Pour comprendre les relations entre l’Iran et les États-Unis, la prise en compte de l’histoire peut être très éclairante. C’est une histoire tourmentée, caractérisée dès ses débuts par un ensemble d’illusions, d’attentes, d’engagements, de déceptions, de ressentiments et enfin d’hostilité…
Une hostilité édifiée par l’Histoire, une réconciliation difficile
Il n’y a pas « un » problème particulier mais des contentieux persistants et des images négatives qui empoisonnent les relations entre les deux pays, lesquels se sont enfoncés dans une rhétorique dont il leur est désormais difficile de sortir.
L’ambivalence peut être la meilleure définition de cette situtation. Et elle n’est pas nouvelle. Par ailleurs, de part et d’autre, il y a le souci de ne pas perdre la face.
Les relations entre les États-Unis et l’Iran, qui s’appelait alors la Perse, remontent au XIXème siècle. Les Américains ont toujours eu des attitudes ambivalentes : un humanisme fortement empreint d’ethnocentrisme, de sentiments de supériorité et de prosélytisme.
En 1830, Harrison Dwight et Eli Smith, premiers Américains à avoir mis les pieds en Iran, explorent les possibilités d’évangélisation. Dès lors commencent les tentatives de conversion, souvent vouées à l’échec. Cependant, au même moment, les Américains contribuent à la santé, à l’éducation et au bien-être des Iraniens avec qui ils sont en relations. Il y a progressivement à la fois admiration et rejet de l’Iran et de sa religion. Toutefois, entre 1830 et 1940, les Américains ont peu de contacts officiels avec l’Iran ; et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’influence américaine est minime. Les Iraniens, quant à eux, ont à l’époque une image plutôt positive des États-Unis, si on la compare à celle qu’ils ont de la Russie ou de la Grande-Bretagne.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Iran est envahi par les Alliés (qui craignent son ralliement à l’Allemagne hitlérienne) et, après ces événements, les États-Unis se sont de plus en plus impliqués dans ce pays ; et des relations personnelles et professionnelles avec le souverain, Mohammad Reza Shah, ont été tissées.
Pendant la Guerre froide, l’Iran est ainsi devenue un important allié des États-Unis.
En 1953, le gouvernement du premier ministre Mohammad Mussadeq (socialiste, qui avait réussi à s’imposer face au souverain et bénéficiait du soutien populaire) est renversé par un coup d’État que l’on sait avoir été orchestré par les agences de renseignement américaines et britanniques ; et le shah (le souverain), Mohammad Reza Pahlavi, est dès lors consolidé dans sa position autocratique. La répression est féroce.
Cet événement a eu des conséquences très négatives sur l’image des États-Unis et a détruit le « capital sympathie » dont jouissait ce pays en Iran.
Plus tard, le droit d’extraterritorialité accordé aux Américains par le shah et les politiques pro-shah des présidents Johnson et Nixon n’améliorent en rien l’image des États-Unis auprès d’un grand nombre d’Iraniens.
Pourtant, l’ambivalence de visions de part et d’autre subsiste jusqu’en 1979. À cette date, la monarchie est balayée par l’Ayatollah Khomeini et la révolution islamique, qui installe un régime dont l’antiaméricanisme est une marque de fabrique.
Lorsque les révolutionnaires iraniens envahissent l’ambassade américaine, les étudiants prennent le personnel en otage ; une crise qui durera 444 jours. La détérioration des relations s’accélère alors.
Par la suite, le soutien américain à l’Irak, dans la guerre de 8 ans qui oppose l’Irak et l’Iran (1980-1988), achèvera de ruiner les rapports entre les deux États.
À partir de 1993, les États-Unis adoptent une politique de « double endiguement » à l’égard de l’Iran et de l’Irak afin d’isoler les deux pays et de contenir leurs ambitions régionales.
