La mise en œuvre de l’accord de paix entre les différentes parties qui s’opposent au Mali depuis 2011 est un chantier institutionnel fondateur d’un nouvel élan pour le pays, sensé donner plus d’autonomie aux communautés et aux régions et ainsi enfin permettre la construction de la confiance et de l’harmonie entre les différentes ethnies qui composent la population malienne. L’enjeu était tel que le gouvernement devait s’employer pleinement à éviter les écueils pour assurer le succès de cette réforme déterminante.
Cependant, le nouveau code des collectivités territoriales (loi n° 2017-051) promulgué le 14 septembre 2017 assène un coup d’arrêt extrêmement dommageable au processus de décentralisation au Mali, processus qui constitue l’axe essentiel de la réforme engagée pour la réalisation de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Une « erreur » politique majeure
Ce nouveau code, ainsi brusquement édicté, constitue en effet d’un grand pas en arrière dans le cadre du processus de décentralisation au Mali. À titre d’exemple, les articles 190 et 192 du code des collectivités donnent les pleins pouvoirs au représentant de l’État central au détriment des élus régionaux ainsi dépouillés de tout potentiel d’incitative. Au lieu d’adopter une régionalisation concrète conformément à l’esprit de l’accord de paix et des pratiques internationales, le gouvernement du Mali a donc décidé de consolider les pouvoirs des gouverneurs nommés par Bamako, comme s’il s’agissait de provoquer les autres partenaires de l’accord de paix et de relancer le conflit.
La régionalisation du pouvoir au Mali, conformément à l’accord, est sensé consolider les droits au pluralisme culturel et le respect des spécificités locales. S’y ajoute la fonction économique et de développement qui se fonde sur l’application de politiques économiques intégrées valorisant les ressources et les potentialités régionales et permettant d’avoir des régions aptes à impulser le développement et la création de pôles régionaux en totale cohésion.
Pour une fois, les Maliens avaient la possibilité de passer outre la gestion administrative bureaucratique corrompue qui grève régulièrement, voire sabote les projets de développement, et ce en adoptant une gestion optimisée privilégiant l’efficience et la proximité dans le cadre de la responsabilité, de la légalité et de la transparence. La régionalisation à travers la mise en œuvre de l’accord pour la paix devait en outre faciliter l’intégration et la cohésion spatiales et sociales.
Ce processus était sensé non seulement remédier aux dysfonctionnements juridiques, administratifs, financiers et humains, mais aussi parvenir à une bonne organisation régionale et mettre un terme à certaines revendications autonomistes (et non séparatistes) de la part de quelques régions tentées de mettre en avant leur particularité culturelle.
« L’erreur » volontairement commise par le gouvernement d’IBK ruine les espoirs déjà fragiles d’une rapide extinction des troubles au Mali et dans le Sahel.
La régionalisation, un processus difficile et un préalable à la paix
Ce sont les mécontentements régionaux qui ont servi de terreau aux divers groupes terroristes et mafieux qui contrôlent aujourd’hui des zones entières au Mali et étendent leur influence à travers le Sahel. C’est donc une fois ces mécontentements résolus que les populations locales se montreront favorables au rétablissement de l’autorité de l’État.
Bien évidement, les modalités d’application de la régionalisation ne sont pas aisées à déterminer. Le mimétisme, le « copier-coller », est dangereux : s’il faut s’inspirer de ce qui a fonctionné dans de grandes démocraties, il n’est pas question d’évacuer le contexte national, sinon au prix d’un fort risque fort d’échec.
À cette première difficulté, s’ajoute la non-cohérence des régions actuelles du Mali, dont certaines n’ont pas le potentiel nécessaire pour faire de la régionalisation une clé du développement intégré. Les régions telles qu’elles sont actuellement configurées ont en effet été conçues dans un souci avant électoraliste, voire sécuritaire, dans un Mali d’un autre temps.
