Le 19 mai 2017, les Iraniens se rendront aux urnes pour choisir celui qui présidera leur pays durant les quatre prochaines années. Au terme du premier mandat présidentiel de Hassan Rohani (qui vient de poser sa candidature pour un second mandat, laquelle doit être avalisée par le Conseil des Gardiens de la Constitution), quelques réflexions s’imposent. En particulier parce qu’élu président de la République islamique avec 50,7% des voix, le 14 juin 2013, son arrivée avait suscité un enthousiasme général et beaucoup d’espoir, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
En effet, à l’intérieur, la République islamique d’Iran se trouvait en très mauvaise posture en raison du désastre économique provoqué en partie par les tensions internationales et les effets des sanctions liées à la crise du nucléaire, mais aussi à cause de la gestion exécrable de l’économie et d’un niveau de corruption jamais atteint jusque-là.
À l’extérieur, elle était isolée et dotée d’une très mauvaise image encore due à la question nucléaire, mais aussi aux positions de l’Iran sur la Syrie et son soutien à Bachar al-Assad.
Dans ce contexte, chacun a cru à un espace d’opportunités ouvert par le changement de présidence. L’on y croyait d’autant plus que Hassan Rohani était entré en fonction en promettant une ère nouvelle, de la transparence dans le programme nucléaire, une volonté de regagner la confiance de la communauté internationale et d’établir des relations amicales avec les voisins…
Si certains objectifs ont été atteints, d’autres sont loin de l’être et, dans certains domaines, la situation a même empiré.
Les débuts de l’ère post Ahmadinejad
L’ère post Ahmadinejad s’est caractérisée tout d’abord par la prise de pouvoir d’hommes nouveaux au niveau de l’exécutif. En particulier, un nouveau président que l’on n’attendait pas -comme dans les élections précédentes d’ailleurs- dans la mesure où la majorité des observateurs avaient misé sur Saïd Djalili qui semblait avoir, à cette époque, les faveurs de l’Ayatollah Khamenei, le Guide suprême. Un nouveau président, donc, qualifié de « réformateur » par la presse occidentale, mais pas un outsider pour autant.
En effet, Hassan Rohani était et reste un homme du sérail.
Né en 1948, son passé est caractéristique des dirigeants de la République islamique. Il a milité contre Mohammad Reza Shah et fait de la prison à plusieurs reprises sous l’ancien régime. Il a suivi des études religieuses au séminaire de Semnan, avant d’entrer à l’université de Téhéran pour des études de droit. Il a obtenu ensuite un master à l’université de Glasgow finalisées par un mémoire portant sur la Charia. Entre temps, il a changé son nom de famille de Fereydoun, trop marqué « Iran préislamique », en Rohani (« clerc »), plus en phase avec le tournant islamique pris par le pays. Il a très tôt suivi Khomeiny et c’est lui qui a promu le titre d’Imam pour qualifier ce dernier, pour la première fois, en 1977.
En 1980, il est élu au Parlement. En 1989, il devient ministre. Il sera aussi représentant du Guide au Conseil suprême de la Sécurité et secrétaire général de ce conseil pendant seize ans.
Dès 1991, il devient membre du Conseil de Discernement et membre du Conseil des Experts. En 2013, il devient également membre du conseil en charge du maintien du « velayat é faqih » [ndlr : qui assure l’autorité suprême au Guide].
Avant sa présidence, il est surtout connu à l’extérieur pour avoir été négociateur en chef dans le dossier nucléaire de 2003 à 2005 et avoir obtenu un moratoire sur le nucléaire en 2003.
Rohani est un routard de la politique, mais aussi un défenseur du velayat é faqih. On pouvait s’en douter, ce n’était donc pas lui qui remettrait en cause le régime ou introduirait des réformes dans la constitution.
Dès lors, en quoi était-il différent de son prédécesseur ?
