Le politiquement correct qui prévaut dans le courant médiatique dominant n’a laissé que peu d’espace d’expression (voire aucun) aux partisans de l’État islamique (EI), auquel l’Occident a déclaré la guerre en août 2014.
La rédaction du Courrier du Maghreb et de l’Orient a toujours estimé qu’il était non seulement utile et nécessaire à l’information de ses lecteurs, mais également déontologiquement impératif de donner la parole aux Salafistes adeptes du djihad armé et supporteurs de l’EI. Notre reporter Pierre Piccinin da Prata avait à l’époque rencontré des partisans de la cause djihadiste, à Paris et à Bruxelles, ainsi qu’un imam d’obédience salafiste, lesquels avaient eu l’opportunité d’exprimer leur point de vue sur les événements et d’exposer librement leurs motivations.
À l’heure où les derniers bastions du Califat ont été reconquis en Syrie et en Irak, le CMO a donc choisi de diffuser l’interview d’un combattant de l’État islamique, contacté par notre envoyé spécial et rencontré dans la bourgade d’Hawi al-Hawa, dans la région de Raqqa.
Parti d’Europe pour la Syrie à la fin de l’année 2012, Ismail a d’abord combattu dans les rangs de Jabhet al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaeda), avant de rejoindre l’État islamique au printemps 2014.
Cet entretien, réalisé en août 2017, a été rendu possible grâce à la coopération de proches du djihadiste, lesquels ont régulièrement communiqué avec ce dernier. Pour des raisons évidentes de protection des sources, les noms des personnes impliquées ne sont pas révélés dans l’interview ; les détails et les lieux relatifs à la préparation de cet entretien ne seront pas non plus mentionnés.
La rédaction tient à préciser que son envoyé spécial n’a pas pénétré le territoire encore sous le contrôle de l’EI. L’extrême porosité de la ligne de front a en revanche permis à Ismail de le rejoindre à Hawi al-Hawa, zone libérée par les Forces démocratiques syriennes (FDS – majoritairement kurdes).
La première partie de cet entretien exceptionnel a été publiée dans l’édition de juillet-août 2017 du Courrier du Maghreb et de l’Orient ; la troisième et dernière partie sera publiée dans l’édition de novembre-décembre.
* * *
Pierre PICCININ da PRATA – Ismail, comment as-tu été mis en contact avec les gens que –je suppose- il fallait bien connaître pour d’abord te rendre en Syrie, et ensuite être certain de pouvoir intégrer une structure combattante ?
Ismail – Je n’ai pas « été mis en contact »… Ce qui sous-entend que j’aurais été « recruté »… Je veux dire : je n’ai pas été contacté… Comme je te l’ai dit, je n’ai pas été abordé à la mosquée ou recruté sur internet. La plupart du temps, ce n’est pas comme cela que ça marche. Il n’y a pas vraiment de « recruteurs »… C’est rare qu’un « recruteur » cible quelqu’un, comme ça, sans le connaître… Ça ce ne se fait pas ainsi.
Comme la plupart de mes frères, j’ai personnellement fait le choix de m’engager pour l’Islam, concrètement ; de cesser d’être hypocrite en prétendant être un musulman, mais qui n’obérait pas au Coran, à Dieu.
J’ai donc pris cette décision et, lorsque j’ai été décidé, c’est moi qui ai essayé d’entrer en contact. J’ai essayé de contacter Jabhet al-Nosra [ndlr : le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaeda], pour leur proposer mon engagement. On parlait beaucoup de ce mouvement dans les médias, et il me semblait qu’il était le plus en phase avec l’enseignement du Coran.
PPdP – Il est donc possible de contacter des groupes djihadistes depuis l’Europe ? Et peut-on également contacter le gouvernement de l’État islamique ? Comme ça ? Un de ses ministères ?
Ismail – Non, pas directement. Tu comprends bien que c’est la guerre et que les autorités supérieures du Califat sont recherchées par toutes les puissances mécréantes de la Terre.
Ça ne se passe pas exactement ainsi.
En ce qui me concerne, j’étais déjà en Syrie lorsque je me suis joint à l’armée du Califat. Comme je te l’ai dit, au départ, j’étais avec al-Nosra.
Mais, pour répondre à ta question… Le Califat dispose d’une administration secrète très efficace, qui compte de nombreux relais, en Syrie et en Irak, bien sûr ; mais aussi dans la plupart des pays musulmans, et également en Occident, en Europe, en Belgique, en France… Des réseaux bien organisés, très ramifiés, qui sont présents un peu partout.
