ISLAM – Soufisme – Entretien (5/5) : « Les Musulmans ne détiennent pas la vérité absolue »

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Dans ses éditions précédentes, Le Courrier du Maghreb et de l’Orient a donné la parole aux islamistes fondamentalistes, aux Salafistes, partisans d’une lecture littérale du Coran et d’un « Islam authentique ».

Saïd DJABELKHIR[103509]Ces différents entretiens ont suscité de très nombreuses réactions au sein de la communauté des Musulmans « modérés », et dans le milieu du Soufisme notamment, très opposé aux thèses salafistes et à leur lecture d’un Coran qui, notamment, autoriserait la violence (le djihad armé) comme moyen licite de promouvoir et de répandre l’Islam.

Pour en débattre, Pierre Piccinin da Prata a engagé le dialogue avec Saïd Djabelkhir, journaliste algérien, chercheur en sciences islamiques et spécialiste du Soufisme.

Cinquième et dernière partie de cet entretien, dont le premier volet a été publié dans l’édition de juillet-août 2016 du Courrier du Maghreb et de l’Orient.

PPdP – Les « modérés » affirment qu’il n’y a « pas de contrainte en religion »… Ils se réfèrent au verset 256 de la deuxième sourate. Mais le verset complet dit : « Nulle contrainte en religion, car le bon chemin est distinct de l’égarement. » Aussi, prend-il un tout autre sens : l’Islam s’impose par lui-même et est la seule voie possible, car les autres chemins mènent à l’égarement. Et le Coran dit en effet, à l’intention de ceux qui rejettent leur religion : « Dieu ne leur pardonnera pas. » (Coran, IV, 113) ; « La colère divine s’abattra sur eux. » (Coran, XVI, 106) ;  et « Ils demeureront éternellement dans le feu. » (Coran, II, 217). Selon un hadith rapporté par Ibn Abbas, le Prophète se montrait inflexible envers ceux qui abandonnaient l’Islam ; il a dit : « Celui qui délaisse sa religion, qu’on le tue. »

S. DJABELKHIRLe verset que vous avez cité (Coran, II, 256) n’impose rien du tout ; bien au contraire, il ouvre la voie vers la liberté de conscience et de penser. Il indique que l’homme est capable de discerner ce qui est bon pour lui de ce qui est mauvais. C’est vrai qu’il propose de croire en Dieu, mais il n’impose rien.

Ce verset propose aux hommes de croire, comme tout bon vendeur peut vous proposer sa marchandise, il ne vous impose rien. Il se trouve que le « bon chemin » est un espace très vaste qui ne contient pas que le message de Mohamed. En effet, le mot « islam » dans le Coran est très vaste. Il ne désigne pas que le message de Mohamed ; il désigne toutes les religions, doctrines et idées qui existent depuis que l’homme a commencé à produire des idées, et qui versent dans le bien de l’homme. En gros, toute idée, religion ou dogme, qui prône la paix et le progrès de l’homme, est contenue dans le mot « islam » qui lui-même, comme je l’ai déjà expliqué, veut dire « faire la paix » et « donner la paix ».

Le Coran dit explicitement qu’il y a d’autres messages plus anciens que celui de Mohamed, dans le mot « islam » : « Etiez-vous témoins quand la mort se présenta à Jacob et qu’il dit à ses fils : ‘Qu’adorerez-vous après moi ?’ Ils répondirent : ‘Nous adorerons ta divinité et la divinité de tes pères, Abraham, Ismaël et Isaac, Divinité Unique et devant laquelle nous nous proclamons Musulmans’. » (Coran, II, 133)

« Dites : ‘Nous croyons en Allah et en ce qui nous a été révélé, et en ce qui a été descendu vers Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et les Tribus, et en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, et en ce qui a été donné aux Prophètes envoyés par leur Seigneur.’ Nous ne faisons aucune distinction entre eux, et devant lui nous nous proclamons Musulmans. » (Coran, II, 136) ; « Dis : Nous croyons en Allah, à ce qu’il nous a fait descendre, à ce qu’il a fait descende sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus, et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux Prophètes, de la part de leur Seigneur. Nous ne faisons aucune différence entre eux, et nous nous proclamons tous Musulmans devant Lui.’ » (Coran, III, 84) ; « Et quand j’ai révélé aux Apôtres ceci : ‘Croyez en moi et en mon Messager Jésus.’ Ils dirent : ‘Nous croyons, et attestons que nous sommes des Musulmans.’ » (Coran, V, 111) ; « Ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre [ndlr : les Juifs et les Chrétiens]. Sauf ceux d’entre eux qui sont injustes. Et dites : ‘Nous croyons en ce qui a été descendu vers nous et descendu vers vous. Notre Dieu et le vôtre est le même. Et c’est devant lui que nous nous proclamons Musulmans.’ » (Coran, XXIV, 46) ; « Il (Dieu) ne vous a imposé aucune gêne dans la religion, celle de votre père Abraham. Il vous a déjà nommés Musulmans avant ce Livre et dans ce Livre. » (Coran, XXII, 78) ; « Salomon dit : ‘Le savoir nous a été donné avant elle (la Reine de Saba) et nous étions déjà Musulmans.’ » (Coran, XXVII, 42)

De tout cela, il découle que les Juifs, ou « fils d’Israël », et les Chrétiens sont aussi des Musulmans. Mieux : ils étaient Musulmans avant les compagnons de Mohamed. C’est dire qu’à l’origine il n’y avait pas de distinction ni de barrières entre Juifs, « Chrétiens » et autres. Tous les croyants étaient « Musulmans », c’est-à-dire partisans de la paix.