Il avait surtout un style différent d’Ahmadinejad : moins provocateur, plus conciliant et conscient de la situation économique catastrophique du pays. Un homme certainement plus « glamour », proche de Khamenei, connaissant bien les dossiers internationaux, dont celui du nucléaire et ayant eu des contacts avec toutes les figures du régime.
Dans ce sens, son élection présentait des opportunités de changement, surtout en ce qui concernait les rapports avec l’Occident, et quelques conséquences ont rapidement eu lieu.
En ce qui concerne la situation intérieure, la question est en revanche beaucoup plus complexe…
Une réinsertion de l’Iran dans la communauté internationale
Le 24 novembre 2013 est conclu l’accord provisoire entre l’Iran et les 5+1 (les cinq membres du Conseil de Sécurité de l’ONU auxquels s’est adjointe l’Allemagne) et la Haute Représentante de l’Union européenne. L’Iran accepte de suspendre son enrichissement à 5% et de diluer sur place son stock d’uranium enrichi à 20%, qu’aucune nouvelle centrifugeuse ne soit installée, que la construction de l’usine d’eau lourde à Arak soit suspendue et que l’accès au site par l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA) puisse être quotidien et improvisé.
De leur côté, les 5+1 ont accepté un allégement des sanctions à hauteur de 7 milliards de dollars, de ne pas instaurer de nouvelles sanctions et de débloquer 4 milliards de dollars des avoirs gelés dans les banques occidentales.
Cet accord s’appliquait pour une durée de six mois, prévoyait une suspension du processus d’enrichissement et non un arrêt et était réversible par les deux parties. Dès lors, plusieurs réunions et accords eurent lieu et, finalement, en juillet 2015, après douze ans de négociations, un accord fut signé, qui est entré en vigueur le 16 janvier 2016.
L’accord sur le nucléaire iranien a marqué une étape importante dans la relance des relations entre le pays et l’Occident. Il a surtout fait de l’Iran un interlocuteur reconnu et crédible et a ainsi ouvert des opportunités de réinsertion dans la communauté internationale.
Cependant, l’élection de Donald Trump à la présidence américaine fait craindre un retour en arrière en termes d’ouverture, dans la mesure où le futur président estimait que l’accord sur le nucléaire iranien ne servait pas les intérêts américains, le qualifiant même de « calamiteux ». Il semble qu’aujourd’hui que ce n’est pas tant la question nucléaire qui le préoccupe que les activités balistiques du régime iranien ; mais, quoi qu’il en soit, un nouveau bras de fer a commencé entre les deux pays.
Une situation économique qui ne s’améliore pas de manière significative
Depuis 2011, l’économie iranienne traversait une crise importante. Recul de l’activité, chômage, inflation galopante (44% en juin 2013), décroissance du PIB jusqu’à atteindre -5,4%, recul des exportations de pétrole, effondrement du taux de change, etc. Et malgré une réorientation iranienne vers l’Asie, notamment la Chine, la population subissait quotidiennement les conséquences de cet état.
L’élection de Rohani a sans conteste amené un vent d’optimisme, très vite marqué par la hausse de la bourse de Téhéran, l’augmentation du prix de l’or et de la valeur de la monnaie.
Pourtant, l’impact réel a été limité. Certes, le pays avait subi un embargo assez lourd avant la signature des accords et il est certain que la situation économique en avait pâti. Toutefois, la majorité des spécialistes s’accordent à dire que l’embargo et les sanctions n’expliquent que 20% des problèmes. Il faut dès lors en chercher les raisons ailleurs. En particulier dans une gestion exécrable, une direction autoritaire et clientéliste, la mainmise de ceux qui, en Iran, sont nommés les « agha zadé » (enfants de nobles) et les « khodis » (les « ingroup ») sur toutes les affaires du pays et finalement dans la corruption qui fait rage. Le pays est classé 130ème sur 168 pays considérés pour la corruption par Transparency international.