Je suis irrité quand j’entends ces prétendus Musulmans qui dénigrent le Califat et disent dans vos médias : « Pas en mon nom ! » ; et expliquent : « Eux, ce sont des assassins, ce ne sont pas des Musulmans ! Ils n’ont rien à voir avec l’Islam ! », etc. Ce sont ceux-là, ces larves hypocrites, qui n’ont plus rien à voir avec l’Islam ! Mais ne t’y trompes pas : derrière ces hypocrites et ces apostats de fait, derrière ces pauvres types que vos médias mettent tout le temps en avant, il y a partout dans le monde des Musulmans conscients de leur appartenance à l’Oumma. Eux, ils savent que le Califat est l’expression politique de la volonté divine.
Ils sont nombreux. En Europe, ils sont des milliers au sein des communautés musulmanes, des centaines de milliers. En France, les vrais Musulmans, ceux qui savent le contenu du Coran, qui l’étudient, et qui aiment le Califat, ça représente au moins 900.000 frères et sœurs ; en Belgique, près de 200.000.
Ne crois pas que j’exagère… Tous, malheureusement, n’ont pas le courage de prendre les armes pour défendre l’Islam ; leur foi n’est pas encore assez aguerrie. Mais on peut compter sur eux, en cas de besoin. Ce sont surtout des jeunes, beaucoup dans les écoles… Les vieux, ils sont fatigués, ils n’y croient plus. Ils ont passé toute leur vie à travailler, à trimer comme des bêtes de somme pour leurs maîtres mécréants qui les ont fait venir en Europe pour faire les sales boulots. Ils sont épuisés ; et ils manquent d’instruction. Mais les plus jeunes, ils sont hyper-connectés, et ils ne s’en laissent pas compter par les journaux télévisés du soir, où on te raconte n’importe quelles conneries politiquement correctes, et tous ces mensonges sur les combattants du Califat ; ni par l’imam « modéré » et corrompu de la mosquée de leur quartier, qui tient à sa place bien confortable et déblatère un discours bien en phase avec ses maîtres « républicains ».
Inutile d’essayer de les berner, eux. Avec internet, ils suivent ce qui se passe ici, et ils savent la vérité. On peut compter sur eux ! Je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais, en Europe, les jeunes Musulmans sont beaucoup plus impliqués politiquement que les autres jeunes ; ils s’intéressent à ce qui se passe dans le monde, au Moyen-Orient, en Palestine… Ils s’informent, ils cherchent à comprendre… Ils sont révoltés contre les injustices et les mensonges politiques ! Pendant que les autres se gavent de jeux vidéo et d’idioties à la télévision, complètement indifférents à la réalité du monde qui les entoure.
Évidemment, nos frères sont prudents…
Ce n’est un secret pour personne en Occident que la liberté de s’exprimer n’existe que pour ceux qui sont d’accord avec ce qu’il est bienséant de dire : ne pas contredire ce que tout le monde pense, ce que les médias disent et font penser aux gens qui ne réfléchissent pas, ne s’informent pas… Ne pas contredire ce que la classe politique dit… Les « jeunes » qui partent faire le djihad pour l’Islam sont des « malades » ou des « victimes » qu’il faut « soigner »… C’est ce discours-là qui domine. Si on n’est pas aveuglément pour la démocratie et inconditionnellement pour la laïcité, on est un « radicalisé » qu’il faut « déradicaliser » ; on est un « malade mental », qu’il faut « guérir ». L’Islam tel que le pratiquait le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui), c’est une « pathologie ». Donc, nos frères et sœurs ne s’expriment pas en public. Ce serait réellement dangereux pour eux.
Mais ces réseaux sont en attente de ceux qui veulent les rejoindre ; ils sont en éveil, ouverts et attentifs. Ce n’est pas compliqué de prendre contact…
Pour ma part, je n’ai pas cherché à contacter un groupe de combattants en en parlant à la mosquée… Là aussi, il faut être prudent ; il y a beaucoup d’indicateurs, de traîtres… Si tu commences à poser des questions, à montrer que tu t’intéresses, que tu voudrais agir… Tu risques beaucoup d’être repéré et filé… Un jour, on fera la peau à ces salauds !
Je suis entré en contact avec un groupe de frères sur Facebook, tout simplement. Mais en étant là aussi très prudent : maintenant, la police crée de faux profils qui se font passer pour des agents du Califat, et ils te piègent…
J’avais depuis un certain temps déjà des échanges avec un réseau de contacts sur Facebook et, quand j’ai décidé de suivre pleinement ma foi, j’ai tâté le terrain, pour savoir si l’un ou l’autre pouvait m’aider. J’ai tout de suite été aiguillé vers un responsable qui m’a indiqué le chemin à suivre.
PPdP – C’est aussi simple ? Aussi rapide ?