La voie d’Abraham était ainsi tracée : « Ils ont dit : ‘Soyez Juifs ou Chrétiens et vous serez sur la bonne voie.’ Dis : ‘Non, mais nous suivons la religion d’Abraham, le modèle même de la droiture et qui ne fut point parmi les associateurs.’ »  (Coran, II, 135)

« Quand Jésus ressentit de l’incrédulité de leur part, il dit : ‘Qui sont mes alliés dans la voie d’Allah ?’ Les Apôtres dirent : ‘Nous sommes les alliés d’Allah. Nous croyons en Allah. Et sois témoin que nous nous proclamons Musulmans devant Lui.’ » (Coran, III, 52)

Le Coran est aussi très clair sur un autre point : Allah n’est pas le Dieu des seuls Musulmans ; il est le Dieu de tous les hommes : « Discutez-vous avec nous au sujet d’Allah, alors qu’il est notre Seigneur et le vôtre ? À nous nos actions et à vous les vôtres. C’est à lui que nous sommes tous dévoués. » (Coran, II, 139)

D’ailleurs, le Coran ne fait pas la différence entre les croyants de toutes les religions quelles qu’elles soient : « Certes, ceux qui ont cru, ceux qui se sont judaïsés, les Nazaréens (Chrétiens), et les Sabéens, quiconque a cru en Dieu et au Jour dernier et accompli de bonnes œuvres, sera récompensé par son Seigneur. Il n’éprouvera aucune crainte et il ne sera jamais affligé. »  (Coran, II, 62)

Le Coran explique que toutes les religions se valent, et que les hommes ne se distinguent pas par leurs religions aussi différentes soient-elles, mais plutôt par les bonnes actions qu’ils accomplissent sur terre : « Si Allah avait voulu, certes il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais il veut vous éprouver en ce qu’il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes œuvres. C’est vers Allah qu’est votre retour à tous. Alors il vous informera de ce en quoi vous étiez divergents. »   (Coran, V, 48)

Il en découle que personne ne possède la « vérité religieuse absolue ». La « vérité religieuse » est relative et elle existe dans toutes les religions. Le défi des croyants n’est pas de prouver que telle ou telle religion est la plus juste, ou que telle ou telle religion est celle qui possède la « vérité absolue » et que les autres ne valent rien. Les Musulmans ne détiennent pas la vérité absolue. Le vrai défi que les croyants devraient relever, c’est de prouver qu’ils sont à même d’être bénéfiques pour les hommes, tous les hommes, et d’apporter une plus-value à l’humanité et à la civilisation humaine. Si les croyants ne sont pas en mesure d’être de ce niveau, cela voudra dire que leurs religions ne leur ont servi à rien, et qu’elles pourront en faire des monstres destructeurs, au lieu d’en faire des hommes constructeurs.

Donc, finalement, il ne s’agit pas de savoir quelle est la « religion la plus juste », il s’agit plutôt de savoir quel est le religieux ou le croyant le plus utile pour les hommes. Toute religion qui produit des hommes utiles est forcément bonne. Et contrairement, toute religion qui produit des hommes mauvais est forcément mauvaise.  

Ceci dit, vous posez la question de l’apostasie, « ridda », qui nécessite de creuser d’abord dans le mot « kofr » et sa signification dans le Coran, car vous avez cité le verset106 de la seizième sourate, qui contient ce mot…

Je dois dire que le mot « kofr », dans tout le texte coranique, n’a jamais voulu dire « renier la religion » ou « douter de la religion » ou même « changer de religion ». Ce mot veut dire une seule chose : être injuste, et commettre l’injustice envers les hommes : « Les mécréants sont les injustes. » (Coran, II, 254) Quand on lit « kofr » dans le Coran, cela veut dire « injustice » et non pas « mécréance ». Et quand on lit « koffar », cela veut dire « injustes » et non pas « mécréants ». Dans ce sens, même le Musulman peut devenir « kafer » quand il commet une injustice envers les hommes.

Le Coran reconnaît la liberté de penser et la liberté de conscience : « Quiconque le veut, qu’il croie, et quiconque le veut, qu’il mécroie. » (Coran, XVIII, 29) ; « À vous votre religion, et à moi la mienne. » (Coran, CIX, 06)

La liberté de conscience, ça veut dire que le Musulman doit être accepté avec ses particularités et qu’il ne doit y avoir à son égard aucun ostracisme lié à son degré de foi.

Ce problème est d’une importance capitale, au point que la plupart des mouvements philosophiques du passé, comme les Muatazilites (VIIIème-IXème siècles) ou les Ikhwan Essafa (Xème-XIIème siècles), ainsi que les premiers grands philosophes dont Averroès, ont éprouvé d’immenses difficultés à se faire entendre par les autorités religieuses (officielles) en place, lesquelles autorités religieuses étaient historiquement alliées des pouvoirs en place, à savoir les « Califes ». En effet, pour ces autorités religieuses, il ne peut y avoir de liberté en dehors du dogme lui-même, qui constitue le discours religieux officiel. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de liberté du tout, hormis celle qui consiste à suivre à la lettre le dogme ou le discours religieux officiel.