Si le gouvernement entendait reprendre le chantier de la régionalisation, il serait donc impératif de procéder à un redécoupage régional veillant à une cohérence territoriale basée sur les flux économiques (actuels ou à venir). Les aspects culturels et historiques sont bien sûr importants, sans que l’on puisse cependant en faire un déterminant qui transcenderait la logique économique. Car le risque serait alors de créer des régions en fonction de critères tribaux ou, ce qui serait pire encore, ethniques ; or, le but de la régionalisation n’est pas celui-là, bien que l’on entende déjà ici et là des tentations de ce genre surgir dans certains discours.
C’est le second écueil d’envergure sur lequel le processus de régionalisation –s’il était relancé- risquerait de s’échouer : une autonomisation tribale et/ou ethnique constituerait une double erreur.
Politiquement, une régionalisation sur des bases ethniques serait purement contre-productive : elle finirait par mettre à mal l’unité même du pays et n’aurait pour conséquence que de raviver les querelles ancestrales.
Enfin, il est évident que les dévolutions de compétences ne peuvent concerner l’éducation qui doit demeurer nationale, parce que l’école est le creuset d’intégration par excellence (en outre, la valeur des diplômes dépend de leur caractère national).
Il serait aussi important d’ouvrir un débat citoyen, riche et aminé, sur la mise en œuvre de la régionalisation, et de prendre en compte ce qu’en attendent les Maliens dans leur ensemble (et pas seulement les leaders des quelques parties qui ont imposé leurs points de vue). Une telle démarche devrait guider dans leur réflexion les autorités chargées de la mise en œuvre de la régionalisation ; elle est incontournable, car il s’agit là, répétons-le, du plus grand chantier institutionnel du Mali indépendant, rien de moins.
Il est tout aussi indispensable d’avoir une vision claire à plusieurs niveaux, dont celui relatif à la nature des institutions régionales prévues : les institutions crées doivent être réellement démocratiques, dotées des moyens matériels et humains nécessaires, et jouir de prérogatives réelles ; s’il s’agissait de créer des organes purement formels, le processus serait inutile et, ne leurrant personne, il ne mènerait pas à la paix, bien au contraire. Or, tout cela fait défaut dans l’expérience de la décentralisation menée jusqu’à présent.
Une grande clarté de vision est également essentielle concernant la gouvernance territoriale : les prérogatives des différents niveaux de pouvoir territoriaux doivent être définies avec précision et les textes ne doivent laisser aucun doute à ce propos. Or, ces aspects font défaut dans le nouveau code des collectivités territoriales, surtout en ce qui concerne la loi portant sur l’organisation même des régions : s’il définit certaines compétences propres et d’autres transférées ou encore consultatives, ce texte n’échappe pas aux généralités qui engendrent des conflits de compétences et une dilution des responsabilités. Et s’y ajoute le problème des moyens.
La régionalisation telle que définie dans l’accord de paix, qui entre dans le cadre d’un changement interne pouvant être encadré par la constitution et les lois nationales, suppose la mise en place d’une série de mesures qui permettent d’élargir la régionalisation administrative au niveau de certaines prérogatives et/ou certains moyens financiers et humains.
Elle est de plus sensée permettre de passer d’un mode électoral indirect à un mode direct, à savoir l’élection de conseils régionaux, mais sans que cela signifie une régionalisation politique dont l’autonomie est l’une des formes.
Quant à l’autonomie, il est à noter qu’elle traduit un système de gestion régionale qui peut mener à l’indépendance existentielle des organes décentralisés de différentes régions dans le cadre de la souveraineté et de l’unité nationales. C’est là un degré maximal que peut atteindre un État unitaire n’optant pas pour le fédéralisme.
Il faut rappeler que la régionalisation avancée ou élargie ainsi que l’autonomie sont devenues des modes de gestion territoriaux modernes.
