conditions de leur détention, soit, le plus souvent, ont été interrogés dans des geôles sous contrôle des combattants kurdes de Syrie ou des forces armées turques, et n’étaient donc pas libres de leurs propos.
C’est, par exemple, principalement sur ce genre de « témoignages » que s’est construit le scénario de la série britannique The State (réalisée par Peter Kosminsky) qui fait polémique depuis sa diffusion fin août par Channel 4 et par Canal+ en septembre 2017 : une étrange polémique, puisque la série présente une image très négative et presque caricaturale de l’État islamique, confrontant de manière naïve et incongrue les valeurs des sociétés occidentales à celles de l’Islam salafiste ; mais peut-être le trait n’a-t-il pas été assez forcé encore pour correspondre à la doxa médiatique en la matière. Le fait est suffisamment symptomatique pour être épinglé.
Dans ses précédentes éditions, la rédaction du Courrier du Maghreb et de l’Orient avait déjà estimé qu’il était non seulement utile et nécessaire à l’information de ses lecteurs, mais également déontologiquement impératif de donner la parole aux Salafistes adeptes du djihad armé et supporteurs de l’EI. Notre reporter Pierre Piccinin da Prata avait à l’époque rencontré des partisans de la cause djihadiste, à Paris et à Bruxelles, ainsi qu’un imam d’obédience salafiste, lesquels avaient eu l’opportunité d’exprimer leur point de vue sur les événements et d’exposer librement leurs motivations.
Après la chute de Mossoul (Irak) et à l’heure où la capitale du Califat, ar-Raqqa (Syrie) est assiégée, le CMO a donc choisi de diffuser l’interview d’un combattant de l’État islamique, contacté par notre envoyé spécial et rencontré dans la bourgade d’Hawi al-Hawa, située à 4 km de la ligne du front occidental à Raqqa.
Parti d’Europe pour la Syrie à la fin de l’année 2012, Ismail a d’abord combattu dans les rangs de Jabhet al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaeda), avant de rejoindre l’État islamique au printemps 2014.
Cet entretien, réalisé en août 2017, a été rendu possible grâce à la coopération de proches du djihadiste, lesquels ont régulièrement communiqué avec ce dernier. Pour des raisons évidentes de protection des sources, les noms des personnes impliquées ne sont pas révélés dans l’interview ; les détails et les lieux relatifs à la préparation de cet entretien ne seront pas non plus mentionnés.
La rédaction tient à préciser que son envoyé spécial n’a pas pénétré le territoire encore sous le contrôle de l’EI. L’extrême porosité de la ligne de front a en revanche permis à Ismail de le rejoindre à Hawi al-Hawa, zone déjà libérée par les Forces démocratiques syriennes (FDS – majoritairement kurdes).
Les deuxième et troisième parties de cet entretien exceptionnel seront publiées dans les éditions de septembre-octobre et de novembre-décembre 2017 du Courrier du Maghreb et de l’Orient.
Pierre PICCININ da PRATA – Ismail, tu étais ingénieur informaticien et, parallèlement, tu préparais un doctorat. On est très loin du profil de « jeune paumé en décrochage social » que la plupart des médias n’ont cessé de véhiculer à propos des personnes qui ont pris la décision, à un moment de leur vie, d’abandonner leur existence, souvent confortable, en Europe notamment, pour rejoindre les rangs de l’État islamique et se consacrer à cette cause. La question est simple, mais elle s’impose : pourquoi ce choix, de renoncer à la carrière prometteuse qui s’annonçait pour toi, mais aussi de t’éloigner de tes parents, de ta famille, et cela pour un destin incertain et en tout cas très dangereux ?