Au cœur de ce dispositif de contrainte, et grâce à de nombreux mécanismes, les « foukahas » ont accompli un travail d’uniformisation idéologique, dogmatique et religieuse, si bien que toutes les différences ont été érodées, au point qu’un sceptique philosophique passe aussitôt pour un ennemi déclaré de l’Islam. Ce manque de souplesse dans l’appréciation du cheminement de chacun des Musulmans a tué la différence religieuse au point que tous les libres penseurs paraissaient comme de simples mécréants.

On le voit bien aujourd’hui durant le mois de jeune sacré, puisque nombreux sont ceux qui n’observent pas cette « obligation » et qui sont amenés à se cacher du regard d’autrui. Il est certain qu’un tel système, qui a poussé les individus à la duplicité et au mensonge, ne fera jamais un Islam respecté. 

Mais si nous revenons vers les origines de l’Islam, nous trouverons qu’il y a eu beaucoup de compagnons qui avaient renié l’Islam du vivant du Prophète. Certains sont devenus Chrétiens, et d’autres étaient tout simplement revenus vers la religion de Koreich. Le Prophète n’en a tué aucun. Il y a même un compagnon, l’un des premiers d’ailleurs, qui s’appelait Obeidullah Ibnou Djahch, qui était parti en Éthiopie aves les premiers Musulmans qui avaient émigré là-bas. Il était devenu un Chrétien. Le Prophète a fait venir sa femme, Oum Habiba Bint Abi Sooufian, vers Médine. Mais lui, « l’apostat », a été laissé tranquille. Nous avons aussi le cas d’Abdullah Ibn Abi Sarh, qui a rejeté l’Islam du vivant du Prophète, mais qui a été laissé tranquille. Je peux vous citer d’autres exemples…

Tuer un « apostat »… Ce n’était pas une question de changement de religion ou d’idéologie. Ceux qui ont été tués, ils ont été tués à Médine et pour des raisons de sécurité. C’est qu’ils étaient passés dans le camp ennemi dans une période de guerre déclarée entre les Musulmans et les Koreichites. Il va sans dire que ces « apostats » détenaient des secrets qui ne devaient pas être divulgués. Ils ont été tués pour empêcher la divulgation de ces secrets, et non pas pour avoir rejeté l’Islam. Tout autre chef, à la place du Prophète, aurait fait la même chose, pour peu qu’il tînt à la préservation de ses secrets de guerre.

Il en découle que le peu gens qui ont été tués l’ont été pour avoir changé de camp et non pas pour avoir changé de religion. Mais, à cette époque, les deux expressions voulaient dire la même chose, car la religion c’est aussi l’allégeance au camp du Prophète. Du coup, passer dans le camp des adversaires du Prophète voulait forcément dire « renier sa religion ».

Je ne reviendrai pas sur l’Enfer et l’ensemble des châtiments du « Jour dernier » cités dans le Coran ; car, pour moi ainsi que pour la majorité des Soufis (contrairement aux Salafistes, foukahas et juristes), ces châtiments ne sont qu’une symbolique qui renvoie vers les passions de l’âme et non pas du corps. En plus, ce sont des situations que l’on vit ici et maintenant. Des situations que nous n’avons pas besoin d’aller dans l’au-delà pour les voir. Les Soufis ont beaucoup parlé de cela dans leurs ouvrages, dont le magnifique Ibn Arabi. En effet, le « kafer », c’est-à-dire l’injuste ou celui qui commet des injustices envers les hommes, celui-là est déjà en « Enfer », ici et maintenant ; il n’a pas besoin d’aller dans l’au-delà pour le voir.

De même, pour les gens justes, ils sont déjà dans « le Paradis », ici et maintenant. Force est de constater qu’il ne sert à rien de croire en Dieu s’il n’y a que la peur de Son « Enfer » qui peut faire de nous des « croyants ». De même qu’il ne sert à rien de croire en Dieu s’il n’y a que Son « Paradis » qui peut faire de nous des « croyants ». Un vrai croyant n’a pas peur de Dieu, il l’aime. Aimer Dieu n’a pas d’autres sens que d’aimer l’être humain.