Ismail – C’est plutôt simple, du moins si tu fréquentes ces groupes depuis longtemps ; mais pas rapide, non… D’abord, le Califat –ou Jabhet al-Nosra, dans mon cas- fait une enquête sur toi… C’est logique et normal ; le Califat dispose d’un service de contre-espionnage très efficace, et il sait comment éviter de se faire infiltrer. Donc, pour commencer, plusieurs contacts te posent de nombreuses questions, sur ta foi, tes motivations…
On vérifie que tu as réellement la foi, et que tu ne t’engages pas pour de mauvaises raisons. Si tu n’as pas la foi et que tes raisons ne sont pas bonnes, quand tu arriveras sur le terrain des combats, tu seras un problème ; tu ne résisteras pas à la dureté de la vie sur le front. Tu comprends, donc, pourquoi le Califat n’a pas besoin de « paumés » en « décrochage social », de jeunes idiots qui ignorent tout de l’Islam, comme affirment vos médias ?
On vérifie aussi que tu as une bonne connaissance de l’Islam, que tu as lu le Coran et que tu sais exactement pourquoi tu veux combattre.
Après cela, on discute de tes motivations ; on sonde ton caractère. Tout le monde n’est pas apte à tenir une arme et à combattre…
Tout cela peut prendre plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. C’est un processus.
Ensuite, quand on est sûr que tu conviendras à la mission et que tes raisons sont les bonnes, on te rencontre, pour apprendre à mieux te connaître. On prie ensemble, on parle, de beaucoup de choses, de la famille en particulier, car c’est important que chacun se détermine bien par rapport à ses sentiments, envers ses parents, ses amis… Je veux dire : s’il s’avère que la séparation sera trop difficilement surmontable, il vaut mieux renoncer pour un temps, réfléchir encore…
Bref… Si, au terme du processus, il est clair que tu as la foi et que tu es convaincu du bien-fondé de ton engagement, alors, on prépare ton départ.
PPdP – Et comment cela se passe-t-il ? Quelle est la route, jusqu’aux territoires contrôlés par le Califat ? Comment passe-t-on les frontières pour y parvenir ?
Ismail – Une fois que tu es pris en charge par le réseau des frères, c’est très facile. Tu achètes un billet d’avion, et tu voyages, tout à fait normalement. Jusqu’à ta destination.
Pas jusqu’en Syrie même ou en Irak, bien évidemment ; car les polices syrienne et irakienne surveillent les aéroports. Si tu débarques à Damas, il te faut un visa. Idem pour l’Irak… La destination, c’est la Turquie. La police turque ne fait pas d’enquête sur les ressortissants européens qui arrivent sur le territoire turc. Tu sais… Il y a des milliers de touristes européens qui arrivent chaque jour en Turquie et qui repartent. Les aéroports turcs en sont remplis.
Alors, le plus logique, c’est de prendre un billet pour Istanbul. On ne te contrôle pas spécialement non plus à ton départ d’Europe. Arrivé à Istanbul, si tu es ressortissant d’un pays pour lequel un visa est nécessaire, tu l’achètes au guichet, avant de passer la douane comme tout le monde : tu suis la foule des autres voyageurs. À Istanbul, c’est toujours la cohue !
Ensuite, moi, j’ai pris un vol intérieur jusqu’à Adana. C’est à environ 150 kilomètres de la frontière syrienne. Mais il y a des aéroports plus rapprochés : Antakia ou Gaziantep… Dans mon cas, on m’avait donné rendez-vous à Adana, où d’autres frères attendaient ; et on est parti tous ensemble en camionnette, jusqu’à Alep.
PPdP – Pas de problème pour passer la frontière ? Je l’ai fait plusieurs fois moi-même, dans le cadre de reportages à Alep, mais la police turque ne laissait pas passer les civils ; il fallait présenter une carte de presse et signer une décharge, parce que, de l’autre côté, c’était la guerre… Et encore… Parfois ils fermaient la frontière pour de longues périodes, et j’ai dû la franchir illégalement, en payant un passeur.
Ismail – Je ne sais rien de cela… Moi, je suis passé sans problème. Je peux te dire aussi que, dans ma katiba [ndlr : « brigade »], il y avait des gars, des Syriens, qui avaient mis leur famille en sécurité, dans des camps de réfugiés en Turquie. Et ils allaient régulièrement y voir leur femme et leurs enfants… Non, je ne me souviens pas qu’on ait eu des problèmes pour passer la frontière turque, ni dans un sens, ni dans l’autre… Ceux qui allaient voir leur famille en profitaient aussi pour acheter le ravitaillement, la nourriture, etc.
C’est aussi par la frontière turque qu’on s’est approvisionné en armes, en munitions… Le matériel logistique aussi passait par là… Depuis le début de la guerre.
