L’Arabie Saoudite a décidé de punir le Liban !
C’est le coup de tonnerre, le vendredi 19 février, dans le ciel ténébreux du Liban : l’Arabie Saoudite décide de mettre un terme à son aide de trois milliards à l’armée et d’un milliard aux forces de la sécurité intérieure.
La fermeture impromptue de la « caisse » saoudienne survient à la suite de la désolidarisation du Liban officiel lors de la condamnation unanime arabe des attaques contre l’ambassade et le consulat général d’Arabie Saoudite à Téhéran et à Machhad, en réaction à l’exécution du dignitaire chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr.
Ce « péché mortel » avait été commis le mois dernier, par le ministre libanais des affaires étrangères, Gebran Bassil (nouveau chef du Courant Patriotique Libre, allié du Hezbollah), à l’occasion des réunions de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique, et ce sous l’instigation du Hezbollah, selon la diplomatie saoudienne qui considère d’ailleurs que ce dernier impair n’est que la goutte qui a débordé du vase rempli d’un fiel régulièrement déversé à l’encontre du royaume wahhabite par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et ses seconds, en paroles et en actions subversives extraterritoriales.
La rebuffade saoudienne exprime ainsi le ras-le-bol arabe à la mainmise iranienne sur le Liban officiel et institutionnel, via le Hezbollah et ses alliés.
Le « pécheur », lui, se défend de s’être mal conduit au sein de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique. Il argue du fait que la position du Liban est conforme à la politique de « distanciation » du gouvernement libanais, telle que stipulée dans la déclaration ministérielle du cabinet du premier ministre Tammam Salam, et que d’ailleurs ladite position avait été décidée en accord avec ce dernier. Gebran Bassil assure également que les attaques des représentations saoudiennes en Iran ont quand même fait l’objet d’une ferme condamnation de sa part, sous forme de communiqué, et lors des contacts préliminaires dans les coulisses de la Ligue. Le Conseil des ministres libanais, réuni de toute urgence, a voulu faire amende honorable en publiant un communiqué dans lequel il confirme, à l’unanimité, le soutien du Liban et sa solidarité inconditionnelle avec les pays arabes frères, et notamment l’Arabie saoudite.
Rien n’y fait, cependant : les mesures de rétorsion vont crescendo et se traduisent par l’appel du royaume wahhabite à ses ressortissants de ne pas se rendre au Liban. Aussitôt, ce sont des pays du Conseil de coopération du Golfe qui se joignent à la fâcherie et qui emboîtent le pas à leur aîné : le Koweït, le Bahreïn et le Qatar… Il faut dire que la déclaration du ministre Bassil à la suite de la réunion du cabinet n’était pas pour arranger les choses : « Entre l’unanimité arabe et l’union nationale, nous penchons pour la deuxième ! »
Une déclaration qui illustre le dilemme cornélien dans lequel l’État libanais est enferré, hanté par des forces d’allégeance et d’idéologies antagoniques, sunnito-chiites, et « occupé » par les forces miliciennes du Hezbollah.
Ce dilemme libanais, l’Arabie du roi Salmane semble avoir décidé de le trancher, dans le cadre de « son » conflit ouvert avec l’Iran, et ce au risque de conduire le Pays du Cèdre vers l’éclatement. Car, indépendamment des motifs et du timing qui poussent l’Arabie à se fâcher et se lâcher, force est d’admettre que ses incitations, voire ses pressions sur l’État libanais pour le conduire à se soustraire à l’influence du Hezbollah, à mater les forces de facto « rebelles » qui confisquent une bonne part de la souveraineté nationale, pourraient dégénérer et entraîner le pays dans une guerre civile sunnito-chiite.
Est-ce l’intention de Riyad ? La question se pose. Et si la confrontation éclatait, l’Arabie interviendrait-elle militairement, comme au Yémen ? Ou abandonnerait-elle le Liban à son sort ?