Ismail – Tout d’abord, je te remercie de me laisser m’exprimer. Mes Frères et moi, nous avons bien compris que cette soi-disant « liberté d’expression », un principe dont les journalistes occidentaux se vantent à plaisir, n’existe que lorsqu’on dit ce que tout le monde a le droit d’entendre. C’est probablement pour cela que nos médias –je veux dire : les médias de l’État islamique- sont systématiquement censurés par Google, Youtube, Facebook et tous les réseaux d’information soi-disant « libres »…
Alors… Ta question est intéressante, tout d’abord parce qu’elle me permet de répondre à un point qui est particulièrement irritant pour nous. C’est cette image, en effet, que tu décris… Moi, je n’ai vu tout autour de moi que des gens généreux, courageux, des héros… et pas des « paumés », comme ils disent.
Mais avant de te répondre, je voudrais préciser que, au départ, je ne me suis pas engagé avec l’État islamique. Non, pas du tout. J’ai d’abord voulu simplement aider « mon peuple ».
Qu’est ce que j’entends par « mon peuple » ? Les Musulmans.
Car les Musulmans forment un peuple. C’est ce qu’on appelle en arabe « l’Oumma ».
En Syrie –puis j’ai compris que c’était la même chose en Irak, où les Sunnites étaient victimes des méfaits des Chiites, qui ont abandonné le chemin de Dieu-, les Musulmans se sont révoltés contre un système oppressif qui n’avait que trop duré. Ils voulaient rendre cette terre à l’Islam. Et la réponse de ce système a été de massacrer tous ceux qui s’y opposaient, mais aussi leur famille, leurs enfants, leurs sœurs, leurs mères, mon peuple… Comment quelqu’un de sensé –je veux dire : quelqu’un de raisonnable et qui a la foi, qui reconnaît l’existence de Dieu et admet que Mohamed est son Prophète (la paix et la bénédiction sur lui)- pouvait-il rester inactif et fermer les yeux ? Ou bien secouer la tête en disant « Quel malheur ! » mais en n’agissant pas, et en s’en retournant ensuite comme si de rien n’était à ses petites habitudes ? Comment, si ce quelqu’un prétend qu’il est « musulman » ?
Ça, ça a été ma première réaction.
Puis, pour être cohérent avec ce que j’en pensais et ne pas me faire plus hypocrite encore que les autres, j’ai bien dû renoncer à ce confort –par ailleurs tout relatif- que mes parents m’avaient construit. Ça a été une décision logique, mais je mentirais en faisant l’orgueilleux et en disant que ça a été facile… Bref… Il ne faut pas être un ouléma sorti d’al-Azhar [ndlr : l’Université islamique d’al-Azhar, au Caire, est l’un des centres majeurs de la pensée islamique] –tout au contraire, en fait- pour comprendre que le seul moyen de venir en aide à notre peuple, c’était d’aller combattre avec ceux qui se défendaient des ennemis de l’Islam. Si tous les Musulmans du monde s’étaient levés au lieu de se donner de bonnes raisons de continuer à mener leurs petites affaires lucratives, mesquines et impies, on n’en serait pas là aujourd’hui…
Mais que pouvais-je faire seul ? Donc, j’ai cherché une structure combattante solide et je l’ai rejointe. En Syrie, Jabhet al-Nosra m’est apparu correspondre à ce que je savais du Coran, de la vie du Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) et de la religion de mon père et de ma mère, l’Islam…
PPdP – En effet… Car tu n’as pas seulement un diplôme d’ingénieur, mais tu as aussi étudié les sciences islamiques…
Ismail – Oui, c’était aussi quelque chose de logique ; je veux dire : qui avait sa place dans ma vie… En tant que Musulman… Cela dit, ce peut être décevant… Selon qui enseigne et ce qu’il tente de prouver… Le plus souvent de se prouver à lui-même… Mais c’est un autre débat…
Donc, j’ai rejoint Jabhet al-Nosra… Mais leur idéologie m’est très vite apparue biaisée : le but n’était pas d’accomplir le dessein de Dieu, tel que le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) l’a communiqué, tel qu’il est bien défini dans le Coran… Alors, quand l’État islamique s’est affirmé, je me suis intéressé à sa doctrine. Elle m’a convaincu parce qu’elle correspond point par point à ce qu’exige et implique la révélation ; et comme ma katiba –le groupe de combattants que j’avais intégré- a répondu à l’appel du Calife de restaurer l’Islam dans sa splendeur et, par-dessus tout, dans la vérité du Coran, je l’ai suivi.