PPdP – Il semble, si l’on prend en compte un certain nombre de témoignages et aussi le tien, que la Turquie (le gouvernement turc d’Erdogan) a facilité le passage de djihadistes en provenance d’Europe vers la Syrie. Tu peux confirmer le rôle qu’on attribue à la Turquie dans ces événements ?
Ismail – C’est ce qu’on dit… Mais je n’en sais rien… Je ne sais pas s’il y a eu des tractations, des accords… Entre al-Nosra et les Turcs ou entre l’État islamique et les Turcs… Je ne suis pas au courant de cela.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais vu que nous avions des problèmes avec les Turcs.
Mais, aujourd’hui, les choses ont quand même un peu changé. J’ai entendu dire que ce n’était plus aussi facile de passer la frontière. Parfois, les Turcs ne nous posent aucun problème, parfois ils arrêtent quelques-uns des nôtres…
C’est plus compliqué aussi, maintenant, de quitter l’Europe. Les Musulmans qui quittent l’Europe pour une destination comme la Turquie sont apparemment surveillés… Et leur nom est donné à la police turque… Peut-être que les Turcs se sentent donc obligés, à présent, de faire quelque chose contre nous, pour faire bonne figure à leurs alliés européens ? Je ne sais pas ce qui se décide dans les coulisses du gouvernement d’Erdogan.
C’est pourquoi les consignes sont désormais de ne plus voyager vers la Turquie depuis son pays d’origine. Par exemple, si tu es belge, tu pars en voiture –pas en avion !- pour un voyage en Italie ou en France ou ailleurs en Europe, et tu prends l’avion dans cet autre pays où tu ne seras pas repéré. Ou bien, le mieux aussi, c’est d’éviter de prendre l’avion : tu voyages par la route, jusqu’à la frontière turque, et tu passes la frontière par voie terrestre. Pour cela, il faut simplement aller en Grèce ou en Bulgarie. C’est mieux la Bulgarie… En Grèce, ils sont plus attentifs. Mais en Bulgarie, s’il y a des soucis, tu passes en payant.
C’est aussi plus prudent de brouiller les pistes à ton arrivée en Turquie. Si tu prends un vol intérieur comme on faisait avant, pour te rapprocher au maximum de la frontière syrienne, ça peut paraître suspect. Il vaut mieux t’arrêter à Istanbul ; et puis, de là, des frères viendront te chercher pour t’amener à la frontière par la route. C’est mieux.
PPdP – Aujourd’hui encore, malgré la défaite du Califat, des combattants continuent de venir d’Europe ?
Ismail – Oui… Le Califat n’est pas défait… C’est une vision occidentale, ça. On a perdu quelques batailles, parce qu’on a eu le monde entier contre nous. Mais on va attendre, refaire nos forces… Attendre que tous ces pays retirent leurs troupes de la région… Oui, des combattants nous rejoignent encore aujourd’hui. L’Oumma n’est pas morte.
PPdP – Tu expliques que tu as rejoint l’État islamique parce que la doctrine de Jabhet al-Nosra t’est apparue ne pas correspondre exactement à ce que préconise le Coran. Quelle est la différence doctrinale qui oppose al-Qaeda et l’EI ?
Ismail – Al-Qaeda n’est pas pleinement cohérent avec le Coran et le projet politique de l’Islam. Al-Qaeda veut défendre l’Islam, dans les pays musulmans.
Mais pas abolir les frontières que les colonisateurs européens ont imposées pour diviser l’Oumma et dresser les Musulmans les uns contre les autres ; et al-Qaeda ne veut pas non plus porter l’Islam à tous les peuples de la Terre, comme Dieu l’a ordonné au Prophète Mohamed (la paix et la bénédiction sur lui).
Quand je suis arrivé en Syrie, l’État islamique n’existait pas encore vraiment. Mais, quand il est apparu, il était évident que c’était mieux qu’al-Qaeda. Mieux que « mieux » : l’État islamique met en œuvre la volonté de Dieu sans aucun manquement. C’est pour cela que j’ai quitté al-Nosra.
PPdP – Pourquoi estimes-tu que l’État islamique correspond à ce qu’est, selon toi, l’Islam ?
Ismail – Prends le Coran d’un côté et regarde, de l’autre côté, tout ce que l’État islamique a accompli depuis 2013. Et dis-moi si tu trouves une chose que l’État islamique a faite qui serait en opposition avec ce qui est prescrit dans le Coran ; ou une chose que l’État islamique n’a pas faite alors qu’un Musulman aurait dû faire cette chose, car le Coran la prescrit.
Tu ne trouveras rien.