Mais le choix de l’un ou l’autre mode dépend de la nature fédérale ou unitaire de chaque État… L’étendue de la régionalisation pourrait même différer à l’intérieur d’un même État régionalisé. Dans ce cadre, les régions du nord du Mali pourraient bénéficier de larges compétences en comparaison avec d’autres régions du Mali, surtout si une solution politique négociée et définitive était trouvée sur la base des négociations avec les différents groupes armés.
Quoi qu’il en soit, et malgré les différences internes qui pourraient exister en matière de régionalisation et d’autonomie, leurs points communs restent la souveraineté de l’État et son unicité…
Il est important de poser cette question pour que toute équivoque puisse être levée dans ce dossier délicat.
La régionalisation, en effet, dans sa définition la plus simple, renvoie à la possibilité donnée aux citoyens dans une zone territoriale donnée de gérer leurs affaires par eux-mêmes à travers des instances régionales élues ayant des prérogatives et des moyens financiers et humains pour réaliser le développement local. Mais cela, sans rupture avec l’État et l’autorité centrale. C’est-à-dire que la régionalisation n’est pas synonyme d’indépendance ni de morcellement. Elle est plutôt une forme de gestion locale dans le cadre d’un seul et même État.
Par contre, l’autonomie est régie par des règlements internationaux. Elle recoupe toutefois la régionalisation en ce qui concerne les instances élues localement, les prérogatives et les moyens dévolus à la région.
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, l’émergence de conseils démocratiques constitue l’un des objectifs majeurs.
À la différence de la situation actuelle, le président du conseil régional est destiné à exercer la fonction exécutive et disposer également de l’ordonnancement des dépenses.
Ce nouveau statut d’essence démocratique répond aux objectifs suivants : concrétiser l’idée de la régionalisation avancée et élargie qui implique l’octroi, aux instances élues, d’attributions nécessaires à la prise en charge de la gestion locale ; accompagner la nouvelle légitimité résultant de l’élection directe ; aligner le statut du président du conseil régional sur celui du président du conseil communal.
Dans ce sens, le premier exercera, à titre d’exemple, les attributions suivantes : exécuter le budget ainsi que les délibérations du conseil régional et établir le compte administratif ; procéder aux actes de location, de vente, d’acquisition, d’échange et de toute autre transaction portant sur les biens du domaine privé régional ; conclure les conventions de coopération, de partenariat et de jumelage.
Toutefois, il y a lieu de préciser que pour l’exécution de ses décisions, le conseil régional doit être doté de deux structures, la première répondrait aux critères d’une administration classique, alors que la seconde serait une instance technique d’aide à la décision qui veillerait à la bonne exécution des projets d’investissement du conseil régional.
On s’en rend compte à l’examen de ces quelques considérations fondamentales, le processus de paix au Sahel, qui passe par la paix au Mali et donc par la régionalisation du pays, prendra du temps et traversera de nombreuses crises.
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Le chantier de la régionalisation est un préalable à la paix au Mali et dans le Sahel.
En promulguant cette nouvelle loi, le gouvernement du Mali a démontré sa volonté de ne pas appliquer cet accord pour la paix signé avec les groupes rebelles du nord.
Une attitude qui, non seulement, témoigne de la duplicité des responsables politiques au pouvoir au Mali, à commencer par le président de la république, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et de son entourage, mais fait aussi apparaître l’immaturité politique de ces responsables, qui visent avant tout à préserver leurs propres intérêts, et démontre le peu de cas qu’ils font de la stabilité du Mali et de la sécurité dans toute la région sahélienne, dont les troubles au Mali ont provoqué la déstabilisation en permettant l’émergence des groupes armés islamistes et, dans la foulée, des factions mafieuses et trafiquants de tout poil qui ont fait de provinces entières des zones de non-droit échappant à l’autorité des États et des forces internationales.
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Le Mali ne peut pas appliquer la régionalisation à cause de kidal uniquement.Nous soutenons les actions de nos autorités demandons la guerre pour libérer kidal. Le Mali aun problème de justice et d’équité et non de régionalisation.