La grande majorité des médias, européens et états-uniens du moins, ont habitué leur public à couvrir avec beaucoup de complaisance les guerres menées par l’Occident au Moyen-Orient ou en Afrique.
Ce fut le cas en Irak, en 1991, puis en 2003 ; il en fut de même en Libye, en 2011 ; au Mali, depuis 2012 ; et il en a été ainsi également de la bataille de Mossoul, en 2016 et 2017.
Très peu de « reporters de guerre » ont osé dénoncer les événements qui se produisaient à Mossoul après qu’eut commencé l’assaut des forces armées irakiennes et des milices chiites sur la ville, appuyées par l’aviation des États membres de la coalition menée par Washington et par les unités spéciales déployées au sol par plusieurs de ces pays.
Très peu d’entre eux, parce que, principalement, la majorité des correspondants et des envoyés spéciaux écrivaient leurs « reportages » ou intervenaient dans les journaux-parlés depuis Erbil, au Kurdistan irakien, sans jamais s’être risqués à se rendre sur le terrain des opérations, à Mossoul même, un des théâtres de guerre parmi les plus dangereux du moment. Ils en ignoraient donc toute la réalité, se contentant de répercuter les « informations » que leur communiquait le service de presse des forces armées engagées contre l’État islamique. Au mieux quelques-uns s’aventurèrent-ils dans les villages libérés de la plaine de Ninive, étonnés d’y découvrir tant de ruines, mais satisfaits de pouvoir se montrer en « terrain de guerre » devant la caméra.
Quant à ceux qui se frayèrent un chemin jusqu’au champ de bataille, ils hésitèrent à décrire ce qu’ils y voyaient pourtant, édulcorant au mieux leurs propos, afin de ne pas paraître trop à contre-courant de la sacro-sainte doxa dominante qui formate le discours de tous les journaleux soucieux de na pas mettre leur carrière en danger. C’est ainsi que fonctionne dorénavant la presse « mainstream » : il faut dire tout comme tout le monde, de peur d’avoir raison tout seul, ce qui ne rapporte que l’ostracisme et la mise au ban du système.
Aussi, rares furent ces « correspondants » et « envoyés spéciaux » qui mirent en garde ceux qui les écoutaient contre les risques pourtant évidents du massacre qui se préparait ; trop occupés à vanter l’efficacité des frappes de la coalition et à chanter la victoire de la communauté internationale et de l’armée irakienne sur l’État islamique, sans se poser les bonnes questions, sans voir ce qui se jouait dans les faits.
Aujourd’hui, cependant, il n’est plus possible de cacher l’horreur et les plumes se délient forcément, toutes ensemble et trop tard ; le mal est fait, et la presse n’a une fois encore pas accompli sa mission démocratique qui est d’informer et d’alerter l’opinion publique.
Si le tiers oriental de Mossoul, principalement habité par une population kurde et surtout arabe chiite, a été plus ou moins épargné, la majeure partie de la ville a quant à elle disparu, peuplée de familles pour la plupart sunnites, entièrement rasée sous les bombes des avions de la coalition.
J’avais vu les ruines de Syrte, en Libye, détruites par les bombardements de l’OTAN ; j’ai assisté aux bombardements sur Homs et Alep, comme reporter « embedded » avec les brigades rebelles de l’Armée syrienne libre et de Jabhet al-Nosra… Mais je n’avais jamais rien vu de tel que les ruines de Mossoul, où même l’ossature en béton armé des immeubles les plus modernes n’a parfois pas résisté à l’extrême violence des armements mis en œuvre pour venir à bout des combattants de l’État islamique.
Or, face à ce spectacle de destruction totale, la question qui m’est immédiatement venue à l’esprit, c’est : « Mais où sont donc les 250.000 hommes, femmes et enfants qui n’avaient pas évacué Mossoul-ouest ?! »
Et ce, moins parce qu’ils étaient contraints par l’EI de servir de « boucliers humains » (les mythes de la propagande de guerre ont de tous temps la peau dure) que parce qu’ils craignaient les représailles des Chiites de Bagdad (l’armée irakienne est composée de plus de 90% de Chiites), car ces familles sunnites avaient, en 2014, accueilli les djihadistes en libérateur lorsque leurs 800 combattants chassèrent de Mossoul les 65.000 soldats de l’armée (d’occupation) irakienne.
Où sont-ils passés, tous ces gens ?!
Sous les décombres !
Ce mois de juillet 2017 est particulièrement caniculaire en Irak, et l’odeur putride insoutenable qui flotte partout au-dessus des gravas répond à la question sans la moindre équivoque.