PPdP – On pourrait citer les massacres de Chrétiens, le massacre des Yézidis, dont les femmes ont été vendues comme esclaves sexuelles… Les destructions des sites archéologiques… Les exécutions de Musulmans…
Ismail – L’État islamique a massacré des Chrétiens ?
PPdP – Non, je sais… Je citais l’exemple car la presse européenne en a beaucoup parlé. Elle a fait état de « Chrétiens crucifiés par Daesh »… Et les gens, en Occident, sont d’ailleurs convaincus que l’État islamique massacre les Chrétiens d’Orient. J’ai cité cet exemple pour te donner l’opportunité d’y répondre.
Ismail – En effet… Les Chrétiens sont protégés par le Coran. Ils sont les « gens du Livre », dont parle le Coran. Il est expressément interdit de leur causer du tort. Ils payent un petit impôt, qu’on appelle la « jizya », et ils vivent en paix en terre d’Islam. Seuls ceux qui nous ont résisté ont été combattus.
Il y avait beaucoup de Chrétiens qui vivaient dans les grandes villes de l’État islamique, comme à Mossoul ; c’étaient surtout des commerçants. Certains ont fui parce qu’ils ont eu peur, à cause de tous les mensonges qu’on a racontés à notre propos. D’autres sont restés ; et d’autres, qui avaient fui, sont revenus quand ils se sont rendu compte qu’ils ne risquaient rien. Et ils ont vécu normalement, ils ont continué de faire leurs affaires.
Vos médias ne disent jamais tout cela, n’est-ce pas ?
PPdP – Et à propos des crucifixions ?
Ismail – Il y a eu quelques crucifixions. Mais, comme tu le sais aussi, ce n’étaient pas des Chrétiens. C’est un autre mensonge. Ce sont des Musulmans qui ont été ainsi exécutés, parce qu’ils avaient commis des crimes, et leur exécution a été mise en œuvre toujours dans le respect des préceptes édictés dans le Coran.
PPdP – Par contre, en ce qui concerne les Yézidis ?
Ismail – Les Yézidis sont des mécréants qui ont refusé l’Islam ! Ils ne sont pas protégés par le Coran comme le sont les Chrétiens. Nous les avons combattus et certains sont devenus des esclaves, comme l’autorise le Coran.
Rien, dans ce que tu as dit, n’est en opposition avec la loi de Dieu inscrite dans le Coran, ni ne constitue un manquement par rapport à cette loi. Rien !
PPdP – Les Musulmans que l’État islamique a exécutés ? Le Coran interdit aux Musulmans d’attaquer et de tuer d’autres Musulmans…
Ismail – Les Musulmans que l’État islamique a exécutés ? Ce n’étaient pas des Musulmans. Soit ils combattaient contre nous ; ils combattaient donc l’Islam. Soit il s’agissait de pseudo-Musulmans qui se prétendaient musulmans, mais ne pratiquaient pas l’Islam.
Je ne joue pas sur les mots : il faut rester logique et cohérent ; et, au regard du Coran, ils n’étaient pas musulmans. Au pire, leur attitude faisait d’eux des apostats.
PPdP – Pourtant, dans le pays d’où tu es parti, en Europe, il existe une forme d’Islam qui s’est intégrée aux principes occidentaux, à la culture politique et sociale de l’Occident.
Ismail – Je suppose que tu parles de ce que vos médias et politiciens appellent l’Islam « modéré », dont ils vantent les vertus qui soumettent les croyants à vos lois…
Prends le Coran d’un côté et, de l’autre, regarde tout ce que font ces soi-disant « Musulmans modérés ». Tu trouveras des dizaines de choses qu’ils font et qui sont en opposition avec ce qui est prescrit dans le Coran ; et, de même, tu trouveras des dizaines de choses qu’ils ne font pas, alors qu’elles sont pourtant très clairement prescrites par le Coran.
Tu en trouveras des centaines, des milliers !
Mais qu’ils prennent bien garde ! Ceux qui entraînent les Musulmans sur ces mauvais chemins !
Dans la vingt-troisième sourate, Dieu a mis les Musulmans en garde contre ceux qui déformeraient sa parole et en altéreraient le sens. Contre ceux qui ont égaré les croyants, les ont éloignés de la parole de Dieu et ont divisé l’Oumma en sectes. Ils seront punis !
PPdP – Cet Islam « modéré » que tu dénonces et que tu rejettes comme une imposture est cependant le résultat des travaux de nombreux oulémas contemporains qui enseignent dans de prestigieux centres d’études islamiques, de savants de l’Islam reconnus.
Ismail – Reconnus par qui ? Qui leur a donné ce statut ? Ils se le sont donné eux-mêmes ! Et poussés par quelles motivations ?