PPdP – Vous vous montrez assez insaisissable sur la question de l’apostasie… Que faire du hadith mentionné ? La règle ne fut-elle pas postérieure à l’apostasie des compagnons que vous mentionnez ? Mais je retiens que vous reconnaissez que le Prophète Mohamed fut bel et bien un « chef de guerre »… Je retiens aussi qu’appartenir à l’Islam, c’est appartenir au « camp du Prophète », à une nation en somme… Et, en effet, il est bien évident que l’Islam, avant même d’être une religion, est éminemment politique… D’où cet ensemble de règles, précises, qu’impose le Coran… Concernant la « vraie religion » et l’obligation de se convertir à l’Islam, en vérité, les versets que vous citez ne proclament nullement la liberté de religion, mais simplement le fait que Moïse et Jésus sont considérés par l’Islam comme des Musulmans, eux-mêmes prophètes comme le fut Mohamed à leur suite ; ou aussi la tolérance de l’Islam pour le Judaïsme et le Christianisme, dans la dhimmitude bien entendu, c’est-à-dire une infériorité déclarée sans équivoque… Je l’ai personnellement « expérimenté » quand j’étais otage d’al-Qaeda en Syrie… Le verset 135 de la deuxième sourate, que vous citez, est très explicite et sans ambiguïté… Pour le Judaïsme et le Christianisme, dans la soumission aux Musulmans, mais pour aucune autre religion, qui, sans ambiguïté, ne se valent pas toutes ; pas pour « tous les croyants », donc, pas pour les Yézidis, ni par ailleurs les apostats, et encore moins les athées… Mais je voudrais revenir sur le djihad armé -et répondre par le fait, comme je l’avais annoncé, à votre défi… En évoquant cette lettre que le Prophète, conquérant -et indubitablement fondateur d’un « État islamique »-, a adressée en Oman, ordonnant à ce peuple à se soumettre à l’Islam : « Je vous appelle à l’Islam. Soumettez-vous, et vous serez saufs. Je suis le messager de Dieu envoyé à l’humanité, pour vous mettre en garde et justifier la sentence sur les mécréants. Si, donc, vous acceptez l’Islam, je vous laisserai régner chez vous. Mais si vous refusez d’accepter l’Islam, votre royaume s’écroulera, mes cavaliers camperont sur l’étendue de votre territoire et nous régnerons en votre royaume. »

S. DJABELKHIRLe hadit que vous avez cité a été dit à Médine, mais il ne concerne que les gens qui ont changé de camp pour donner des secrets militaires, sans plus. J’ai déjà précisé que les compagnons qui sont passés dans la Chrétienté ou ceux qui sont revenus vers la religion de Koreich n’ont pas été inquiété. Cela prouve bien la raison pour laquelle ce hadit a été dit.

Je dois souligner aussi que nous n’avons pas de noms précis de gens qui ont fait l’objet de ce hadit, c’est-à-dire qui ont été tués pour « apostasie »…

Oui, Mohamed a fait la guerre pour défendre le bon déroulement de sa mission. Toutes ses guerres étaient défensives. Il n’a pas fait la guerre pour des fins hégémoniques. D’ailleurs il ne disposait pas une armée régulière, mais d’une milice populaire qui allait au combat en temps de guerre, et puis chacun revenait à son métier à la fin de la bataille. Mohamed n’avait pas de casernes, ni de territoire précis, ni même de peuple bien défini, car il a déclaré avoir été envoyé à tous les hommes, comme le confirme le Coran.

Partant de là, son peuple, c’est l’Humanité tout entière, et son territoire c’est la terre toute entière.

Dans ces conditions Mohamed ne peut pas être un chef d’État. D’ailleurs la politique ne relève pas de ses fonctions qui sont bien précisées dans le Coran. La « nation » de Mohamed ne peut donc pas être limitée aux seuls Arabes. La « nation » de Mohamed c’est l’Humanité tout entière. Il est à souligner que « nation » ne veut pas forcément dire « entité politique ». Pour être une « entité politique » une nation a besoin d’un État. Or, Mohamed n’avait pas d’État, et il n’était pas chef d’État. Mohamed était chef d’une mission qu’il devait mener à bon port, celle de communiquer un message spirituel, un point c’est tout. Israël a toujours été une « nation ». Mais elle n’a pas toujours été une entité politique, c’est-à-dire un État au sens propre du mot. Donc, « nation » ne veut pas forcément dire « État ».

Si vous prétendez que le Coran ne garantit pas la liberté de religion, je vous défie de me trouver le nom d’une seule personne qui a été contrainte par le Prophète et par la force, de devenir musulmane. Il n’existe aucun cas pareil. Les gens étaient libres du vivant du Prophète, d’être ou de ne pas être musulmans. L’obligation et la contrainte sont survenues après le Prophète ; je vous l’accorde. Mais pour moi, comme je l’ai déjà détaillé, l’après Mohamed, c’est la déroute totale de l’Islam.

Pour la « dhimmitude » et la « djizya » [ndlr : impôt payé par les Juifs et les Chrétiens qui refusaient de se convertir à l’Islam pour avoir le droit de vivre sous l’autorité musulmane], encore une fois ce n’est qu’une « loi express », qui a été édictée par le Coran pour gérer les circonstances de l’époque. Ces textes auraient du être suspendus par les juristes musulmans depuis plusieurs siècles. Mais le fait est que ces textes existent toujours et la majorité des juristes réclame encore leur validité juridique ; ce n’est pas mon avis. Je suis pour la suspension catégorique de ces textes, qui répondent à une situation révolue depuis très longtemps.

Ceci dit, votre expérience avec al-Qaeda ou Daech n’engage que la lecture salafiste wahhabite du Coran, mais elle n’engage pas toutes les lectures de l’Islam. Vous n’ignorez pas qu’à ce jour, il y a des centaines d’islamologues musulmans à travers le monde qui dénoncent al-Qaeda, Daech et leur lecture littérale obscurantiste de l’Islam. Pour les autres religions dans le Coran, qui vous a dit que les Yézidis n’étaient pas croyants ? Le Coran cite les Sabéens qui adoraient les astres, et pourtant il les a considérés comme croyants dans les versets que j’ai déjà cités.

