Depuis la date de l’équipée du Hezbollah en Syrie pour secourir son allié baathiste après avoir, à maintes reprises, affirmé que l’armée régulière syrienne n’a pas besoin d’assistance et peut se débrouiller toute seule, quels sont les résultats palpables de cette intervention « libanaise » et ses répercussions militaires, politiques et morales sur le parti dit « de Dieu » ?
Il est vrai que l’immixtion du Hezbollah dans le conflit syrien, appuyé des Pasdarans iraniens et des milices chiites irakiennes, sans oublier les «conseillers» russes, a permis à al-Assad de se maintenir, sur des béquilles certes, mais se maintenir quand même, cahin-caha.
Mais à quel prix ?
Car force est de constater que le dictateur pour lequel ils se sacrifient est moins viable et solvable que jamais, que l’homme aux béquilles titube, est sur le point de s’aliter, que la terre qu’il gouvernait jadis d’une main de fer est aujourd’hui livrée en pâture aux charognards islamistes étrangers, de tout poil et tout acabit, sunnites et chiites, que la course à la curée a découpé le territoire syrien en émirats de Jabhet al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaeda) et « Daech » (l’État islamique), pays alaouite, pays rebelle, pays kurde… tout sauf pays syrien !
Que le ciel syrien, jusque-là inviolable, est devenu un bordel aérien où même des femmes pilotes (émiraties) se font la main (sans sexisme aucun) ; que le gouvernement syrien, qui a perdu toute légitimité, en arrive à mettre timidement en garde les troupes turques massées à la frontière contre toute atteinte à l’intégrité territoriale, sans que ledit gouvernement n’éprouve la moindre honte ou culpabilité, ou le moindre embarras de ne pouvoir venir à la rescousse d’une communauté kurde sur le territoire national, dont il a la responsabilité, et qui est sur le point de se faire massacrer, pour ce qu’il en reste après l’exode massif en Turquie.
Il serait en effet fastidieux de dresser la liste des prix qui ont été payés à ce jour par le Hezbollah qui voit aujourd’hui son bilan humain grevé de plus d’un millier de combattants tués, sans compter le double ou triple de blessés ; sa réputation de « résistance » à l’ennemi sioniste entachée par son nouveau rôle d’envahisseur de régions extraterritoriales jadis amies, lesquelles avaient hébergé les gens de sa communauté lors de la guerre de juillet 2006 ; son emblème, pris pour modèle, délaissé par le mouvement palestinien Hamas, suite à la persécution des siens en Syrie ; sa légitimité au Liban de plus en plus réduite, depuis la guerre indue de juillet 2006, l’invasion de Beyrouth en mai 2008, les chefs d’accusation du Tribunal spécial pour le Liban dirigés contre des membres du parti, les soupçons à son encontre sur les assassinats et tentatives d’assassinat qui ont jalonné la période d’après 2005, et rappelé celle d’avant. À cela s’ajoutent les diverses pratiques vexatoires qui ont révélé les intentions hégémoniques de cette faction qui monopolise une communauté libanaise chiite longtemps considérée depuis l’indépendance (et à juste titre) comme le parent pauvre de la société libanaise, n’ayant pas sa place égale dans la structure socio-politique, et qui a trouvé par conséquent dans la suprématie du Hezbollah la revanche recherchée.
Cette réaction chiite outrancière à un sentiment d’infériorité a fini, à la longue, par développer son pendant extrémiste sunnite, lequel a trouvé des foyers de plus en plus favorables et protecteurs dans les régions correspondantes, surtout au nord et à l’est du Liban, un milieu ambiant de plus en plus disposé car de plus en plus écœuré par l’arrogance et l’ascendant politico-militaire du parti chiite.
D’où les inclinations favorables, a minima (quoique inavouées), et les sympathies a maxima (quoique minoritaires), au sein de la communauté sunnite et de certains alliés politiques envers les formations extrémistes sunnites du genre Nosra, Daech et leurs filiales libanaises. L’émergence du monstre islamiste sunnite est venu prendre le contre-pied du monstre opposé, avec le support d’une partie non négligeable de la communauté sunnite. Et la localité sunnite de Ersal en est un exemple évocateur et représentatif.