Comme au cours de la guerre civile de 1975, bien qu’à cette période elle donnât plutôt l’impression de soutenir politiquement, diplomatiquement et financièrement les forces palestino-progressistes contre « l’État chrétien » libanais…
Une certaine langue de bois libanaise « haririenne » ne cesse de vanter les bienfaits de l’Arabie saoudite envers le Liban, oubliant son rôle passé, que viennent rappeler ses soudaines positions punitives envers le Liban. Les monarchies du Golfe ne savent-elles pas que l’État libanais est l’otage d’un « mini-État » en son sein ? Qu’il se doit de ménager la chèvre et le chou (ou plutôt le loup) ? De maintenir ce semblant d’unité nationale scandée par le ministre Bassil ? De préserver cet équilibre précaire, compte tenu de l’existence de ce parti dit de Dieu qui corrompt la bonne marche des institutions et prolonge la vacance présidentielle ?
Mais que veulent donc les pétromonarchies? Que veut la monarchie saoudienne du Liban? Mettre de l’huile sur le brasier de ses déchets ? Semer la zizanie ? Provoquer une nouvelle guerre civile ? Assouvir une sorte de sadisme en « soumettant » le pays du cèdre à son diktat, forte de sa suprématie économique ? Et ainsi montrer que si le Liban est l’otage politique de l’Iran, il est aussi l’otage économique de l’Arabie saoudite ? D’où le double syndrome de Stockholm dont souffre le pays ?
Est-ce le moment de monter une partie (non armée) contre l’autre partie (surarmée), d’exercer ces pressions insoutenables, de lancer cette campagne punitive, à l’heure où le pays se noie dans ses propres déchets ménagers qu’il ne parvient encore ni à ramasser, ni à traiter, au moment où l’absence de président de la république se fait dangereusement sentir, où les institutions sont paralysées ? Car bien que les « frères arabes » se défendent de vouloir du mal à ce pays considéré comme « frère » lui aussi, et surtout au peuple libanais, leur offensive dernière porte davantage préjudice à la victime (l’État et le peuple) qu’au bourreau (l’Iran et le Hezbollah). Et si le bourreau prive l’État libanais de sa souveraineté, les « frères arabes » viennent priver cet État de sa dignité, au vu des réactions serviles des politiciens libanais du camp pro-Saoud.
En effet, depuis l’annonce de la sentence saoudienne, une colonne de personnalités libanaises révérencieuses se bouscule au portillon de l’ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth pour exprimer, fébrilement, sa solidarité, conter fleurette à l’ambassadeur, quémander un rendez-vous à Riyad, demander l’absolution, promettre de ne plus récidiver, implorer la clémence du roi, la remise de peine, la reprise de l’aumône… Un certain politicien, et non des moindres, comme Saad Hariri, y est même allé jusqu’à lancer une pétition dans laquelle il « implore le roi Salmane et les leaders des pays du Conseil de coopération du Golfe arabique à ne pas délaisser le Liban et à continuer à s’occuper de lui ». Et cet « Élu » d’appeler solennellement ses électeurs et tous les autres Libanais à se joindre à l’humiliation et à signer la pétition « de la fidélité aux pays arabes ».
Au sadisme politico-économique saoudien répond le masochisme libanais, représenté par ces personnalités politiques qui deviennent de tristes personnages zélés, prêts à devenir les fous du roi, dans sa cour, pour faire les coqs dans nos basses-cours.
Au malin plaisir de se faire « lécher », côté saoudien, on observe un même plaisir inverse, côté libanais. Aucune fierté politique, de la part de nos « représentants » (qui ne représentent plus personne depuis l’expiration du mandat de la Chambre), susceptible de préserver la fierté nationale et relever le moral des Libanais, leur montrer que le Liban possède suffisamment de ressources, de moyens et d’atouts pour ne pas avoir à s’avilir, que le Liban possède son « or vert » vs. l’or noir, son climat tempéré vs. le climat désertique ; qu’il possède ses libertés vs. les libéralités, sa permissivité vs. la censure ; qu’il possède même du gaz et du pétrole, encore inexploités, des déchets ménagers amoncelés dans ses rues et exploitables, etc. L’essentiel étant de remettre ce Liban entre des mains responsables… et propres, pour qu’il n’ait jamais plus besoin de « mendier ».
C’est à se demander si le Liban, aujourd’hui, ne manque pas plus de dignité nationale que de souveraineté nationale. La souveraineté est toujours récupérable, mais la dignité…