Je ne reviendrai pas sur les apostats et les athées, car pour les premiers j’ai expliqué que « l’apostat » n’est pas celui qui change de religion ou de conviction, mais c’est plutôt celui qui change de camp en temps de guerre. Pour les athées, je me limite au verset que j’ai déjà cité : « Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut, qu’il mécroie ». (Coran, XVIII, 29) Pour moi il n’y a pas plus explicite que ça. 

Pour les lettres envoyées par le Prophète ça et là, encore une fois, tout dépend de l’interprétation. En effet, le mot « aslim » dans les lettres du Prophète, dont celle que vous avez citée, ne se traduit pas par « soumettez-vous » ; il se traduit par « faites la paix avec moi », car « aslim » vient de « silm » et « salam » qui veut dire « paix ». Mohamed a envoyé des lettres à César, au roi des Perses et à beaucoup d’autres. César n’est pas devenu musulman. Le roi des Perses a déchiré la lettre et a même insulté le Prophète. Pourtant Mohamed n’a déclaré la guerre ni à l’un ni à l’autre. S’il avait voulu qu’ils se soumettent à lui, pourquoi ne leur a-t-il pas déclaré la guerre pour les soumettre par la force ?

Mohamed voulait la paix. La doctrine de la guerre permanente a été adoptée après lui par les juristes (foukahas) pour appuyer la politique des « Califes » autoproclamés.

Ceci dit, les lettres envoyées par le Prophète aux souverains de son époque ne sont pas des textes dignes de confiance sur le plan de leur authenticité, car les historiens sérieux, tels que le tunisien Hicham Djayet, doutent de la majorité des textes relatant la vie et les œuvres du Prophète, lesquels textes sont traditionnellement appelés « Essira Ennabaouia » [« biographie du Prophète »]. C’est la raison pour laquelle j’ai des réserves par rapport à l’authenticité du texte que vous avez cité.

PPdP – Je vous rejoins sur la question de l’universalisme de l’Islam, qui a la planète entière pour « territoire ». C’est tout le principe de « l’État islamique », un État sans frontière et à vocation universelle ; ce qui échappe à maints commentateurs des événements actuellement en cours en Syrie, en Irak, en Égypte, en Libye, etc., et même aussi en France et ailleurs en Europe… Lesquels, comme vous le faite vous-mêmes, s’enferment dans la conception onusienne de l’État, un territoire défini par des frontières… En cela, Mohamed était bien un « chef d’État ». Mais le chef d’un État… islamique. De l’État islamique ; le seul État possible selon l’Islam, un État unique et universel. Mohamed prenait ainsi des décisions en tant que chef de guerre, que leader politique, qu’organisateur de l’armée (ou de la milice, si vous préférez) et de la nation… Il réglemente, légifère, et pas seulement dans le domaine religieux… Il impose l’impôt, la djizya, aux non-musulmans (Juifs et Chrétiens) qui, en terre d’Islam, sont contraints par la loi de le payer, la loi décrétée par les autorités… islamiques… Et ce serait encore plus probant si j’entrais dans votre logique, selon laquelle le Prophète prononçait des arrêtés « temporels », et non pas seulement des lois intemporelles et universelles voulues par Dieu…

Que le Prophète s’en prenne au petit roi d’Oman et non à César, qui aurait mis en pièce une bande de Bédouins querelleurs, c’est précisément de la politique, de la « realpolitik ». Devenu plus fort, l’État islamique, sous les Califes « bien guidés », successeurs du Prophète à la tête de la nation musulmane, aura la puissance nécessaire pour s’attaquer à César ; et lui arrachera des provinces entières, la Syrie et l’Égypte… Poursuivant ainsi l’œuvre politique du Prophète.

Bref, Mohamed est incontestablement un homme politique ; et le Coran est éminemment politique, avant d’être religieux. C’est tout le contraire du Christ, qui proclame que Son « royaume n’est pas de ce monde ».

Mais je constate que, une fois de plus, vous écartez, facilement, les hadiths et témoignages historiques lorsqu’ils ne cadrent pas avec la vision soufie de l’Islam… Dès qu’un hadit ou un verset n’est pas en phase avec l’esprit soufi, il est soit abrogé, soit limité géographiquement et historiquement… C’est une façon de procéder très « idéologique », en somme…

Le Soufisme et sa pratique (excessive ?) de l’idjtihad, ne procèdent-ils pas, in fine, d’une sorte de fuite en avant, la fuite d’un texte, produit humain vieux de quatorze siècles, dépassé par l’Histoire, effectivement, et devenu inacceptable ?

S. DJABELKHIR Mohamed a communiqué un message spirituel universel pour qui veut l’entendre et le recevoir. Mohamed n’a jamais été le chef d’un État. D’ailleurs il n’y a pas « d’État » en Islam. Les Musulmans ont le droit de créer des États comme tous les peuples du monde, mais ils n’ont pas le droit de faire ça au nom de l’Islam, car l’Islam n’a rien à voir avec l’État et le politique. L’Islam oriente et gère le spirituel des Musulmans et rien d’autre.