Mon choix avait des conséquences… Mais, si tu as véritablement la foi, alors, tu as un guide : le Coran.
Il suffit de lire ce que Dieu a dit au Prophète (la paix et la bénédiction sur lui), et de suivre ce guide ; et sans essayer, chaque fois que quelque chose te choque ou t’inquiète, de le contourner en te soustrayant à ton devoir.
Dieu a dit que les hommes, parfois croient qu’une chose est mauvaise pour eux, parce qu’ils n’aiment pas cette chose ; et qu’à l’inverse, il leur arrive d’aimer des choses qu’ils pensent bonnes pour eux alors qu’elles ne le sont pas. Lui, il sait ce qui est bon et ce qui est mauvais [ndlr : Coran, II, 216]. Et ce qui est bon est écrit dans le Coran. Il est donc très simple de savoir ce qui est bon, et il faut se détourner de ceux des hommes qui essaient par leurs paroles de faire passer pour mauvaise une chose que le Coran nous enseigne comme étant bonne.
C’est finalement, d’abord, assez simplement en effet, une question de cohérence avec soi-même ; puis c’est une question d’honnêteté envers soi-même et aussi envers les autres membres de l’Oumma, et bien sûr envers Dieu qui n’est pas dupe ; et, enfin, c’est une question de volonté et de détermination.
Personnellement, je pense que, si tu n’arrives pas à obéir, il faut alors que tu t’interroges sur ta foi : est-elle bien réelle ou bien est-ce une posture que tu prends ? Pour une raison ou une autre… Tu n’as pas besoin d’en parler à d’autres ; car tu risquerais d’être malhonnête dans tes réponses si tu dois les formuler devant quelqu’un d’autre. Parce que tu serais dans la justification… Non… Tu dois y réfléchir seul… Et être honnête envers toi-même… Bien sûr, il arrive que certaines personnes se mentent à elles-mêmes.
Cela fait aussi partie du djihad, ce que l’on appelle communément le « grand djihad », celui qui consiste –avant de convertir les autres- à se convertir soi-même. Ce qui ne peut se faire que si l’on est d’accord de ne pas se mentir à soi-même et d’être honnête dans cet effort.
PPdP – Donc, ni « paumé », ni « endoctriné », ni « naïf » recruté par un rabatteur à la sortie d’une mosquée ou sur un réseau social…
Ismail – Rien de tout cela… (Rires) Ça, c’est de l’invention, de la propagande occidentale. Dont le but est à la fois de salir l’image des combattants du Califat, de les discréditer en les faisant passer pour des pauvres types, des idiots qui se seraient fait arnaquer… Et à la fois pour éviter de se poser les bonnes questions : qui sont-ils vraiment ? Que veulent-ils exactement ?
Dans la même veine, il y a eu ce gros bateau monté par la presse européenne qui a prétendu que les combattants de l’État islamique partaient à la guerre complètement inconscients, parce que drogués au captagon. Je n’ai jamais consommé de drogue de toute ma vie. Mes frères ne consomment pas de drogue. C’est interdit par l’Islam. C’est interdit par les lois du Califat. Pourquoi ferions-nous une telle chose, alors que tout le sens de notre combat est de défendre et de faire respecter l’Islam ?
Mais aussi… Pourquoi la presse occidentale a-t-elle inventé ce mensonge ? Le but est évident : c’était pour nous discréditer, pour nous faire passer pour des fous, des drogués, des malades… des monstres.
Alors, bien sûr, il y a parmi nous quelques personnes qui se sont trompées… Je veux dire : certains sont venus ici sans savoir ce qui les attendait. Ils croyaient que ce serait facile, et que tout leur serait dû ; quelques-uns se sont mal comportés, et ils ont été punis. D’autres sont venus parce que leur vie, là-bas, en Europe, ne les satisfaisait pas ; mais ils n’ont pas la foi, et c’est difficile, pour ceux-là, d’obéir à la loi, parce qu’ils ne sont pas convaincus de son bien-fondé.