Quant aux chiens errants, qui grattent ici et là parmi les débris des habitations et arrachent aux entrailles du champ de bataille des lambeaux de chair, ils confirment la réponse, s’il le fallait encore. Tout comme les nuées de mouches noires qui ne laissent aucun doute sur la présence des cadavres et permettent de les localiser aisément.
Parfois, d’ailleurs, au détour d’un cratère, on voit émerger une jambe ou un bras, grisés par la poussière de ciment qui a tout recouvert et sur laquelle le soleil se reflète pour produire une blancheur aveuglante, presque immaculée. Des morceaux de corps que les rotations incessantes des bulldozers de l’armée irakienne ne parviennent pas à faire tous disparaître, ces machines titanesques qui écrasent les vestiges sous leurs énormes roues et les aplanissent de leur large pelle pesante.
Non, rien n’y fait : les morts crient leur présence.
Il s’agit aussi pour l’armée, qui a maintenant été rejointe par les milices, de ratisser les dernières poches de résistance.
Tous les djihadistes n’ont pas été tués. Chaque jour, il en sort, qui surgissent des longs et nombreux tunnels qu’ils ont creusés sous la ville. Combien sont-ils encore, terrés dans ce vaste sous-sol ? Aucun des officiers que j’ai rencontrés ne s’avance à chiffrer ce qu’il reste encore des forces de l’ennemi sunnite.
Mais les Chiites ne font plus le moindre quartier ; et le bruit court, toutefois invérifiable, que l’état-major irakien a donné l’ordre de ne plus faire de prisonnier et d’en finir très vite avec tout ce qui vit encore à Mossoul. C’est aussi pour cela que les bulldozers sont si actifs ; pour boucher par de lourdes pelletées de blocs de béton éclatés les accès de ces tunnels d’où la mort jaillit encore quotidiennement ; pour enterrer vivants tous ceux qui s’y cachent.
Pas de quartier ! Et tant pis s’il s’agit de civils ; ils sont de toute façon sunnites… C’est probablement l’explication des cadavres que l’on voit flotter sur le Tigre, tous les jours, et qui viennent s’échouer sur les berges de galets, où ils noircissent et gonflent au soleil, comme des outres… Certains ont les mains liées dans le dos.
Ça pue tellement qu’on ne peut pas rester longtemps à Mossoul-ouest sans être pris de nausées ; et, rentré à l’hôtel à Erbil après trois heures de route, l’odeur avait à ce point imprégné mes vêtements que les gens m’ont posé des questions sur ce qui se passe là-bas…
Les vainqueurs ne manifestent aucune pitié à l’égard des Sunnites, et les actes de vengeance ne se comptent plus, comme ce fut le cas à Tikrit et à Falloudjah, deux précédents qui auraient dû amener la coalition de Washington à faire suffisamment pression sur Bagdad pour éviter l’horreur. Mais probablement, la coalition étant à présent affairée à Raqqa, en Syrie, la question humanitaire était-elle le cadet de ses soucis.
C’est donc ainsi qu’en Irak on fête la fin de trois années de guerre, dans l’ivresse du sang, que la chaleur et la puanteur surexcitent davantage encore que la victoire, enrageant des soldats devenus comme forcenés. Désormais, l’antagonisme religieux qui n’a cessé de s’exacerber depuis 2003 ne peut plus être dissimulé : des haut-parleurs fixés sur les auto-blindées de l’armée diffusent des chants à la gloire de l’Imam Hossein, figure emblématique du Chiisme, tandis que les militaires traquent les derniers survivants, secondés par des essaims d’hélicoptères qui survolent en permanence les ruines et tirent leurs missiles mortifères au moindre mouvement. Et ce n’est pas l’officier en charge de la presse qui donnera le change, même en répétant à qui veut l’entendre et le sourire aux lèvres : « Il n’y a pas de Chiites ou de Sunnites, ici ! Nous sommes tous des Irakiens ! »
Comme à Syrte ou à Alep, on ne connaîtra probablement jamais le nombre des victimes civiles de cette bataille.
Une dernière chose enfin, pour revenir un instant sur le métier de « reporter de guerre »… Il serait malhonnête de faire semblant d’ignorer que la presse russe, de son côté, ne se montre pas aussi prompte à s’emparer des terribles exactions commises à Mossoul pour décrier la coalition de Washington aux prises avec l’État islamique comme la presse occidentale l’a fait sans aucune nuance des événements d’Alep où les Russes combattaient quant à eux al-Qaeda (Jabhet al-Nosra).
Le fait mérite d’être épinglé, au moment où Moscou s’apprête à soutenir l’offensive de l’armée de Bashar al-Assad contre le dernier bastion du Front al-Nosra en Syrie : Idlib, où plus d’un million de civils sont pris au piège.
par notre envoyé spécial à Mossoul
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