De prétendus « savants » ont de tous les temps servi d’autres intérêts que ceux de l’Islam. Des intérêts politiques ou économiques. Ils ont manipulé les textes et fait croire des choses qui ne sont pas conformes au Coran. Pour justifier des politiques ou des pratiques économiques ou sociales. Pour assurer leur propre autorité en s’associant aux malfaisants et assurer aussi leur confort ; et pour s’adonner à des mœurs dissolues condamnées par le Coran.
Mais le Coran est un guide pour les croyants ; et ceux qui le lisent savent immédiatement que ces prétendus « savants » leur mentent, puisqu’ils savent ce qui est réellement écrit dans le Coran. Ce sont ceux qui ne lisent pas le Coran et qui ne pratiquent pas l’Islam qui ne le savent pas et qui croient ce que ces menteurs leur disent de croire.
Et ceux-là aussi seront châtiés. Car le Coran le dit sans qu’il y ait le moindre doute : ils sont responsables autant que ceux qui leur mentent. Nombreux sont les versets qui annoncent le châtiment pour les impies qui se détournent du texte sacré alors qu’ils connaissent son existence et qu’ils peuvent le lire pour en suivre les enseignements.
Ceux-là qui obéissent aux « savants » suivent des enseignements humains, qui ne sont pas ceux de Dieu. Et beaucoup le font consciemment, par facilité, parce que la rigueur des enseignements de Dieu les rebute. Ils seront sévèrement châtiés ; ils ne sont pas des croyants, mais ils sont exactement comme les mécréants et ils partageront leur sort lorsque viendra le jugement.
Le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) l’avait dit : les Musulmans délaisseront le Coran [Coran, 25, 30].
PPdP – Pour comprendre le Coran, il faut quand même une certaine expertise… Notamment, il faut maîtriser l’arabe classique…
Ismail – Dieu a envoyé le Coran uniquement aux experts de l’arabe classique ? Rires.
PPdP – Que faire, dans ce cas, des exégètes plus anciens et des grandes écoles islamiques qu’ils ont forgées par leur réflexion au cours des siècles ? Le Malékisme ? Le Hanbalisme ? Le Chafiisme ? Le Hanafisme ?
Ismail – Tout est dans le Coran. Nul besoin de ces écoles.
Certes, tous ceux qui ont commenté le Coran n’étaient pas des corrompus. Mais quand bien même : leurs commentaires sont humains ; ils ne viennent pas de Dieu. Seul ce qui est écrit dans le Coran vient de Dieu ; et rien n’y a été omis.
Le Coran est la seule référence que doit avoir un Musulman. Il y trouvera tout ce dont il a besoin. Dieu l’a dit au Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) : le Coran, c’est le guide parfait pour tout croyant ; celui qui le lit et en suit les enseignements sans essayer de les détourner ou de les mésinterpréter, celui-là est certain de faire la volonté de Dieu.
Pourquoi se placer sous la guidance d’autres hommes alors que l’on peut se laisser guider directement par Dieu en suivant ses enseignements inscrits dans le Coran ?
PPdP – N’est-ce pas un peu présomptueux que de balayer ainsi ces penseurs et de prétendre unilatéralement détenir la « vérité ».
Ismail – Pas du tout ! Qu’y a-t-il de présomptueux à prendre en main le saint Coran, débarrassé de siècles de gloses affolantes et de dire « Voilà ! Ceci est la vérité ! » ?
Pourquoi faudrait-il se fier à ces prétendus docteurs de l’Islam, à ces hommes prétentieux qui assurent tout autour d’eux qu’ils comprennent mieux que d’autres ce que Dieu a révélé à tous ?
Au contraire, méfie-toi de ces personnes-là. Dieu, dans sa grande sagesse, qui savait que ces personnes allaient venir et détourner les croyants de leur devoir… Dieu a mis les croyants en garde contre ces hommes-là ; le Coran nous met en garde et dit : « Pourquoi cherches-tu une autre source de loi que Dieu, alors que c’est Dieu qui a fait descendre pour toi ce livre dans lequel tout est bien exposé ? » [Coran, 6, 114] Le Coran nous met aussi en garde contre nous-mêmes, contre notre paresse, contre notre propension à céder à nos peurs, à nos envies, à nos désirs, à nos vices, et il dit : « Ne suivez pas les passions des gens qui se sont égarés et qui ont égaré avec eux beaucoup de monde et se sont détournés du droit chemin… Car si tu suivais leurs passions après avoir reçu les enseignements de Dieu, tu serais sans aucun doute du nombre des injustes. » [Coran, 5, 77 ; et 2, 145]
Bien sûr, les paresseux et les lascifs, les débauchés affecteront des airs outrés, et diront avec mépris que ces oulémas te sont de loin supérieur et que, si tu refuses de t’y référer, il ne sert à rien de discuter avec toi ; c’est toujours la réponse qu’ils font quand on essaie de débattre avec eux et de les raisonner : ils n’ont aucun argument et, même si tu leur montres, par les verstes du Coran, que ces prétendus grands savants de l’Islam sont des orgueilleux pervertis, ils rient et s’en vont en faisant les méprisants. C’est parce qu’ils trouvent leur compte dans le dévoiement engendré par ces oulémas, parce que ce dévoiement leur permet de justifier leurs turpitudes, leurs manquements en tant que Musulmans.