Dire que Mohamed était un chef d’État découle d’une ignorance remarquable des textes scripturaires de l’islam, à commencer par le Coran. L’État arabe qui a pris le nom de « Califat islamique » a été créé après le décès de Mohamed et sans son approbation. Il se trouve que ce « Califat » a de tout temps aspiré à être hégémonique et universel ; c’est un fait, je vous l’accorde. Mais ça, ce n’est pas l’Islam en tant que religion, mais c’est plutôt l’histoire de l’Islam et des Musulmans après la disparition du Prophète Mohamed.

Je remarque que vous faites l’amalgame entre deux choses totalement différentes : faire de la politique et créer un État. Toute personne qui diffuse des idées critiques par rapport à la réalité vécue est une personne qui fait de la politique. Et dans ce sens, Jésus faisait bien de la politique, mais comme vous l’avez dit, son royaume était dans les cieux et non pas sur terre. Dans ce même cadre, nous pouvons dire que Mohamed aussi faisait de la politique, puisqu’il diffusait des idées critiques par rapport à la situation que vivait son peuple (Koreich). Mohamed prenait des décisions en tant que chef de guerre oui, mais seulement quand il était obligé de faire la guerre et seulement dans un cadre défensif. Tous les chefs des organisations révolutionnaires ou subversives qui aspirent au changement (et même les organisations de la mafia) à travers l’histoire, étaient des chefs de guerre. Ils réglementaient, légiféraient (toutes les organisations subversives ont des lois internes), décrétaient des impôts de guerre pour financer et mener à bien leurs opérations et leurs missions.

Il y a même des organisations (comme l’OLP par exemple) qui avait des ambassades un peu partout dans le monde. Yasser Arafat était depuis les années 1960 reçu dans les pays arabes et quelques pays non arabes, comme un chef d’État. Il avait tout ce que pouvait avoir un chef d’État : des gardes du corps, un bureau exécutif, des bureaux de représentation un peu partout dans le monde, une armée très bien entraînée et très bien équipée, des centres d’études stratégiques, des centaines de conseillers spécialisés dans tous les domaines, des services de renseignement. Arafat avait même des prisons secrètes. Alors je vous pose la question : peut-on dire que Yasser Arafat était un chef d’État ? Et de même peut-on dire que tout chef d’une organisation révolutionnaire est forcément un chef d’État ? Mohamed était peut-être un révolutionnaire, mais il n’a jamais créé d’État et il n’a jamais été chef d’État. Il était porteur d’un message spirituel et guide de ses adeptes.

Oui, il a imposé un impôt, « la djizya », mais à des gens dont les territoires étaient proches de Médine (sa base) et qui n’étaient pas musulmans, et qui étaient des alliés de Koreich ou des tribus alliées à Koreich. Mohamed devait en plus leur garantir la sécurité de leurs biens et de leurs personnes.

Nous ne pouvons pas accepter tous les textes comme étant des textes émanant du Prophète Mohamed, sans qu’il y ait des preuves académiques à cela. Personnellement je n’ai pas trouvé de source historique fiable pour la prétendue lettre envoyée par Mohamed au « petit roi d’Oman ». Cette lettre est inexistante dans les récits d’Ibn Ishak et d’Ibn Hicham. Pour un spécialiste, c’est très suffisant pour que cette lettre soit rejetée. Par contre, Ibn Ishak et Ibn Hichem donnent un prototype bien clair des lettres qui ont été envoyées par Mohamed aux rois de son époque, en voici le texte : « Dieu m’a envoyé comme une miséricorde pour tous les hommes. Ne soyez donc pas en désaccord à mon sujet comme les disciples de Jésus fils de Marie, étaient en désaccord au sujet de celui-ci. » (Récit d’Ibn Hicham : 2, 532) En somme, il appelait à la paix.

Je n’ai pas besoin de « fuir », ni moi-même, ni le Coran d’ailleurs.

Le Coran est ce qu’il est. Et les lectures et interprétations du Coran sont ce qu’elles sont, et elles valent ce qu’elles valent… Personnellement, je considère que le Coran est un livre temporel qui existe dans l’Histoire et qui n’est pas au-dessus de l’Histoire, ce qui n’empêche pas qu’il soit un livre divin ; bien au contraire. Hormis le volet juridique/jurisprudentiel, qui est forcément attaché à son contexte historique, le Coran est et restera toujours d’actualité au plan de la spiritualité et des valeurs morales qu’il propose et qu’il véhicule. Le problème aujourd’hui, est que la majorité écrasante des Musulmans ignorent totalement la spiritualité et la morale de ce livre, et c’est bien la raison des drames que nous vivons et qui sont perpétrés malheureusement au nom du Coran et de l’Islam.

Il se trouve que cette spiritualité et cette morale, se trouvent exclusivement dans le Soufisme. C’est la raison pour laquelle je répète que l’Islam de demain sera spirituel ou ne sera plus. 