Mais, en ce qui concerne la majorité de nos frères, ils savent très bien ce qu’ils sont venus chercher ici : ils veulent vivre dans un endroit où l’Islam est appliqué, où il est respecté ; pas un Islam d’opérette, comme en France, où les Musulmans s’ingénient à conformer la loi aux mœurs et aux habitudes des mécréants, pour faire plaisir à leurs maîtres et en recevoir les félicitations et des avantages… Pas un Islam faux, un demi-islam, un Islam allégé… Un Islam qui ne respecte pas les règles et les lois du Coran, et qui n’est pas crédible, en lequel on ne peut pas avoir foi… Un Islam dont on se méfie parce que l’on sait bien qu’il n’est pas conforme au Coran. Mais un Islam pur, vrai, celui du Coran, le seul Islam que le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) a transmis aux hommes.
C’est cela que nous défendons ici ; et beaucoup d’entre-nous ont fait ce choix alors que nous avions beaucoup à perdre. Plusieurs frères sont diplômés, des ingénieurs… Dans mon groupe, il y a deux médecins… Des gens qui ont étudié et obtenu des diplômes… Mais qui ont donné dans leur vie la priorité à leur foi.
PPdP – Comme tu l’as dit, la manière dont l’Islam est enseigné par certains oulémas (et aussi la religion musulmane, dans les écoles d’Occident notamment) pourrait faire l’objet de tout un débat. Toutefois, pourquoi parles-tu de déception ?
Ismail – Le problème, avec les ces gens qui s’affirment « musulmans » sous l’étiquette de « modérés », c’est qu’ils refusent d’assumer la part de sévérité et de rigueur qui est inscrite dans le Coran ; le Coran qui est la base même de l’Islam –c’est étrange de devoir le rappeler.
Pour nous, croyants, le Coran est un texte révélé par Dieu ; ce texte ne peut donc pas être remis en question. Si tu comprends et acceptes cela, ta vie devient très simple.
C’est en effet aussi simple que cela et il n’y pas à vouloir en sortir en essayant de compliquer la rhétorique sur la question pour enfumer le débat.
Or, le Coran contient des passages que ces « modérés » (comme les appellent leurs maîtres mécréants) considèrent comme problématiques, parce que ces personnes pensent que l’Islam ne devrait pas avoir de dimension guerrière. Et ils pensent de même des Hadiths, qui racontent les actions du Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) et de ses compagnons, dont les Musulmans doivent s’inspirer pour régler leur propre comportement : ces Hadiths rapportent des actes qui sont parfois d’une grande violence ; et cela dérange ces personnes. Ainsi, elles refusent d’admettre que ces versets du Coran et ces Hadiths existent. Ils répugnent nombre de ces gens qui se disent cependant « musulmans », parce qu’ils ont été éduqués dans des pays de tradition droits-de-l’hommienne et qu’ils ont intégré les réflexes socioculturels des sociétés de ces pays où la philosophie humaniste s’est développée et imposée depuis plusieurs siècles déjà, en Europe notamment.
Alors, ces gens qui se disent « musulmans » ont décidé d’essayer de neutraliser ces passages du Coran et des Hadiths qu’ils considèrent comme problématiques au regard des valeurs occidentales qu’ils ont adoptées, consciemment ou non ; et c’est ce que font certains exégètes du Coran, qui tentent de démontrer qu’il faut renoncer aux règles et enseignements qui sont inscrits dans ces textes. Et pour y arriver, la plupart du temps, ils passent par des biais rhétoriques accumulés et recourent à des quantités de postulats. C’est pour cela qu’ils refusent toujours de débattre publiquement avec nous, car nous mettrions leurs astuces en pièce et ils perdraient la face ; alors, lorsque nous les interpellons, ils se posent en pucelles outragées et ne répondent qu’avec du mépris et de l’ironie, puis ils s’éloignent, refusant le débat, sous prétexte que nous ne sommes pas dignes d’eux, mais en vérité parce qu’ils savent que leur argumentaire ne fait pas le poids face à la vérité du Coran que, nous, nous défendons.