Autrement dit, ils préfèrent lire les conclusions de ces prétendus savants, en prenant soin, bien sûr, de choisir dans la panoplie ceux qui leur conviennent, dont les conclusions correspondent à leur mode de vie dévoyé, plutôt que de lire le Coran et de l’appliquer.
PPdP – Peut-être le Coran n’est-il pas à la portée de tous ? Peut-être est-il nécessaire que des oulémas expliquent le sens des versets ? Tous les Musulmans ne sont peut-être pas capables de comprendre ce que Dieu exige réellement d’eux…
Ismail – Le Coran a été donné à tous, et son message est simple et intelligible par tous. Le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) ne savait pas lire. C’est pourtant cet homme-là que Dieu a choisi pour en faire son messager. Ses compagnons n’étaient pas des savants formés dans les madrassa du Caire, d’al-Andalous ou d’ailleurs.
C’est écrit dans le Coran : Dieu a fait le Coran facile à comprendre et à retenir, pour qu’il soit un guide pour tous. [Coran, 54, 17]
Ce sont ceux qui sont dérangés par les enseignements que Dieu a donné dans le Coran et qui veulent les déformer pour les faire correspondre à leurs aspirations ou à leurs convictions humaines qui prétendent que le Coran est un texte compliqué et qu’eux seuls peuvent expliquer ce que Dieu dit de faire et de ne pas faire. Et il y a des égarés pour les croire et ne pas lire eux-mêmes le Coran. Combien de prétendus Musulmans n’ont jamais lu le Coran ? S’ils le lisaient, ils se rendraient compte qu’il n’y a rien de compliqué dans le Coran et que Dieu s’est adressé à l’entendement de tous.
C’est chez les Chrétiens et les Juifs qu’il existe un clergé, qui est l’intermédiaire entre les hommes et Dieu. Le Christianisme a connu ce dévoiement, et tu peux bien voir la différence immense qu’il y a entre ce qui est écrit dans les Évangiles et ce qu’a fait l’Église catholique tout au long de son histoire. Ce que font les Catholiques, ce n’est pas le Christianisme. C’est la même chose pour les Musulmans : il y a une différence abyssale entre ce que prescrit le Coran et ce prétendu Islam pratiqué par les « modérés ».
Ces « savants » sont comme les prêtres des Chrétiens. Ils constituent de facto un clergé qui ne dit pas son nom. Ils sont comme les ayatollahs des chiites hérétiques. Ils veulent commander aux croyants et les éloignent du Coran.
PPdP – Le calife Ibrahim, Abou Bakr al-Bagdhadi… Ne veut-il pas commander aux croyants ?
Ismail – Il commande parce qu’il est le chef de l’Oumma. Mais il ne déforme pas le Coran. Il le met en œuvre. Et il en rappelle les enseignements aux croyants, sans les « interpréter », sans les déformer. Il rappelle le Coran.
Mais très peu de ceux qui s’affirment musulmans écoutent ce rappel qui jette la lumière sur leurs turpitudes et leur corruption. Et ils nous insultent, pour ne pas nous écouter ; et ils disent que nous ne représentons pas l’Islam. Mais, quand tu leur demandes d’ouvrir le Coran et de présenter des arguments pour justifier leurs dires, ils s’enfuient.
PPdP – Mais le Coran lui-même ordonne aux croyants de se référer aux savants… La sourate 16 prescrit de « demander aux gens qui savent ». [Coran, 16, 43]
Ismail – C’est l’interprétation fallacieuse que les corrompus font du verset que tu cites mal.
Le Coran ne dit pas « ceux qui savent » ; il dit « les gens du rappel ».
Ainsi, il n’est pas question des « savants », à savoir de ceux qui interprètent le texte pour les autres ; mais de ceux qui connaissent le texte et peuvent le citer.
Donc, le Coran dit, aux croyants qui ne connaîtraient pas bien le texte, de demander à ceux qui le connaissent de le leur « rappeler ». Absolument pas d’interpréter et de dire ce qu’il faut faire ou pas : puisque le Coran est compréhensible par tous et vient de Dieu, pourquoi des hommes viendraient-ils parler à sa place ? Le seul rappel du texte suffit.