PPdP – Le pouvoir de légiférer et de régir l’impôt et la guerre étant par définition celui d’un État, il est assez difficile de vous suivre ; Jésus n’a promulgué aucune loi, aucune obligation, n’a pas eu besoin de faire la guerre et ne s’est même pas défendu pour « accomplir sa mission », il n’a pas non plus défié les autorités en place, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas soustrait à leur pouvoir, ni ne les a remplacées… Au mieux, Mohamed et ses lieutenants constituaient-ils une de ces « organisations subversives » ou « révolutionnaires » que vous évoquiez, c’est-à-dire un « État dans l’État », et, in fine, ils ont pris le pouvoir, ce qui est le but de ces organisations et des révolutionnaires ; ils se sont hissés à la tête de la société, et, d’une manière ou d’une autre, s’est de facto imposé « l’État islamique »…

Vous évoquez l’OLP. C’est précisément là l’exemple d’une organisation qui se définissait comme le gouvernement d’un État sans territoire et sans frontière reconnus, mais la nation existait. Les Athéniens avaient déjà cette notion de l’État qui ne consistait pas en un territoire limité par des frontières, mais en une communauté, celle des citoyens, où qu’elle fût ; même en exil sur la mer, dans des bateaux, après la conquête perse d’Athènes, la nation athénienne existait, parce que l’État athénien, c’était les gens, pas la terre. Comme je l’ai dit, la conception westphalienne ou onusienne de l’État n’est pas la seule à prévaloir…

Mais laissons cela… J’ai bien entendu votre point de vue, même s’il m’apparaît dépendre plus de la conviction ou, comme le Soufisme de manière générale, de postulats et de principes irrévocables, plutôt que d’une analyse factuelle –en cela, le discours salafiste est beaucoup plus probant et concret.

Je voudrais conclure à présent par une dernière question.

Plutôt que d’opposer un Islam « spirituel », qui « marche avec son temps », et un Islam obscurantiste, qui résulte d’une lecture littérale du Coran, ne faudrait-il pas plus justement faire la différence entre les Musulmans de culture musulmane et les Musulmans de foi ? Un Islam « par habitude », qui s’est coulé dans l’évolution sociale et politique des nations et a renoncé à la rigueur de la tradition et du message, et un Islam authentique, incompatible avec la démocratie et le mode de vie pratiqué dans les sociétés occidentales ?

Je m’explique : de ma longue (et douloureuse) expérience du terrain arabo-musulman, j’ai, au terme de notre entretien, l’impression suivante…

Quand je suis avec les milices islamistes des quartiers pauvres d’Alep ou dans les villages, les milieux ruraux de Syrie, du Yémen ou de Libye (ou plus simplement du Maroc ou de Tunisie), y compris en présence d’intellectuels qui vivent au contact de ces milieux par choix ou par obligation, le Coran, dans la rigueur de sa littéralité, est la norme et ne choque personne ; chaque mot est pris au sens premier et appliqué de même… Quand je suis en présence d’intellectuels occidentalisés, « mondialisés », cette littéralité est prise en horreur et devient « versets obsolètes » ou « texte corrompu » ; du moins tout ce qui, dans le Coran, ne correspond pas (ou plus, pour être exact) à l’air du temps…  Pour ces derniers, autrement dit, j’ai l’impression que, leur culture étant musulmane, étant nés dans des familles qui leur ont inculqué l’Islam, ils tiennent à tout prix à conserver cette identité –c’est apparemment plus simple dans l’Occident chrétien, où la religion a été évacuée par la majorité- et ils essaient dès lors de la réhabiliter ou, plus exactement, de l’adapter à leurs réalités modernes, droits-de-l’hommisées et mondialisées, s’arrangeant dès lors pour justifier le renoncement à telle ou telle règle qui apparaît aujourd’hui sous un jour barbare ou, plus prosaïquement, est par trop contraignante.

Ne serait-ce pas là l’explication de la démarche du Soufisme, à travers le temps, et, plus radicalement encore (si j’ose dire), de ces Musulmans « modernistes » ou de ce que l’on appelle par commodité « l’Islam de France » ?

S. DJABELKHIRLe pouvoir de légiférer et de régir l’impôt et la guerre n’est pas exclusivement celui d’un État, il peut très bien être aussi celui d’une organisation révolutionnaire. Et le chef de cette organisation n’est pas un chef d’État, car il y a une très grande différence entre « organisation » et « État ». Quant à Jésus, il soutenait et reconduisait les textes et les lois de l’Ancien Testament, chose qu’il a déclarée lui-même : «Ne vous imaginez pas que je sois venu pour abolir ce qui est écrit dans la Loi ou les prophètes; je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir.» (Matthieu, 5, 17) Jésus n’avait donc pas besoin de promulguer de nouvelles lois, car elles existaient déjà et il les connaissait très bien pour les avoir étudiées chez les rabbins. En plus, je doute fort que Jésus n’ait pas eu besoin de faire la guerre comme vous dites, car c’est tout à fait le contraire de ce que disent les Évangiles : « Il leur dit encore : ‘Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose?’ Ils répondirent : ‘De rien.’ Et il leur dit : ‘Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée. Car, je vous le dis, il faut que cette parole qui est écrite s’accomplisse en moi.’ » (Luc, 22, 35-37) Et là je vous pose la question : pourquoi Jésus demande-t-il à ses Apôtres et ses disciples d’acheter des épées ?