Parmi ceux-là, il y en a qui ont décidé de recourir à un subterfuge audacieux, qui consiste à affirmer que ces passages qui leur posent problème ne seraient que le récit, le souvenir mort en somme, d’un contexte historique clos, de périodes anciennes de l’Islam… Un récit qui se limiterait au VIIème siècle et ne signifierait plus rien aujourd’hui : ces passages (ceux-là qui leur posent problèmes, précisément, mais pas les autres versets curieusement), selon eux, devraient être oubliés et les règles qui y sont énoncées n’auraient valu qu’au VIIème siècle. Autrement dit, contrairement au reste du Coran, ces versets, pour une raison ou une autre et curieusement ceux-là et pas les autres, ne seraient pas, eux, intemporels, et les Musulmans ne devraient plus en tenir compte de nos jours. C’est ainsi qu’ils évacuent tout ce qui les dérange dans le Coran, pour ne conserver que ce qu’ils trouvent acceptable. À les suivre, chaque fois que, dans les époques à venir, un verset du Coran dérangera les mœurs du temps, il se trouvera un « savant modéré » pour expliquer qu’il ne faut plus le prendre en compte ; on se demande, à ce rythme, ce qu’il restera dans quelques siècles de la révélation reçue de Dieu…
En fait, on trouve de tout dans ces approches exégétiques souvent empruntes d’arbitraire et motivées par le malaise moral dans lequel se trouvent ces gens qui voudraient rester musulmans comme l’étaient leurs pères, mais qui tentent de concilier l’Islam avec les valeurs qu’ils ont acquises au contact de la civilisation occidentale et chrétienne.
En outre, comme le Coran est une parole divine révélée, ces exégèses doivent tenter de contourner le texte mais sans l’anéantir ou le critiquer ou expliquer que ce qui est écrit est mal ; c’est un exercice de jongleur très dangereux, et le résultat de leurs chicanes n’est pas toujours très convaincant…
Mais, surtout, ce qui est embêtant pour eux, c’est que les vrais Musulmans, ceux qui se dévouent corps et âme à leur religion, ceux qu’on qualifie de « radicaux », assument parfaitement ces passages soi-disant problématiques.
Parce que le Coran a été révélé et rien dans le Coran n’abroge les passages que les « modérés » rejettent, ni n’indique que ces passages n’ont pas vocation à s’appliquer au XXIème siècle ; affirmer qu’il faut les réduire à de simples souvenir du VIIème siècle qui n’auraient plus cours aujourd’hui n’est qu’une vue de l’esprit, voire une assertion impie.
Aussi, non seulement l’approche simple et directe du Coran n’a-t-elle pas moins de valeur que les approches qu’en font les « modérés », mais, plus encore, cette approche dépouillée de tout artifice rhétorique est plus solide car elle accepte le texte tel qu’il a été révélé, sans chercher à en modifier ni le sens ni la portée.
PPdP – Mais en ce qui te concerne, tu assumes ces textes violents, et même parfois à la limite d’un sadisme insoutenable ? Par exemple, des Hadiths attestés rapportent que le Prophète a torturé des êtres humains, leur a coupé les mains, brûlé les yeux avec des fers rougis au feu… [ndlr : Muslim, 3162] Cela ne te pose pas de problème ?
Ismail – Non, parce que le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) agissait avec justice.
Le Hadith auquel tu fais référence est bien connu. Il raconte comment le Prophète a puni des criminels en vertu de la loi du Talion qui est prescrite dans le Coran ; il ne leur a rien fait de plus que ce qu’eux-mêmes avaient fait subir à leurs victimes. C’est la volonté de Dieu, et le Coran est sans équivoque à ce propos.
Qui soutiendrait le contraire serait hérétique.