PPdP – On pourrait reprocher à l’approche que toi et tes compagnons avez de l’Islam…
Ismail – Du Coran, pas de « l’Islam ». Il faut toujours revenir au Coran, au texte, à la base.
PPdP – Soit… que votre approche du Coran, du texte, est en quelque manière un peu… « simpliste ». Vous prenez tout à la lettre…
Ismail – À qui le Prophète Mohamed (la paix et la bénédiction sur lui) s’adressait-il ? À qui étaient destinées les sourates prononcées ?
Je vais te poser la question autrement… On va faire un parallèle avec le prédécesseur de Mohamed (la paix et la bénédiction sur lui)… À qui Jésus prêchait-il ? À qui parlait-il ?
Aux mêmes personnes que le Prophète le fera quelques siècles plus tard.
Jésus (le prophète Issa) s’adressait à des gens simples, des villageois, des pêcheurs, des paysans… Jésus n’enseignait pas dans les académies de Damas ou d’Athènes.
Les premiers qui l’ont suivi, les « apôtres », qui étaient-ils ? Des pêcheurs du lac de Galilée, des villageois qui savaient à peine lire… Mis à part l’un d’eux, un collecteur d’impôt qui avait probablement appris à compter, ces hommes n’avaient pas étudié les grands philosophes et la dialectique et la sophistique… C’étaient tous des hommes simples et, comme tu peux le voir à la lecture des Évangiles, Jésus leur parlait simplement, il leur enseignait, en termes intelligibles par des gens peu éduqués, ce qu’ils devaient faire, comment ils devaient se comporter… Pas besoin de grands savants pour t’expliquer ce que dit Jésus dans les Évangiles ; l’homme le moins éduqué qui écoute cette parole peut la comprendre et sait ce qu’il convient de faire.
Jésus n’enseignait pas non plus aux Pharisiens, aux prêtres du Temple, à ces gens qui le rejetaient d’ailleurs. Il a essayé de leur parler, mais ils ne voulaient pas écouter, trop occupés à détourner la parole de Dieu à leur profit.
Il en va exactement de même des compagnons du Prophète et du Prophète lui-même (la paix et la bénédiction sur lui), qui était analphabète. C’étaient de simples bergers, des bédouins du désert… Mis à part le fils d’un riche marchand qui les a rejoints, ils n’avaient pas fait d’études. Le Prophète n’enseignait pas aux prétentieux et orgueilleux oulémas d’Al-Azhar, au Caire –qui n’existait même pas encore- ; il n’enseignait pas à Tolède ou à Grenade, ou à Ispahan… Il ne s’adressait pas à Ibn Khaldoun ou à Averroès. Tout ça, c’est venu après ; ça s’est associé au Coran, et ça a dévoyé l’Islam. Averroès, tant révéré par ceux que tu qualifies de « Musulmans modérés »… Cet homme s’est pris pour un nouveau prophète… Ce n’est pas expliquer le Coran, qu’il a fait… C’est faire passer sa propre pensée comme si elle venait de Dieu, en manipulant le Coran.
Le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) n’a jamais demandé à ses compagnons de faire une étude comparée du Coran et de la philosophie d’Aristote dans je ne sais quel but de réinterprétation de la parole de Dieu…
Le Prophète (la paix et la bénédiction sur lui) a transmis des paroles qui s’adressaient en termes simples et d’une manière simple à des gens simples. Elles leur disaient ce qu’ils devaient faire, comment agir, ce qui était bien, ce qui était mal… Comment on doit faire la prière, ce qui est permis, ce qui ne l’est pas… Quels sont les devoirs de chacun… Tout cela est dans le Coran. C’est bien écrit et je peux le lire et savoir ce que je dois faire. Tu peux le lire aussi et savoir. Tu n’as pas besoin des oulémas d’al-Azhar pour savoir ce que tu dois faire en tant que Musulman ; tu as le Coran pour cela.
Alors, ces prétentieux savants qui s’étouffent d’orgueil et qui se font appeler « docteurs de l’Islam », « oulémas »… Laissent-les à leurs dévoiements et lis le Coran. Les mots sont là pour te dire ce que tu dois savoir. Les mots du Coran viennent de Dieu ; ils ne trompent pas celui qui les lit en mettant ses intérêts de côté. Ils ne doivent pas être « interprétés », car ils ne sont ni équivoques, ni ambigus.
Et si quelqu’un te dis que les sourates sont trop simplistes, qu’elles ne peuvent pas être appliquées à la lettre, détourne-toi de cet homme, car il essaie de te détourner du Coran.
par notre envoyé spécial à Raqqa (Syrie)