Cela explique en partie que la croissance économique n’ait pas dépassé 0,5% (contre les 8% prévu) durant l’année calendaire iranienne 2015-2016 (statistiques de la Banque mondiale). Cela explique aussi que plus de 15 millions d’Iraniens sur une population estimée à 78 millions vivent dans une pauvreté multidimensionnelle : 10% vivent sous le seuil de pauvreté de 5,5 dollars par jour et 3% sous le seuil des 2 dollars. Le chômage, quant à lui, officiellement à 11%, atteint en réalité les 50 ou 70 % dans certaines régions, dont celles qui sont peuplées par les minorités.
Cette situation a été dénoncée par le Guide, Ali Khamenei lui-même, qui, en mars 2016, a annoncé « l’économie de résistance ». Par ailleurs, en 2017, l’Iran est au 120e rang sur 189 dans la liste des pays les plus mal cotés du Doing Business de la Banque mondiale en raison notamment d’un manque de lois et de règlements ou de leur volatilité et du poids de la bureaucratie (117e en 2016).
Un système politique toujours sclérosé
La République islamique repose sur un système politique comprenant des institutions élues et non élues, des institutions formelles prévues dans la constitution et des institutions informelles, toutes liées à des élites cléricales (associations et fondations religieuses, organisations paramilitaires). Or, dans le système iranien, l’informel triomphe très souvent sur le formel.
Le pouvoir et l’influence viennent tout autant de la personnalité des décideurs que de leur position, et le factionnalisme oriente les débats. Le factionnalisme est encouragé par le Guide tant qu’il ne menace pas le régime.
Néanmoins, en dernière instance, le pouvoir réel est détenu, pour l’instant, par le Guide suprême. Par ailleurs, tout est fait pour que personne ne devienne réellement dominant.
Cela dit, un noyau dur formé d’un groupe de personnes toutes membres du clergé représente le centre de décision du régime. Des personnes qui contrôlent également de larges parties des sphères économiques et paramilitaires. Ce noyau dur comprend des membres des centres de pouvoir formels tels le Conseil des Gardiens de la Constitution et l’Assemblée des Experts et des membres de groupes et institutions informelles telles la Société des Enseignants des Collèges de Qom qui comprend trente membres du clergé.
Ces institutions et la structure du pouvoir en Iran expliquent probablement la stabilité du régime.
Une dégradation de la situation des droits humains
L’amélioration de la situation des Droits de l’Homme était sans conteste l’un des espoirs placés dans l’élection de Hassan Rohani. Or, dans ce domaine, la situation ne s’est non seulement pas améliorée… elle s’est détériorée.
Selon le dernier rapport d’Amnesty international (2016-2017), « les autorités ont imposé des restrictions sévères à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de conviction religieuse. Des détracteurs pacifiques du gouvernement, entre autres, ont été arrêtés et emprisonnés à l’issue de procès iniques devant des tribunaux révolutionnaires. Le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements infligés aux détenus est resté répandu, en toute impunité. Des peines de flagellation et d’amputation, entre autres châtiments cruels, ont continué d’être appliquées. Les membres des minorités religieuses et ethniques étaient en butte à la discrimination et à des persécutions. Les femmes et les filles étaient victimes de violence généralisée et de discrimination. La peine de mort a été largement appliquée ; des centaines d’exécutions ont eu lieu, dans certains cas en public. »
Cette situation est confirmée par le dernier rapport présenté par Ahmad Shaheed, le rapporteur de l’ONU concernant l’Iran, en 2016, devant le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève.
Ce rapport dénonce, entre autres, les pendaisons publiques -en particulier de mineurs-, la privation de procès équitables et d’accès à un avocat, les longues périodes de détention au secret, la torture et les mauvais traitements et les aveux forcés utilisés au tribunal pour obtenir des condamnations.
Le rapport dénonce également les restrictions des droits des femmes, des minorités religieuses et ethniques, des droits à la liberté d’expression et d’association, le droit à des élections libres et équitables…