C’est dire combien le Hezbollah, par ses actions en Syrie et ses exactions au Liban, a pu contribuer à creuser le fossé intercommunautaire, exacerber les frustrations et les tensions confessionnelles, nourrir et faire croître son sosie sunnite que l’on voit à l’œuvre en Syrie, en Irak et, désormais, au Liban.
Les affirmations du Hezbollah, selon lesquelles, sans son équipée en Syrie, Daech et Nosra seraient dans les profondeurs du pays du Cèdre, ne sauraient donc être rassurantes pour des Libanais (dont la proportion reste à déterminer) qui voient en ces deux formations radicales un moindre mal que le parti radical chiite, ceci outre la légèreté d’un tel argument étant donné que le Hezbollah n’éprouve pas le besoin de pénétrer préventivement en territoire israélien pour défendre le territoire libanais, ceci s’il en est capable.
Il est de bon ton de considérer, au contraire, que sa non intervention en Syrie n’aurait pas suscité cette haine réactionnaire que l’on voit et dont on pâtit, cette contre-intervention en sens contraire, en guise de représailles. Et s’il en avait été malgré tout ainsi, le Hezbollah aurait bénéficié de toutes les excuses et certainement de plus d’appui de la population libanaise. Outre le fait que cette équipée n’est pas parvenue à sécuriser la bande frontalière, qu’au contraire, le front s’est élargi avec l’embrasement du jurd de Brital, que les tentatives d’infiltration se multiplient par des attaques éclair, que le loup djihadiste est déjà dans la bergerie, via les camps de réfugiés et les foyers occultes favorables, et que ce loup y a déjà fait des petits. On aurait par conséquent de la peine à croire et faire accroire qu’il en aurait été pire n’eût été l’intervention du Hezbollah en Syrie.
Il convient aussi de noter que sur le plan militaire, c’est la prise d’al-Quusseir et des localités-clés du Qalamoun (Yabroud, etc.) avec l’aide du Hezbollah qui a poussé les djihadistes, pris en tenaille, vers la bande frontalière libanaise, de Ersal à Brital, de laquelle ils mènent leurs opérations de guérilla contre les positions de l’armée libanaise et du Hezbollah, fort coûteuses pour la milice chiite, à en juger par la récente attaque surprise dans le jurd de Brital, laquelle a occasionné des pertes lourdes dans ses rangs et contraint la milice à opérer un redéploiement qui n’est autre qu’un retrait pur et simple de ses postes avancés à Assal el Ward en Syrie vers la localité de Brital au Liban.
Mais le plus coûteux pour le « parti dit de Dieu » provient beaucoup plus d’une attitude collective à son égard, d’ordre moral, qui frise l’immoral et met en lumière sa banqueroute en matière de relations publiques : la tendance pour ses adversaires politiques locaux à se réjouir, du moins in petto, de ses pertes en hommes, à se dire en catimini « bien fait pour toi», à diffuser sur les sites et les réseaux sociaux les communiqués et les vidéos des opérations militaires du Front al-Nosra montrant des campements militaires en feu et des combattants du parti tombés sur un champ qui aurait dû être d’honneur. Cette manifestation médiatique perverse d’un certain public hostile devrait sonner l’alarme au sein de ce parti, et ses stratèges devraient se demander pourquoi ils en sont rendus à une telle impopularité.
Et, cerise sur le gâteau frelaté, la position intransigeante du Hezbollah relativement à l’affaire des militaires et gendarmes – pour la plupart chiites – enlevés suite à l’attaque du 2 août à Ersal par le front al-Nosra et Daech (EI).
Celui-ci est réfractaire, apparemment, au principe d’échange contre des islamistes détenus dans les prisons libanaises, arguant qu’il convient de « négocier en position de force » (dixit Sayed Hassan Nasrallah).