PPdP – Je voudrais revenir sur un élément que tu as évoqué et qui me semble constituer une des clefs de compréhension de la logique de l’État islamique. Tu as dit que « les Musulmans forment un peuple »…
Ismail – En effet… C’est un concept que les Occidentaux ont beaucoup de mal à comprendre… mais aussi la majorité des Musulmans, qui ne connaissent pas cette réalité, qui ne la savent pas… Et n’en assument dès lors pas les implications.
Avant d’être un Égyptien, un Français, un Belge, un Marocain ou un Tunisien, un Musulman fait partie de l’Oumma islamiya, de la « Nation de l’Islam ». En fait, un Musulman ne peut pas être égyptien ou français ou marocain… Parce qu’il ne peut pas à la fois servir des pouvoirs locaux et Dieu ; surtout pas si ces pouvoirs politiques locaux sont en opposition avec l’Islam, avec le Coran, avec la Charia [ndlr : la loi islamique, basée sur les règles de vie, de mœurs et de droit édictées dans le Coran].
Beaucoup de Musulmans donnent la préférence sur l’Islam à leur sentiment nationaliste. Ceux-là n’ont rien compris à ce qu’est l’Islam, et à l’œuvre du Prophète (la paix et la bénédiction sur lui), qui a délivré le message divin mais a aussi fondé, par le fait, une nouvelle nation, universelle, sans frontières matérielles, sans limites territoriales, ni de races.
Les tribus qui ont suivi le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) ont cessé d’être des tribus : elles se sont unies dans l’Islam. Il doit en être de même des nations que les colonisateurs et les Musulmans pervertis par le pouvoir et l’appât des richesses ou de la gloire ont forgées en divisant le peuple musulman. L’État islamique est la solution à cela.
Les frontières de l’Oumma sont ainsi uniquement spirituelles ; elles sont dans l’esprit des Musulmans, et l’Oumma est présente là où un Musulman est présent.
PPdP – Mais l’État islamique, le Califat, a des frontières ; et une capitale, Raqqa…
Ismail – Non, pas exactement… Le Califat est universel. Le but de notre combat, c’est de commencer par rendre à l’Islam toutes les terres que le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) et ses compagnons, puis les Califes bien guidés ont soumises à l’Islam.
Mais c’est un point de départ ; il n’y a pas de frontière à l’Islam. Après avoir restauré ce premier stade, qui avait été atteint jadis et que l’incurie de Musulmans égarés ont fait se perdre, l’Islam continuera de progresser et de s’imposer à tous les peuples de la terre.
PPdP – De « s’imposer » ?
Ismail – Oui ! Bien sûr ! Par le prêche ou par le sabre ! Comme le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) et ses compagnons eux-mêmes l’ont fait autrefois.
Parce que l’Islam est la seule vraie religion, la seule voie possible pour le monde. Ce n’est donc que justice qu’il s’impose.
PPdP – On dit pourtant, en Islam, « nulle contrainte en religion ». C’est dans le Coran…
Ismail – Allons… Je sais que tu es trop versé dans les études coraniques pour savoir que c’est là une hypocrisie… Le Coran est précis à ce propos et ces trois mots sortis du verset lui font dire ce qu’il ne dit pas. Faut-il que je t’explique ?
PPdP – Non, effet… Mais je devais soulever l’argument. Toutefois, en deux mots, à l’intention des lecteurs…
Ismail – Les hypocrites se gardent bien de citer l’entièreté du verset, qui dit en réalité qu’il ne saurait y avoir de contrainte, puisque l’Islam est le seul chemin que l’on puisse suivre sans se perdre. Il n’y a aucun autre chemin de justice possible. Où est donc la contrainte, même si on l’impose, puisque les autres religions sont de fausses religions ? C’est cela que dit le Coran [ndlr : Coran, II, 256].
Et tu sais très bien, en outre, que le Coran et les Hadiths ordonnent que l’apostasie soit très sévèrement punie : un Musulman qui rejetterait l’Islam après l’avoir embrassé doit être mis à mort. Qui oserait dire que ceci n’est pas dans le Coran et n’est pas la loi de Dieu ?
par notre envoyé spécial à Raqqa (Syrie)