Jésus a lancé le plus grand défi aux autorités en place. Il suffit qu’il se soit proclamé « roi des juifs ». Il n’a pas nié être un « roi » quand la question lui a été posée. Il est vrai que Jésus n’était pas le chef d’un État, mais il était bien un « roi » même au sens symbolique. Pour moi c’est ce qui s’appelle « faire de la politique ». Jésus faisait au fait de la vraie subversion révolutionnaire, mais à sa façon.

Mohamed avait lui aussi sa façon de faire la révolution et la subversion. Il n’était pas obligé de copier Jésus ou qui que ce soit d’autre.

Concernant la notion d’État et les différentes façons de la percevoir et de la définir, je n’ai jamais parlé de l’État au sens figuré que vous évoquez : État dans l’État, État sans territoire, État dans un bateau, etc… Non, je n’ai pas parlé de ça. Moi, j’ai parlé de l’État au sens propre de ce mot, et au sens qui est connu et utilisé dans les études islamologiques concernant l’époque de Mohamed. La question n’est pas de savoir si Mohamed a ou n’a pas été le chef d’un État dans l’absolu ou dans n’importe quel sens ou contenu qu’on pourrait donner au terme « État ». Non, la question est : est-ce que Mohamed a oui ou non été de son vivant le chef d’un État pareil à celui qui a été créé après son décès et qui a pris l’appellation religieuse de « Califat » ?

Ma réponse à cette question est non.

Pour conclure, je ne comprends pas comment on pourrait faire la différence entre « les Musulmans de culture musulmane » et « les Musulmans de foi », car les « Musulmans de foi » sont aussi des Musulmans de culture musulmane. Et le contraire est vrai aussi.

D’autre part, dans toutes les doctrines et religions, nous trouvons différents niveaux de religiosité. C’est-à-dire qu’il n’est pratiquement pas possible que les Musulmans lambda soient dans leur compréhension de l’Islam au même niveau que les spécialistes de ce domaine. De même que le niveau d’un Chrétien lambda dans la compréhension du christianisme ne peut être celui d’un Cardinal ou d’un Pape.

En plus, les Musulmans lambda que vous avez trouvés dans les quartiers populaires sont généralement sous l’influence de la lecture salafiste de l’Islam, et ce dans tous les pays arabes et musulmans. Vous trouvez peut-être que cette lecture littéraliste et rigoriste est « la plus juste de toutes », mais ça reste seulement votre avis et celui de ceux qui seront d’accord avec vous. En effet, les lectures et les interprétations du Coran étaient divergentes dès le premier siècle de l’Islam. Et le fait qu’une lecture soit adoptée par une « majorité » ne veut pas forcément dire que c’est la lecture « la plus juste » ou celle qui incarne la « vérité absolue » du Coran ou de l’Islam.

Il se trouve que le Coran a été « révélé » et transcrit de telle façon, qu’il est pratiquement impossible de le limiter ou de l’emprisonner dans une seule lecture/interprétation, aussi « vraie » et aussi « absolue » que puisse être cette lecture/interprétation.

La lecture et l’interprétation du texte coranique évoluent avec le temps et avec l’évolution des contextes sociaux, c’est la nature même de l’Islam et du Coran. Il est tout à fait normal que des textes du Coran soient aujourd’hui lus et interprétés d’une manière différente que celle des anciens juristes/oulémas. L’idjtihad et ses outils sont en constante évolution, pour empêcher que les Musulmans tombent dans des anachronismes.

Il est vrai que la tendance littéraliste et rigoriste des juristes à l’ancienne est toujours majoritaire. Mais je pense que l’Islam spirituel des lumières finira par l’emporter dans la conscience collective des Musulmans.

Encore une fois : l’Islam de demain sera forcément spirituel, donc soufi… Ou ne sera plus. 

Le Soufisme est une voie initiatique spirituelle héritée du Prophète Mohamed. Il n’est pas une « invention » du XXIème siècle. Le soufisme et ses traditions et pratiques sont ancrés dans les sociétés musulmanes depuis des siècles, à tel point qu’il est impossible de les faire disparaître.

Par contre, l’Islam de France est une mosaïque qui comporte plusieurs lectures différentes de l’Islam : celle de l’Islam officiel (la lecture des foukahas traditionnalistes), la lecture salafiste wahhabite littéraliste et rigoriste, la lecture des Frères Musulmans, etc. L’Islam de France subit aujourd’hui les mêmes influences que subit l’Islam maghrébin ou africain. Les Musulmans viennent en Occident et ramènent avec eux toutes leurs divergences et leurs querelles religieuses, et finissent par reproduire le même panorama religieux conflictuel de leurs pays d’origine.

Mais je pense que le Soufisme ou l’Islam soufi pourra être le dénominateur commun de toutes ces divergences, afin d’en faire une pluralité fructueuse, enrichissante, constructive et non conflictuelle.    

 

 

 

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

1 Comment

  1. ya pas de musulment moderer ya les musulment. sourat almaida verset 50 ya ayuha althin amanou la tataghidou al yahoud wa nasasara awliya bad fa man yatawalahoum minkoum fa houwa min houm wa alah la yahdi koum dalimin !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! mesage tre clair fuck babylone ont est la a defendre lislam

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