Conseil ou consigne qui n’a pas trouvé d’écho favorable auprès des familles des otages qui, jusqu’à l’heure d’écrire ces lignes, bloquent les principaux axes routiers pour faire pression sur le gouvernement libanais et le contraindre à négocier…
Fût-ce en position de force… ou de faiblesse.
2 Comments
Ce n’est pas une promenade belliqueuse, ni une promenade de santé que le parti de Dieu, notre bien aimé Hezbollah national, effectue en terre syrienne. Avec le temps, ce parti dont la guerre est un véritable fonds de commerce, s’est englué jusqu’au cou dans les terres marécageuses du conflit en cours en Syrie. Je me garde, bien entendu, de qualifier la guerre en Syrie de guerre confessionnelle, civile, pour ou contre le nazillon Assad, mais disons ‘’’une guerre en cours’’’ en Syrie dont l’enjeu à long terme ne peut être que la partition de la Syrie. J’imagine mal les miliciens chiites, par je ne sais quel inspiration divine, quitter brusquement la Syrie pour s’adonner comme tout guerrier au repos ou au ‘’’’chômage technique’’’’ au nettoyage de sa Kalachnikov. Non, et malheureusement non, il s’entête dans cette guerre, après qu’il a abandonné l’autre ambition guerrière, la libération des fermes de Chebaa, souvenons-non. Je me suis toujours demandé quel ‘’’’impératif de rentabilité’’’ politique compte avoir le Hezb, sachant que les dividendes politiques sont au prix le plus élevé. Combien de jeunes Libanais sont tombés au champ de bataille ? En effet ses détracteurs ne peuvent que se réjouir (à se dire en catimini ”’bien fait pour toi”’) je cite l’article. Tous ces morts pour rendre Assad de Damas ‘’’’acceptable’’’’ aux yeux de la coalition occidentale pour la lutte contre quoi ? Le djihadisme ? Il n’est même ’’’’ indispensable’’’’ pour la libération de quelques otages, (que sont-ils devenus les prélats enlevés depuis).
‘’’’’C’est dire combien le Hezbollah, par ses actions en Syrie et ses exactions au Liban, a pu contribuer à creuser le fossé intercommunautaire, exacerber les frustrations et les tensions confessionnelles, nourrir et faire croître son sosie sunnite que l’on voit à l’œuvre en Syrie, en Irak et, désormais, au Liban.’’’’ Voilà ce qui est bien écrit à juste titre. Creuser le fossé intercommunautaire et rendre le vivre ensemble, que beaucoup regrettent, impossible. Et par son intervention, il enfonce le clou dans le cercueil de la convivialité et du vivre ensemble tant qu’au Liban qu’en Syrie….
Il n’y a pas « d’inspiration divine », pour le parti divin, pour quitter la Syrie, ou pour y être entré, mais une obéissance absolue à l’Ayatollah, qui représente l’imam occulté, le Mahdi, jusqu’à son retour, selon la doctrine du chiisme duodécimain. Sur le plan dogmatique, le chef du Hezbollah ne fait en fait qu’obéir aux ordres. Il a lui-même déclaré une fois, sur grand écran, être fier d’être un simple soldat de la Wialyet el -Faqih. Il ne faut pas lui attribuer plus qu’il n’en faut. Les ordres sont les ordres. Et qui donne ordonne. Mais le plus étonnant, c’est de voir des chiites duodécimains se sacrifier pour préserver les privilèges d’une secte dissidente du chiisme en Syrie : les alaouites qui sont les nusayrites, descendants de Muhammad ibn Nusayr el Namiri, qui était le disciple du onzième imam (le père de Muhammad al- Mahdi) et qui n’a pas cru en l’existence de l’imam caché.
En passant, merci d’avoir pensé à ces deux prélats enlevés et dont on ne parle plus. Je suppose qu’ils ont droit eux aussi à un peu d’attention, aux côtés des militaires otages, droit à quelques manifestations et blocages d’axes routiers…de la part de chrétiens surtout.