Dans ce contexte, la révélation du programme nucléaire iranien, en 2002, va constituer un facteur déterminant qui entraînera l’Iran et les États-Unis dans une logique de conflit.
Ainsi, il serait naïf de conclure que c’est le programme nucléaire iranien stricto sensu qui a été la cause de la position ultra-hostile de Washington envers l’Iran. La réalité, c’est que le conflit américano-iranien découle du défi que l’Iran pose désormais à l’hégémonie des États-Unis dans une région géostratégiquement parmi les plus importantes du monde.
Si l’on se penche sur les différents gouvernements américains et leur positionnement face à l’Iran, on peut constater des constantes : les Républicains ont été, jusqu’à la révolution iranienne, plutôt en faveur du régime du Shah et les Démocrates, plutôt critiques. Les prises de position des présidents Kennedy ou Carter illustrent bien ces positions.
Cette constante se renverse après 1979 : on se rappellera du président républicain George W. Bush et de sa classification de la République islamique dans « l’axe du mal ». Et, en 2008, l’élection de Barack Obama à la présidence, un Démocrate, alimente les spéculations sur une éventuelle ouverture diplomatique entre les États-Unis et l’Iran.
Mais aujourd’hui, la situation est devenue plus complexe. La politique américaine est fortement influencée par la personnalité de Donald Trump. Il croit en la « masculinité » et aux épreuves de force… Il ne faut pas oublier que sa campagne électorale a été ponctuée de considérations négatives à l’encontre de la République islamique et de son programme nucléaire, ainsi que de critiques envers le Plan d’Action global commun, adopté à Vienne le 14 juillet 2015 et qui mettait fin à la crise du nucléaire iranien.
À tort ou à raison, le président Trump et son entourage ne considèrent pas la République islamique comme un partenaire fiable. Trump ne fait qu’appliquer ce qu’il a énoncé dans sa campagne. Il ne croit pas non plus au multilatéralisme, comme on l’a encore constaté tout récemment lors du dernier G7 (8-9 juin 2018). Enfin, il essaie de détricoter tout ce que le président Obama a mis en place.
Par ailleurs, Trump est ouvertement l’allié personnel d’Israël et de l’Arabie saoudite, qui ont toujours dénoncé les accords sur le nucléaire…
Iran-Israël, entre amour et haine
Dans ce cas également, les relations entre les deux États n’ont pas toujours été hostiles.
L’Iran a été le deuxième État musulman à reconnaître l’État hébreu, même si, avant la révolution de 1979, les relations se sont refroidies lorsque l’Iran, en 1975, a signé la résolution des Nations Unies assimilant le sionisme au racisme.
Néanmoins, c’est surtout après l’arrivée au pouvoir de Khomeiny que les relations se dégradent, puisque la République islamique renie la reconnaissance d’Israël, en soutien radical aux musulmans de Palestine, et cesse les relations officielles. Néanmoins, des relations discrètes, commerciales, voire militaires, continuent à travers des pays qui servent d’intermédiaires.
Mais les déclarations incendiaires de l’État islamique se multiplient sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) ; et Israël finit par considérer l’Iran comme une menace devenue déterminante pour son existence.
La position d’Israël, quant à elle, est également liée à plusieurs facteurs conjoncturels. Le premier, c’est la personnalité même du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, et ses positions intransigeantes. Ensuite, l’État hébreu ressent une véritable menace de la part d’un Iran nucléarisé : l’expansion régionale actuelle de l’Iran inquiète Israël. Les récents conflits irakien et syrien ont permis à l’Iran de constituer une zone d’influence qui s’étend du Kurdistan irakien jusqu’à l’ouest syrien et une continuité Téhéran-Beyrouth qui sont intolérables pour Israël.
Il semble que, tout comme Donald Trump, Benjamin Netanyahu envisage désormais un changement de régime en Iran en dissociant le régime islamique du peuple iranien. Il veut ainsi s’attirer les bonnes grâces de ce dernier, ce qui transparaît dans sa proposition récente d’aider les Iraniens à résoudre leurs problèmes d’approvisionnement en eau.
