ALGÉRIE – La polémique fait rage autour de l’otage français Pierre-Hervé Gourdel décapité en septembre…

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ALGERIE - Octobre 2014 - Abderrezak BOUNESSAH'La polémique enfle dans la presse algérienne et les « petites phrases » se multiplient dans les couloirs des services de renseignement algériens, dont plusieurs officiers ne cacheraient plus leurs doutes sur l’exécution de l’otage français. Elle n’épargne pas non plus la sphère politique, dont des proches du président Abdelaziz Bouteflika, lesquels dénoncent ouvertement une manœuvre ordonnée par Paris. Notre correspondant à Alger a rencontré Ali Zaoui, ancien militaire devenu expert en questions sécuritaires et lutte antiterroriste, habitué des médias maghrébins : Ali Zaoui est sorti de sa réserve et a choisi son camp dans le débat ; sans mâcher ses mots, il livre son point de vue pour Le Courrier du Maghreb et de l’Orient. Une opinion tranchée, qui a très peu reçu d’écho dans la presse européenne. Une opinion qui reflète la polémique algérienne, mais relève plus de la conviction que de l’analyse, et que nous publions donc avec les réserves qui s’imposent…

Le Courrier du Maghreb et de l’Orient – Des officiers de l’armée et des personnalités politiques de premier rang, comme, tout dernièrement, Louisa Hanoune, chef du Parti des Travailleurs algériens et proche du président Bouteflika, n’hésitent plus à déclarer publiquement que l’otage français Pierre-Hervé Gourdel, enlevé à Bouira et exécuté en septembre 2014 par le groupe djihadiste Jund al-Khilafah fi Ard al-Jazaïr (les Soldats du Califat en Algérie), qui se réclame de l’État islamique (EI), aurait été victime d’un « coup monté » par la DGSE, les services secrets français, pour entraîner l’Algérie dans la guerre contre l’EI, Alger refusant, à ce stade, de participer à la coalition internationale mise sur pied par Washington et Paris. Mais sur quoi reposent, concrètement, de telles accusations ? Y a-t-il des éléments sérieux qui permettraient de démontrer que ce groupe, composé de douze membres, dont on connait le vrai nom du chef, Djamel Aissaoui (nom de guerre : Abou Djahada), serait lié aux services secrets français, d’une manière ou d’une autre ?

Ali ZaouiLa plus part des experts et chercheurs en terrorisme partagent désormais cette même analyse sur les réels commanditaires de cette exécution, sur ceux qui ont planifié cette décapitation : les services secrets de la France. Avec pour seul objectif de pousser l’armée algérienne à intervenir dans la région du sahel et du nord de la Libye, et aussi de prendre sa place dans la coalition internationale conduite par les États-Unis et la France contre Daech [ndlr : acronyme arabe pour « État islamique en Irak et en Syrie »].

CMO – Selon vous, l’otage français Pierre-Hervé Gourdel n’a donc pas été exécuté par des partisans de l’État islamique ?

Ali ZaouiJe pense que l’acteur principal -ou plutôt les vrais acteurs qui ont organisé cet enlèvement- ce sont les services secrets français.

CMO – Permettez-moi d’insister : quels sont les indices sur lesquels repose votre analyse ?

Ali ZaouiSi ce rapt a été planifié par le seul groupe appelé Jund al-Khilafah, comment se fait-il que Pierre Hervé Gourdel a été enlevé dès le lendemain de son arrivée en Algérie ? C’est comme si tout avait été réglé à l’avance. Comment expliquer que le ressortissant français a pris le risque inconsidéré d’aller faire de la randonnée en montagne dans une région connue pour son insécurité ? Pour quelle raison a-t-il choisi cette région comme destination ? Pourquoi avait-il loué un chalet au nom d’un de ses amis algériens et non pas à son propre nom ? Aurait-il voulu éviter d’être identifié par les services de la sécurité algériens ?

En outre, dans le dernier tweet qu’a envoyé Pierre-Hervé Gourdel, on pouvait lire ceci : « Quand je rentre d’Algérie après le premier octobre, si je rentre… » Cela ne montre-t-il pas qu’il avait une mission à accomplir ? Une mission qui pouvait lui couté la vie… Pour moi, il n’y a donc pas de doute : Gourdel était un agent français en mission, comme les deux autres Français enlevés avant lui.

CMO – Avouez que c’est tout de même un peu léger comme « démonstration »… Il s’agit surtout de supputations… Mais, si l’on vous suit, pourquoi les services secrets français ont-ils monté ce scénario ? Dans quel objectif ? Et quel est-il, d’ailleurs, ce scénario, précisément ?

Ali ZaouiIl est toujours difficile de tout savoir, dans ce genre d’affaire…

Mais, comme je l’ai dit, la France a pour but d’exercer une forte pression sur l’Algérie, pour que l’armée algérienne intervienne dans le Sahel et en Libye. Les Français veulent forcer l’Algérie à entrer dans ces conflits, parce que l’Algérie est considérée par les Occidentaux comme une grande puissance régionale.

Les puissances occidentales ont vraiment besoin de la force militaire algérienne pour lutter contre le terrorisme qu’elles ont elles-mêmes créé, soutenu et financé…

CMO – Revenons sur le « scénario »… Vous ne nous avez pas encore dit quel aurait été le rôle de la DGSE. Ni non plus le rôle exact de Pierre-Hervé Gourdel. Comment expliquez-vous que ce rapt serait une mise en scène organisée par les services français, alors que, dans le même temps, le groupe Jund al-Khilafah a revendiqué l’enlèvement et l’exécution de l’otage ?

Ali ZaouiPeut-être est-ce vrai qu’ils ont kidnappé ce ressortissant français. Mais Abou Djahada, le chef du groupe terroriste, de son vrai nom Djamel Aissaoui, voulait réaliser un grand coup médiatique. Cet enlèvement n’est effectivement que de la pure propagande visant aussi bien la région que la Communauté internationale.

CMO – Voulez-vous dire que les services français ont sciemment sacrifié un de leurs hommes pour créer cette crise ?

Ali Zaoui – Ce que je veux dire, c’est que les médias font maintenant le jeu de Jund al-Khilafah, en l’aidant à faire passer un message à Daech : Jund al-Khilafah n’a pas de contact direct avec Daech ; il a utilisé les médias pour atteindre cet objectif.

De son côté, l’armée algérienne, qui a toujours voulu combattre à tout prix le terrorisme, a maintenant une bonne raison pour justifier l’extension de son champ d’action, en dehors des frontières de l’Algérie, ce qui est contraire à la constitution algérienne…

Autrement dit, tout laisse penser que la France a envoyé son agent à Bouira après avoir informé ou même passé un accord avec le groupe Jund al-Khilafah et peut-être même avec l’armée algérienne.

La France va donc peut-être atteindre son but.

 

propos recueillis par Abderrezak BOUNESSAH

Correspondant à Alger pour Le Courrier du Maghreb et de l’Orient

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Abderrezak Bounessah

Politologue (Alger – ALGÉRIE)

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