Netanyahu, qui a toujours dénoncé les accords sur le nucléaire iranien, se sent en effet plus fort que jamais, conforté aujourd’hui dans sa position par la présidence de Donald Trump (qui soutient ses positions sur le nucléaire) et par le rapprochement d’Israël et de l’Arabie saoudite.
Historiquement, l’Arabie saoudite et l’Iran n’ont jamais été très proches. Il y a eu des périodes plus cordiales, à l’époque de Mohammad Reza Shah ou sous les présidences de Hachémi Rafsandjani (1989-1997) et Mohammad Khatami (1997-2005). Mais les rivalités ont toujours existé. Elles portent sur le positionnement dans la région, chacun voulant y établir son leadership ; mais aussi sur la rivalité autour du pétrole et de son contrôle.
La paix n’est pas impossible, les deux pays ne sont pas officiellement en guerre ouverte. Il s’agit de sortir d’une situation de « guerre froide ». En cela, la situation régionale et les acteurs internationaux sont aussi des facteurs à prendre en compte. Le rapprochement avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu ne va cependant pas dans le sens de l’apaisement.
Le programme nucléaire iranien, un « faux » problème pour un vrai projet
Le Plan d’Action global commun adopté à Vienne le 14 juillet 2015 par l’Iran et les membres permanents du Conseil de Sécurité (CS) de l’ONU et l’Allemagne a été confirmé par la résolution 2231 du CS le 20 juillet 2015 (les mêmes, les États-Unis de Trump en moins, se sont enfin rencontré récemment à Sofia, les 16 et 17 mai 2018, pour affirmer qu’ils restaient dans l’accord). Il prévoit l’arrêt du programme de recherche nucléaire à des fins militaires par l’Iran (qui autorisera des contrôles internationaux jusqu’en 2025) et, en contre-partie, la levée des sanctions économiques qui avaient été décidées par le CS depuis 1995.
Mais, au fait, en vertu de quoi le CS a-t-il sanctionné l’Iran, État souverain?
A priori, en effet, rien n’empêche concrètement la République islamique de développer la recherche nucléaire militaire. D’autres pays l’ont fait. L’Inde ou le Pakistan, dans la région, sont des exemples concrets.
Toutefois, la lecture de la situation ne semble pas être la même en ce qui concerne l’Iran. La communauté internationale ou plutôt « les puissances nucléaires actuelles » ne souhaitent pas voir se développer un autre acteur nucléaire. Il y a une crainte de l’effet boule-de-neige. Un Iran militairement nucléarisé inciterait d’autres pays à suivre l’exemple. Il mettrait en danger la stabilité régionale déjà très fragile. Il menacerait d’autres acteurs régionaux.
N’oublions pas que l’Iran a été en particulier sanctionné pour avoir développé un programme clandestin, ce qui a alimenté les doutes sur les motivations de ce pays.
Mais, finalement, la question est aussi de comprendre pourquoi la République islamique a enfin signé un accord ? En cela, la situation économique catastrophique et le désir d’être un acteur international reconnu ont joué.
Il est toutefois difficile, à ce stade, de tirer un bilan des résultats de cet accord sur le nucléaire et de savoir si, en fin de compte, il a été une « bonne affaire » pour l’Iran. En effet, si certaines sanctions ont été levées, des entraves économiques très importantes ont été maintenues, des sanctions américaines qui dataient de 1979. Et le redressement économique escompté par Téhéran n’a in fine pas eu lieu.
On peut néanmoins considérer que, pour le régime iranien, à l’époque où cet accord a été signé, c’était une bonne affaire. Le pays était dans une telle situation désastreuse économiquement que cela représentait un danger pour la stabilité et la crédibilité du régime. C’était une manière de se donner un répit. Un essai de sortir la tête de l’eau, de se refaire une position internationale. Mais, concrètement, les résultats escomptés ne sont pas là. Preuve s’il en faut que les facteurs nationaux et internationaux sont indissociables.
La décision de Donald Trump de dénoncer l’accord va d’ailleurs annuler les quelques progrès réalisés, en matière économique notamment.
Les États européens se plieront au « diktat » américain ; les entreprises européennes ont peur de rétorsions américaines si elles continuent de commercer avec l’Iran.
Certes, le cas iranien a créé une brèche dans les relations entre les États-Unis et l’Europe, même si ce sera probablement de courte durée. C’est la « petite victoire » de la République islamique, qui est à l’origine d’une « zizanie » internationale. Mais, les États-Unis exercent une immense influence sur plusieurs gouvernements européens parmi ceux de première importance. Et on peut déjà constater que les entreprises européennes font marche arrière. De nombreux exemples en attestent. En particulier, celui du constructeur d’automobiles PSA, l’un des premiers producteurs étrangers en Iran avec 444.600 véhicules vendus en 2017. Ou la décision du groupe pétrolier français Total, très impliqué dans le projet gazier South Pars, de s’en retirer ; ou encore, à un autre niveau, le refus de la Banque d’investissement européenne de soutenir les actions de l’Union européenne en République islamique d’Iran.
Le président Trump a donc su réactiver le prétexte nucléaire pour réamorcer la crise iranienne et ainsi remettre sur les rails son projet d’un renversement du régime iranien. Il mise sur un retournement de la population iranienne contre le régime. Il mise sur l’exaspération des Iraniens.
* * *
De nombreux analystes ont mis en évidence la fibre nationaliste des Iraniens ; c’est une réalité. Toutefois, il est difficile de prédire les conséquences à long terme de l’étouffement de l’Iran sur la solidarité de la population avec le régime des ayatollahs.
La décision de Trump n’est pas seulement politicienne ; elle résulte principalement d’un alignement sur Israël et l’Arabie Saoudite.
La situation n’est pas sans rappeler (bien sûr dans un autre contexte et dans un autre temps) les conséquences du boycott du pétrole iranien par les Britanniques au début des années 1950, à la suite de la nationalisation des ressources pétrolières du pays par le gouvernement de Mohammad Mussadeq.
La solidarité internationale autour de la position de la Grande Bretagne, en dépit du fait que la Cour internationale de justice de la Haye avait donné raison aux Iraniens dans leur entreprise de nationalisation, a en effet eu des retombées très fortes en Iran.
Ce boycott a mis à mal les alliances intérieures, mis à mal le front national, étouffé l’économie iranienne et, comme on le sait, a fini par permettre la mise à l’écart de Mussadeq, le père de la nationalisation, et le retour de Mohammad Reza Shah.
C’est apparemment la même stratégie que Washington a choisi de poursuivre, pour reprendre le contrôle de leur vieil allié du temps de la guerre froide…
3 Comments
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Les USA, mondialisation capitaliste oblige, ne tolèrent aucun Etat qui mène un politique indépendante, quelque soit son système politique ou social, a fortiori ils ne tolèrent aucune politique économique de développement plus ou moins autonome et autocentré (URSS socialiste, Russie capitaliste, Chine, Corée (du Nord), Syrie, Libye de Kadhafi, Venezuela, Cuba, Bolivie, Zimbabwe, etc.) pourquoi en irait-il autrement de l’Iran ? La seule chose qui varie dans l’application de cette politique, ce sont les rapports de force et donc les méthodes, diplomatiques, militaires directes ou indirectes, blocus, etc. utilisées pour refouler, diluer, affaiblir puis en finale renverser l’adversaire et, au mieux, morceler alors son territoire en petites entités. Cela n’a donc rien à voir avec le régime d’un pays mais avec sa politique économique autonome ou pas. Un Etat qui refuse de s’endetter sur les marchés mondiaux (en dollars !) est par ailleurs particulièrement suspect.
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